Nouvelle version, 2021
Notes : Ce chapitre-ci sera un mélange s'inspirant de l'anime et du livre.
Ransa no Moribito
Gardien des Lanciers
Chapitre 20
Sig Salua & Ralunga
Sur le chemin, vers l'Étang bleu, mes sens devinrent extrêmement hypersensibles. J'étais dans une proximité tellement proche de Niisan que je voyais le paysage de Sagu et Nayug se superposer devant mes yeux. Nayug était beaucoup plus rude et hostile. Les montagnes étaient plus hautes et découpées que celles de Sagu. Des rochers noirs étaient léchés par un brouillard lugubre et les vallées étaient comme des précipices sans fond. D'un autre côté, malgré son caractère effrayant, la nature de Nayug était d'une beauté époustouflante. La moindre flaque d'eau semblait d'une profondeur infinie, d'une couleur lapis-lazuli. Il y avait des fleurs également, dont la splendeur exprimait une éblouissante fierté et orgueil. L'air était divinement pur et suave.
Je secouai la tête pour revenir sur Sagu. Je tirai Niisan par en arrière, car il avait fait un faux pas en essayant de contourner un rocher de Nayug et avait failli tomber dans le vide sur Sagu.
« Niisan, fais attention ! Regarde où tu mets les pieds ! me froissai-je à la manière de Maman.
- Désolé.
- Secoue-toi un peu et tu reviendras sur Sagu !
- Le niveau de l'eau est bien bas..., observa Grand-Mère. »
Je suivis son regard. Par rapport aux traces visibles sur les rochers, le niveau de l'eau était à peine à un tiers du niveau habituel. Sous le soleil de plomb, les rochers à nu paraissaient crayeux. L'avancement inexorable de la sécheresse était l'unique sujet des trois adultes.
La nuit tomba rapidement. Niisan alluma le feu de camp et Maman me donna des morceaux de viande séchée. Papa ajouta quelques poignées d'herbes dans les flammes pour éloigner les moustiques. Niisan fit la description des paysages de Nayug tels que je les avais vus. Papa en était presque jaloux. Sa jalousie augmenta quand je lui confirmai que j'avais vu la même chose.
« Quelle chance que tu as, Chagum ! C'est formidable. Aucun chamane n'arrive à voir le monde de Nayug avec autant de facilité. Ah, que j'aimerai le voir comme toi... et je me demande comment ça se fait qu'Alika ait pu être en mesure d'attraper une vision du paysage également, se questionna-t-il alors que j'avais suspendu mon geste en mordant dans ma viande.
- Montrer Nayug à un gamin sans expérience comme celui-là, c'est du gaspillage, sortit Grand-Mère allongée près du feu, le bras replié sous la tête. Quant à Alika, la réponse est fort simple : ce n'est qu'une enfant et les enfants de son âge sont beaucoup plus proches des autres dimensions et ouvert d'esprit que les adultes. Jusqu'à sept ans, l'âme n'est pas encore solidement ancrée dans ce monde et les enfants sont encore vulnérables.
- Et quand tu vois le monde de Nayug, est-ce que tu sens une présence ? questionna Maman à Niisan. Tu ne sens pas si Ralunga est dans les parages ?
- Non, pas du tout, dit Niisan.
- C'est tout de même étrange. Les mutations ont commencé chez Chagum, je m'attendais à voir débarquer le dévoreur d'œuf, et pourtant, toujours rien.
- Comme tu dis..., répondit Papa, c'en est presqu'inquiétant.
- Peuh ! se moqua Grand-Mère avec autorité. Arrêtez de divaguer, vous deux ! Si c'est ça qui vous empêche de dormir, soyez rassurés, Ralunga se passera de votre prières et viendra quand même. Ouvrez l'œil ! Et toi aussi, Chagum. »
Grand-Mère avait évidemment raison. Ce n'est pas parce que Ralunga ne s'était pas encore montré qu'il fallait baisser le niveau d'alerte. Maman et Papa décidèrent de faire des tours de garde, chacun leur tour.
