Nouvelle version, 2021

Ransa no Moribito

Gardien des Lanciers


Chapitre 15

La Grotte des Chasseurs

Durant notre trajet, nous passâmes devant une chute d'eau énorme et le feuillage des arbres changeait lentement de couleur. Je trouvais ça vraiment joli. Les feuilles virevoltaient dans le vent et je m'étais bel et bien faite attaquée par plusieurs d'entre elles. Oui, oui ! Une dans l'œil, une dans le cou et l'autre dans les cheveux...

« Il fait plus froid ici qu'à Kosenkyo, alors les feuilles changent de couleur plus tôt, informa Papa à Niisan en lui montrant une feuille.

- Les neiges à Kanbal ont sûrement déjà commencé, commenta Maman.

- C'est vrai ?! m'égayai-je.

- Oui. Il neige plus tôt et l'hiver dure presque cinq mois.

- C'est quand qu'on va à Kanbal, Maman ?

- Lorsque le temps nous le permettra. »

Je fis la moue.

« Je vais encore attendre deux ans ?!

- Je ne sais pas. Le futur est toujours en mouvement. »

Chagum ne dit rien et continua son chemin, l'aura noire. Cette couleur commença à me taper sur les nerfs. Mon commandant esprit me parla.

« Il vient de perdre son frère... c'est normal que son aura soit de cette couleur. Il reviendra à son état initial quand la partie la plus grosse de son deuil sera faite.

- Il est comme ça depuis que nous avons quittés Toumi, observa Papa.

- Oui, mais au moins, nous atteindrons bientôt la Grotte des Chasseurs. Je réfléchirai à la façon de m'occuper de Chagum une fois là-bas, conclut Maman.

- Oui. »

Le paysage était superbe. Nous marchâmes le long d'une colline sur un chemin en forme de colimaçon pour afin arriver à une grosse grotte. Grand-Mère frappa le rocher avec sa canne.

« La vache ! Voilà ce qui se passe quand on la néglige ne serait-ce qu'un peu. »

Elle arracha quelques vignes. Papa ouvrit la porte en poussant la pierre. Il était fort, mon Papa ! Grand-Mère entra, vite suivit de lui. Je regardai Maman et vis l'esprit de Jiguro aller proche de l'arbre. Je n'avais pas besoin de poser ma main sur l'arbre, je le voyais en chair et en os.

« Jiguro... je suis de retour. »

Je vis Jiguro sourire.

« Je sais, dit-il. Je t'ai toujours veillée et tu le sais. Je ne suis jamais resté au même endroit depuis ma mort.

- J'ai allumé quelques lumières, annonça Papa. Vous pouvez descendre maintenant. »

Maman regarda Chagum et je l'imitai en posant mon regard sur lui également. Il pénétra la grotte.

« Je vais devoir le remettre sur le droit chemin, dit Maman alors que je prenais sa main. Allons-y.

- Maître et moi avions l'habitude de bricoler dans la grotte sous ces pierres, dit Papa alors que nous rentrâmes et que Chagum regardait partout. Tu es surpris ? Nous l'appelons le vestibule. C'est un peu froid et caverneux néanmoins, alors nous avons creusés des salles un peu plus loin.

- Tu as creusé la grotte ? demandai-je, ébahie.

- Non. La nature l'a fait d'elle-même, rit Papa. Nous avons emménagé les salles, c'est ce que je voulais dire. Venez. »

La voix de Papa résonnait dans cet espace clos. Plus au loin, dépassé le vestibule, il y avait trois grandes ouvertures. Papa nous dit que la cavité de droite était tellement profonde qu'elle en était ramifiée et en devenait un labyrinthe. Il nous interdit formellement d'y aller, par peur de s'égarer et de ne plus jamais en ressortir.

Il y avait une fontaine, une source d'eau potable et même un bain creusé à même la pierre dans la cavité du milieu – qui fonctionnait avec un mécanisme de plomberie en terre cuite qui apportait et réchauffait l'eau – et celle de gauche possédait une porte en bois : ç'allait être notre maison durant les longs mois d'hiver. Il y avait d'autres pièces entre la salle d'eau et le salon; ça allait être nos chambres à coucher.

