Après mon flashforward pas sympa du dernier chapitre, nous voilà partis pour une nouvelle enquête, que j'ai pris le temps de bien avancer avant de publier pour ne pas qu'elle ait trop d'incohérences. Le premier chapitre est court, mais je publierai la suite bientôt. J'espère qu'il vous plaira !

Episode 5 : La plupart du temps, quand on veut, on ne peut pas

-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

But it was only fantasy
The wall was too high
As you can see
No matter how he tried
He could not break free
And the worms ate into his brain

Pink Floyd – "Hey You"

-o-o-o-o-

Natasha les a emmenés à la Norvin Green State Forest, dans le New Jersey, à une petite heure de voiture de New York les heures creuses, deux heures les heures pleines, une heure trente les heures pleines si Natasha conduit.

Sérieusement, cette femme est faite pour être braqueuse de banque, pas flic.

Elle a emmené le bleu, le doc et son stagiaire sur la scène de crim', et Tony se tape tout le matos à emmener. Tout ça parce que le bleu est en béquilles, n'importe quoi.

Draguer le bleu ? songe-t-il de nouveau sur le chemin, une caisse noire dans chaque main. Également n'importe quoi. Il s'en serait rendu compte, tout de même. La drague, il connait, et c'est un processus volontaire, qui vient après qu'on se soit rendu compte que la personne nous plait. Pas avant.

D'ailleurs, Loki ne lui plait pas. C'est son bleu, Tony est son supérieur hiérarchique direct, et faire ce genre de suggestions pourrait de toute façon l'amener devant un tribunal.

Le reproche de Natasha l'a vexé, mais elle n'a pas tort, il se laisse aller. De plus, il tient à garder sa sexualité la plus discrète possible au travail : même à leur époque, ses préférences restent mal vues dans la police.

Il lève le nez vers le ciel, surchargé de lourds nuages gris sombre. Le temps est presque aussi orageux que son humeur. Son équipe est sous de grands frênes, devant un trou en forme de tombe. Il les rejoint, enfile ses gants, et écoute de manière méfiante ce que Natasha dit à son bleu.

« Donc, Loki, je répète pour toi : notre victime est une femme noire, entre vingt-cinq et trente-cinq ans, cheveux très courts, pas de téléphone, de portefeuille ou de clés, ni tatouage ou piercing, short et t-shirt, vêtements légers donc elle est sans doute morte en été. C'est tout ce qu'on a pour l'instant. C'est un chien qui l'a trouvée et a commencé à la déterrer. Le maître a appelé les stups parce qu'ils pensaient que c'était une cache de drogue, les stups l'ont trouvée elle, et ont bien voulu nous laisser l'affaire, pour une fois. »

Loki hoche la tête et détaille du regard leur victime. Le corps est salement amoché. Il est gris et un peu vert par endroits, avec quelques trous là où la peau est fine. L'odeur, elle, est difficilement supportable. Il aperçoit des tâches sombres sur les tempes, et fronce les sourcils.

Pendant que Bruce observe les hanches, il pose ses béquilles et s'approche pour regarder de plus près la tête afin de prendre les marques en photo.

Loki voit la mâchoire du cadavre bouger, et a un mouvement de recul qui le fait tomber à la renverse.

Son plâtre heurte le sol, et il jure bruyamment, tout en fixant le visage en train de pourrir. Un gros ver blanc de la taille d'un pouce sort de sa joue et rampe sur son menton.

« Bah alors, le bleu ? se moque Stark. Tu as peur des insectes ?

-Ce truc est énorme !

-Oui, ce sont des vers de décomposition, l'informe Peter. Viens là mon grand, marmonne-t-il en prélevant le ver pour l'enfermer dans une éprouvette au capuchon percé.

-Tu n'en avais jamais vu ? s'enquiert Natasha.

-On n'avait jamais eu un corps aussi vieux.

