Nouvelle version, 2021
Ransa no Moribito
Guardian of the Spear-wielders
Chapitre 11
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Le souper nous attendait toujours à la maison. Maman le réchauffa et nous mangeâmes tout en parlant du tournoi de Rucha. Pour une des rares fois, ce fut moi qui dormis le plus longtemps et je manquai l'entraînement matinal de Maman. Les pas de Chagum résonnèrent dans la pièce. Je le sentis me secouer l'épaule.
« Alika, debout, nous partons bientôt.
- Hein ? demandai-je à moitié endormie. Où ça ?
- Chez Tanda. Balsa désire que l'on s'y rende.
- Oh... d'accord, je m'habille. »
Je repoussai mes couvertures et m'étirai. Je mis mes vêtements avant de plier du mieux que je le pouvais mon futon et mon pyjama. Par la suite, je pris mes deux attaches à cheveux et descendis au rez-de-chaussée. Maman était déjà en train de préparer ses choses pour aller chez Papa.
« Enfin levée, sourit-elle. Bon matin.
- Oui... bon matin. »
Je lui montrai mes attaches à cheveux.
« Assieds-toi. »
Je m'assis et lui donnai ma brosse à cheveux. Une fois peignée et enfin préparé, nous prîmes la route en direction de la maison de Papa. Papa nous dit d'attendre à l'intérieur alors qu'il parlait avec Maman. À son énergie et son regarda alarmé, je sentis que c'était plus ou moins grave. Maman avait changé son kimono pour sa robe Kanbalese.
« Est-ce que tout ira bien ? s'inquiétait Papa.
- Je n'ai pas l'impression que quelqu'un nous suive, lui répondit Maman.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire. À en croire la lettre, je ne pense pas qu'on puisse lui faire entendre raison.
- C'est vrai. Une chose est sûre, quelqu'un qui pourrait nous causer des ennuis m'a vue la nuit dernière.
- Qui est ce guerrier, Karbo ?
- Un rival, en quelque sorte. Il y a trois ans, lorsque j'ai sauvé un client de l'emprise d'un esclavagiste, il était le garde du corps adverse.
- Ne pourrais-tu pas faire profil bas-là, aussi ?
- Je veux vivre au moulin le plus longtemps possible jusqu'à ce que Torogai-Shi revienne. Je n'ai pas le choix, puisqu'il me menace de tout raconter à la cour si je n'y vais pas. Si l'on nous retrouve maintenant, nous perdrons tout. Je ne peux pas laisser filer quelqu'un qui me sait en vie. Il sait peut-être que Chagum est en vie, lui aussi... et pire encore, peut-être qu'il sait qu'Alika est ma fille et est aussi avec moi. Je ne peux pas me permettre qu'il la prenne en otage pour me faire faire des choses que je ne souhaite pas en premier lieu.
- Notre fille, la corrigea Papa.
- Notre fille... J'ai promis de ne tuer personne. Alors nécessairement, je vais tenter du mieux que je le peux d'éviter de le tuer. Prend soin de Chagum et d'Alika, s'il te plait. »
Et elle partit à la course, s'enfonçant dans la forêt. Je laissai mon regard suivre Papa.
« Tout ça parce que je suis allé au festival..., se culpabilisa Chagum.
- Ne te tracasse pas pour ça. Ce serait arrivé tôt ou tard. Je suis sûr que Balsa le sait aussi. Pourquoi ne ferions-nous pas quelques trucs ensembles ? Je dois me rendre au Bas-Ougi pour des commandes. Viens avec nous.
- Oh... d'accord. »
Nous nous rendîmes au Bas-Ougi et regardâmes les nouvelles commandes. Je m'assis à son kiosque et des papiers origami. Je passai des feuilles à Niisan et lui demandai s'il voulait de l'encre.
« Pourquoi de l'encre ? me demanda-t-il.
- Si tu veux dessiner...
- Et toi, tu vas dessiner ?