Je rentrai dans le salon en suivant Papa. Le sol était ovale, les parois étaient lisses et bien sèches. De grosses jarres étaient entreposées le long du mur; on en trouvait de toutes tailles et toutes formes diverses sur les étagères. Les futons étaient pliés et enveloppés dans du papier huilé pour contrer l'humidité.

« Voilà notre salon, continua de présenter Papa. La pièce ici est celle où nous fumons la viande et ce genre de chose. Nous entreposons la nourriture et l'eau là-bas, dans cette pièce.

- On dirait que l'endroit a tenu le coup, observa Grand-Mère.

- Cet endroit n'a pas changé, se remémora Maman. Tout est exactement comme qu'avant. C'est la première fois que je reviens depuis que Jiguro est mort et qu'Alika est née.

- Une fois que la neige sera tombée, nous serons bloqués à l'intérieur, ronchonna Grand-Mère. Il y a une tonne de choses que nous devons faire avant cela. Commençons les préparatifs pour l'hiver immédiatement.

- Chagum, ordonna Papa, il faut aérer les futons au soleil. Alika, passe un coup de balai. Nous avons encore tout plein d'autre chose à faire. »

J'hochai positivement la tête et pris un balai pour balayer le salon. D'une manière plus ou moins inconsciente, je me mis à danser en même temps que j'exécutai ma tâche. Quand je fus certaine d'avoir passé partout, je gardai le manche à balais en main et souris. Je me mis à faire quelques parades et commençai à m'emballer en faisant des acrobaties lorsque la voix de Maman résonna dans la pièce, me faisant perdre ma concentration. Je me pris un coup de balai derrière la tête dont le bruit fut écho à travers les murs. Mon commandant esprit revint à son tour et éclata de rire.

« Mais doucement, petite fleur !

- Ouch..., gémis-je en me frottant le derrière de tête. Ça fait mal...

- Qu'est-ce que tu faisais ? s'amusa Maman. Tu te pratiquais ?

- Oui !

- Au fait, j'allais te demander si tu voulais m'accompagner, demain matin, avec Chagum afin de poser des pièges. J'en ai déjà posé quelques-uns aujourd'hui.

- Oui ! m'enthousiasmai-je. Je viens ! »


Nous fîmes la tournée des pièges au petit matin. On en retira un lièvre, un daim et un caribou. Niisan fut chargé de retirer la peau du lapin. L'animal était encore chaud et il ne put retenir ses larmes. Pourtant, l'animal était mort et je ne sentais aucune âme prisonnière à l'intérieur.

« Travaille en faisant le vide dans ton esprit, lui conseilla Maman. Ça te fait mal parce que tu te mets à sa place. Mais ce lièvre est mort pour te permettre de vivre. Respecte sa mort en le cuisinant de la meilleure façon possible au lieu de pleurer comme si tu regrettais.

- Maman, je veux ouvrir le caribou ! m'égayai-je.

- Et pourquoi la plus grande pièce ? me demanda-t-elle, avec un sourire amusé.

- Parce que c'est la plus grosse !

- Tu sais comment ça fonctionne, mais fais attention à ne pas te couper.

- Je me couperai pas !

- Hmmm...

- Combien de fois je me suis coupée quand j'ai été à la chasse ? demandai-je un brin vexée alors que je regardai intensivement le couteau dans sa main.

- Quelques fois...

- Combien Maman ? Précisément ?

- Hum... cinq fois.

- En combien d'années ?

- ... Deux ans presque. Bon, ça suffit la série de questions d'interrogatoire. Pourquoi ne séparerai-tu pas les abats consommables des parties comestibles et non-comestibles ? Je me sentirai plus à l'aise si je le faisais moi-même. »

Je soupirai.

