Hey you, don't help them to bury the light

Don't give in without a fight

"Hey You" - Pink Floyd

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Le secret, pour faire vraiment mal avec un coup de poing, est de ne pas viser l'endroit où l'on veut frapper, mais vingt centimètres derrière. Cela donne beaucoup plus d'amplitude au mouvement, et fait donc beaucoup plus de dégâts. Bien sûr, il ne faut pas mettre son pouce dans son poing en faisant ça, car il casserait à coup sûr, exactement comme les os de l'adversaire.

Loki visait un point loin derrière la tête du psychiatre quand il l'a frappé, et il entend un craquement satisfaisant quand ses jointures heurtent le nez. L'homme recule de deux pas, et Loki le suit, poussé par un instinct mauvais et une rage sourde.

Il s'apprête à abattre de nouveau son poing, là où le sang commence à couler, quand il sent des bras lui enserrer les épaules pour le ceinturer.

« Ça ne va pas, non ? » lui crie la voix de Stark dans l'oreille.

Loki tente de libérer ses épaules, mais la prise est solide. Il finit par cesser de se débattre, et se laisse docilement éloigner de l'homme essuyant en gémissant le sang coulant de son nez.

« Vous pouvez me lâcher », souffle doucement Loki quand ils sont suffisamment loin.

Tony s'exécute prudemment et le bleu se tourne vers lui. Son regard est toujours furieux quand il jette un œil à celui qu'il a attaqué sans prévenir. Ses collègues se sont rassemblés autour de lui, et tentent d'arrêter le saignement de nez avec des airs surpris et inquiets.

« Qu'est-ce qui t'es passé par la tête, bon sang ? chuchote furieusement son formateur.

-Un trop plein, marmonne Loki en massant ses jointures douloureuses.

-Il faut sortir, dans ces cas-là, comme j'ai fait tout à l'heure.

-Ces types sont partout, ici.

-Tu sais ce qui va se passer ? La mise à pied pour toi, et l'invalidation de l'enquête pour Natasha et nous. On va peut-être devoir relâcher le médecin, à cause de ton petit pétage de plomb !

-Je suis désolé, d'accord ? chuchote furieusement Loki. J'ai perdu mon sang froid, ça n'arrivera plus.

-Ça t'était déjà arrivé le jour de ton arrivée, l'accuse Tony en montrant sa lèvre autrefois éclatée. »

Loki la regarde un instant, et affirme :

« C'était voulu, Natasha m'avait dit de le faire.

-Ce n'est pas une excuse, le bleu.

-Qu'est-ce qui s'est passé ici ? » tonne Natasha en dévalant les escaliers.

Tony attend qu'elle soit à leur niveau avant de souffler :

« Le bleu a discuté avec un membre du personnel, et a perdu son sang-froid.

-Il m'a interpelé alors que je sortais, et a appelé Simon « Matilda » la fois de trop », justifie Loki avec un ton encore un peu énervé.

Natasha se masse l'arête du nez, et marmonne :

« Non mais je rêve… »

Elle les plante là, et va parler calmement à la personne frappée, qui réplique avec un ton colérique malgré ses difficultés de prononciation et ses gémissements douloureux.

« Fury va te passer un sacré savon », murmure Tony.

Loki n'est pas trop inquiet. Ce n'est pas comme si Fury pouvait trop l'engueuler, le mettre à pied ou le rétrograder.

Il aurait dû s'interroger sur le nom du commissaire, et tout de même s'inquiéter un peu.

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« Vous êtes au courant que vous lui avez cassé le nez ? » marmonne furieusement Fury.

Sans attendre de réponse, il reprend ses cent pas, et Loki se contente de regarder le drapeau américain sur le bureau avec un air fatigué. Ils sont rentrés vers vingt heures du centre de détention où ils ont déposé le médecin, et Fury l'engueule depuis trois quart d'heure, à en croire la petite horloge noire au-dessus de la fenêtre.

Le commissaire s'arrête finalement de tourner, et pose ses deux mains à plat sur son bureau avant de soupirer. Il se redresse et va écarter le rideau de sa porte pour vérifier que personne n'écoute, puis murmure :

« Je ne vous comprends pas, Odinson. En négociant avec les plus grands criminels de New York, vous gardez la tête froide, mais le premier psychiatre transphobe qui passe, vous le frappez au visage ? Qu'est-ce que vous avez dans la tête, bon sang ?

