Nouvelle version, 2021
Notes : Ce chapitre-ci sera inspiré majoritairement du livre – et bien sûr, de l'anime.
Ransa no Moribito
Gardien des Lanciers
Chapitre 19
L'heure de l'éveil
Niisan refit une grasse matinée qui s'éternisa jusqu'à peu de temps avant de le coucher du soleil. Voyant que je trouvais ça étrange, Maman répondit à mon questionnement alors qu'on revenait dans la grotte, les bras chargés de bois.
« Chagum est en train de devenir un jeune homme, sourit-elle. Nous appelons ça la puberté et les garçons de son âge, y compris les jeunes filles, dorment beaucoup plus que d'habitude, car leur corps dépense beaucoup plus d'énergie pour tenir les transformations physiques, hormonales et émotionnelles.
- Ah..., compris-je.
- Mais il porte en lui l'œuf de l'esprit sacré, alors son corps dépense le double d'énergie. »
En parlant du loup, Niisan arriva dans la cuisine en grognant légèrement.
« Comment te sens-tu ? demanda Maman.
- Il fait bien sombre, tu ne trouves pas ? dit Niisan sans répondre à la question de Maman. »
D'ailleurs, son regard semblait vide. Il y avait quelque chose d'étrange dans son aura et son énergie, mais je ne savais pas quoi exactement.
« Oui, c'est bientôt le soir. Tu as dormi toute la journée. Tu te sens toujours mal ?
- J'ai soif, dit-il d'une voix rauque. »
Je lui apportai rapidement de l'eau, qu'il but d'un trait comme un assoiffé. Maman lui recommanda ensuite d'aller se nettoyer le visage et de prendre de l'air dehors, s'il se sentait assez en forme pour le faire. J'étais en train de poser les nouvelles bûches dans l'âtre lorsqu'un cri perçant se fit entendre de la salle d'eau. Je saisis ma lance et allai retrouver Niisan dans la salle de bain. Maman était déjà là. Il n'y avait aucune tension anormale, aucune menace. Mais Niisan était crispé, les mains à la bouche et tremblait comme une feuille. Il y avait une telle pression en lui qu'il semblait très proche de se rompre comme un fil trop tendu.
« Chagum ?! Qu'est-ce qui ne va pas ?! disait Maman. Chagum ! Qu'est-ce qui se passe ? »
Niisan se retourna vers nous. La peur décomposait ses traits et ses yeux étaient... blancs comme des miroirs ! De quoi avait-il peur ? Je l'ignorai, mais c'était si atroce à voir que j'en étais terrifiée. Maman le prit par derrière et le serra contre elle. Je la sentie prise de vertige. Elle bâtit des paupières.
« Maman ?!
- ... Le paysage autour de moi semble perdre sa netteté... il oscille et se distord...
- Alika ! résonna la voix de Papa. »
Sa voix était autoritaire et chaude, rassurante. Je ne lui avais jamais connu une telle voix.
« Pose tes mains sur le bras de Maman. Balsa ! Ne te laisse pas entraîner par Chagum. Il est attiré par Nayug.
- Qu'est-ce que je dois faire, Tanda ?! paniqua Maman à son tour. Qu'est-ce que je dois faire ?!
- Tu dois devenir le pilier qui retiendra Chagum, ici en Sagu. Tu dois lui donner un point d'ancrage. Aide-le à rester dans notre dimension... »
Maman inspira le plus lentement et le plus profondément possible. Je lui dis de visualiser que chaque expiration qu'elle soufflait faisait sortir des racines sous ses pieds et les faisait s'enfoncer dans la terre à chaque souffle. C'était une façon de visualiser l'ancrage que Grand-Mère m'avait appris en travaillant avec les énergies et quand je méditais. La respiration de Niisan se fit haletante et sifflante.
« Je tombe ! Je vais tomber ! Au secours..., paniqua-t-il.
- Chagum ! appela Papa d'une voix vibrante. Reste calme, Chagum... ce que tu vois en ce moment est le monde de Nayug.
- Il n'y a plus de sol sous mes pieds, je vais tomber ! »
Il poussa un hurlement déchirant. Maman resserra son emprise. Papa finit par nous prendre tous les trois dans ses bras, comme un seul bloc. Il murmura à Niisan des mots à son oreille. Pas des mots, des bruits. Le bruit des vagues sur le rivage, qui calme tout cœur agité. Le bruit de l'océan sortait de sa bouche. Les cris de Niisan cessèrent et ses tremblements s'apaisèrent légèrement.