-Tu as raison. »

Les corps frais, Loki a l'habitude. Il en a balancé quelques-uns dans l'Hudson River avec des parpaings aux pieds, du temps où il était encore en bas de l'échelle et se salissait les mains.

Mais des vers blancs comme ceux-là lui font penser au flic qu'il a tué, à Georges Britfears, et à son hallucination due à son overdose de kétamine. Il en a presque les mains qui tremblent de nouveau sous le manque, alors qu'il est clean depuis bientôt deux mois et demi.

Stark l'a surpris à fixer le corps, et s'agenouille pour demander :

« Ça va, le bleu ?

-Ça va, cheville douloureuse. »

Il accepte la main pour se relever et récupère ses béquilles. Stark insiste du regard, et Loki fait un geste rassurant de la main. C'est agaçant, que Stark puisse le percer à jour comme ça. Il faut qu'il s'éloigne ou qu'il se reprenne sérieusement, qui sait quelles autres choses le lieutenant remarque quand Loki ne fait pas attention.

Il a baissé sa garde, depuis ces deux semaines où ils ont habité ensemble. Et il ne peut pas permettre qu'on lise en lui comme un livre ouvert.

Qu'est-ce qu'il lui a pris de lui prêter Lorenzaccio ? Autant lui faire des aveux écrits. Bonjour Tony, je me rends compte que j'ai oublié de t'informer, je suis un agent double dans la mafia newyorkaise chargé d'infiltrer la brigade criminelle. Bonne réception, Loki.

Ce n'est pas le bon moment pour y penser.

-o-o-o-o-

Quelques dizaines de minutes plus tard, des nuages noirs s'amoncèlent au-dessus d'eux. Il s'agit d'une tempête hivernale comme il y en a souvent dans l'état de New York, surtout à une heure de la côte.

Natasha lève le nez, et lance :

"Dépêchons-nous de tout embarquer avant l'orage, sinon cela va être l'enfer pour protéger les preuves."

L'averse leur tombe dessus à l'instant même où ils referment les portes de la camionnette. Ils n'ont pas pris le temps de regarder chaque item, et ont tout pris sans faire le tri, y compris une capote usagée à une vingtaine de mètres de la tombe qui date probablement de bien après le crime.

Le trajet est bien plus rapide qu'à l'aller, les rues s'étant vidées des bouchons du matin.

Ils aident Peter et Bruce à décharger le corps sans trop y toucher, et se lavent longuement les mains ensuite. Vu l'état de décomposition, Loki a presque peur qu'ils en aient laissé un bout dans le camion, et se sent encore vaguement anxieux. Sans doute que les résidus de drogue qu'il a dans le cerveau se sont activés à son coup de stress, et lui font un fantôme de bad trip.

« Tony, prends les fringues et emmène-les à Darcy, moi je remonte avec le bleu », lance soudain Natasha.

Stark les regarde partir avec un brin de soupçon dans le regard, et un avertissement s'allume dans la tête de Loki. La russe s'arrangerait-elle pour un tête à tête ? Pendant leur examen du corps, il lui a semblé qu'elle le fixait.

Pourquoi est-elle soudainement suspicieuse envers lui ? Son passé d'espionne peut servir de moyen de pression efficace, mais c'est aussi ce qui la rend très dangereuse pour la couverture de Loki.

Il est persuadé que si elle n'avait pas confiance en Fury, elle l'aurait déjà passée au détecteur de mensonge.

Bref, alors qu'ils passent le quatrième étage, il espère qu'il va pouvoir sortir de cette boîte en métal rapidement, et rester seul à son bureau jusqu'au soir. Il est dans un mauvais jour pour faire semblant.

Ils entendent un coup de tonnerre étouffé, et un quart de seconde plus tard, l'ascenseur se stoppe brutalement tandis que toutes les lumières s'éteignent. Natasha lâche un juron en russe en se maintenant aux barres, et Loki manque de se retrouver par terre de nouveau. Une lumière rouge d'urgence se met en marche, mais ils ne se remettent pas à monter pour autant.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? s'enquiert-il.

