Emily Flood – « I love you baby »
Bon entendeur – « Le temps est bon »
Rar : Ilona
Merci beaucoup pour ta review ! Je suis ravie que la suite te plaise, et que tu trouves les flash-back intéressants. Bonne lecture à toi !
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Six mois et demi plus tôt
Simon fumait une cigarette sur le balcon. Il ne s'agissait pas vraiment d'un balcon, simplement de la plateforme de l'escalier de secours, mais l'endroit était tranquille, et il l'appréciait à sa juste valeur.
C'était l'un des premiers moments depuis deux semaines où il avait un peu de temps seul. Ils dormaient très peu, et avaient énormément de sessions de groupe. Il bouillait intérieurement dans les premières, tellement tout ceci était ridicule et humiliant. On leur avait même fait frapper des mannequins avec des bâtons en leur demandant de visualiser leur père, et d'y déverser toute leur haine envers lui. À la quatrième séance, un intervenant lui avait demandé de but en blanc si un homme de sa famille l'avait violé quand il était petit.
Il se frotta énergiquement les cheveux au souvenir. Avec le manque de sommeil et la pression du groupe, il était difficile de ne pas les laisser rentrer dans sa tête. Qui plus est, il avait dû mettre son portable dans un casier au tout début du séjour, et il ne pouvait avoir accès à un ordinateur qu'une heure tous les trois jours, pour lire et envoyer des mails. Inutile de dire que le porno gay valait une expulsion immédiate.
Il sourit en tirant sur sa cigarette. Il fallait prendre tout le positif de cette expérience, et noter rigoureusement tout le reste pour pouvoir écrire un bon article. Il avait retrouvé un petit carnet jaune dans sa chambre avant de venir, et depuis, il notait les déroulés des séances, les paroles marquantes, les émotions qu'il ressentait. Les rares fois où il avait le temps, il griffonnait les portraits des personnes qui le marquaient. Si son article pouvait aider à faire fermer ce centre, alors l'exigence de son père n'aurait pas que de mauvaises conséquences.
Il avait besoin d'une bonne détox digitale, de toute façon. Et de cette façon, il ne pouvait pas boire comme un trou chez lui, et laisser trente appels manqués à Sue au milieu de la nuit.
Tout n'était pas à jeter de cette expérience. Tant qu'il parvenait à s'échapper pour une cigarette et à garder toute sa tête, cela se passerait bien.
Et puis, autre point positif, le psychiatre chargé de son cas était très beau. Vraiment très beau, un bon neuf sur dix, style Georges Clooney dans la pub Nespresso. Il jetait souvent de longs regards à Simon, ce qui le faisait soupçonner un cas d'école de gay refoulé. Étant pansexuel et tentant désespérément d'oublier Sue, il n'était pas contre un peu d'attention positive, ou même un flirt.
Il entendit la porte s'ouvrir dans son dos, et se tourna en cachant sa cigarette derrière lui et en ravalant sa fumée. Il l'expira dans un sourire quand le docteur Crowley s'approcha, et s'accouda à la rambarde à ses côtés.
« Bonsoir, chuchota Simon.
-Bonsoir Matilda. »
Simon prit une bouffée et souffla sa fumée par le nez pour cacher son soupir. Il lui semblait qu'il n'avait jamais autant entendu son deadname aussi souvent dans sa vie. Le personnel l'utilisait autant de fois qu'il pouvait, comme si le lui rabâcher cinquante fois par jour serait suffisant pour le lui faire enfin imprimer.
Mais bon, il était sensible au charme du psychiatre, alors il fit un effort et demanda :
« Ça a été, votre journée ?
-Oui, très bien, il fait beau, et je travaille avec de belles personnes. Je ne t'ai pas beaucoup vue par contre. »
Le ton était plaisant, mais Simon sentait la petite pointe de reproche derrière. Il était possible qu'il ait séché une thérapie de groupe, celle où l'on criait et pleurait à gros sanglots. Il était en vrac après la dernière fois, un grand gaillard immense avait fondu en larmes dans ses bras, et il en avait été sérieusement remué.
