Nouvelle version, 2021

Ransa no Moribito

Gardien des Lanciers


Chapitre 16

Crise

Le premier mois d'hiver passa lentement. Papa m'aida à polir doucement mon bâton de bois. Je sablai l'écorce quand j'avais du temps libre pour que ce soit doux au toucher. Maman avait commencé à montrer la base des arts martiaux à Chagum et à comment bien tenir son bâton. Au départ, je trouvais ça drôle parce qu'il n'avait pas les réflexes de parer ou même d'attaquer. Maman arrivait toujours à le propulser dans la neige avec un petit coup de lance sur les fesses ou sur les mollets. Parfois, Chagum se laissait juste tomber sur le sol quand Maman esquivait son attaque.

« Te laisse pas tomber comme ça ! m'indignai-je, assise sur un rocher.

- Je ne me suis pas laissé tomber, se défendit-il. »

Je fis une moue qui montrait que je ne le croyais pas.

« Tu t'es juste laissé tomber au sol, répétai-je avant de regarder Maman. Tes mouvements sont trop mous. Mets de la force et garde ton équilibre !

- Veux-tu faire un exemple avec moi ? me proposa Maman. Je pense que Chagum comprendrait mieux s'il voyait ce que tu veux dire. Il doit visualiser pour apprendre.

- Oui ! »

Je sautai sur mes pieds et échangeai de place avec Niisan. Je refis le même mouvement qu'il avait manqué. Maman lui expliqua chaque mouvement et position en me prenant comme exemple. Je regardai Chagum de manière condescendante lorsque j'avais Maman juste pour moi et me donnait cette attention. De temps en temps, elle me passait sa lance pour que je puisse la manier sur une base régulière. Je m'habituais rapidement à son poids et j'arrivais enfin à faire des mouvements amples sans tomber au sol ou échapper l'arme. Parfois, je faisais des duels amicaux et légers contre Chagum – avec ma branche d'arbre, bien sûre – pour qu'il puisse se pratiquer et varier d'adversaire. Très souvent, Maman devait m'arrêter car je ne laissai aucun répit à Chagum entre mes attaques. Me battre me permettait de reprendre la place qui me revenait de droit et d'étendre mon pouvoir sur lui.

« Alika, ce n'est pas un vrai combat, me disait-elle. Tu peux relaxer.

- Mais Maman... Ralunga va pas retenir ses coups contre lui.

- C'est vrai, mais Chagum n'est pas habitué de combattre. »

Je me retins de lui rappeler que Jiguro n'avait jamais retenu ses coups avec elle quand il était vivant et l'entraînait quand elle était encore une fillette. Je jetai un œil à mon commandant esprit. Maman offrit à Chagum de lui enseigner les techniques de combat au corps à corps, pour lui apprendre à bien se défendre s'il n'avait aucune arme à proximité. Nous commençâmes avec les techniques d'autodéfense, puis enchaînâmes graduellement avec des attaques directes comme les coups de poings et les coups de pieds.


Au fils des jours et des semaines, Chagum se mit à nous accompagner durant nos entraînements et katas matinales – en plus de mon commandant esprit. Je vis son amélioration à vue d'œil. Maman le complimenta aussi à ce niveau et ma peur originelle de me faire remplacer m'assaillit de nouveau. Je devais démontrer que j'étais bien meilleure que lui dans le domaine des arts martiaux pour être sûre de conserver ma place. Il devint assez compétent pour que Maman nous laisse, parfois, s'entraîner seuls sans avoir à nous surveiller constamment. Je savais que mon commandant esprit le faisait pour elle. Dans ces moments-là, j'en profitais pour cesser de donner des attaques douces et ne plus retenir toute ma force complètement. Mes coups étaient plus secs, plus rapides et plus violents. Je devenais de plus en plus agressive-passive à son égard.

« Wouah, Alika ! J'ignorai que tu étais à ce point rapide, s'étonna Chagum.