Nous atteignîmes l'Étang bleu au quatrième jour, au jour pair du printemps. C'était une belle source bleue saphir qui trouvait sa place dans un lac de montagne. Des plantes et des herbes aquatiques l'entouraient. Des Sig Salua, comme l'avait annoncé Papa, s'étaient épanouis à sa surface. Avec leurs petites fleurs blanches et leurs larges feuilles qui flottaient à la surface, ils ressemblaient étrangement à des nymphéas. Leur parfum caractéristique et unique, chaud, humide et vaporeux comme un ciel d'été après l'orage, emplissait l'atmosphère.
« C'est par là... j'y suis presque..., murmura Niisan.
- C'est la place de la cérémonie ? questionna Grand-Mère.
- Je ne sais pas. »
Il se mit soudainement à saliver comme à la vue d'un bon repas. Niisan marcha plus vite et je me dépêchai de le rejoindre. C'est alors qu'une armée d'hommes vêtus d'une armure avec des casques et d'armes, avec Shuga et les huit guerriers arriva aussi sur les lieux. Je cherchai soudainement mon amie Mayuna, qui accompagnait Monsieur Jin. Sentant que je la cherchai, elle apparut derrière Jin et me salua. Je fis un grand sourire de joie. Maman se mit en garde.
« Chamane Torogai. Je suis venu pour tenir ma promesse, annonça Shuga.
- C'est rassurant de voir que vous n'êtes pas venu les mains vides. »
Soudain, les huit guerriers et Shuga lui-même s'agenouillèrent devant nous. Je me sentis malaisée.
« Votre Altesse, Prince Hériter Chagum. Nous sommes venus pour vous aider à libérer l'Esprit de l'Eau et pour acclamer votre retour dans la capitale, comme le héros qui a sauvé le Nouvel Empire de Yogo.
- Shuga. Alors mon frère est-il vraiment... ? »
Il ne répondit pas. Maman posa une main sur l'épaule de Niisan.
« En tout cas, observa Maman, vous avez retourné votre veste en le désignant comme le Héros qui sauvera Yogo.
- Gente dame garde-du-corps, nos intérêts sont similaires aux vôtres. Nous avons eu des désaccords par le passé, mais ces hommes n'ont plus l'intention de vous causer le moindre tort.
- Maître Liseur d'étoiles, vous parlez avec assurance, commenta Grand-Mère. Puisque vous nous dîtes que nos intérêts sont similaires, alors dévoilez-nous de quelle manière Ralunga peut être vaincue.
- Oui. La faiblesse de Ralunga est le feu. L'Ouvrage Secret raconte que les Huit Guerriers qui ont servi le Saint Père Fondateur, Kainan Nanai, l'ont repoussé avec ça.
- Oh. Je vois. C'est bien ça, ce sont les relations d'oppositions entre les esprits. L'eau est plus faible que la terre et la terre est plus faible que le feu. Ralunga, qui dévore l'œuf, est un Esprit de la terre ! Je n'arrive pas à croire que je n'avais pas découvert quelque chose d'aussi simple, pardi !
- Alors les flambeaux géants que nous utilisons pendant le festival du solstice d'été doivent être un vestige de cette histoire, comprit Papa.
- En effet, prit la parole Mon. Et maintenant, deux cents ans plus tard, cette responsabilité nous échoit de nouveau.
- Je vois. Alors vous êtes les descendants des Huit Guerriers, comprit Maman. »
Niisan jeta soudainement son sac au sol et courut à même sur l'eau avant de s'immobiliser au milieu du lac. Je le suivis avec Maman et nous nous enfonçâmes toutes les deux dans l'étang, au lieu de rester à la surface comme Niisan avait pu le faire. Il cueillit une brassée de ces fleurs pour se griser de leur parfum. Les fleurs poussaient dans le monde de Nayug – ou, plus exactement, poussait à la fois en Sagu et en Nayug. En pleine extase, Niisan porta une de ces fleurs, un Sig Salua, à sa bouche et la mâcha sous le regard intrigué de tout le monde. J'avais été entrainée pour savoir que quelques fleurs étaient comestibles et ça me donnait presqu'envie de l'imiter. Enivré, il éprouva le besoin soudain de s'asseoir et se laissa tomber au bord de la zone inondée.