-On s'est pris un éclair parce que Fury n'a pas pris la peine de faire réparer le putain de paratonnerre, et maintenant on a une putain de panne de courant !

-Darcy dirait que « putain »…

-Ce n'est pas le moment, le bleu ! »

La russe commence à faire les cent pas, puis gratifie d'un coup de poing le bouton d'urgence, qui ne répond pas. Puis elle sort son téléphone, et pousse une exclamation agacée. Il n'y a jamais eu de réseau dans l'ascenseur. Fury n'a jamais jugé utile de faire des travaux de télécom pour "les laisser finir leur épisode de la Casa de Papel dans l'ascenseur".

Natasha fait une autre centaine de pas avant qu'ils n'entendent des bruits de pas et qu'on leur lance :

« Le bleu, Nat, vous êtes là ? leur demande la voix étouffée de Stark.

-Affirmatif ! claque Natasha d'un ton agacé.

-Ok, alors, fait la voix étouffée de Clint, on n'a plus de courant du tout, mais Fury est en train d'appeler l'électricien. Patientez tranquillement, ça va être résolu bientôt.

-« Bientôt » mon cul !

-Reste polie, Nat ! »

Tony et Clint retournent à leur étage par l'escalier de secours. Dans l'open space, Steve s'approche et s'enquiert :

"Alors ?

-Ils sont bien tous les deux dans l'ascenseur, confirme Clint.

-J'espère juste qu'elle ne va pas le tuer, souffle Tony.

-Loki a le cuir solide, affirme Steve.

-Plus personne ne dit ça, captain fossile."

Dans l'ascenseur, Loki s'assied. Quel karma de merde. Tout ça parce qu'il avait souhaité sortir vite. À tous les coups, c'était le flic qu'il avait tué qui avait balancé cet éclair depuis le paradis.

Natasha finit par l'imiter et s'asseoir. Elle le toise un long moment, et Loki sait qu'il ne va pas y couper. Il tend les épaules, et est presque soulagé quand elle commence à parler.

« Cela fait plus de quatre mois que tu es avec nous, et je n'arrive toujours pas à te cerner, le bleu."

Elle laisse passer un instant, mais Loki préfère la laisser parler pour savoir sur quels points en particulier il doit la rassurer.

"Tu es le fils du maire, pourtant, personne n'a aucune info sur toi, et il y a des trous partout dans ton dossier.

-Quels trous ? nie-t-il calmement.

-Je sais que Fury t'a fait un faux dossier, Tony nous l'a dit le jour de ton arrivée. Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi.

-Ah. Pourtant, commence-t-il en conservant un ton calme, j'avais cru comprendre qu'on avait un peu le même parcours, toi et moi.

-Attention à ce que tu vas dire.

-Je ne sais pas grand-chose, Tony m'a juste dit le premier jour qu'il y avait une rumeur sur le fait que tu as fait partie du Kremlin. Je ne sais pas si c'est vrai, je dis juste que moi non plus, je ne peux pas parler de ce que je faisais avant. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'à un moment donné, j'ai atteint un point de rupture, et que j'ai voulu me ranger. Fury a voulu me filer un coup de pouce pour que je sois intégré dans son service. »

Le secret d'un bon mensonge, c'était d'insérer le maximum de vérité, et de falsifier seulement ce qu'on désirait cacher. Comme pour Stark, plus il en dévoilerait à Natasha, plus elle lui ferait confiance. C'est pourquoi il décida de lui donner ce qu'elle voulait quand elle demanda :

« Un point de rupture, c'est-à-dire ?

-Tu savais, pour l'addiction, non ? C'était dû à ça. J'ai tenté d'alléger la pression et je suis tombé là-dedans.

-Je t'ai vu trembler et transpirer, oui. Et Tony ne sait pas mentir.

-Oui, s'accorde Loki avec un sourire moqueur. Il sait très mal mentir.