- J'ai des secrets, rétorquai-je en souriant de façon hypocrite. Mais tu seras pas capable d'être un guerrier. Tu pourras jamais être fort, parce que t'as vu une épée être forgée et que t'es noble.

- Mais qu'est-ce que tu di— »

Je l'empêchai de continuer en lui donnant un puissant coup de bâton. Une fois l'entraînement terminée, j'allai voir Maman dans l'espoir d'être seule avec elle. Ça arrivait très souvent que je sois seule en sa compagnie.

« Je pensais prendre une marche à l'extérieur, me dit-elle.

- Juste toi et moi ? demandai-je, les yeux remplit d'espoirs.

- Je pensais emmener Chagum avec nous. »

Je ne lui cachai pas mon expression déçue et l'affichai sans gêne devant elle. Je fis une moue de frustration.

« Euh... tout vas bien, ma chérie ?

- ... Je suis pas contente, dis-je à brûle-pourpoint.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Je voulais que ce soit moi et toi ! Pas Niisan !

- Tu voulais prendre une marche juste entre mère et fille ? comprit Maman.

- Oui, parce que t'es ma Maman... t'es d'accord ? »

Elle me sourit et me dit que pour cette fois-ci, nous pourrions marcher ensembles, seules. L'air frais me fit du bien et j'observai le paysage. Je cassai un glaçon et voulus le lécher quand Maman m'arrêta dans mon geste.

« Ta langue va rester coller dessus et nous ne serons plus capable de te libérer.

- Pourquoi ?

- Je ne sais pas, mais je ne pourrai pas te le retirer avant d'être revenu à grotte des chasseurs. Et si c'est le cas, notre marche sera écourtée. »

Je lâchai mon glaçon et revins proche d'elle.

« ... Maman..., commençai-je.

- Oui, ma belle ?

- Comment tu trouves Chagum depuis qu'il s'entraîne ?

- Je le trouve très bon. Il s'améliore vraiment vite.

- ... Il y a des risques qu'il me dépasse et tienne ta lance, lui aussi ? osai-je demander, inquiète, arrêtant ma marche un moment. »

Maman continua de marcher un instant et voyant que je la suivais plus, s'immobilisa et tourna les talons pour me faire face. Je regardai la neige et mon bâton.

« Tu as peur de te faire dépasser ? s'étonna-t-elle.

- Tu as vu ses progrès depuis ses débuts...

- Alika, tu es beaucoup plus habituée que lui dans le domaine des arts martiaux. Il s'est amélioré, oui, mais jamais je ne le laisserai manier ma lance à comparer de toi. Es-tu jalouse ?

- Non, rétorquai-je.

- Tu es compétitrice, me dit mon commandant esprit.

- Je suis compétitrice, répétai-je.

- Ce n'est pas pareil, rajouta-t-il.

- C'est pas pareil ! »

Elle sembla surprise de mes réponses. Elle soupira.

« Alika, toi aussi tu as fait des progrès pendant nos entraînements et j'en suis très fière.

- Ah oui ?

- Oui. Est-ce que tu te souviens de ce que j'ai dit ?

- Quoi ?

- Je t'aime beaucoup. Parce que tu es ma fille.

- ... Mais Niisan...

- Je ne parle pas de Chagum en ce moment. Je parle de toi. Tu es notre fille, à Papa et à moi. Nous allons toujours t'aimer. La nuit comme le jour, et tant que je vivrai, tu seras mon bébé. Je ne vais jamais te remplacer, mon cœur. Et je sais que ça te fait peur. »

Elle m'attira dans ses bras et m'inonda de bisous. Nous retournâmes dans la grotte des chasseurs. En voyant Niisan, je me mis à coller Maman de façon possessive en lançant des regards remplit de reproches et d'avertissement à Niisan.

