Vanessa est le prénom que j'ai donné à Valkyrie, le personnage joué par Tessa Thompson dans Ragnarok et End Game.
J'annonce la dernière enquête avant le développement et dénouement de l'intrigue principale. J'ai beaucoup pensé à ma grand-mère en l'écrivant.
Ilona : Merci beaucoup pour ta review, elle m'a bien fait rire et fait très plaisir. Ravie que le chapitre t'ait plu, j'espère que celui-là te plaira autant !
Episode 6 : Une comédie dramatique, policière et romantique
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Laisse tomber les filles
Laisse tomber les filles
Ça te jouera un mauvais tour
Laisse tomber les filles
Laisse tomber les filles
Tu le paieras un de ces jours
La chance abandonne celui qui ne sait que laisser des cœurs blessés
Tu n'auras personne pour te consoler
Tu ne l'auras pas volé
Laisse tomber les filles – Suzane
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La journaliste traverse la rue trempée de pluie et se dirige vers le pub irlandais. La lumière jaune attire l'œil en ricochant sur les rangées de bouteilles.
En entrant, elle essuie ses rangers sales, et jette un regard au bar. Elle trouve des cheveux bruns courts aux racines blondes, et un sourire en coin se dessine sur ses lèvres.
La jeune femme qu'elle a déjà cherché dans quatre bars déjà est au téléphone, et parle d'une voix sans émotion en remuant son whisky dans son verre. Vanessa se glisse entre les clients pour arriver derrière elle et écouter un bout de conversation.
"Je ne vois pas en quelle position de force tu es, poussière dans l'œil, on t'a vu en tenue de contractuelle. Ne me dis pas que tu pensais nous être utile à faire sauter des pv. Je veux bien te couvrir auprès du patron, mais j'espère que tu sais ce que tu fais, et tu m'en dois une, une belle."
Amora raccroche, et Vanessa attend quelques secondes avant de se hisser sur le tabouret le plus proche d'elle. C'est Everybody knows de Leonard Cohen qui habite les murs et semble déprimer tous les clients.
Vanessa est décontenancée par le choix de musique, puis songe qu'il ne sert à rien de boire pour oublier qu'on est heureux.
Amore se tourne vers elle, et il y a de la colère dans son regard, mais pas que.
"Je t'avais dit de ne plus chercher à me voir.
-Ne le prends pas personnellement, je n'écoute pas grand monde, apaise Vanessa avec un sourire en coin.
-Notre collaboration est terminée.
-Ah, c'est comme ça que tu appelles ça ?", réplique-t-elle en haussant un sourcil suggestif.
Amora lève les yeux au ciel, et n'a aucune réaction quand Vanessa se penche doucement pour se rapprocher de son oreille, et murmurer :
"Et si j'ai envie de collaborer de nouveau ?"
Elle sait qu'elle a gagné quand une main se glisse sur son genou et qu'Amora se tourne vers elle pour que leurs joues se frôlent.
"Tu n'as plus rien à me donner.
-Tu ne sais pas de quoi l'avenir est fait. Votre entreprise pourrait de nouveau avoir besoin du soutien de la presse.
-Tu joues un jeu dangereux, Vanessa. J'espère que tu es au courant.
-C'est bien ça qui m'attire, chez toi."
Vanessa se recule juste assez pour croiser son regard. Les yeux bleus d'Amora la sondent un long moment, cherchant la vérité. Mais Amora semble décider que Vanessa a plus à perdre qu'elle dans ce pari risqué, puisqu'elle murmure :
"Paye-moi un verre, et on verra."
Vanessa s'exécute sans sourciller, et la soirée s'étire entre menaces et flirts. Elle finit par la ramener chez elle, et lui montrer qu'elle a encore un peu à lui donner.
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Trois semaines plus tard
C'est la fin de la journée, et Loki s'apprête à rentrer chez lui, quand le téléphone de Steve sonne. Le chat, qui dormait sur le bureau de Stark, sursaute et miaule de contrariété.
"Et merde, marmonne Tony depuis son bureau. Tu paries combien qu'on en a pour toute la nuit ?
-Tu me dois une cartouche de clopes si on rentre avant minuit, lance Loki.
-Hey, c'est moi qui parie qu'on rentre au petit matin, pas toi !"
Clint a un bruyant soupir d'exaspération, et devance Stark pour décrocher.
"Brigade criminelle de New York, lieutenant Barton.