« Désolé, j'ai la bougeotte, fit-il dans un petit rire. Je vous ai manqué ? »
Le médecin le regarda un long moment. Simon ne détourna pas les yeux, et on lui répondit :
« Un peu. »
Le jeune homme sourit, et tendit sa cigarette en proposant :
« Une taffe, docteur ? »
Le médecin la regarda, puis haussa les épaules en murmurant :
« Pourquoi pas. »
Il effleura ses doigts en prenant la cigarette, et Simon sourit. Décidément, il n'était pas contre s'amuser un peu. Tout en regardant le médecin poser ses lèvres à l'endroit où étaient les siennes un instant plus tôt, il songea qu'il était totalement contreproductif d'embaucher des hommes aussi canons dans des thérapies de conversion.
Un long silence s'étira, où Simon regardait paresseusement les dernières lueurs du jour s'éteindre, ne laissant que les étoiles, les vers luisants, et l'extrémité rougeoyante de la cigarette.
Quand le médecin lui rendit sa clope, Simon effleura ses doigts à son tour, et demanda :
« C'est quoi, votre prénom ?
-David.
-Très bonne soirée, David. »
Il prit une dernière taffe sans quitter le médecin des yeux, puis l'écrasant sur la rambarde avant de la mettre dans son cendrier de poche. En poussant la porte pour retourner à l'intérieur, Simon souriait d'un sourire qu'il savait niais.
Ils flirtèrent ainsi pendant les deux semaines suivantes. Tout de même éprouvé par ses conditions de vie et les sessions de thérapie, Simon était soulagé de voir les jours d'égrener, et surtout pressé de dire à son père qu'il avait tout essayé. Si ce dernier tenait sa promesse, et faisait enfin de réels efforts pour l'accepter, ils pourraient peut-être enfin parler calmement tous les deux, et profiter des derniers mois qui leur restaient à passer ensemble.
Lors de sa dernière nuit au centre, quand le médecin le réveilla pour « tester une dernière thérapie », il crut qu'il allait terminer son séjour affreux sur une note très agréable.
Alors que la douleur lui irradiait le crâne et la poitrine, il hurlait à s'en déchirer les poumons. Quand son cœur s'arrêta, il n'eut pas le temps de demander pardon à sa mère, à sa sœur et à Sue avant que tout ne devienne progressivement noir.
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Temps présent
Steve est parti avec un stock de sachets hermétiques et le kit d'empreintes pour aller chercher les électrodes avec le directeur. Tony et Natasha se sont enfermés avec le suspect dans une petite salle, qui sert pour les entretiens individuels. Loki attend à l'extérieur de la pièce, en profitant pour discuter avec quelques autres du personnel, et ainsi grappiller des informations.
Le médecin a les mains jointes, et les observe tous les deux en tentant de cacher ses émotions. Natasha a sorti un petit trépied de son sac et l'installe sur son téléphone, tout en annonçant :
« Je vous informe que notre entretien sera filmé et enregistré, conformément à la procédure légale. Pouvez-vous vous présenter ?
-David Crowley, psychiatre au centre Saint James.
-Que pouvez-vous nous dire de Simon Hill, né sous le nom de Matilda Hill ?
-Matilda est restée chez nous un mois, l'été dernier il me semble. Le courant est bien passé. Quelqu'un de très intéressant.
-Vous étiez son psychiatre, c'est ça ?
-C'est cela. Je suis en charge d'un petit groupe de patients, je fais leurs entretiens individuels, et j'anime quelques thérapies de groupe.
-Pourquoi Matilda était dans ce centre ? » s'enquiert Tony en décidant de rentrer dans son jeu et d'utiliser le deadname.
Il a une petite pensée d'excuse pour Simon, mais celui-ci comprendrait qu'il le faisait pour résoudre son meurtre.
"Elle avait un trouble de l'identité. Elle avait besoin d'adopter un comportement et une apparence d'homme pour faire face à la vie, sans doute à cause de problèmes dans l'enfance.
-Bon, fini de jouer," perd patience Natasha.
Elle met une sacoche sur ses genoux, et en sort des photos A4. Il s'agit des photos du cadavre qu'a prises Loki dans la forêt, et elle choisit les plus choquantes pour secouer un peu leur suspect, même celle où le ver sort de la joue.