Il y avait, parfois, des nuits où je quittai le confort de mon futon et allai trouver refuge dans les bras de Maman qui dormait avec Papa. Je me blottissais contre elle et j'avais l'impression de mieux dormir.

Il y eut des fois où je préférai totalement ignorer Niisan quand il m'adressait la parole. Nous venions de finir le petit-déjeuner et j'avais déposé mon bol vide dans le bac prévu à cet effet. Niisan essaya encore de me parler, mais je l'ignorai en allant dans le vestibule. J'entendis des pas de courses derrière moi.

« Hey, Alika, je te parle ! résonna la voix de Chagum. »

Je le sentis m'attraper par les épaules pour me retourner. Ce fut la goutte en trop. Je n'avais plus aucune retenue ni de filtre.

« Touche-moi pas ! sifflai-je en repoussant ses bras.

- Mais... qu'est-ce que je t'ai fait ?!

- Rien !

- Si je ne t'avais rien fait, tu ne m'ignorerais pas comme tu le fais présentement ! répliqua-t-il, fâché, son aura devenant bleutée à nouveau. Qu'est-ce que j'ai fait qui t'a tant déplu ?!

- ... Ma Maman... c'est MA MAMAN ! criai-je, soudainement. Toi, tu as déjà la tienne au Palais, alors viens pas faire chier en volant la mienne ! Je vais retrouver Maman... et t'as pas intérêt à me suivre ni à coller Maman !

- Alika... »

J'entendis Papa sortir du salon.

« Qu'est-ce qui se passe ? s'alarma-t-il. J'ai entendu crier... Alika, tu as crié contre Chagum ?

- Hé bien—, essaya de parler Niisan, mais je fus plus rapide que lui.

- Je veux pas qu'il m'approche et qu'il me touche ! Je veux être seule !

- Tu peux le demander calmement, Alika, répondit Papa. »

Je n'écoutai plus Papa et me rendis dans la chambre où il y avait nos futons. Papa essaya de me parler, mais je m'enfermai, à mon tour, dans un mutisme comme quand Niisan avait quitté Toumi. Il me laissa seule. Maman et Papa ne l'avaient jamais chicané quand il ne disait rien, alors pourquoi je devrais me faire chicaner et faire mettre en punition quand je faisais comme lui ? Je vis mon commandant esprit arriver dans la pièce.

« Je sais ce que tu penses, petite fleur.

- Maman a dit qu'elle le laisserait pas porter sa lance..., lui dis-je. Quand Niisan disait rien, Papa et Maman l'ont pas chicané... »

Je vis mon commandant esprit faire un sourire en coin.

« Tu penses vraiment que Maman ne l'a jamais chicané ?

- Tu trouves ça drôle ?

- Si je te dis mon secret... ne le dis à personne. Parles-moi en télépathie. »

J'inspirai profondément, poussai un soupir et formulai mes phrases dans ma tête.

« Quoi ? demandai-je.

- Quand Chagum a fui le village de Toumi avec Nimka, ta Maman est partie à leur recherche, tu te souviens ? Tu t'es réveillée seule.

- Oui.

- ... Il a pris sa lance. Et ta Maman l'a forcé à la frapper avec.

- Quoi ?! me surpris-je.

- Ensuite, elle l'a chicané. Alors tu vois ? Tu n'es pas la seule qui se fait chicaner et mettre en punition.

- Oh...

- Mais ça, tu gardes ça secret. C'est notre secret.

- Oui, secret ! »

Je sortis de la pièce et allai retrouver Maman qui était dehors. Je voyais maintenant toutes les injustices et les fautes que Niisan pouvait faire quand j'étais là.

Je me renfermai de plus en plus sur moi-même. J'étais moins heureuse qu'avant, moins obéissante et je piquai souvent des crises de larmes et de colère pour un oui, ou un non. Et Niisan ne se faisait jamais chicaner. Jamais.