-Ce n'est pas ton cas.

-Cela faisait partie des compétences requises pour ce que je faisais avant. Ce n'était pas ton cas ? »

Natasha semble hésiter à lui donner un coup dans son plâtre pour sa provocation, mais se contente de regarder la porte toujours fermée de l'ascenseur.

« Tu étais à la CIA ? poursuit-elle.

-Je ne peux pas en parler. Demande à Fury, si tu veux, il semble beaucoup t'apprécier, il décidera sans doute de t'en dire plus. »

Elle décèle sans doute sa tentative flagrante de manipulation, mais ne relève pas. Pour détourner son attention de lui, et essayer d'en apprendre plus sans grand espoir d'y arriver, il tente :

« Tu étais au Kremlin ?

-Je ne peux pas en parler, répète-t-elle. Demande à Fury, si tu veux, il semble beaucoup t'apprécier, il…

-D'accord, j'ai compris, fait-il dans un sourire. »

Elle hausse discrètement le coin de sa bouche, et Loki s'autorise à relâcher un peu la tension dans ses épaules.

De longues minutes passent sans qu'ils ne s'adressent la parole de nouveau, puis Natasha lance :

« Il faudrait de la vodka, dans ces moments-là.

-Je tuerais pour une cigarette, avoue Loki sans faire attention à sa formulation.

-Tu as déjà tué ?

-Et toi ? réplique-t-il.

-On ne va nulle part avec cette conversation.

-On pourrait faire une cachette dans l'ascenseur, au cas où ça se reproduise, détourne Loki.

-Pourquoi faire ?

-Vodka et cigarette. »

Natasha émet un son pensif, comme si elle considère sérieusement l'idée. Puis elle lui jette un œil, et lui lance d'un ton plus apaisé :

"Tu as l'air mieux, en tout cas, tu n'as plus de symptômes.

-Oui, je suis clean.

-Cool. Bravo. Il paraît que c'est très dur.

-Oui, ça l'est, mais avec un traitement, c'est faisable."

Le temps passe sans qu'ils ne relancent la conversation. L'ennui finit par les faire utiliser leurs clés pour ouvrir les plaques de métal, et ils trouvent un endroit vide pour y mettre une bouteille et un paquet de clopes dans le futur.

On les libère une bonne heure plus tard. Ils avaient commencé à élaborer des plans pour installer des porte-gobelets, près des boutons des étages.

Quand il est dehors et qu'ils retournent séparément vers leur bureau, Stark s'enquiert :

« Ca a été ?

-Oui maman, le chambre Loki.

-Très honnêtement, je suis étonné que tu sois encore en vie.

-Oui, je suis peut-être un peu étonné aussi. Mais on a parlé pour passer le temps.

-Ah oui ? réagit Tony avec une soudaine inquiétude. De quoi ?

-Vous allez arrêter de fouiner, un jour ?

-Je suis flic, chaton, c'est mon métier. »

Loki lève les yeux au ciel.

« Ces conneries nous ont fait perdre du temps, grommelle la russe. Allez hop, tout le monde au boulot !

-On n'a rien, Nat, la tempère le lieutenant. Il faut qu'on attende Bruce et Darcy pour la cause de la mort et l'identité de la victime.

-Tony, va chercher un bubble tea à Darcy pour qu'elle accélère, Loki, tu me fouilles les disparitions à New York qui correspondent au profil de notre victime. Les cinq dernières années pour l'instant.

-Il pleut des cordes, Nat, proteste Stark, et puis, c'est du travail de bleu, ça !

-Tu me rediras ça quand tu auras une double fracture de la cheville. »

Loki fait un sourire lumineux à Tony qui lui balance une boulette de papier dans la tête en réponse. Loki l'intercepte, et fait un trois points dans la corbeille.

Natasha est moins soupçonneuse et Stark fait les corvées à sa place.

Ce n'est pas une si mauvaise journée.