-Mac Kenzy, de la Municipale. On a une dame âgée assassinée dans le Roxy Cinema, sur la sixième avenue.
-Assassinée, c'est certain ? fait Clint en regardant sa montre.
-Ce n'est ni une mort naturelle ni un suicide, lieutenant. Je ne suis pas de chez vous, mais je suis sûr de ça.
-Très bien, on arrive alors."
Clint raccroche, et marmonne :
"Fais chier, c'était soirée gaufres avec les gamins, Laura va me tuer si elle doit les prendre à ma place.
-Ça va, Lila ? demande distraitement Loki.
-Ça va, merci. La nouvelle maîtresse sait s'y prendre avec elle, il n'y a plus de souci de ce côté-là. Elle voudrait que tu viennes manger à la maison un jour, tu lui manques. Pas la maîtresse, hein, ma fille."
Loki lève les yeux avec surprise. Être invité à un repas ? Avec des enfants ?
Depuis combien de temps ça ne lui est pas arrivé ?
"Je... suis très occupé.
-Ouais, les parcmètres, les enquêtes, tout ça, je comprends, lui fait Clint avec un clin d'œil.
-Vous allez me parler longtemps des parcmètres ?
-Je blague, le bleu. Bon alors, l'adresse... Pauvre Bruce, il vient juste de partir. Sixième avenue... marmonne-t-il en navigant sur son téléphone du pouce. Ah oui, il est juste à côté, ce cinéma, on y va à pied ?
-Aucun moyen que je débarque là-bas sans gyrophare. Premier crime dans une salle de cinéma de ma carrière, on ne va pas faire les choses à moitié !"
Loki secoue la tête d'exaspération. Stark est intenable quand il s'agit de cinéma.
"En piste, le bleu !
-Surnom, Stark ! le réprimande Loki.
-Très bien, très bien, mes excuses, allons-y !"
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Le Roxy est un minuscule cinéma au sous-sol d'un hôtel en briques rouges, sur une petite place avec une vieille horloge. Ils sont dans leur bon vieux Manhattan, avec les bâtiments de trois quatre étages aux escaliers de secours apparents, et de minuscules cafés et restaurants cachés sous les stores rayés.
Loki mentirait s'il disait ne pas aimer sa ville. Au fond, c'est aussi un peu pour elle qu'il se bat, comme il écraserait entre ses doigts les pucerons sur les tiges des fleurs.
Tony tombe littéralement amoureux du cinéma la minute où ils entrent. Loki peut le voir manger des yeux la décoration, et vibrer avec le lieu tandis qu'il effleure le mur des doigts. Le comptoir fait la taille d'un vide-poche, et les friandises sont alignées dans une vitrine éclairée. Le nom du lieu est affiché en néons bleus sur le même mur de briques rouges, et les affiches de films sont dans des cadres bordés d'ampoules, comme les vieux miroirs de stars.
Loki fixe le sourire en coin du lieutenant d'un air moqueur, et on finit par le remarquer.
"Quelque chose à dire ? le provoque Tony.
-Vous voulez vivre ici, ça crève les yeux.
-Tutoiement, le bleu.
-Tu veux vivre ici, corrige Loki.
-Oui, mais alors je m'habituerais, et la magie disparaîtrait.
-On est ici pour un meurtre, Tony, le rabroue Clint. Cache ton sourire.
-Tu m'en demandes trop, tu as vu cet endroit ?
-Va voir le corps, tu souriras moins."
Le lieutenant soupire, et suit son coéquipier. Loki leur emboîte le pas.
Dans la petite salle en écrin rouge sortie des années quarante, une seule petite personne aux cheveux blancs est assise pile au milieu, et des hommes en uniforme ou en blouse gravitent autour, les yeux creusés et l'expression sinistre.
« Elle a bien choisi sa place", commente Tony en descendant vers l'écran.
En arrivant au niveau de leur victime, il lâche un :
"Ah, bon dieu."
Loki détourne les yeux. La pauvre dame avait été poignardée une demi-douzaine de fois, et fixait l'écran de ses yeux bleu délavé. Le sang avait coulé sur plusieurs rangées, et éclaboussé sur les sièges d'à côté. La robe à fleurs avait probablement été bleu ciel, avant.
"Qui fait ça à une petite vieille, sérieusement, râle le lieutenant. Dans un cinéma, en plus.
-Ça va, Tony, ce n'est pas une cathédrale, non plus, rabroue Clint.