« C'est parce qu'il est plus vieux que toi, disait Papa comme excuse. »

Je ne le croyais pas... c'est parce qu'il était mieux que moi et me remplaçait, lentement mais sûrement. Il y avait des jours où tout allait bien. Et il y avait des jours où rien n'allait et où je voulais juste que Niisan nous laisse tranquille et avais envie de lui crier dessus.


Un jour suivant une grosse averse de neige, Maman me demanda d'entrainer Niisan alors qu'elle allait faire quelques tâches quotidiennes dans la grotte en compagnie de Papa. Je répondis que je n'avais pas envie de m'entraîner avec Niisan ce jour-là.

« Tu n'as pas envie ? sourit-elle alors que je voyais Niisan réchauffer ses muscles avec mon commandant esprit. Pourtant tu t'es levée tôt aujourd'hui... et tu as mis ton manteau et tes bottes.

- ...

- Et si je te passai ma lance, est-ce que ça te ferait plaisir ? »

Elle me montra sa lance et suspendit son geste comme si elle attendait ma réponse. Je regardai la lance, presque droguée par sa vue. Je la pris et Maman me sourit, m'embrassa sur le front avant de rentrer de nouveau dans la grotte. Niisan vint me voir.

« Alors, Alika, on va s'entraîner ensemble ? me demanda-t-il.

- Je t'avertis, je suis meilleure que toi ! »

Je me plaçai, en position d'attaque.

« Je sais Alika, mais je me suis amélioré moi aussi.

- Je trouve pas, continuai-je alors qu'il soupirait en roulant les yeux.

- Est-ce que ça va ?

- Aller, emmènes-toi !

- Alika... ?!

- Tu joues avec mes nerfs ?! m'impatientai-je. »

Je sentis un flux d'adrénaline traverser mes veines et ma respiration accéléra. J'avais l'impression de devenir une autre personne. Il tenta un premier coup, mais je l'évitai et le fis tomber dans la neige en lui donnant un coup de pieds dans les genoux. Je ne retenais plus mes coups avec lui depuis un moment. La peur qu'il prenne ma place se réveilla de nouveau.

« Debout ! ordonnai-je durement, presqu'en criant.

- Alika ?! »

Surprit par mon ton de voix colérique, Niisan se retourna sur le dos, se redressa et tenta de me toucher. Je bloquai l'attaque avec la lance de Maman et le poussai de nouveau. Il recula mais je ne lui permis pas de reprendre son souffle et l'attaquai sans retenue. Il était tellement déstabilisé qu'il se prit les pieds dans la neige, mélangeant sans doute ses pas et tomba durement au sol à nouveau. Je sautai sur lui sans retenu ni scrupule, emprisonnant ses hanches entre mes cuisses. J'empoignai son bâton d'une seule main – gardant la lance de Maman dans mon autre main libre – avec une expression de rage et le tirai vers moi.

« Hey Alika... c'est mon bâton ! Lâche-le ! »

Je grognai et continuai de tirer dessus d'une seule main.

« Mais arrête enfin !

- Moi aussi je mérite ma place ! Je suis meilleure que toi dans les arts martiaux ! Tu seras jamais aussi bon que moi ! criai-je. »

Je relâchai un peu ma prise de son bâton. Croyant que j'avais changé d'idée, Niisan sembla soulagé. C'est alors que je le repris de ma main libre et parvins à le lui arracher et le lancer dans la neige, loin de lui. Je retournai mon regard vers lui.

« Alika... arrête de me regarder comme ça, se terrifia Chagum. Tu n'as jamais eu ce regard avant...

- Tant mieux ! répondis-je en fronçant les sourcils. »

Je jetai finalement la lance de Maman dans la neige, à son tour, et commençai à me battre avec mes poings. Je n'avais qu'une idée en tête : récupérer l'attention de Maman et ma place dans cette famille. Oui, je voulais Maman, pour moi seulement !

« Prends pas ma Maman ! Rend-là-moi ! Pourquoi il a fallu que ce soit toi, HEIN ?! gueulai-je. HEIN ?!