« Calme-toi, Chagum. Tu n'es pas dans la vallée que tu vois. Tu vois le paysage de Nayug, mais ton corps est ancré dans ce monde ci. Ici, tu es en Sagu. M'entends-tu, Chagum ? Tu appartiens au monde de Sagu. N'aies pas peur. Tu ne tomberas pas dans la vallée de Nayug. »
Papa desserra ses bras et s'écarta. Je fis pareil, instinctivement.
« Reprends-toi, Chagum. Accroche-toi aux bras de Balsa. Les sens-tu ? Balsa est ton repère. Son corps est ton point fixe. Retrouve la sensation de ton corps par toutes les parties en contact avec le sien. Doucement... ne panique pas. Sens-tu tes bras ? Sens-tu ton dos ? Ta poitrine, ton ventre... les jambes maintenant ? Les sens-tu solidement posées sur la terre de Sagu ? »
Niisan fit de nouveau signe que oui. Ses tremblements se firent moins violents, plus espacés. Lui, qui se tenait depuis tout à l'heure sur la pointe des pieds comme pour garder la tête hors de l'eau, reposa les talons sur le sol.
« Tan... Tanda... le sol est revenu sous mes pieds, respira-t-il difficilement.
- C'est très bien. Maintenant, applique-toi à ramener ton esprit de ce côté-ci. Rappelle-toi le paysage de Sagu. Tu te trouves dans la grotte des chasseurs, où tu as passé tout l'hiver. Souviens-toi de la pièce. »
Il entrouvrit les yeux. Son visage ruisselait de sueur.
« Est-ce que tu me vois, Chagum ? »
Niissan tourna les yeux vers Papa. Son regard, d'abord aveugle, devint clair et ses iris redevinrent bleu avec ses pupilles noires.
« Oui... je te vois...
- Alors tout vas bien. Tu n'as plus rien à craindre. Tu étais attiré vers Nayug, mais c'est fini. Un peu comme quand tu as appris à nager, le printemps dernier avec Balsa. Quand on sait nager, on ne comprend plus ce qu'il y avait de difficile et terrifiant au début. C'est la même chose. Ton esprit s'est habitué à voir Nayug et t'y entraîne un peu trop facilement. Normalement, tu ne devrais pas voir cela, car tu n'es pas une créature de Nayug, tu appartiens à Sagu. Tu dois pouvoir refuser de voir Nayug si tu ne veux pas. Fais cet effort, ça va mieux ?
- Oui... »
Il finit par perdre connaissance dans les bras de Maman. J'essuyai mon front pour retirer quelques sueurs froides. J'étais très heureuse de ne pas avoir eu à voir le paysage de Nayug. Voir les esprits et les auras était suffisant à devoir gérer pour moi.
Depuis la mutation de l'œuf et de cette perte de la réalité avec Sagu, ce fut au tour de Niisan de devenir maussade et plus réservé. Papa et Jiguro disaient qu'il avait les nerfs à fleur de peau. Il suffisait d'un rien pour le mettre en colère. Parfois, il quittait subitement la grotte et ne rentrait qu'à la nuit tombée. Mes parents le laissaient faire.
« Bon sang, ce n'est pas censé être toi d'avoir les nerfs à fleur de peau ? demanda Papa à Maman. C'est toi qui es enceinte, pas lui. »
Pour toutes réponses, Maman esquissa un sourire.
« Techniquement, Chagum est aussi "enceinte", dit-elle.
- ... heureusement qu'il ne t'a pas entendu, soupira Papa en me regardant aussi. Vous devriez mettre cette blague de côté, le temps que l'œuf éclose en toute sécurité. Alors Alika, arrête avec cette blague, je sens que Chagum n'est plus capable de supporter la pression qu'apporte le rôle du gardien avec l'œuf.
- D'accord... mais je peux le penser ?
- Oui, cependant, pas à haute voix. »
Un après-midi, Niisan revint avec une poignée de branches, histoire de montrer qu'il n'avait pas perdu sa journée à ne rien faire. Son aura virait très souvent bleutée et grâce à ça, j'étais au moins en mesure de pouvoir éviter un conflit inutile qui impliquait les émotions. Maman et moi avions déniché deux lièvres dans un piège et les avions suspendu à l'arbre devant la grotte pour les dépecer. Comme Niisan n'était pas avec nous, je me permis d'emprunter son poignard et Maman ne voyait aucun problème. Elle s'absenta un moment à l'intérieur, me faisant totalement confiance et parce que Jiguro était aussi avec moi pour me surveiller. C'est alors que je vis Niisan avec sa poignée de branches. Tout se passa rapidement. Il me vit et sans crier gare, il se jeta sur moi pour m'arracher le couteau.