-Bien sûr que si. Pour moi, c'est un sacrilège bien plus grave que le meurtre au temple bouddhiste.
-Tu peux respecter un peu notre victime, là ? On s'en fout, que ce soit dans un cinéma !
-Je suis sûr qu'on ne s'en fout pas. Sinon on ne l'aurait pas trouvée là. Elle aimait profondément le cinéma, elle venait voir une rétrospective de Vol au-dessus d'un nid de coucou. J'ai pas raison, Mac Kenzy ?
-C'est exact, répond le policier qui leur a téléphoné. C'est ça qui passait.
-Mais nan, pas le film, qu'elle aimait le cinéma.
-Je... ne sais pas."
Tony lève les yeux au ciel, visiblement déçu du manque de projection de leur collègue de la Municipale.
"Quels sont les faits, officier ? s'enquiert Clint.
-C'est le projectionniste qui a découvert le corps, il est dans le hall de l'hôtel. Il nous a dit qu'à la fin de la séance, tout le monde a commencé à se lever et partir, sauf la dame. Il a quitté sa salle de projection pour vérifier que la salle était vide pour la prochaine séance, et quand il est entré, il l'a trouvée comme ça.
-Donc elle aurait été tuée dans l'intervalle de l'absence du projectionniste, et pas pendant la séance ?
-Sinon les autres spectateurs l'auraient vue dans cet état quand les lumières se sont rallumées.
-Oui, sûrement. Cela fait court pour un meurtre, combien de temps il a mis pour arriver ?
-Il nous a dit qu'il devait faire un détour parce que le chemin direct sert de remise, et qu'il est trop encombré pour passer, donc peut-être deux minutes, explique l'officier en relisant ses notes.
-Donc le meurtrier était un des spectateurs, et c'était prémédité. Vous en avez retenu quelques-uns avant qu'ils ne sortent ?
-Le temps qu'on n'arrive, il n'y avait plus personne."
Clint prend des notes sur son téléphone, et Loki peut voir à sa tête qu'ils vont effectivement en avoir pour toute la nuit.
"On est bien contents de vous refiler l'affaire, souffle Mac Kenzy, on n'avait pas envie d'avoir ces photos-là au poste pendant des jours.
-De rien, grommelle agressivement Tony.
-Bon, on vous laisse, bon courage.
-Putain", marmonne tout bas le lieutenant.
Il inspire profondément, et s'approche du corps.
"J'ai un collier de perles qui a l'air cher, là, Clint, lance-t-il après quelques secondes, ce n'était pas pour un vol.
-Prémédité et personnel, donc. Il va falloir fouiller dans son entourage. Tu as des papiers sur elle ?
-Rien. Dans son sac, il n'y a que six paquets de mouchoirs, un chapelet, et des tas de tickets de caisse. Pourquoi les gens n'ont pas des plaques, des bracelets, des puces, je n'en sais rien moi !
-On n'est pas dans un film, Tony, le rabroue Loki.
-Bonsoir messieurs", les salue Bruce en arrivant, les yeux fatigués.
Son assistant, le docteur Parker, lui, étonne tout le monde par sa bonne mine.
"Tu as l'air en forme, gamin.
-C'est que j'étais en soirée quand le docteur Banner m'a appelé, explique-t-il, donc je suis assez énergique.
-Vodka Red Bull, hein ?"
Le stagiaire a un sourire gêné, et le docteur soupire :
"Ne touche à rien, surtout.
-Qu'est-ce que c'était, le film ? demande le stagiaire.
-Vol au-dessus d'un nid de coucou, l'informe Tony avec une déférence dans son ton.
-Je ne connais pas, c'est sorti récemment ?"
Stark fait une large grimace, et Clint étouffe un rire.
"Les jeunes, de nos jours », marmonne Tony en reprenant son examen de la victime.
Loki s'approche, et commence à prendre ses photos.
"Ça parle de quoi, le film ? Reprend Peter pour s'excuser.
-De la fine frontière entre l'héroïsme et la folie, et du coût de la liberté.
-Je ne l'ai jamais vu, il a l'air intéressant, avoue Loki en sachant très bien que Tony va exploser.
-Il ne va pas y avoir qu'une seule personne de plus dans les tiroirs de la morgue ce soir, c'est moi qui vous le dis ! Clint, tu l'as vu, toi, au moins ?
-Quand j'étais ado, je crois, je n'en ai aucun souvenir.