- Alika, pourquoi tu te comportes comme ça avec moi ?!

- LA FERME ! »

Tout ce qui m'arrivait était de sa faute. Je le blâmais pour cela. S'il n'avait pas été là, j'aurai pu avoir ma famille pour moi seulement. C'était quelque chose que j'avais rarement eu l'occasion d'avoir dans ma vie. Ma Maman était à moi, je n'en avais qu'une. Je vivais avec une peur constante de la perdre du jour au lendemain. Et, de plus, j'étais un accident. Je n'étais pas prévue, mais Maman avait choisi de me garder et de me donner naissance... il fallait que je sois l'enfant qu'ils auraient aimé avoir – et non pas celle qui n'était pas prévue et avait changé tous leurs plans de vie.

« Je te déteste, Chagum, je te déteste ! criai-je. Depuis que t'es là, tu me voles Maman !

- Ce n'est pas vrai, Alika !... tu te fourvoies !

- Écoute-toi parler ! Le petit noble qui se croit mieux que les autres ! »

Cette fois-ci, je ne le frappais plus : j'étais littéralement en train de le battre avec mes poings, même s'il se protégeait du mieux qu'il le pouvait avec ses leçons d'autodéfense. Je me sentais mise de côté et je n'aimais vraiment pas ça. À chaque fois que Maman s'entraînait, il était avec elle. Tout ce que je voulais c'était de passer du temps avec elle... entre mère et fille ! Je voulais que Maman voit mes progrès quand nous nous entraînions ensembles, mais bien sûre, Niisan retenait toute son attention.

« Si t'étais pas le gardien de l'œuf, Maman t'aurait jamais entraîné à ma place ! »

Il était trop occupé à se défendre pour parler, je le sentais.

« Pourquoi t'as le droit à l'affection de Maman alors que tu as la tienne ?! continuai-je de crier. T'es qu'un pleurnichard et un voleur ! Je te déteste, Chagum, je te déteste ! »

Je rugis. J'ignore comment j'en étais arrivée-là, mais j'avais littéralement mes deux petites mains sur son cou. Je voyais rouge et plus aucun son parvenait à mes oreilles. C'est comme si le temps s'était arrêté. Des voix au loin se firent entendre et je sentis des bras me secouer de Chagum alors que je me débattais furieusement comme un petit animal sauvage et que je ne relâchai pas ma prise.

« Alika ! Ça suffit ! C'est quoi qui te prends ?! se scandalisa Maman.

- IL ESSAIE DE PRENDRE MA PLACE ! JE LE DÉTESTE ! »

Je sentis Maman me jeter au sol dans la neige, durement.

« Ne sois pas ridicule. Je ne te crois pas. Tu aurais pu le tuer ! »

Elle m'empoigna par le bras et me fit descendre les escaliers de la grotte, de peine et de misère, avant d'arriver dans une pièce isolée. Elle m'accota solidement contre le mur et je croisai son regard. Je n'avais jamais vu un tel regard chez elle et son aura, mélangé à du rouge très foncée qui rappelait la couleur du sang, faisait le tour de sa silhouette comme de la fumée et se mélangeait à mon énergie. Je me sentais à mon tour étouffée !

« Tu es en GRANDE difficulté, jeune femme. Je suis sérieuse. Si j'avais fait quelque chose de ce genre, Jiguro m'aurait giflé ou pire. Tu vas t'asseoir ici et penser à ce que tu as fait jusqu'à ce que je sois sûre que Chagum n'est pas blessé et que j'aie discuté avec ton père à propos d'une conséquence appropriée relié à ton action. Pas d'esprits avec toi, non plus. Je ne suis vraiment pas contente ! »

Je n'osai pas répliquer cette fois-ci, même pas bouger. J'étais encore en colère, mais Maman ne quitta pas la pièce avant d'être sûre que je ne bougerai pas.

