Bonjour ! J'espère que vous vous portez bien. Un chapitre court aujourd'hui, mais avec quelques réponses à de vieilles questions. Bonne lecture !
I Can See Clearly Now – Jimmy Cliff
Rar : Ilona
Merci beaucoup pour ta review ! J'espère que ce chapitre spécial va te plaire !
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Il est dix-huit heures, et Clint a l'impression de devenir fou. Il a pourtant bien précisé que ce mandat était extrêmement urgent, mais personne ne semble en avoir rien à faire, il n'a toujours rien pour l'autoriser à récupérer ce fichu testament, et il doit aller chercher les petits à l'étude du soir.
"Vas-y, Clint, c'est un ordre, assène Tony en lui tendant sa veste. Je t'appelle si on a du nouveau avant demain.
-Fais chier, répète-t-il pour la cinquième fois de la journée, j'ai pourtant précisé que c'était urgent, et personne ne s'est sorti les doigts du cul !
-Langage, lance distraitement Steve de l'autre côté du bureau.
-On aura ce testament demain à la première heure, et avec ce testament, on aura l'assassin.
-Et si c'était un simple vol ? Elle n'avait plus ses clefs sur elle, peut-être qu'une connaissance a piqué le pactole sous son lit et on n'a aucun moyen de le savoir. Et si on perdait du temps depuis le début ?
-Alors pourquoi les Cardenas auraient-ils fait un faux témoignage ? Ecoute, s'il n'y a personne d'autre qu'eux sur le testament à part leur fils, ce sont eux les coupables. Sinon, on creuse, et c'est sûrement cette quatrième personne.
-Et si c'était le fils ?
-Alors c'est un putain de bon acteur, parce que Loki le pense sincère malgré qu'il vous ait servi le grand jeu, et je comprends le bleu, parce qu'il m'a vidé la boîte de mouchoirs et détruit le moral.
-Ça va aller ? s'enquiert le jeune lieutenant.
-Oui, ça va aller. Je vais transférer les appels du bureau sur mon portable au cas où, et me faire une soirée tranquille avec un vieux film. Ne t'en fais pas."
Tony doit encore le rassurer et faire des clins d'œil pendant deux minutes avant que Clint ne parte pour de bon. Une fois le père de famille envoyé chercher ses gosses, Tony se dirige vers le bureau de son bleu. Celui-ci est planté devant le panneau blanc de Clint, ses yeux allant d'un élément à l'autre, tentant probablement de déceler quelque chose leur ayant échappé.
"Rentre chez toi, Loki, commande-t-il.
-Ce n'est pas eux, Tony. Ce n'est pas eux, et pourtant, je sens qu'on ne va pas arriver à les sortir de là.
-Mais si.
-Non, il ne nous reste pas beaucoup de temps.
-Ça a l'air de t'affecter", note le lieutenant.
Le bleu souffle par le nez, et baisse le menton. Il le garde un long moment contre sa poitrine, et finit par marmonner :
"Je hais ce sentiment d'impuissance. Je suis justement entré chez vous pour ne plus sentir ça.
-Je sais."
Tony s'appuie sur le bureau de Loki, hésite un instant, puis comme son bleu ne détourne pas le regard des photos du corps d'Evelyn, lance :
"Ça te dit, une soirée tranquille ?
-Vous n'y arriverez pas.
-Tutoiement, le bleu. Et tu paries combien ?
-Je ne crois pas qu'on ait sous les yeux le même merdier.
-Allez, prends ta veste.
-Où voulez-vous... veux-tu aller ? Se reprend-il comme son formateur fronce les sourcils. Chez Rosie ?
-C'est une surprise, fait Tony dans un clin d'œil. Tu me fais confiance ?"
Loki soupire par le nez. Stark lui demande s'il lui fait confiance. C'est le bouquet. Comme si Tony pouvait le trahir, lui, en lui avouant lui mentir depuis huit mois, ou en lui tirant une balle dans la tête.
Il le regarde un instant, puis quelque chose le fait céder, et il marmonne :
"Oui, je te fais confiance.
-Alors tais-toi et viens."
Ils roulent dans le soir sur la nationale. Loki s'est vaguement demandé où on l'emmenait, puis a arrêté. C'est Jimmy Cliff qui passe à la radio, et il dit que maintenant que la pluie est partie, il peut voir que cela va être une belle journée ensoleillée.
Par sa fenêtre, Loki peut voir le soleil se coucher. Sans doute qu'il est encore haut dans le ciel de Californie. Il souffle discrètement par le nez, se demandant encore une fois s'il ne devrait pas partir sur sa moto plein ouest, et ne jamais revenir.
Le perpétuel ronronnement du bitume défilant sous les roues l'apaise, comme si la voiture de Tony était un chat que la route caresse. Son collègue fredonne la chanson, et bat la mesure sur le volant avec son pouce.
Loki se demande s'il est bien prudent de s'éloigner autant de New York, et de ne pas pouvoir répondre présent si quelqu'un de la mafia l'appelle. Il tient encore cinq minutes, puis demande :
"C'est encore loin, votre surprise ?
-Prochaine sortie, le bleu."
Ils roulent au milieu de nulle part pendant une vingtaine de kilomètres. Ils traversent de petites villes qui sont de plus en plus petites, et de moins en moins éclairées. Loki songe que ce serait un endroit parfait pour se débarrasser d'un témoin gênant, et se déteste d'avoir pensé ça.