- Je vais plier des origamis. »
Je me mis à ma tâche. Du coin de l'œil, je vis Chagum rédiger un poème. Dès que Papa décida que sa journée était enfin terminée, nous revîmes au refuge. Je pris mon bâton en bambou et sortis dehors. Il fallait que je m'entraîne. J'avais manqué l'entraînement matinal de Maman aujourd'hui et les journées étaient trop monotones. Je n'avais pas eu un seul temps pour pratiquer seule, comme Maman était là et que j'en profitais. Il fallait que je me pratique si un jour je voulais être comme Maman ! Je réchauffai mes muscles et me mis à exécuter les katas de lance. Niisan sortit, intrigué et me vit pratiquer. Il ne dit rien. Je fis un salto avant et enchainai en faisant une série de moulinets. Je souris et continuai avec plus de rigueur. Une fois ma séance terminée, je me retournai vers Chagum. Il m'applaudit.
« Alors ? me renseignai-je.
- Tu es très douée. Je suis sûr que tu seras comme ta maman plus tard.
- Oui, je veux être comme elle !
- C'est prêt ! annonça Papa.
- Oh miam ! Tu viens ?
- Évidemment, quelle question ! s'écria Niisan. Je meure de faim. J'aime sentir que j'ai faim. »
Je me retournai avec un regard incrédule.
« Tu aimes sentir les gargouillis dans ton ventre ?
- Oui. Je n'avais jamais ressenti ça auparavant avec ma vie au palais.
- T'es drôle ! J'aime pas avoir faim. Maman dit que je mangeais tout le temps quand j'étais petite. Elle pensait que j'avais un problème digestif tellement que je mangeais tout ce qui me tombait sous la main... même l'herbe dans la cour.
- Tu manges... de l'herbe ?!
- Oui, ris-je. Et les fleurs.
- Et les plantes ?!
- Celles qui sont comestibles. Papa me les a montrées. »
Ce fut à son tour de me jeter un regard incrédule, mélangé à du dégoût alors que nous entrâmes dans le refuge.
« Vous voilà, dit Papa.
- Nous étions dans une conversation palpitante, lui expliqua Chagum.
- Et quelle sorte de conversation, puis-je savoir ? »
Il déposa du riz dans un bol avant de mettre du ragoût.
« Je disais qu'Alika était une goinfre.
- Lui, il aime avoir faim ! me défendis-je rapidement.
- Concernant le premier point, Chagum, tu as bien raison, rit Papa. »
Papa continua de lui raconter des anecdotes me concernant lorsque j'étais plus jeune et même encore un bébé. Je préférais me concentrer sur ma nourriture. Il revint sur le sujet concernant Chagum qui aimait sentir qu'il avait faim. Je levai ma tête et le regardai, amusée.
« Tu n'as jamais su ce qu'était la faim. Normalement, les roturiers n'aiment pas sentir qu'ils ont faim. Pour nous, c'est une sensation très désagréable. Pour les roturiers les plus pauvres, c'est un signe de famine et beaucoup de jeunes enfants décèdent malgré les bons soins et les sacrifices de leurs parents.
- Oh, je vois. Mais Alika a survécu.
- Oh oui, elle est très impressionnante et a une très forte volonté de vivre.
- C'est le cas de le dire.
- Je pourrais manger un ours si je le voulais ! dis-je.
- Je voudrais bien voir ça un jour. »
Je souris et continuai notre repas. Je jouai ensuite à la corde à sauter avec Niisan et lui montrai plusieurs jeux auxquels les enfants roturiers comme moi avaient l'habitude de jouer. Je montai au second étage pour m'étendre sur mon futon une fois l'heure du coucher arrivé. Chagum vint me rejoindre quelques minutes plus tard. Papa nous souhaita bonne nuit et descendit au rez-de-chaussée.
« Dis, Niisan...
- Oui ?
- Ta vie au palais te manque ?
- Hum... je ne sais pas. Je suis content de vivre comme un roturier. Je suis au courant maintenant de comment les paysans pensent, comment ils vivent et comment ils ressentent la faim. Je ne déteste pas ça.
- Tu vas retourner au palais, un jour ?
- Je ne sais vraiment pas. Je suis bien avec toi, Balsa et Tanda. Si je venais à partir, vous me manqueriez tous les trois.