Le docteur Crowley ferme étroitement les yeux, puis les rouvre en fixant les policiers. Certaine d'avoir toute son attention, Natasha énumère :
« La semaine dernière, nous avons retrouvé Simon Hill dans une forêt à vingt-cinq kilomètres du centre, enterré là depuis six mois. Ses parents reçoivent depuis la même durée des mails de leur fils lui assurant qu'il est au centre et qu'il va bien, mais la mère soupçonne qu'il ne soit pas l'auteur de ces textes. Selon les fichiers du centre, Simon n'a jamais mis les pieds ici, et personne ne l'a vu faire ses bagages et partir à part vous, qui avez raconté à tout le monde qu'il avait hâte de revoir ses parents. Je continue, ou bien vous vous mettez à table ? »
Tony voit avec satisfaction le moment exact où le médecin craque. Ses mains se mettent à trembler, et une larme discrète coule sur sa joue. Il jette un œil aux photos, et baisse les yeux aussitôt. Tony a presque pitié de lui tant la culpabilité suinte de son attitude.
Puis le médecin commence à parler, et au fil des phrases, la pitié part pour faire place à l'horreur et au dégoût.
« Je n'ai jamais voulu que ça se passe ainsi. Dès qu'elle… qu'il est arrivé, j'ai senti… on s'aimait bien. On a beaucoup discuté. Elle… il avait dit qu'il ne restait qu'un mois, et qu'après, résultats ou non, elle partait. Elle était très gentille, très drôle, mais elle ne supportait pas son corps. En arrivant ici, elle portait des brassières très serrées, qui lui comprimaient les seins.
-Ça s'appelle un binder, le coupe Tony.
-En bref, elle haïssait le corps qu'on lui avait donné à la naissance, et mon rôle, notre rôle ici, c'était de l'apprendre à l'aimer.
-Et comment vous faites, exactement ? lance Natasha avec curiosité.
-Une thérapie. Par le groupe, l'entretien, les jeux de rôle, on fait ressortir les traumatismes, souvent de l'enfance, et on les accompagne dans leur exorcisation. C'est très éprouvant pour certains, mais souvent efficace. C'est généralement un problème avec le père, pour Matilda, c'était tout à fait le cas. Ce n'est pas facile de guérir, mais…
-Mais ces gens ne sont pas malades, enfin ! explose Tony.
-Tony, l'avertit Natasha à voix basse, si tu ne peux pas, tu sors.
-Ça va, ça va. Désolé, continuons. Que s'est-il passé, alors ? »
Le médecin ne put pas parler pendant un long moment, serrant un pantalon de sa blouse, jetant des regards de détresse aux photos.
« La fin… la fin du mois approchait. Je ne voulais pas qu'elle parte, en tout cas, pas en continuant de se détester. Mais la thérapie ne marchait pas sur elle. Alors… j'ai ressorti de vieux travaux, fait des recherches, et lui ai proposé une dernière tentative. Je vous assure, on… on s'aimait bien, elle a accepté. Alors une nuit, je l'ai réveillée, et on a testé les… »
Il inspira difficilement par le nez, soudain très agité.
« … Les électrochocs, gémit-il. La dose n'était vraiment pas forte, je ne comprends pas… je ne comprends toujours pas ce qu'il s'est passé, elle a… elle a fait un arrêt cardiaque, et j'ai tout essayé pour la ramener, mais rien… rien n'a marché. Je l'avais perdue. Alors… Je suis resté là toute la nuit, et alors que le jour se levait, j'ai paniqué. J'ai été prendre toutes ses affaires dans sa chambre, je l'ai cachée sous un brancard, et mise dans ma voiture. J'ai pris les codes de Kathryn dans son tiroir, car je sais qu'elle ne s'en souvient jamais, et j'ai payé sa note, enregistré sa sortie, puis supprimé son nom du fichier. Alors que tout le monde se réveillait, j'ai dit que Matilda était partie très tôt, car sa famille était venue la chercher, le mois étant presque fini. À ma pause du midi, j'ai été… j'ai été enterrer ses affaires et son… corps dans la forêt, aussi loin que je pouvais dans le créneau que j'avais. Je ne pouvais pas la laisser avec les vêtements du centre, alors je l'ai laissée avec ses vêtements d'homme… J'envoie des mails à ses parents tous les deux trois jours, mais je savais… je savais bien qu'un jour ils appelleraient la police. »
Ses aveux faits, le docteur ferma les yeux et laissa les larmes couler. Tony se sentait bouillir.