« Niisan ? demandai-je.
- Chagum..., dit Maman après moi, s'approchant de lui et se pencha à son niveau. M'entends-tu ? »
Il leva les yeux, mais son regard était voilé. Je cueillis trois Sig Salua à mon tour et en mis deux dans mes poches, gardant la troisième dans ma main gauche. Soudain, mes sens se mirent en alerte. La voix de Jiguro se fit entendre dans mes oreilles.
« Fais attention, petite fleur, Ralunga approche... »
Comme pour confirmer ses dires, une nuée d'oiseaux envahit le ciel, confirmant un danger imminent. Les Sig Salua bougèrent doucement sur la surface de l'eau comme si quelque chose d'invisible se frayait un chemin. Je compris que c'était Ralunga. Je me reculai rapidement, tirer par Jiguro qui me tenait par le collet pour revenir sur la berge. Je mis ma troisième fleur dans mon sac.
« C'est... ! s'exclama Maman en courant vers Chagum pour le protéger.
- Le dévoreur d'œuf, Ralunga ?! s'écria Mon.
- Allumez les feux ! ordonna Shuga. Dispersion ! »
L'armée se positionna autour du lac alors que les huit guerriers entraient à leur tour dans l'eau pour encercler Niisan.
« Restez en arrière, dit Mon à Maman. »
J'allai rejoindre Papa et Mayuna. Elle était restée hors de l'eau. Tous étaient aux aguets. Je pouvais voir des pinces semblables aux pattes arrière des crabes se mouvoir et tourner en cercle dans l'eau. Elles étaient translucides cependant. Je ne les voyais pas de façon aussi claire comme Jiguro. Maman cria le nom de Niisan et Shuga ordonna d'attaquer. Mon fit sortir une belle flambée de flamme, mais ne parvint pas à toucher Ralunga. Maman se rua vers Niisan. Je vis alors l'énorme pince arriver, derrière Niisan.
« DERRIÈRE NIISAN ! hurlai-je, la tension grandissant en moi. »
Mon sembla m'entendre, car la pince se matérialisa dans notre monde au moment où il l'enflamma.
« Nous l'avons tué ? questionna Mon.
- Non, il est toujours-là ! rétorqua Maman en courant. »
Elle planta sa lance rapidement dans le fond de l'eau et poussa Niisan pour qu'il évite la pince. La pince entra en contact avec une torche que Maman avait emprunté à un guerrier. Celle-ci revola dans l'air en tournoyant. Papa retira son sac de ses épaules et entra à son tour dans la source tandis que Maman tirait Niisan hors de l'eau. Papa n'était pas doué en arts martiaux, mais question sang-froid, il forçait l'admiration des plus valeureux. Je le sentais légèrement raidi, mais il était prêt à livrer un combat à mort si nécessaire.
C'est à ce moment-là que je vis de nouveau les pinces s'approcher à toute vitesse vers eux. Je me mis à courir en leur direction et allai crier, lorsque je vis une bulle de couleur bleutée se former autour d'eux. L'œuf était en train de le contrôler : je pouvais voir l'énergie de l'œuf briller d'une couleur bleue très pâle et lumineuse. Ralunga tenta de percer la bulle avec ses pinces, mais ils rebondirent comme un ballon et atterrirent plus loin dans l'eau, Niisan sur ses pieds, Maman dans l'eau. Il partit en courant hors de la source. Maman cria son nom et tenta de le suivre. Je vis Papa mettre des Sig Salua dans son sac et prendre la torche que Maman avait empruntée plus tôt à un guerrier et sortir à son tour hors de l'étang.
« Votre Altesse ! cria Shuga.
- Mais où ce gamin peut-il bien aller ? demanda Grand-Mère. »
Les huit guerriers partirent dans la forêt où Niisan était parti. Mayuna et moi se séparâmes à notre tour alors que j'allais rejoindre Maman avec ma lance et mon commandant Jiguro.
« Balsa ! dit Papa. Je viens avec vous !