- Toi aussi..., avouai-je au bout d'un moment. »
Je tentai de fermer les yeux, mais les rouvrit subitement, me rappelant que j'avais oublié de lui poser une question spécifique.
« Niisan ?
- Quoi ?
- ... Tu crois que Maman va revenir ? m'inquiétai-je. »
Chagum se tourna vers moi et me sourit.
« Tu connais bien Balsa, ta Maman, pas vrai ?
- Oui...
- Elle est toujours revenue vous voir après être partie comme ça, n'est-ce pas ?
- Oui...
- Alors oui, elle reviendra. Personne ne peut rivaliser avec elle, prend exemple avec le tournoi de Rucha. Elle a gagné.
- C'est vrai...
- Alika, tu es vraiment chanceuse d'avoir Balsa pour Maman. Et un jour, tu seras aussi forte qu'elle, j'en reste persuadé !
- Oh oui ! affirmai-je, soudain plus heureuse.
- Les enfants ? appela Papa, au rez-de-chaussée. C'est le temps de dormir.
- Oui Papa, on parlait juste de Maman ! répondis-je avant de rire. Bonne nuit, Niisan !
- Bonne nuit, Alika. »
Je sentis une main me caresser les cheveux et entrouvris les yeux pour voir mon commandant esprit. Je souris doucement. Sa voix résonna dans ma tête.
« Je peux aller jeter un œil à Maman, si tu veux, pour te rassurer.
- Oui, je veux bien ! répondis-je par télépathie.
- Aller, petite fleur, fais dodo. Je serai de retour quand tu te lèveras demain.
- Bonne nuit. »
Je le sentis me quitter et me tournai sur le côté, dans mon lit.
En avant-midi, Chagum demanda à Papa de lui montrer quelques plantes médicinales et comment les apprêter. Heureux de pouvoir enseigner ses connaissances sur la matière, nous reçûmes un cours privé avec lui. Chagum s'assit, son attention complètement rivé sur Papa et il prenait des notes intensivement. De mon côté, j'étais littéralement en train de m'assoupir, mon bâton en bambou dans les mains. Le cours n'était pas du tout intéressant pour moi.
« Et cette plante elle sert à quoi ? demandait Chagum, intéressé.
- Cette plante aide à faire cicatriser les blessures. Je suis chanceux d'en avoir autant dans les environs.
- Serais-tu en train de penser à Balsa ? »
À moitié-endormie, je vis l'aura de Papa devenir blanche avec un soupçon de vague d'énergie rose. Je voyais plus souvent cette aura chez Papa que chez Maman, mais je savais que c'était un signe d'amour entre deux grandes personnes. Je m'étirai et commençai à m'agiter sur place.
« Papa, dis-je, je suis fatiguée de rester ici à rien faire. Je peux aller jouer dans la forêt ?
- Tu ne veux pas en apprendre plus sur la médicine naturelle ? »
Je fis une moue qui montrait que j'étais lasse du cours. Il soupira et me laissa partir à condition de revenir pour le dîner. Je m'enfonçai plus loin dans la forêt et vis mon commandant esprit se joindre à moi. J'allais à mon endroit secret : un grand arbre centenaire possédant une ouverture à sa base de tronc. Je me souvins que Grand-Mère Torogai m'avait dit que la forêt abritait un endroit souterrain très chargé en énergie. Les frontières entre nos deux mondes, Sagu and Nayug, étaient très minces à cet endroit. J'avais fini par le trouver et une des entrées, sur trois, se trouvait tout juste sous cet arbre. Je descendis la petite pente naturelle fait en écorce et débouchai sur une petite caverne. Elle abritait une chute d'eau qui tombait dans une source d'eau clair et limpide, du gazon poussait comme sur un terrain plat, avec des fleurs et des rochers recouvert d'un peu de mousse. Quelques papillons volaient avec d'autres insectes. C'était presque le paradis. C'était mon endroit, mon sanctuaire, ma paix intérieure. Personne ne le connaissait. Sauf que cette fois-là, c'était différent...