-C'est mieux si j'ouvre les vannes sur les psychiatres transphobes plutôt que sur les plus grands criminels de New York, réplique Loki d'un ton acerbe.

-J'ai mieux, Odinson : vous prenez rendez-vous avec la psy, vous vous inscrivez au club de boxe, ou achetez un putain de punching-ball, mais vous arrêtez de tabasser les gens quand vous êtes en service."

Fury fait un aller-retour dans son bureau, puis un deuxième. Il regarde un instant le mur, celui avec un panneau de liège, où derrière est caché l'organigramme de la mafia de New York. Le commissaire détourne le regard pour fixer Loki, et revient poser ses deux mains à plat sur son bureau, lançant :

"Laissez-moi vous expliquer, Odinson. Je suis un commissaire noir. Ce qui signifie que j'ai dû me battre deux fois plus que les autres pour être au même poste qu'eux, et que je dois être deux fois plus vigilant à ce que je fais. Je vous prierai de laisser la violence à la police municipale, ou infiltration ou pas, je vous vire de ma brigade. »

Loki plisse les yeux. Fury ne peut pas être sérieux, pourtant, il sait qu'il ne ment pas.

"J'ai fermé les yeux pour Stark, parce qu'il peut être insupportable envers les bleus et qu'il n'aurait pas porté plainte, mais les civils, c'est inacceptable. Alors, dès que vous n'avez plus vos béquilles, je vous colle deux semaines au stationnement, ça vous fera les pieds.

-Fury, bon sang, chuchote furieusement Loki. Je suis votre agent de liaison avec la mafia, vous ne pouvez pas me mettre aux parcmètres.

-Vous verrez Odinson, ce n'est vraiment pas compliqué.

-Vous voulez vraiment que je recommence à jouer pour le camp d'en face ? menace-t-il en montrant du doigt le panneau de liège.

-Nous savons tous les deux que si vous faites ça, vous mourrez bien avant moi. »

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Loki ressort du bureau lessivé et à bout de nerfs, pour voir que la seule lumière allumée de la grande pièce est la lampe de bureau de Stark. Le lieutenant relève la tête, et passe ses paumes derrière sa nuque en une expression décontractée.

"Vous m'avez attendu ? s'enquiert l'infiltré.

-Oh non, je ne suis pas resté pour toi, affirme Stark. J'avais pas mal de choses à faire, faire la liaison avec le juge d'instruction, taper les aveux du médecin… Ce sera ça de moins à faire demain. Alors, verdict ?

-Deux semaines de stationnement quand je n'ai plus mes béquilles. A priori, l'enquête n'est pas en danger.

-Stationnement ? »

Stark éclate de rire, et Loki lui frappe l'épaule de la main gauche, car l'autre est toujours douloureuse.

"Je viendrai probablement t'emmerder tous les jours. Stationnement, c'est rude ! Mais au moins, on va pouvoir inculper l'assassin de Simon."

Les yeux de Loki tombent sur le drapeau trans qui dépasse du carton sur le bureau de Natasha. Quel gâchis.

Il lui faudrait un peu de kétamine pour oublier ça, mais il est clean depuis trop longtemps pour replonger, alors il va devoir trouver autre chose.

Quand sa mère était déprimée, elle mettait son film préféré, une comédie musicale sur une jeune soprano au chômage se travestissant pour trouver du travail dans le music-hall. Vers la fin de sa vie, elle l'a beaucoup regardé, et par extension, Loki aussi. Cela doit faire plusieurs années qu'il ne l'a pas vu, à cause des souvenirs qui y sont affiliés.

« Ça vous dit, un film ? lance-t-il sans réfléchir.

-Pourquoi pas, lui répond Stark avec un sourire. Lequel ?

- Victor Victoria.

-« Victor » quoi ?

-Ok, c'est tout vu. Je vous emmène en moto, on passera prendre des pizzas."

Au garage de la brigade, Loki enfonce son casque sur la tête de Stark, et le fait monter derrière lui.

« Accrochez-vous, lance-t-il en tournant la tête sur le côté, j'ai besoin de me défouler."