« Pourquoi vous teniez tant à ce qu'il se considère comme une femme, murmure Natasha.
-J'aurais voulu… j'aurais tellement voulu l'aider à s'accepter, pour qu'elle se voit comme moi je la voyais. Une très jolie femme.
-Natasha, le bleu va prendre ma place, ce type me rend malade. »
Stark sort de la salle d'interrogatoire comme une tornade furieuse et nauséeuse.
"Ça va ? lui demande doucement le bleu.
-Je vais vomir, je reviens. Prends ma place. »
Loki pose une main sur son épaule et la serre un instant, puis va rejoindre Natasha.
Tony inspire profondément, et va longuement se rincer le visage aux toilettes pour reprendre contenance.
Putain de merde. Autant d'années de métier, et encore retourné par un entretien avec un assassin.
Par moment, il se sent dépassé par la capacité de destruction des hommes, et a l'impression d'évoluer dans un bourbier immonde, sans réussir à changer la moindre chose.
Ne reste que le sentiment que son métier consiste à regarder avec impuissance une foule de gens s'entredéchirer.
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"Je vous laisse écrire vos aveux, docteur," souffle Natasha en tendant un bloc-notes à l'homme aux yeux baissés.
Vingt minutes après y être entré, Loki ressort de la pièce avec la nausée. Quand ils referment la porte, ils entendent des sanglots étouffés, et Natasha se passe une main dans les cheveux.
"Affaire classée, souffle-t-il.
-Affaire classée, consent-elle à reconnaître.
-J'ai le temps pour une clope ?
-Vas-y, je vais attendre Steve ici. Si tu vois la Municipale arriver, tu les briefes rapidement, on ne va pas attendre qu'ils aient fini. Avec tout le relevé des preuves, et l'aller-retour au poste et à la prison, on devrait avoir fini pour vingt heures.
-Très bien. Bon boulot, lieutenant, ajoute-t-il.
-Toi aussi, le bleu. Va t'empoisonner."
Il hoche la tête. Il sent le regard de Natasha sur sa nuque, et soupire intérieurement. Il ne sait pas pourquoi, mais les soupçons de la russe sont repartis de plus belle. Il sent la tension dans ses épaules, et commence à sortir son paquet. L'envie violente de consommer de la kétamine le reprend, et il se frotte discrètement le nez.
Il arrive à l'accueil et descend les marches, tout en lançant une pichenette dans son paquet afin d'en faire sortir une cigarette. Celle-ci allait faire beaucoup de bien, et lui sortirait de la tête les images d'électrochocs et de cadavre dans les bois.
"C'est vous, qui venez arrêter David ?" l'apostrophe un homme en blouse.
Et merde, songe-t-il avec mauvaise humeur.
"Vous ne savez pas tout le bien qu'on fait ici."
Contrôle-toi, Loki, songe-t-il un instant. Va fumer ta clope.
« Je n'en doute pas, fait-il avec un sourire faux pour qu'on le laisse tranquille.
-Beaucoup arrivent à retrouver une vie normale après quelques semaines ici. Matilda était juste trop têtue pour qu'on puisse parvenir à quelque chose."
L'image du squelette à moitié décomposé dans la forêt revient devant ses yeux, ainsi que le box où étaient entassés les vinyles moisissants, et la larme roulant sur la joue de Sue. La colère est soudain lâchée dans ses artères comme un barrage qui cède.
« Il s'appelait Simon », répond-il d'un ton très calme, avant de lancer sans prévenir son poing dans le visage du psychiatre.
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On sentait que ça montait, et ça n'a pas loupé !
J'espère que ce chapitre vous a plu, et à bientôt pour la suite ! Ce sera un chapitre court également, mais centré sur nos deux bourrins préférés. Portez-vous bien !