« Je quitte la pièce pour quelques minutes. Tu ne bouges pas d'ici. Je ne suis vraiment pas contente de toi, Alika. Vraiment pas. »

Elle quitta la pièce et mon commandant esprit la suivit. Je réussis à prendre quelque chose sous ma main et le lançai à travers la pièce. Je tapai plusieurs fois le sol de mes pieds en geignant jusqu'à en avoir mal. Je finis par me calmer en posant ma main sur le sol et ressentant l'énergie naturelle de la grotte. J'offris à la terre mon énergie colérique. Avec mes inspirations, j'attirai l'énergie de la terre de ma main gauche et avec mes expirations, j'échangeai mon énergie colérique avec ma main droite. J'ignorai pourquoi je faisais ça... c'était instinctif. Je ramenai mes genoux proches de moi et je regardai mes mains. Je me souvins du contact de la peau de Niisan contre mes paumes.

« Maman a raison... j'aurai pu vraiment le blesser..., murmurai-je à moi-même. »

Je commençai à m'inquiéter à propos de Niisan. Nous avions passé de bons moments ensembles avant aujourd'hui... soudain, le visage colérique de Maman, ses yeux assombris par la colère et son aura de couleur rouge sang, s'échappant de sa silhouette comme de la fumée, me revinrent en mémoire. Elle avait été plus terrifiante qu'un démon suprême... Une très grosse peur m'envahit soudainement, réalisant ce qui venait de se passer. Maman était vraiment enragée... vraiment, beaucoup enragée contre moi. Je ne me souvenais même pas si je l'avait déjà vu être aussi folle de rage que ça.

Et si elle était tellement enragée qu'elle ne m'adresserait plus jamais la parole ? Et si elle décidait que j'étais trop mauvaise pour être en compagnie de Niisan ? Et si Niisan était vraiment blessé ?! Et si Maman ne m'aimait plus parce que je ne parvenais pas à contrôler ma colère ? Et si elle finissait par m'abandonner et me dire de partir très loin de la maison ? Peut-être que Tonton Tohya pourrait m'adopter... ou peut-être qu'il me repousserait... Mes parents ne voulaient pas d'un bébé pour commencer et Maman était prête se débarrasser de moi avant même de sentir mon premier coup de pieds derrière son nombril, c'est ce que Grand-Mère m'a dit... ce serait donc l'occasion pour elle de pouvoir le faire ? Et si mon commandant esprit décidait aussi de m'abandonner et dire aux autres esprits de ne plus m'approcher ?!

Ma respiration devint difficile et je peinai à trouver un souffle régulier. J'étais terrorisée. Les larmes me montèrent aux yeux. Mes mains s'engourdirent et le monde sembla tourner un moment autour de moi. Le rideau en tissus qui servait de porte bougea et Papa apparut dans mon champ de vision avec mon commandant esprit. Ce dernier s'accota contre le mur et croisa ses bras. Instinctivement, je me reculai dans un coin.

« Tu t'es calmée ? me demanda-t-il en s'accroupissant à mon niveau alors que j'hochai lentement la tête en pleurant. Bien. Chagum va bien, tu ne l'as pas blessé. Est-ce que ça te rassure ? »

J'hochai encore la tête, trop secouée par les sanglots pour parler.

« Est-ce que tu sais pourquoi ton temps a été compté ? questionna Papa, ce, à quoi, je répondis encore avec un hochement de tête.

- ... Est-ce... est-ce que Maman me déteste maintenant ? osai-je demander.

- Tu es comique. Non. Es-tu prête à t'excuser ? »

Il y eut un silence et Papa comprit que j'avais encore besoin de quelques minutes.