-Je me barre, je vais interroger le projectionniste. Je vous déteste, » précise-t-il avant de sortir.
Loki sourit discrètement, puis sort à sa suite pour écouter l'entretien.
Le temps qu'il le rejoigne, Stark a déjà trouvé le projectionniste, et sorti son carnet rouge et or pour prendre des notes.
"Vous la connaissiez ?
-Oui, elle venait tous les mardis soirs. Je l'aimais bien, elle restait souvent discuter de la séance après. J'avais envie de rentrer, donc j'abrégeais du mieux que je pouvais, mais parfois, on a eu des discussions intéressantes. La pauvre... Qui a pu lui faire ça ? Vous avez vu, c'est horrible. Enfin, j'imagine que vous êtes habitués...
-Les vieilles dames à la Crim', ce n'est pas souvent, concède Tony. Vous avez son nom, par hasard ?
-Pas du tout, désolé."
Le projectionniste jette un œil par-dessus l'épaule de Tony, et le lieutenant se retourne. Un homme en costard arrive à leur niveau. Il a les cheveux gris savamment coiffés sur le côté, des yeux verts un peu voilés, et des pattes d'oie sur les tempes qui lui donnent un air aimable. Son costume est assez chic selon Loki, mais il n'a mis ni nœud papillon ni cravate.
-Vous allez mieux, James ? Demande-t-il à leur témoin qui hoche la tête en réponse. Bonjour messieurs, fait-il en tendant la main. Je suis le directeur de ce cinéma, monsieur Grant.
-Enchanté, monsieur Grant, fait Stark en lui serrant la main. Votre cinéma est magnifique.
-Merci.
-Vous passez souvent de vieux films ?
-Tony, le rappelle à l'ordre Loki.
-Vous connaissez l'identité de la victime ? Se rattrape le lieutenant.
-Non, je regrette. Je ne connais pas les clients du cinéma. Demandez plutôt au guichetier, il saura peut-être. De ce que m'a dit James, c'était une habituée.
-Oui, elle allait à beaucoup de rétrospectives.
-Avez-vous remarqué quelque chose de suspect dans votre cinéma ces derniers temps, enchaîne Tony, un homme louche, une dispute ?
-Rien. Je vous avoue m'occuper surtout de la partie administrative et financière, mais je n'ai rien entendu de suspect ces derniers jours ou semaines. Et vous, James ?
-Rien, monsieur.
-Bien, laisse tomber Tony. Restez en ville, et appelez-nous si quelque chose vous revient, ou si vous trouvez un indice, le portefeuille dans une poubelle, par exemple.
-Comptez sur nous, messieurs."
Le directeur raccompagne son employé, et le lieutenant les regarde partir. Il sort son petit carnet, coche une croix devant les mots "projectionniste" et "directeur", puis relit ses notes.
"Vol au-dessus d'un nid de coucou, marmonne Tony. La pauvre, quand même.
-Donc le film est à ajouter à notre liste ?
-Je ne sais pas, il tranche avec ceux qu'on a déjà vus. Il est beaucoup plus sombre.
-Jusqu'ici, nous n'avons regardé que des films d'amour et des comédies musicales, Stark.
-Prénom, le bleu. Mais tu as raison, et je me demande bien pourquoi."
Loki le fixe, un peu hébété. Quoi ?
"Pourquoi vous dites ça ?
-Non, rien, ce film est juste très différent des deux qu'on a regardés. Et tutoiement, le bleu, insiste-t-il."
Loki ne retrouve pas la parole, se demandant effectivement pourquoi ont-ils regardé ce genre de films, et pourquoi a-t-il regardé les deux films préférés de sa mère avec Stark.
"Maintenant que j'y pense, reprend le lieutenant sans relever le trouble de Loki, ce film me rappelle ton Lorenzaccio. Le personnage de Jack Nicholson se fait passer pour fou pour éviter la prison, et ça lui coûte la raison. Un peu comme ton Lorenzo se fait passer pour une ordure, et est absolument anéanti d'en être finalement devenue une."
Loki secoue la tête. Ne pas se laisser déconcentrer. Ne pas se laisser atteindre. Garder une expression impassible. Continuer la conversation.
"C'est vrai. Lorenzo parle d'un romain dans la pièce, Brutus, je crois. Pas celui qui a tué son père, un autre. Il s'est fait passer pour fou lui aussi, et a fini par le devenir. Lui ne voulait pas éviter la prison, mais tuer un violeur et un tyran.