« Rends-moi ça ! Qui t'a permis d'utiliser mon poignard, hein ?! »
Sur le coup de la surprise, je lâchai le poignard alors que je roulais sur l'herbe tendre qui commençait à se montrer sous la neige qui fondait doucement sous les rayons du soleil. Je parvins rapidement à prendre le dessus, mais je n'avais plus cette énergie ni cet esprit de compétition pour me battre contre lui. Je ne voulais pas mettre Maman en colère à nouveau, j'avais retenu ma leçon.
« Mais-mais, bredouillai-je. Maman m'a dit que je pouvais—
- C'est MON poignard, pas le tiens ! »
Il chercha encore à me reverser pour se venger en criant. J'avouai ne plus y comprendre quoique ce soit. C'était l'incompréhension totale et rien n'avait de sens. Je n'avais emprunté que son poignard, ce n'était pas comme si je l'avais volé et n'avais pas demandé la permission. Je parvins à me dégager de son emprise et courus vers l'entrée de la grotte, lorsque Niisan se jeta de nouveau contre moi. Je vis une ombre passer rapidement devant mes yeux, sautant au-dessus de moi. En deux temps, trois mouvements, je vis Maman saisir le poignet de Niisan d'une seule main et d'un mouvement ample, l'envoya valdinguer sur l'herbe. Il se remit immédiatement sur ses pattes et sauta de nouveau sur elle, comme s'il voulait lui faire payer son malheur. Maman se baissa et Niisan se retrouva de nouveau par terre. Il refit l'expérience trois à quatre fois.
À la cinquième tentative, Maman en eut assez. Elle l'attrapa, le souleva de terre et le jeta contre l'herbe, comme un ballon ! Il tenta de se redresser en gémissant, mais elle fut plus rapide que lui. Elle l'immobilisa avec sa main droite autour de sa gorge et son genou contre son thorax. Elle le regarda droit dans les yeux et je revis cette aura de rage – couleur rouge sang – émaner de sa silhouette en fumée. Cette fois-ci, je savais que ce n'était pas moi qui étais dans le trouble. J'étais toujours restée polie et avais fait en sorte que tout se passe pour le mieux depuis ma crise de jalousie. Je n'étais, certes, pas la fille la plus facile sur terre à gérer, mais je n'étais pas la plus à blâmer ni la plus fautive pour ce coup-là.
« Il serait grand temps que tu arrêtes de te fuir toi-même, grogna Maman. »
L'aura de Niisan sembla se refroidir et elle vira de couleur mauve.
« Tu as envie de pleurer ? Tu sens une douleur inexplicable au fond de ton cœur et en même temps, tu es ravagé par la rage, n'est-ce pas ? comprit Maman. Mais comme tu n'es pas idiot, tu vois bien que tu laisses éclater ta rage dans la mauvaise direction et que ça ne t'apporte aucun soulagement. Plus tu insisteras, plus tu auras le sentiment que tout ce que tu fais ne mène nulle part. Cela se rajoutera à ton irritation au lieu de la diminuer. Alors il est grand temps d'arrêter de te disperser et de regarder les choses en face telles qu'elles sont pour savoir d'où vient réellement ta rage. Ça vaudra mieux, tu ne crois pas ? »
Niisan lança un juron roturier.
« Ton poignard... c'est moi qui ai permis à Alika de l'emprunter. Si tu veux blâmer quelqu'un, blâme-moi, mais pas elle. Quand tu seras plus calme, va t'excuser auprès d'elle. »
Elle prit Niisan par le bras et l'attira à l'intérieur de la grotte. Je ne savais pas si je devais réutiliser le poignard. Même Jiguro était surpris. Papa se tenait dans l'entrée et me demanda si j'allais bien.
« Oui, je vais bien... mais j'ai rien fait, je te jure, Papa !
- Je sais ma belle, je ne te chicane pas. »
Au bout d'un moment, Maman revint, me redonna le poignard de Niisan et nous terminâmes de dépecer les lièvres. Les lièvres terminés, je redonnai le poignard à Maman qui le nettoya soigneusement et se mit à l'aiguiser. Je redressai la tête en sentant l'énergie de Niisan derrière nous, la tête basse.