Personne n'était censé connaître cet endroit et il y avait trois enfants, des garçons, d'à peu près six et sept ans, qui s'amusaient dans mon sanctuaire ! Je vis rouge et me dirigeai de pied ferme dans leur direction, sans aucune crainte, comme quand Maman s'imposait.
« Vous faites quoi ici ?! tonnai-je.
- Mais t'es qui, toi ? demanda le plus vieux, du moins, qui semblait être le plus vieux.
- J'ai pas envie de te répondre. C'est mon endroit, pas le tiens !
- T'étais pas là quand on est arrivé. Cette place est à nous, maintenant ! Premier arrivé, premier servis.
- Il a raison, l'appuya son jeune frère, du moins, je crois.
- Alors, la minette, dégages !
- Non, répliquai-je, têtue. Je me battrai s'il le faut pour cette place.
- Si tu veux te faire écraser par mon frère, je te conseillerai de rebrousser le chemin, m'avertit le jeune frère.
- Non.
- Tu veux te battre ?! me défia l'aînée.
- Oui ! confirmai-je. Viens, je t'attends ! »
Je vis mon commandant esprit se retirer un peu et me faire signe de tête. Il m'encourageait à me battre !
« Cette fillette sait pas ce qu'elle veut, murmura le troisième garçon.
- Elle va pleurer après avoir reçu un coup.
- Haha..., ris-je jaune. Essayez, pour voir.
- Mon père était le meilleur maître d'arts martiaux de la ville.
- Ma mère vient de Kanbal, me ventai-je à mon tour. Venez, pour voir. »
Le premier garçon, l'aîné, se jeta sur moi et tenta un coup de poing droit. Je l'évitai aisément et fis une série de moulinet avec ma branche en bambou avant de le frapper sur le bras. Il cria de douleur et tenta un coup de pied que je bloquai avec mon arme. Le second se mit de la partie. Je me retournai vers lui et bloquai ses attaques tout en contre-attaquant. Ils étaient deux contre moi, mais je menais encore la danse. J'arrivai à leur faire face. Je sautai dans les airs, très haut – tellement haut que je vis l'ébahissement sur leurs visages – et offris deux jolies coups de pieds, dans chacun de leurs visages en faisant un grand écart. Je retombai sur mes pieds. Le troisième garçon ne tarda pas à se joindre au combat et me prit par le bras droit avant de me le tordre dans le dos, me faisant perdre mon arme.
« Tu t'es bien battue, mais c'est pas assez !
- Ah ouais ? répondis-je, avec un sourire en coin. »
Utilisant sa force comme me l'avait appris Maman, je le fis complètement culbuter par-dessus-moi pour le plaquer solidement au sol. L'aîné revint se jeter sur moi et cette fois-ci, je ne parvins pas à bloquer son coup de poing qui atterrit droit dans le ventre. Je m'écrasai au sol et me fis écrabouiller par lui. Il me tenait solidement par le cou. Je donnai des coups de pieds pour me dégager. La voix de mon commandant esprit résonna dans mes oreilles – j'étais la seule qui pouvait l'entendre par mon ouïe, après tout.
« Reste calme, petite fleur. Il va desserrer sa prise s'il sent que tu ne bouges plus. »
Le garçon lâcha sa prise.
« Maintenant ! »
Je me redressai rapidement et le mordis à l'oreille, si fortement que je sentis un faible filet de sang dans ma bouche. Il me lâcha et j'en profitai pour lui donner un coup de pied et faire une culbute arrière avant de me redresser. Je crachai au sol pour me retirer le goût métallique du sang. Son petit frère tenta sa chance, mais je sortis mes ongles et l'empoignai solidement par le bras pour le lui tordre. Je le jetai au sol et lui donnai un coup de genoux dans l'entrejambe. J'entendis mon commandant esprit gémir pour mon adversaire.
« Pas les bijoux de famille ! gémit-il. »
Je tremblais. Non pas de fatigue, mais de colère noire. Une énergie si forte que mon corps ne le supportait pas.