« D'accord... »

Alors qu'elle découpait le ventre en faisant bien attention à ne pas percer la poche qui entourait les organes, je lui demandai une faveur précise.

« Maman, tu penses que toi et Papa pouvez attraper un renard et un loup ?

- Pourquoi ces deux bêtes en particulier ?

- ... Parce que je veux leur queue !

- Hein ?

- Oui, je veux porter une queue de loup et de renard à mon vêtement. Waa-oo-ooouuhh ! »

À ce moment, des loups me répondirent. Sur le coup, j'eus un peu peur et me collai contre Maman qui sourit.

« Il y a des loups ! pleurnichai-je.

- Ils sont trop loin. Ils ne vont pas t'attaquer. Je penserai à ta demande prochainement. »

Après avoir terminé le dépeçage, nous fîmes fumer la viande dans la pièce réservée à cet effet. Nous enchainâmes avec la pêche aux tobryas. Un quai de pêche avait déjà été emménagé proche de la rivière et la séparait en deux. En frappant d'un côté, les poissons venaient en notre direction. Ils étaient bien gros et je m'amusai à les attraper en plein vol pour ensuite les déposer dans le panier en rosier. J'en gardai même un dans mes bras parce que je trouvais ça amusant de sentir un poisson frétiller. Ça chatouillait et c'était visqueux ! Maman et Niisan éviscérèrent les poissons toute de suite après la pêche afin qu'ils soient frais pour quand nous les ferions fumer. J'avais enfin le droit de me reposer et j'aidai Papa dans les travaux légers. Après trois jours intensifs de préparations, Niisan termina d'accrocher la dernière pièce de viande fumée dans la pièce avec le poisson.

« La pièce commence à être bien remplie. Nous allons pouvoir passer l'hiver facilement, sourit Maman. Vous avez bien travaillé, je suis fière de vous. »

Je changeai de pièce. Alors que j'aidais Papa à attacher de petites courges à l'aide de petites cordes, Maman arriva et demanda si on avait des galles d'insectes pour tanner du cuir avant de monter à l'étage supérieur qui donnait une vue d'ensembles sur le salon.

« Ce gamin est devenu relativement fort, dit Grand-Mère. On dirait qu'il tient le coup face à l'entrainement intensif de Balsa.

- Toutefois, je suis inquiet par son mutisme, avoua Papa.

- Il doit résoudre ça de lui-même. Car peu importe ce que nous pourrons dire, ce gamin doit lui-même accepter le destin du Nyunga Ro Chaga.

- Papa, je vais rejoindre Maman et Niisan, sortis-je.

- Uniquement si tu ne les déranges pas. »

Je montai et enlaçai Maman de dos sans la laisser temriner sa phrase.

« Je veux être avec vous ! S'il te plait !

- Bien sûre, ma puce. Tu tombes bien, j'étais sur le point de parler de Jiguro à Chagum.

- Jiguro Musa ? souris-je en regardant mon commandant esprit, l'invitant à se joindre à nous.

- Oui. De plus, tu aimes les histoires ! Maintenant que j'y pense, je ne t'ai jamais parlé de lui, Chagum. Si Jiguro n'avait pas été là, je ne serais probablement pas ici. J'aurai été tuée lorsque j'avais l'âge de ma fille, six ans, sans aucun doute. »

Elle caressa mes cheveux soyeux alors que je jetai un regard hautain à Niisan du genre "C'est ma Maman, pas touche sinon je te mords à la moelle !". Il m'ignora totalement.

« Pourrais-tu me parler de lui ? demanda-t-il.