- Allons-y. »
Je me surpris à savoir que je puisse courir plus vite que Papa et pouvais tenir le rythme de Maman. Malgré toutes les compétences de traqueur de Maman, elle ne trouva aucune trace de Niisan.
« Pas une seule trace de pas.
- Peut-être que Chagum s'est déplacé dans les arbres au-dessus de nous, hasarda Papa.
- Dans les arbres ?
- Oui. Toi aussi tu l'as vu, n'est-ce pas ? Il a couru à la surface de l'eau alors que vous avez totalement coulé, toi et Alika. L'œuf a l'intention de servir d'appât à Ralunga tout en se protégeant lui-même jusqu'à l'aube. C'est sûrement pour cela que Chagum a mangé une fleur de Sig Salua. Le nectar de cette fleur et le parfum spirituel de celle-ci attirent les habitants de Nayug. Et— »
Je redressai la tête soudainement, sentant l'énergie des huit guerriers que j'avais analysés en secret au village de Toumi.
« Mayuna-Tan ! m'égayai-je en télépathie en la voyant suivre Jin.
- Nos chemins se croisent encore, me sourit-elle. »
Les huit guerriers nous encerclèrent comme une embuscade. Cependant, ils n'y avaient rien d'hostile vraiment dans leur démarche.
« Alors vous avez également perdu la trace du Prince ? commença Mon.
- Ça suppose que vous aussi, non ? répondit Maman.
- Oui.
- Nous avons poursuivi Ralunga, mais il a aussi disparu, dit Jin. Et comme vous venez de le dire, le Prince a bondi dans les arbres et s'est enfui. Il s'est déplacé tellement vite que nous n'avons même pas réussi à le suivre des yeux. »
Comme une prédiction, je tournai ma tête vers Yun. Son expression quasi neutre me rendit malaisée. Il parla.
« Vers où pensez-vous que le Prince se dirige ?
- Je n'en suis pas sûr, dit Papa. Mais si l'Étang bleu est la Place de la Cérémonie, il devrait revenir avant l'aube. Dans tous les cas, l'œuf contrôle Chagum, dorénavant. Continuer à errer dans cette forêt ne nous apportera rien.
- Chef, devrions-nous retourner à l'Étang bleu pour le moment ? demanda Rai, celui qui n'avait aucun cheveu sur sa tête et dont j'avais l'impression de me casser le cou pour l'observer tellement il était grand.
- Non ! rétorqua Jin, encore sur les nerfs et dont Mayuna soupira encore une fois. Même si l'œuf possède le Prince, que se passera-t-il s'il se fait attaquer par Ralunga ?! »
Je souris à Mayuna et mon attention se posa sur Maman qui répondit à Jin d'un ton très serein :
« Je ne pense pas non plus que nous devrions retourner à l'Étang bleu. Considérons que cet endroit est la Place de la Cérémonie, et qu'il échappera à Ralunga jusqu'au petit jour; pourquoi s'embêter à faire ça ? Il s'est enfui dans cette forêt. N'y a-t-il pas une raison à cela ?
- C'est vrai, en effet, approuva Mon avant de s'adresser à ses hommes. Je suis d'accord avec la lancière. À en croire les découvertes de Maître Shuga, Ralunga n'était pas sensée apparaître avant l'aube. Il a dû y avoir une mauvaise interprétation.
- Alors nous n'avons pas d'autres choix que de retrouver Chagum par nous-mêmes.
- On dirait bien. »
Ils se dispersèrent à nouveau et nous continuâmes notre route pour trouver des indices. Même spirituellement, je ne pouvais pas sentir son énergie où que ce soit. J'entendis un sifflement. Je suis pas un chien ! m'indignai-je. C'est alors que je vis les guerriers sauter et grimper aux arbres avec une agilité déconcertante rappelant celle des singes et sauter de branches en branches, d'arbres en arbres.
« Je suis heureux de ne pas avoir à me battre contre eux, se soulagea Papa. Même si je me rends compte à quel point ils sont impressionnants.
- C'est vrai, répondit Maman en regardant Jin et Mon du coin de l'œil.