« Je suis désolé de m'avoir emporté contre toi, s'excusa-t-il. »
Je souris comme réponse.
« Je te pardonne.
- Tu vois, Chagum, dit Maman en examinant le couteau, quand une lame est émoussée, il suffit de l'affûter et elle retrouve automatiquement son tranchant. Simple rapport de cause à effet, la nature des choses ne trahit jamais. Mais quand il s'agit de choses de l'on a dans le cœur, ce n'est pas aussi simple... Un homme ou une femme qui n'ont jamais fait de mal à personne peuvent soudainement se faire assassiner par un imbécile qui a toujours vécu jusque-là comme un parasite aux crochets de ses parents. C'est ainsi, le destin ne connaît pas l'idée de justice... »
Maman redonna le poignard à Niisan et nous allâmes accrocher les pièces de viande pour les faire fumer.
Une dernière neige, très légère, tomba. Nous fîmes nos préparatifs pour quitter la Grotte des Chasseurs lorsque je vis Niisan se lever la tête rapidement. Il arrêta ce qu'il faisait et sortit de la pièce. Nous le suivîmes jusqu'à l'extérieur alors qu'il ne répondait même pas aux questions qu'on lui posait. Un son de clochette retentit et je vis apparaitre l'âne de Grand-Mère.
« Torogai-Shi, dit Niisan.
- Maître, vous avez encore emprunté cet âne ? s'étonna Papa.
- Il a insisté pour venir avec moi, répondit-elle. »
Elle s'arrêta et regarda Niisan de plus près comme si elle l'analysait.
« Gamin... il y a tout de même quelque chose qui a changé chez toi depuis la dernière fois. Tu ne fais plus du tout prince maintenant. Tu ressembles à un jeune homme et on te prendrait plutôt pour un adolescent du village d'à côté.
- Hein ? s'étonna Niisan.
- Chagum a douze ans maintenant, déclara Maman.
- Les jeunes hommes changent beaucoup à cet âge, dit Papa.
- Je me disais bien que cela arriverait, remarqua Grand-Mère en fouillant dans ses sacs. Tiens.
- Qu'est-ce que c'est ? questionna Niisan en regardant le paquet.
- T'es aveugle ? sortis-je. Ce sont des vêtements !
- Alika a raison, m'appuya Grand-Mère. Et puis, tu ne peux pas porter des vêtements de gamin éternellement. Essaie de mettre ceux-ci. »
Il les prit et retourna se changer dans la grotte.
« Maintenant que j'y pense, réfléchit Maman, Tanda a eu sa crise de croissance à peu près au même âge.
- Vraiment ? questionna Papa, incertain.
- Tout à fait. Avant ça, tu étais mon adorable petit frère.
- Hein ?
- Puis, tu as commencé à grandir et tu m'as dépassé en traille. Ta voix a aussi mué. J'ai alors compris... que la ligne du temps changeait beaucoup de chose. »
Grand-Mère tapa la fesse de l'âne pour qu'il reparte seul en le remerciant. Elle fouilla dans son sac et lança quelque chose à Maman.
« Attrape ! C'est ce que tu avais demandé. »
Maman dégaina la lame et la rengaina à nouveau. C'était une jolie dague, mais voyant mon regard incertain, elle comprit que je me remémorai la crise de Chagum quand j'avais emprunté sa première dague.
« Pourquoi une autre dague s'il en avait déjà une, Maman ?
- Oh, vois ça comme une évolution... comme toi et ton bâton de bois, anciennement bambou, lorsque je t'ai offert ta lance. C'est un autre niveau d'atteint.
- Je vois ! »
Grand-Mère me regarda et son regard se posa sur ma lance.
« Tu es contente de ton cadeau, Alika ? me demanda-t-elle.
- Oui, vraiment ! souris-je fièrement en la tenant proche de moi.
- Contente de le savoir. Heureusement que tes parents ont trouvé un moyen de te l'offrir pour ton anniversaire, car sinon, tu ne l'aurais reçu qu'en ce moment-même. »
Au même moment, Niisan ressortit de la grotte. Nous nous tournâmes vers lui et Maman poussa un petit son. Dans son énergie, j'aurai pu lire qu'elle affichait une expression dans le genre « Tu as effectivement changé, jeune homme. »
« Hé bien, maintenant, je suppose que tu n'étais pas Prince pour rien, observa Grand-Mère.