- Ça pourrait être un bon moment pour le faire, en effet. Comme tu le sais, ma terre, Kanbal, est un petit pays qui se situe de l'autre côté de l'Aogiri. Et même dans un tel endroit, les gens cherchent constamment à créer des conflits. Pour pouvoir te parler de Jiguro, je dois d'abord te raconter mon enfance. De l'autre côté des Monts des Brumes Bleues, en marchant longtemps vers le nord on arrive dans un pays appelé le Royaume de Kanbal. Kanbal ne ressemble pas à Yogo. Il n'y a pas de rizières ni de terres fertiles. Au lieu de ça, le terrain est extrêmement montagneux et jonché de pâtures rocailleuses. Il n'y a que des plateaux arides et des montagnes acérés, aux sommets couverts de neige éternelle. Kanbal est trop montagneux pour y entretenir une ferme. Les gens y font leur vie, labourant la terre sèche, faisant pousser le maigre stock de graines et de tubercules et faisant pâturer les chèvres de Kanbal. Tout ce que les habitants tirent de cette terre ingrate, ce sont quelques poignées de céréales et des Gashas, des patates. Dans les montagnes vivent des aigles aux grandes ailes qui se nourrissent de rongeurs et parfois de chèvres qui tombent des rochers. Quand ils les ont mangés, ils prennent leurs os dans leur bec et les lâchent de très haut sur les rochers pour les briser et manger la moelle tendre...

- Heurk..., lâchai-je.

- Pour eux, c'est bon. Comme du lapin. Je me souviens encore du bruit des os tombant dans le vide et dont l'écho se transmet à travers les vallées. Comme vous voyez, c'est assez sinistre... Telle est la terre où je suis née et ai grandi. »

Elle expliqua dès lors toute son histoire – que je connaissais déjà par cœur.

« Mais si tu n'avais pas fait cette promesse, je serais mort maintenant, comprit Chagum.

- C'est exacte. J'en ai fait un prétexte, mais Jiguro n'avait aucune raison de me sauver hormis le fait que mon père et ma tante Yuka, qui est la petite sœur de mon père, étaient ses amis les plus proches.

- Pourquoi Jiguro a-t-il décidé de tuer ses huit amis afin de te sauver ?

- Qui sait ? Des questions telles que celles-ci m'ont continuellement hantée depuis ce jour. Pourquoi a-t-il fini par accéder à la requête de mon père ? Il n'avait rien à y gagner. Et il avait tout à perdre – la vie pour laquelle il avait travaillé si dur. Une telle requête... »

Je vis mon commandant esprit fermer les yeux, légèrement malaisé.

« Je veux savoir pourquoi ! insista Niisan. Si j'avais compris les sentiments de Jiguro, j'aurais peut-être un peu mieux accepté ma situation. »

Papa vint nous rejoindre.

« Pourquoi ne continuerions-nous pas cette discussion en bas en partageant un bon repas ? J'aimerai évoquer les souvenirs de Jiguro, moi aussi.

- Et moi j'ai faim ! annonçai-je.

- Ton estomac commence à prendre le dessus sur ton cerveau, me taquina-t-il.

- Oui ! »

Nous prîmes place au salon et Maman continua de raconter son histoire.

« Mais tu vois Chagum, maintenant que j'y repense... Jiguro trouvait inique le fait de ne pas user de ses propres capacités, même s'il n'y avait rien à y gagner. Pour lui, être un héros national était aussi respectable que de sauver une vie anonyme. Il voulait vraiment épargner les vies de ses poursuivants. J'ai fini par comprendre tout ça après être devenue Maman et... ton garde-du-corps. »


Grand-Mère partit en avant-midi, le lendemain. Je me tenais dans l'une des pièces qui servait de pièce à débarras avec Chagum.

« Alika, tu peux m'aider à trouver un bâton comme le tiens ? me demanda Niisan en pointant ma branche d'arbre.

- ... Pourquoi ? le questionnai-je, soudain méfiante.

- Parce que j'aimerai m'entraîner, moi aussi.