Stark pose d'abord ses mains derrière le siège, mais est bien obligé de se tenir à la taille de Loki pour ne pas tomber en arrière quand il démarre en trombe. L'étreinte fait penser à Loki la façon dont Stark a dû le ceinturer pour ne pas qu'il tabasse à mort ce psychiatre, et le fait accélérer encore. Stark a l'air de crier des insultes sous son casque, mais Loki ne l'entend pas. Il laisse les lueurs des lampadaires défiler comme des comètes au-dessus d'eux alors qu'ils slaloment entre les taxis. L'adrénaline lui fait oublier un peu la colère et le manque, et contribue à l'apaiser.

Quand ils arrivent devant l'immeuble de Loki, Stark décrispe ses mains de la taille de Loki, enlève son casque et crie :

« Tu es complètement malade ! Je crois que tu es encore plus mauvais conducteur que Natasha ! On vous mettre sur un karting tous les deux, vous allez partir en flammes en vous percutant avec vos engins de mort, et nous, nous serons sauvés !

-Oui, Stark. Allez acheter des popcorn et des pizzas à l'épicerie pendant que je mets ma moto au garage", fait Loki en lui tendant un billet de vingt dollars.

Stark repousse sa main d'un geste furieux, et le bleu sourit. C'était drôle.

Il achète le pardon de son collègue avec un verre de la bouteille de whisky qu'il a laissée chez lui, et lance le film.

Stark est sceptique au commencement, mais il se laisse emporter par l'intrigue et le charme des personnages. Victoria, soprano au chômage, fauchée et affamée, rencontre Todd, impresario gay vieillissant, à une audition où elle est recalée. Après de sombres aventures de demi-boulette de viande, de cafard dans un restaurant et de pain dans le nez de la dernière conquête racketteuse de Todd, il a l'idée de la travestir pour la produire sur les grands cabarets parisiens. Lors d'un spectacle, Victoria tape dans l'œil de King Marchand, mafieux de Chicago hétéro comme un phoque, très perturbé d'être attiré par celle qu'il croit être un homme. À ce stade du film, Stark souffle avec un sourire :

"C'est génial en vrai.

-Je vous l'avais dit, affirme Loki sans quitter l'écran des yeux.

-Pourquoi tu aurais vu un film comme ça, mais pas Sur la Route de Madison ?

-C'était le film préféré de ma mère. Et je vous retourne la question.

-Je n'aime pas les vieux films avec des personnages travestis, je trouve…

-...Vous trouvez ?

-Qu'ils ont mal vieilli.

-Honnêtement, pas tant que ça, défend Loki. Pas celui-là, en tout cas.

-Ils disent quand même « tantouze ».

-C'est Todd qui l'a dit, et il est gay, il en a le droit."

Tony a un rire.

"Oui, c'est vrai."

Loki croit comprendre quelque chose, mais Stark fait semblant de ne pas sentir son regard insistant, et continue de suivre le film.

Il lui envoie des popcorns dans la tête à chaque fois que Loki récite une réplique avant un acteur. C'est-à-dire à chaque réplique, jusqu'à ce que vers le milieu du film, Loki se dise qu'ils vont manquer de popcorn, et arrête de réciter.

Stark éclate de rire à de nombreuses occasions, et même si Loki connait chaque blague par cœur, il ne peut s'empêcher de sourire.

Il espère que Simon a vu ce film avant de mourir. Sinon, il ira déposer un dvd sur sa tombe pour qu'il le regarde là où il est maintenant.

Il est plus de minuit quand le générique défile, et Loki boîte jusqu'à sa chambre chercher des draps et un oreiller pendant que Stark déplie le clic-clac.

« Merci, lance-t-il alors que Loki va quitter le salon. Ça fait du bien.

-C'est plus sain que de frapper des suspects.

-Et ça t'éviterait des semaines au Stationnement.

-Trop tôt, Stark, se renfrogne-t-il tandis que le lieutenant se met à rire doucement. Bonne nuit.

-Bonne nuit, le bleu. »

Comme après leur première soirée film, Loki reste un long moment à regarder sa fissure au plafond, songeant à sa mère et son frère.

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J'espère que vous allez bien, et que vous avez apprécié ! On se voit dans le prochain chapitre, avec clôture définitive de l'enquête. D'ici là, portez-vous bien, prenez soin de vous (et regardez Victor Victoria si ce n'est pas fait)