- Est-ce que ça fait étrange sur moi ? questionna-t-il en regardant ses propres vêtements.
- Ça te va bien, le complimenta Maman. Tu es un beau jeune homme, maintenant. C'est de ma part. »
Elle lui offrit le poignard alors qu'il ouvrit ses mains.
« "Le poids de la lame est le poids de la vie. Cette lame peut représenter ta vie, ou bien représenter ta mort. Lorsque tu la dégaineras, prépare-toi à lui confier ta vie". C'est un proverbe Kanbalese. De plus, ces mots sont normalement prononcés durant un rituel initiatique, où un père offre une épée à son fils.
- Merci, Balsa. »
Il l'enfila dans sa ceinture.
« Tiens ? Vous avez rétréci, Torogai-Shi ? demanda-t-il. »
Je tournai la tête de côté et remarquai qu'effectivement, Grand-Mère semblait plus petite.
« C'est vrai ! l'appuyai-je.
- Ne dites pas de bêtises, vous deux ! Moi, rétrécir ? Je suis déjà assez ratatinée comme ça, nom d'un chien ! C'est vous qui avez grandis, pardi ! »
Une deuxième mutation de produisit dans le corps de Niisan. Le jour pair du printemps approchait et il faisait plus chaud et humide. Niisan avoua se sentir un peu lourd et abattu et décida de se mettre au lit plus tôt que son habitude. Il avait été au lit avant moi ! Nous devinâmes immédiatement que quelque chose allait se produire, mais il n'y eut aucun affolement.
« Décidemment, Chagum agit exactement comme toi lorsque tu étais sur le point d'accoucher, ne put s'empêcher de raconter Papa.
- Chut... c'est toi qui nous as demandé de ne plus faire de comparaison, répliqua Maman avec un signe de doigt sur ses lèvres.
- Je sais, mais je ne peux m'empêcher de me remémorer la naissance de notre fille. C'est de l'amour qui déborde ! s'exclama-t-il en me prenant rapidement dans ses bras alors que je passais par là.
- Papa ! m'écriai-je. »
Je m'arrêtai et en même temps, nous dîmes – avec mon commandant esprit Jiguro :
« L'heure est enfin venue... »
Le sommeil de Niisan fut tranquille. C'est au petit matin que tout s'accéléra.
« Chagum ? Qu'est-ce qu'il y a ? se renseigna Papa.
- J'ai l'impression que quelque chose m'appelle, déclara-t-il. C'est un peu comme les rêves que je faisais l'année dernière, quand j'avais la nostalgie d'un endroit que je ne connaissais pas. Oui, j'ai l'impression qu'on m'appelle. Je dois y aller...
- Mais qui t'appelle ? demanda Maman.
- Personne. Ce n'est pas une voix ni personne. Ce n'est qu'une sensation, comme si j'étais tiré par un fil invisible. Je dois aller dans cette direction...
- Alors l'œuf s'adresse à toi en murmurant et t'indique ce dont il a besoin, comprit Grand-Mère. Où veux-tu aller ? »
Sans réfléchir, Niisan indiqua spontanément une direction du doigt.
« Je vois. Je m'attendais à ce que tu montres la direction de la mer... cela signifie sans doute que tu as une tâche à accomplir avant. La Place de la Cérémonie est donc une des sources qui alimentent la rivière Aoyumi, tel que mentionné dans l'Histoire Officielle de la Fondation. En tout cas, nous n'avons pas le choix, la seule chose à faire est de nous soumettre à la volonté de l'œuf. »
Nous rangeâmes la grotte et préparâmes notre départ. Lorsque tout fût enfin prêt, je vis Niisan jeta un dernier coup d'œil aux pièces où il venait de passer quelques mois avec nous, peut-être les plus importants de sa vie. Je vis son aura devenir bleue glace : triste et nostalgique.
« Dis, Balsa..., commença-t-il.
- Oui ?
- Quand j'aurai libéré l'œuf sain et sauf, et qu'il n'aura plus besoin de moi, je pourrai revenir ici ? Je pourrai habiter avec Tanda, Alika et toi ? Et peut-être accueillir le petit ou la petite quand viendra le moment de la naissance ? »
Maman fit une tête difficile à interpréter.
« Eh bien, euh... ce serait chose possible, effectivement, répondit-elle avant de lui donner une tape dans le dos pour lui éviter de se décourager. Allez, on y va ! »