- Il y a pas d'autres branches ici... »

Il continua de fouiller et trouva un bâton avec un regard triomphant. Je sentis une pulsion sourde à l'intérieur de mon ventre. Une chaleur proche de mon plexus solaire. Il voulait soudainement s'entrainer ? Qu'est-ce qui lui avait fait changer d'idée ? Il boudait il y a quelques jours et ne s'était jamais intéressé aux séances matinales d'entrainement de Maman et moi ! Cette idée ne m'enchantait pas du tout. Déjà qu'il fallait que je partage Maman avec lui... il fallait maintenant qu'il prenne ma place dans les arts martiaux ? Non mais ! Nous allâmes retrouver mes parents qui disaient au revoir à Grand-Mère. Je cachais tout de ma mauvaise humeur, mais j'utilisais mon énergie pour m'imposer. Pas question de perdre ma place dans l'unique champ de compétence qui me permettait d'être vraiment proche de Maman ! Comme Maman ! Il fallait que je défende mes intérêts et ma place...

« Torogai-Shi, vous allez à quelque part ? s'étonna Chagum.

- À une source chaude ! Une source chaude ! Il n'est pas question que je reste enfermée ici tout l'hiver !

- Je vois.

- Chagum, que fais-tu avec ça dans les mains ? demanda Maman alors que je sentais mon cœur accélérer, appréhendant la suite.

- Enseigne-moi aussi les arts martiaux. Je veux faire tout ce qui est en mon pouvoir afin de protéger l'œuf et moi-même. Si je deviens plus fort, je serai peut-être capable de m'échapper même si le Ralunga m'attaque. Et même si je mourais, je serais peut-être en mesure de faire en sorte que l'œuf éclose en toute sécurité. Je suis le Gardien de l'Esprit Sacré, après tout. »

Maman le regarda et l'attira doucement dans ses bras. Elle lui dit qu'il avait raison, qu'elle le protégerait coûte que coûte et ne le laisserait pas mourir. Je les dévisageai avec une jalousie maladive à leur égard.

« Oh ? dit Papa. Maître...

- Quoi ?

- Eh bien, je me disais que ce n'était pas courant. Je ne savais même pas que vous pouviez faire cette tête.

- O-occupe-toi de tes affaires ! se vexa-t-elle. »

Je me mis à trembler. J'aurai pu jurer que mes yeux lançaient des éclairs. Je n'avais jamais vu Maman lui donner des câlins... C'est moi qui voulais être avec Maman ! C'était mes câlins ! Je sentis les mains de mon commandant esprit se poser sur mes épaules.

« Calme-toi petite fleur, calme-toi...

- NON ! sortis-je à haute voix. C'est pas juste ! »

Les membres de ma famille me dévisagèrent. Généralement, quand je parlais avec les esprits, j'étais silencieuse et utilisais ma télépathie, mais cette fois-ci, en proie à l'émotion, j'avais parlé tout haut.

« Alika ? À qui tu parles ? me demanda Papa.

- À... à moi-même..., mentis-je.

- Peu importe, répondit Grand-Mère. Parfois, on a besoin d'un expert pour des décisions. C'est normal de parler à haute voix. »

Je compris que Grand-Mère me couvrait un peu, même si mes parents savaient que je pouvais communiquer avec les esprits. Mais ils ne savaient pas qui était mon commandant esprit ni qu'il était présent avec moi à cet instant-là.

« Je pars maintenant, termina Grand-Mère. Balsa, il n'y a aucun problème à ce que tu endurcisses un peu le gamin, mais ne sois pas trop exigeante avec lui, veux-tu ? Contrairement à toi et à Alika, il semble manquer de talent.

- Hé, c'est méchant ! se défendit Chagum.

- Pfff. Je fais juste preuve d'honnêteté. Il te faudra faire beaucoup d'efforts pour arriver au même niveau que ma petite-fille. À plus tard. »

Je ris. Je voulais vérifier si Grand-Mère disait vrai... car personnellement, j'étais de son avis, en plus de ne pas être contente du tout ! La vue de Niisan portant un bâton comme le miens me rendis furieuse. On aurait dit que je me voyais moi-même, mais dans le corps d'un garçon, c'était vraiment très étrange. Il y avait trop de similarités. Les arts martiaux, c'était mon domaine ! J'allais perdre ma place au sein de cette famille... je grognai et rentrai rapidement à l'intérieur en courant, bousculant Chagum au passage... de façon volontaire. J'entendis Papa m'appeler, mais je ne l'écoutai pas et allai m'enfermer dans une des chambres. Je jetai rageusement mes bottes en travers la pièce.