« Maintenant, partez ! »
Je grognai et avançai vers eux. Ils reculèrent et prirent la poudre d'escampette, sortant par l'entrée où j'étais arrivée quelques minutes plus tôt. Dès que leurs énergies disparurent des lieux, tous mes muscles qui étaient contractés se détendirent d'un seul coup et mon corps se mit à trembler de fatigue.
Je marchai vers ma branche en bambou et m'étendis sur l'herbe fraîche. Je me reposai un peu puis me redressai : il me fallait cacher l'entrée de mon paradis au plus vite. Je sortis et ramassai des branches, des roches et des feuilles pour créer un camouflage. Mon commandant esprit accepta volontiers de m'aider et me donner ses connaissances pour effacer les traces.
« Tu devrais faire ça comme ça. Ça passera plus inaperçu et ça fera naturel.
- Bonne idée ! souris-je. Merci ! »
Après quelques minutes d'artisanats, j'étais parvenue à bien cachée l'entrée du sanctuaire qui se fondait à merveille dans le décor de la forêt. Je grimpai dans un autre arbre plus loin et entrait par la seconde entrée. Je glissai dans la chute naturelle pour retrouver ma caverne. J'atterris sur un tapis d'herbe tendre qui amortit ma chute. La dernière entrée, et sortie, était placée derrière framboisier sauvage. Je regardai le cadran solaire que Grand-Mère avait installé spécialement pour moi et vis qu'il était temps pour moi de rentrer pour le dîner du midi. Je sortis la troisième sortie, avalant au passage des framboises bien mûres.
« Je suis là ! annonçai-je joyeusement, arrivant dans le refuge.
- C'est bientôt prêt, dit Papa.
- On mange quoi ?
- Du riz avec de la viande et des légumes frais que Chagum et moi avons cueilli aujourd'hui lors de mon cours. Et toi, tu as fait quoi une fois libérée de mon enseignement ?
- J'ai joué dans la forêt ! Je la connais par cœur et j'ai pas peur vu que mes amis esprits sont-là.
- Alika, pas de ça à la table.
- Pourquoi ? Maman t'as dit que j'avais parlé de Jiguro ! Je peux aussi te décrire ton grand-père, Kunda, à quoi il ressemble. Il vient de rentrer dans le refuge... il dit que tu es son portrait craché... »
Papa me regarda, irrité.
« Pas de ça à table, Alika, répéta-t-il.
- Tu me crois, enfin ?
- Moi, je te crois, me rassura Niisan.
- Vraiment ?
- Oui. Le monde de Sagu est rempli de mystère et ça ne m'étonne pas que des gens comme toi puissent voir des choses qui ne sont pas visibles pour le commun des mortels. Mais je te crois.
- Merci ! »
Nous prîmes nos bols et continuâmes de parler, oubliant même que Papa était avec nous, à nous écouter se raconter des histoires et partager nos croyances. Après avoir mangé et fait la vaisselle, je retournai jouer dehors avec Niisan. Je lui montrai ma forêt et au moment où j'allais me diriger vers mon petit coin de paradis, je revis les trois garçons. Ils étaient en train de chercher l'entrée que j'avais très bien cachée, plus tôt.
« Encore eux ! grognai-je.
- "Eux" ? demanda Niisan.
- Oui... je voulais te montrer mon petit coin de paradis, mais il y avait ces trois gamins qui voulaient l'avoir. Je me suis battue contre eux.
- Tu t'es battue ?! s'exclama-t-il.
- Oui, je défends mon territoire et mon honneur !
- Comme tu es drôle. »
Je souris et me dirigeai vers eux avec mon arme suprême, à savoir : ma branche de bambou ! Je me sentais intimidante avec. Chagum voulut m'arrêter, mais au lieu, je le tirai vers moi, le forçant à me suivre dans leur direction.
« Vous cherchez l'endroit ? me moquai-je.
- Encore toi ?! pesta l'aîné du groupe.