« Je serai au salon avec Maman et Chagum. Quand tu seras prête, tu pourras sortir. Tu dois t'excuser à Chagum et ensuite à Maman et nous te dirons ta punition. Si dans dix minutes tu n'es pas revenue, je viendrai te chercher, d'accord ? »

J'hochai la tête et il sortit de la chambre. Mon commandant esprit resta avec moi, même si je restai dans mon coin. Il n'avait rien dit jusqu'à présent, mais me rassura comme quoi je ne courais aucun risque et que personne n'allait me sauter à la gorge si je sortais de la chambre.

« Maman me fait peur, lui avouai-je.

- Elle aussi s'est calmée, me dit-il. Elle n'est plus en colère contre toi et t'aime toujours. Tu n'as pas à t'inquiéter. Fais-moi plaisir et retire ton manteau, tu vas mourir de chaud. »

Trop prisonnière de mes propres émotions, je n'avais pas pensé au fait que j'avais toujours mon manteau et mes bottes. Je l'enlevai et allai retirer les bottes de mes pieds quand mon commandant esprit me dit de les garder.

« Il fait trop froid dans la grotte, garde-les. »

Au bout d'un moment, je finis par lui demander :

« Tu veux... venir avec moi ? »

Il me sourit et me tendit sa main pour que je la prenne. Le toucher d'un esprit était très doux; c'est comme si une personne m'effleurait la peau ou que je tenais quelque chose de très léger comme du coton naturel. Je passai par le vestibule et arrivai devant la porte-rideau du salon où j'entendais les voix des membres de ma famille.

« Aller, petite fleur, tu es capable. Je suis avec toi. »

Je bougeai le rideau et les regards de Papa, Maman et Chagum se posèrent sur moi. L'aura de Maman était revenue à son état normal, sereine. Papa se leva et s'approcha de moi.

« Te voilà.

- Oui...

- Alika, dit Maman, pourquoi ton poing est fermé et que ton bras est plié de moitié dans les airs ? »

Je me rendis compte qu'en tenant la main de mon commandant esprit, mon physique s'était adapté à la taille de l'esprit. Immédiatement, je lâchai sa main en me cachant les bras dans le dos, le feu aux joues.

Je m'approchai de Chagum et fis un mouvement que, très rarement, je faisais dans ma vie. Je ne l'avais jamais vraiment pratiqué, mais dans cette situation, il fallait que je le fasse. Je m'agenouillai au sol et m'inclinai complètement, le front touchant le sol, les deux paumes placées à plat contre le sol, formant un triangle avec mes index. Je me mettais dans une position de honte, faisant preuve de déférence en faveur d'une personne de rang supérieur. C'était une action qui montrait à mon récepteur que je négligeais mon image et acceptais la honte qui était impliquée dans l'exécution du geste. Car faire un « dogeza » ne signifiait pas simplement demander pardon, c'était une façon de le plaider.

« Je suis vraiment désolée pour ce que je t'ai fait, répondis-je. J'espère sincèrement que mon geste apportera réconfort... je m'excuse platement. »

Je me tournai ensuite vers Maman, sur mes genoux et allai m'incliner de la même façon quand elle se dépêcha de se lever et me prendre dans ses bras.

« Alika, tu n'as pas besoin de faire ça avec moi... c'est déjà amplement suffisant. Je t'aime encore pour ce que tu es. Souviens-toi : je n'aime pas ce que tu as fait, mais toi, je t'aime.

- Je m'excuse de t'avoir mise en colère, Maman...

- Allons, ça va maintenant. Papa et moi avons choisi ta punition. »

Je baissai la tête et hochai positivement pour montrer que j'étais disposée à les écouter et accepter la punition.

« Nous te confisquons ta branche pour une journée et tu te coucheras une heure après le coucher du soleil pendant une semaine. »

J'hochai la tête pour montrer que j'acceptais. Je vis Niiisan se lever pour me prendre dans ses bras, mais je reculai doucement : je n'étais pas encore disposée à avoir une proximité physique avec lui. Il sembla comprendre que j'avais besoin de temps et ne fit que me sourire.