« Frappe dans un coussin, me conseilla mon commandant esprit qui m'avait suivi. »

Je pris un coussin et frappai dessus en criant que c'était injuste. J'entendis le rideau qui servait de porte s'agiter et l'énergie de Maman se fit sentir. Je me retournai, mon visage cramoisi par la colère et délaissai le pauvre coussin qui avait été déformé par mes petits poings. Maman haussa les sourcils et s'assit sur le lit sur lequel je reposai.

« Voyons, ma cocotte, qu'est-ce qui se passe ? me demanda-t-elle doucement alors qu'elle m'attirait dans ses bras. »

Je fis une moue et ne répondis pas sur le coup.

« Est-ce que tu sais que tu as poussé Chagum en entrant dans la grotte ?

- ... Je l'ai pas vu, mentis-je.

- Que ce soit voulu ou non, pousser n'est pas acceptable, Alika.

- Tu vas me punir ?

- Pas cette fois-ci. J'aimerai que tu ailles t'excuser auprès de Chagum quand tu seras plus calme. Mais je suis fière de voir que tu t'es défoulée sur un coussin. Ça, c'est très bien. »

J'avais encore les sourcils froncés.

« Je te connais bien, ma belle. Tu es en colère.

- Non, je le suis pas !

- Alika, il n'y aucun mal à être en colère. J'aimerai savoir pourquoi tu es fâchée ? Est-ce à cause du départ de Grand-Mère Torogai ?

- Non...

- Papa et moi avons fait quelque chose que tu n'as pas aimé ?

- Chagum, sortis-je.

- Qu'a-t-il fait ? »

Je le revis dans les bras de Maman avec son bâton. Je ne savais pas comment le dire. Mon commandant esprit lut mes pensées et s'agenouilla en face de moi pour me donner un petit coup de pouce.

« Dis-lui ceci : "Chagum a dit qu'il voulait s'entraîner".

- Chagum a dit qu'il voulait s'entrainer..., répétai-je.

- C'est bien vrai, l'appuya Maman.

- "Tu lui as donné un câlin".

- ... Tu lui as donné un câlin...

- Je lui en ai donné un comme je le fais avec toi.

- ... Alors tu m'aimes plus ?

- Bien sûre que non, mon trésor, je t'aimerai toujours quoi qu'il arrive.

- Moins que Niisan ? demandai-je encore.

- Je vous aime tous les deux. Ça ne veut pas dire que je n'ai pas le droit de l'aimer parce que je t'aime aussi. Le cœur d'une Maman est assez grand pour aimer plusieurs enfants. C'est pour ça que tu étais fâchée ? »

Je jouai avec mes doigts. Maman me caressa les cheveux.

« Je t'aimerai toujours. La nuit comme le jour, et tant que je vivrai, tu seras mon bébé. Je ne te remplacerai jamais, mon cœur, je te le promets. »

Et comme pour sceller cette promesse, elle me donna un bisou sur le front. Baiser sur le front, protection, disait Maman. Je sortis de la pièce avec elle en tenant sa main et retrouvâmes Chagum et Papa au salon. Maman alla chercher Niisan, même si je boudais encore un peu.

« Chagum, dit Maman, peux-tu venir nous voir un moment s'il te plait ?

- Oh, oui Balsa ?

- Alika a quelque chose à te dire.

- Oh ? Oui ?

- Aller, petite fleur, m'encouragea mon commandant esprit. Je sais que tu es capable.

- ... Je m'excuse de t'avoir poussée, m'excusai-je enfin.

- Je ne t'en veux pas, Alika. J'accepte tes excuses. »

Il me sourit et me serra dans ses bras fortement comme pour confirmer qu'il acceptait mes excuses.