- Lancière ! l'interpella Mon. Il y a quelque chose que j'ai toujours voulu vous demander, dans le cas où nous aurions été amenés à nous revoir. »
Ils se rapprochèrent de nous. Je me reculai légèrement.
« Lorsque nous nous sommes battus pour la toute première fois et que nous ne sommes, tous les quatre, pas parvenu à vous tuer, je reste persuadé que ce n'était pas dû à une confiance excessive dans notre supériorité numérique. Alors, ma question pour vous est celle-ci : pourquoi ne pas nous avoir tués ? Vous auriez pu tous nous tué, si vous l'aviez voulu. »
Je vis Yun, Zen et Jin approcher et nous encercler. Je vis Mon prêt à dégainer son sabre, retirant la petite attache qui maintenait son arme dans son fourreau. Papa se mit sur ses gardes et je fis pareil avec ma lance. Ils mirent leur main sur le fourreau de leurs sabres individuels. La tension était palpable. Enfin, Maman soupira.
« Il n'y a pas vraiment de raison particulière, finit-elle par sortir. J'ai juste pensé que sauver une vie devient inutile s'il faut pour cela en prendre d'autres.
- Je vois. »
La tension descendit d'un coup.
« J'aurai été contraint de défendre notre honneur si vous nous aviez méprisés. Mais il semblerait que notre défaite était assurée depuis le tout début. Nous vous suivrons sans aucune hésitation s'il devait y avoir de féroces combats. »
Ils inclinèrent la tête. Maman leur demanda d'arrêter, trouvant cela gênant.
Hyoku appela son chef et on se dirigea vers eux. Il y avait une longue traînée comme si quelqu'un avait glissé ses pieds sur la mousse de la base d'un arbre. Je déposai ma main sur la trace sous le regard intrigué des guerriers : l'énergie de Niisan pouvait être sentie sous forme de chaleur tiède sous ma peau.
« C'est bien Niisan et son énergie..., répondis-je pour mes parents.
- Les traces mènent au ruisseau un peu plus loin, informa Taga.
- Puisqu'il est revenu au sol, il est possible que Chagum ait l'intention d'attirer le dévoreur d'œuf encore une fois, dit Maman.
- Nous devrions essayer d'aller en amont.
- Oui ! »
Nous courûmes à travers la forêt, moi, tenant Mayuna par la main et suivant Touji qui devait avoir mon âge. Papa était le dernier derrière nous. On s'arrêta et Papa appela Maman.
« Hé Balsa. Viens ici, un moment. »
Nous allâmes le retrouver.
« Il y a un problème ? demanda Maman. Qu'est-ce qui se passe ?
- Quelqu'un m'appelle, dit-il en pointant l'eau. »
Il plongea sa tête dans l'eau, sans toutefois immerger sa tête au complet. Je vis les guerriers se jeter des regards incrédules. Après proche d'une demi-minute, Papa se retira et souffla comme s'il avait manqué de souffle. L'entre-deux monde des eaux de Nayug et Sagu était suffocante, autant pour les êtres de Nayug que ceux de Sagu.
« Qu'est-ce que ça veut dire ? dit Maman en lui soutenant le dos.
- Il y avait un message de la part du Maître, respira Papa difficilement. Il m'a été transmis par un citoyen du peuple de l'eau. Nous savons où Chagum va se rendre. Il se dirige vers un endroit appelé Sahnan, une des sources de la rivière Aoyumi. Il semblerait que ce soit la vraie Place de la Cérémonie. Balsa, ton pressentiment était juste.
- Alors nous n'avons que jusqu'à l'aube pour nous y rendre ! comprit Mon. Il faut se dépêcher.
- Pas besoin !... Sahnan est proche.
- Dans combien de temps arriverons-nous à la source ? le questionna Maman en se relevant.
- Dans deux heures, je pense, si nous maintenons notre allure. Si c'est bien Chagum, il arrivera sans doute à la source une demi-heure avant nous... Il faut induire les flambeaux de résine et d'huile ! Parce que tu comprends, dans Nayug, Sahnan est une mer de boue ! »
Nous levâmes les yeux au ciel : les deux lunes qui se rapprochaient au fils des heures étaient l'indice du temps qu'il nous restait avant que les deux mondes se séparent. Maman nous regarda un après l'autre.