- Ouais, encore moi ! Cette forêt est maudite, si vous restez là, les magic-weavers vont vous maudirent. »
Les trois pouffèrent de rire et le plus vieux me sortit :
« T'es qu'une gamine. Tu te vantes devant des plus vieux ? Quelle bâtarde fais-tu ! »
Sur le coup, je n'ai pas du tout compris ce que voulait signifier ce mot, mais je sentis Niisan devenir rouge de colère et entrer dans une rage noire contenue. Son aura devint bleutée à nouveau.
« Retires tes mots, sale roturier ! ragea-t-il en se jetant sur lui. On n'insulte pas ma petite sœur ! »
Petite sœur ? Tiens, c'est nouveau. Peut-être qu'il m'aime vraiment et ne cherche pas à me remplacer, finalement. Je commençai à l'apprécier de plus en plus... et plus encore depuis qu'il m'avait appelée comme étant sa petite sœur. Je fus un moment abasourdie et repris mes esprits rapidement.
« Niisan !
- Tu ne sais RIEN de sa vie et nos parents sont des gens bons ! Je suppose que tu n'aies pas eu toute l'affection qu'il te fallait dans ton enfance, tu dois sûrement la jalouser !
- Tu dis des conneries, cracha-t-il en poussant Chagum. »
Je tentai alors de les séparer. Je frappai les mollets du garçon qui se vantait et celui-ci lâcha immédiatement Niisan. Maman me faisait souvent ça pour corriger mes positions ou si j'avais fait une manœuvre qui aurait pu me coûter la vie. Une nouvelle bataille était sur le point d'arriver quand je reçus une pomme de pin sur la tête.
« Aouch ! m'irritai-je. Vous êtes pas bien !
- J'ai rien fait ! se défendit le troisième garçon.
- C'est pas moi non plus ! »
On commença à s'insulter pour trouver qui était le coupable qui nous lançait des pommes de pins.
« Vous avez emmené d'autres amis ! les accusai-je.
- C'est même pas vrai ! pesta l'aîné.
- Tu nous mens ! s'y mit Niisan. »
Je n'avais reçu qu'une pomme de pins sur la tête, mais lorsque je me concentrai un peu plus, je vis que les trois garçons en recevaient beaucoup plus que moi et Chagum.
« Alika, recule, résonna la voix de mon commandant esprit dans ma tête.
- ... Tu es le responsable ? demandai-je. »
Pour toutes réponses, j'entendis son rire dans mon esprit et je reculai. Le petit frère commença à avoir peur.
« Je crois que la forêt veut pas de nous, geignit-il.
- Ouais, je suis d'accord, avoua le troisième garçon. Allons-nous en... avant d'être maudit.
- Les magic-weavers vont nous suivre sinon... Oniisan. »
L'aîné me jeta un regard noir.
« Cette forêt veut pas de nous, mais toi (il me pointa du doigt) tu es la bâtarde la plus stupide et la plus conne que j'ai rencontré.
- La ferme ! me défendit Chagum. »
Les trois garçons partirent sous la pluie de pommes de pins. Une fois le calme revenu, Chagum me dit qu'il voulait explorer ma forêt et, mettant cette histoire de côté, je lui montrai les différents endroits. Nous passâmes notre soirée à se raconter nos vies. Je le questionnai beaucoup sur la sienne. Enfin, je lui demandais aussi ce que voulait dire le mot « bâtarde ».
Au début, il ne voulut pas m'en parler. J'utilisais donc mon énergie pour insister et il a céda. Chagum me dit que le mot « bâtard » était une insulte envers une personne qui était née hors-mariage. C'est malaisé qu'il se coucha à mes côtés. Je me retournai sur mon futon et observai la lune. Ainsi j'étais une « bâtarde » ? Le mariage, je n'avais jamais pensé à ça. Je savais que j'étais un accident et que je n'étais pas prévue. Mais Maman, Papa, et même Grand-Mère, m'aimaient beaucoup et j'étais heureuse. Je n'avais jamais rien manqué dans ma vie et je recevais toujours de l'amour et de l'affection...
Je ne voulus pas en faire part à Papa. En fait, je me confiais rarement à lui. Je préférais être aux côtés de Maman pour les secrets. C'était plus simple... selon moi.