-Au fond, ça rassurait Lorenzo de s'identifier à un modèle. Le garder en tête lui permettait de garder le cap malgré les horreurs que sa mission impliquait qu'il fasse."
Loki cligne des yeux. S'identifier à un modèle pour garder le cap. Pour finir la mission, quoiqu'il en coûte. Ils doivent changer de conversation immédiatement.
"Ah. Peut-être. Nous devrions revenir à l'enquête, je ne suis pas sûr que parler littérature nous aide à trouver le coupable.
-On ne sait jamais les chemins détournés que prennent nos idées pour se faire comprendre, fredonne Tony. Mais tu as raison, revenons à l'enquête.
-Je vais interroger les clients de l'hôtel encore là, savoir s'ils ont vu quelqu'un sortir.
-Très bien, tu sais où nous trouver."
Quand Stark n'est plus en vue, Loki s'impose quelques exercices de respiration, en ayant terriblement besoin d'une cigarette. Tout cela sent très mauvais, et il ne pense pas à l'odeur de sang qui imprègne la salle de cinéma.
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Quatre heures plus tôt
Evelyn Evans, soixante-dix neuf ans, descendait avec précautions les marches de moquette rouge. Le projectionniste voulait parfois l'aider quand ils se croisaient au guichet, mais elle refusait son aide avec patience et politesse, se retenant de dire qu'elle n'était pas un vieux débris qu'on devait porter.
Elle secoua la tête. Elle n'aimait pas râler. Il lui semblait que plus le temps passait, plus elle était prompte à râler, pester, et même sortir un vieux juron coloré de son père. Elle qui regardait avec mépris les vieux cons aigris quand elle avait dix-huit ans, arrivée au même âge qu'eux, elle n'était pas capable de faire mieux.
Enfin. Rien de tel que le vieux cinéma pour retrouver l'émerveillement et la bienveillance de la jeunesse.
Elle allait beaucoup pleurer ce soir. Heureusement, elle avait pris quelques paquets de mouchoirs.
Elle prit place avec dix minutes d'avance, comme d'habitude. Ailleurs qu'au cinéma, elle détestait attendre. Mais ici, elle se préparait, le suspense montait, et le plaisir n'en était que plus grand. Le seul avantage de l'âge, était que la mémoire se faisait moins bonne, et ainsi, elle pouvait regarder les mêmes films plus souvent, en redécouvrant à chaque fois un détail, ou une réplique qu'elle avait oubliée.
Les lumières baissèrent doucement, et son sourire s'agrandit. Les trois écrans noir et blanc du décompte défilèrent, et la séance commença.
Vers le milieu du film, elle sentit quelqu'un venir s'asseoir près d'elle. Elle se tourna vers lui, lui sourit, et lui prit la main. Il la lui caressa du pouce, puis posa sa main sur son genou.
Ils restèrent ainsi tout le film, et quand elle commença à verser des larmes vers la fin, il les lui essuya du doigt.
Lorsque les lumières se rallumèrent, elle resta avec son visage trempé de larmes tandis que les rares autres spectateurs se rhabillaient et quittaient la salle. Elle tourna la tête vers son voisin, et dit en lui souriant :
"Il est toujours aussi bien, non ?"
Il la regarda un instant, puis sortit un couteau de boucher. Sans dire un mot, il le leva, et l'abattit à multiples reprises. Elle cria de surprise, de douleur et d'incompréhension. La douleur était atroce, et elle tentait de se défendre dans une angoisse affreuse. Lui revint tout à coup en mémoire les derniers réflexes de survie de Jack Nicholson alors qu'il se faisait étrangler.
Stupide, stupide, stupide. Comment avait-elle pu être aussi stupide ?
Elle avait mérité ça, pour avoir été aussi naïve.
Celui qui la tuait finit par arrêter de percer sa peau de son couteau, fouilla son sac pour prendre son portefeuille, et s'en alla par la sortie de secours.
Evelyn Evans resta assise dans son fauteuil, souffrant terriblement, tentant en vain de respirer.
La dernière ligne du générique disparut en haut de l'écran, et ce fut également la dernière chose qu'elle vit.
Le projectionniste entra dans la salle quelques secondes plus tard, s'approcha en croyant qu'elle s'était endormie, et recula dans un sursaut de frayeur.
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J'espère que ce début d'enquête vous a plu et que vous vous portez bien. A bientôt pour la suite !