« Il va falloir improviser, annonça-t-elle. Nous n'aurons pas le temps de tâter le terrain, rien... préparons immédiatement les torches. Ça va être le moment de montrer ce que vous êtes capables de faire, guerriers ! »
Les guerriers accueillirent ce défi en riant et tous se mirent à l'œuvre. En moins d'une heure, ils avaient fabriqués des torches et j'avais même droit à la mienne en plus de ma lance. Mayuna avait influencé Jin pour me créer une torche adaptée à ma taille. On déboucha sur une grande place ovale au milieu des arbres, dans la forêt. Ce n'était pas Sanhan. Pas encore.
« Regardez ça, dit Jin à Maman alors qu'il était accroupi au sol.
- Des traces de pas ! s'écria Zen. Ce sont celles d'un enfant... »
Maman les rejoignit. Zen avait raison, on reconnaissait distinctement des empreintes de sandales de petite taille. Elle reconnut sans aucune difficulté les traces de cordelettes qu'elle avait elle-même nouées autour des sandales en guise de crampon pour l'empêcher de déraper. Je pouvais sentir l'énergie de Niisan en émaner et elles me semblèrent luire d'une couleur dorée. J'étais la seule qui pouvait voir cette lueur, comme les auras.
« Oui, ça a été laissé par Chagum, confirma-t-elle. Les traces semblent encore fraîches... Alika, qu'est-ce qui se passe ?! »
Je regardai derrière nous, les yeux écarquillés par la peur. Mes cheveux sur ma nuque et même mes poils de bras furent parcouru d'un frisson de terreur. Un danger imminent approchait. Peu de temps après, le cri des oiseaux qui s'élevèrent dans le ciel confirmèrent que quelque chose venait dans notre direction. Bientôt, une silhouette translucide approcha vers nous : c'était Ralunga... et il avait emmené un ami avec lui ! Maman se mit en face de Papa, lui demandant de rester à l'écart.
« Ce sont les deux mêmes qu'auparavant, observa Mon. Recherchent-ils le prince ?
- On dirait bien, dit Maman.
- Ils sont plus faciles à voir, maintenant, commenta Yun alors que ses compagnons commençaient à charger leur arme. »
Ma vision s'adapta naturellement avec la peur : Ralunga ressemblait à une sorte d'araignée géante, quelque chose entre l'anémone de mer, l'araignée et l'étoile de mer. Il se déplaçait facilement dans la boue grâce à ses six pattes très agiles et était doté de six énormes griffes ou pinces plantées sur son dos comme une fleur terrifiante autour d'une bouche semblable à un bec d'oiseau. De la bouche sortait des tentacules en forme de filaments, fins et longs, étirables comme des fouets ! Je vis ses tentacules se matérialiser dans notre monde, s'étirer et lécher les traces de pas de Niisan. Ralunga poussa un bruit semblable à un grondement et se lança dans notre direction.
« Ils ont dû repérer son odeur ou son parfum, comprit Jin. »
Ils chargèrent leur canon de feu et lancèrent les flèches enflammés... sans résultat. Les flèches traversèrent le corps de Ralunga comme un fantôme.
« Si nous pouvons le voir, pourquoi ne pouvons-nous pas le toucher ?! »
Maman s'écarta hors du chemin de Ralunga en me poussant avec elle. Je roulai avec la torche non-allumée et ma lance. Ils s'élancèrent dans leur direction, mais Papa leur cria de ne pas le faire et que les attaques contre les créatures de Nayug n'affectaient que la dimension de Sagu. Maman s'arrêta dans pleine course. C'est alors que je vis Papa prendre une fleur de Sig Salua.
« Hey ! Ce sont mes fleurs ! m'écriai-je alors qu'il l'apportait à sa bouche et croquait dedans. »
Il n'était pas un guerrier dans l'âme, mais ce qu'il fit laissa Maman et moi ébahies. Il se rua vers Ralunga avec une des armes empruntées plus tôt, plantant la lame dans le corps de la créature de Nayug, y mettant feu. Un murmure de stupéfaction envahit les rangs. Je pouvais enfin voir Ralunga en chair et en os comme Jiguro et comme mes parents. Ralunga se débattit, soulevant Papa de terre. Je regardai impuissante Papa accroché à son bâton comme un rodéo, secoué dans le vide alors qu'il essayait tant bien que mal de tenir bon... Maman courut vers lui.
« Tanda ! »
Elle planta sa lance sous le corps de Ralunga. Elle tenta de dégager sa lance en s'aidant de son pied, car celle-ci sembla coincée dans la chair de la créature. Un liquide brunâtre s'échappa de la plaie. Papa fut projeté dans les airs avant de retomber au sol. Heureusement qu'il avait protégé sa tête en tombant. J'allai aussi vers lui alors que Maman criait son nom. Les guerriers en profitèrent pour achever Ralunga. Mon sauta par-dessus, son arme fermement coincé dans son bec. Il tira sur la poignée et enflamma Ralunga par l'intérieur.
« Mais qu'est-ce que tu as fait ? questionna Maman à Papa, agenouillée à ses côtés.
- Ça, dit-il en montrant un Sig Salua. Lorsque Ralunga est apparu à l'Étang bleu, il n'avait d'influence que sur ces fleurs. C'est pour ça que j'ai emmené ces fleurs, car j'avais ma petite idée en tête et on dirait que j'avais bien raison.
- Mes fleurs..., commençai-je.
- Elles sont toujours dans ton sac. Je n'y ai pas touché. Si nous en mangeons comme Chagum l'a fait, nous pourrons toucher Ralunga avant même qu'il ne se matérialise en Sagu. Mais par la même occasion, nous prenons le risque qu'il nous blesse et nous tue également. »
Il grimaça et je vis l'entaille à sa cuisse gauche.
« Toi alors ! le réprimanda Maman.
- Urgh... Balsa, ces fleurs sont notre dernier espoir. Pourrais-tu sauver Chagum grâce à elles ? dit Papa en lui donnant son sac.
- Oui. Je le ferai. Je protégerai Chagum, coûte que coûte.
- Herboriste, l'interpella le chef des guerriers. Ces fleurs pourraient-elles fonctionner sur nous également ?
- Oui, affirma-t-il. Si je les enchante, quiconque en mange une devrait être capable de voir à travers Nayug.
- Si vous avez assez de fleurs, donnez-nous-en quelques-unes, s'il vous plait, requit Jin.
- Nous satisferons votre demande, même si cela doit nous coûter la vie, s'enjoint Zen. Je vous en prie.
- Je vois. Merci. J'allais justement vous demander votre aide de toute manière, répondit Papa. S'il vous plait, tout le monde, veuillez protéger Chagum.
- Nous vous sommes redevables, termina Mon. »
Maman prit une fleur et passa le sac de Papa aux guerriers. Je pris une fleur dans mes poches, heureuse de pouvoir faire partie de la troupe et aider Niisan. Maman déchira une partie de sa longue ceinture Kanbalese et l'enroula fermement autour de la cuisse de Papa pour ralentir et arrêter l'hémorragie. Papa grimaça et Maman se redressa. J'allai à ses côtés prestement.
« Allons-y, tout le monde. Allons à Nayug, vers Chagum ! »
Ils acquiescèrent dans une exclamation positive. S'ils burent le nectar de la fleur comme Grand-Mère qui buvait de l'alcool, je ne fis pas comme eux. Je mis un pétale dans ma bouche et la croquai en faisant un visage incertain... Ouais, elle goûtait plus le parfum qu'autre chose et semblait avoir un petit duvet sur le dessus. Je grimaçai avant de tirer sur un pistil et le lécher : là, c'était étonnamment bon et... sucré ! Moi qui adorais le sucre ! Je mâchai goulûment le restant de la fleur, goutant le délicieux nectar. Il coula en moi et une agréable chaleur baigna tout mon corps comme si je venais de boire un thé chaud.