Il comprend en sortant de la voiture, et en sentant l'air frais et salé sur son visage. Stark l'a emmené à la mer.
Il respire profondément, et est presque étonné de ne pas sentir le goudron ou les gaz d'échappement.
C'était une bonne idée de quitter New York.
Tony sort de son coffre une bouteille de whisky, un briquet et une couverture.
Ils descendent sur une petite plage déserte au sable gris, près d'un phare blanc allumé. Ils ramassent du bois dans les hautes herbes, et allument un feu pour les protéger de l'humidité froide de la nuit qui tombe. Ils restent assis devant, à regarder les vagues et les flammes.
Une heure passe, et puis Tony souffle soudain :
« Après un court séjour à la Municipale pour formation, comme j'étais major de promo, je suis directement entré à la brigade antigang."
Loki est un peu surpris, mais ne dit rien, pour ne pas que Tony ne change d'avis.
"Mon formateur s'appelait Obadiah Stane. On a tout de suite sympathisé, on faisait les tournées des bras ensemble, il me couvrait quand j'avais la gueule de bois ou que j'étais en retard. Mon objectif était la Crim', mais j'étais tellement bien dans l'équipe et avec Obby, que j'ai laissé de côté ma mutation."
Tony lève sa bouteille, boit quelques gorgées, et la repose pour continuer.
"Une nuit, on était tous en place pour une opération. On nous avait signalé une arrivée de trafic humain en provenance de Russie sur les docks, avec numéro du container, et nombre de mafieux présents. Obby avait tout préparé, tout devait bien se passer."
Loki sent l'embrouille.
"On encercle tout ce petit monde, on les arrête, et comme on entend des voix effrayées à l'intérieur, on se dépêche d'ouvrir le container."
Stark est obligé de reprendre une gorgée avant de continuer.
"On aurait dû prendre un interprète russe avec nous. Je pense qu'elles savaient, et qu'elles ont essayé de nous prévenir. Mais bien sûr, Obby n'avait pas demandé d'interprète."
Il fait tourner un instant le whisky dans la bouteille. Le feu crée des reflets d'ambre dans le verre, donnant l'impression qu'une lumière se cache au fond de l'alcool.
"La porte du container était piégé à la bombe artisanale, finit par continuer Tony. Une sacrément costaud. J'étais en retrait pour assurer nos arrières, c'est ce qui m'a sauvé. On a perdu cinq flics, et une dizaine de filles. Je te dis ça, mais à vrai dire, je n'en sais rien, ils n'ont jamais su le compte exact, c'était une vraie boucherie. »
Loki se souvenait de cette histoire. Viktor lui avait un jour raconté qu'une petite dizaine d'années auparavant, l'antigang s'était approché de son trafic, et qu'il avait sacrifié un chargement et son ripou pour sauver son business. Il semblait à Loki qu'il voulait alors lui expliquer qu'une institution pouvait tenir longtemps, pour peu qu'on soit prêt à sacrifier des pions pour sauver le roi. Loki était bien sûr à compter dans les pions. Ou le fou, à la rigueur.
Il se reconcentre sur Tony, qui finit par arrêter de fixer les flammes, et continuer son récit.
"Un collègue et très bon ami, Rhodes, n'a plus jamais remarché à cause de cet accident. Et moi, ben, moi… j'ai eu du scharpnel partout et j'en ai encore un peu qui se trainent par-ci par-là, qu'ils n'ont pas pu enlever. Si je fais trop d'efforts, un peut se déplacer, aller dans un vaisseau sanguin, et se balader dans le cœur. Peut-être que je me trouve des excuses, mais je n'ai pas cherché à me faire des attaches après ça."
Loki baisse les yeux sur la chemise de Tony, et sur les cicatrices dessous qu'il a déjà vues. Il se dit que c'est en effet une bonne raison pour être alcoolique.
"Voilà. Tu voulais savoir."
Stark a été sincère. Loki n'a plus de raison de garder le silence. Il ne peut plus reculer. Au fond, il a envie que son formateur en sache plus, alors il lui donne autant qu'il peut lui en donner. A voix basse, il avoue :
"Un jour, en Irak, j'ai dû tuer un indépendantiste. On l'avait torturé plusieurs jours, et ça n'avait pas donné grand chose. On ne pouvait pas prendre le risque de le garder en vie plus longtemps, il en savait trop. J'étais le dernier arrivé, on m'a chargé de le faire. Juste avant que je ne lui mette une balle dans la tête, il m'a regardé. Il n'était pas suppliant, il ne pleurait pas. Il s'est contenté de me fixer."
Il inspire doucement, et regarde le feu à son tour. Il déteste revivre ce moment. Les yeux bleus, francs et froids, plantés dans les siens. La détonation. Son corps qui tremblait convulsivement. Les rires et les moqueries après ce moment intolérable.
Une branche craque sous la chaleur, et il se force à continuer :
"J'ai tiré, j'ai été bouleversé, et j'en ai pleuré. Ils m'ont charrié avec ça jusqu'à la fin, en m'appelant "poussière- dans-l 'œil". Et maintenant, je vois ses yeux presque chaque nuit depuis que je suis rentré.
-Je suis désolé, Loki, souffle doucement le lieutenant après quelques instants.
-C'est moi qui suis désolé, murmure-t-il. Pour lui, et un peu pour moi. Je n'aurais pas dû aller jusque-là pour une mission. Il y a des limites à ne jamais franchir, ou on est tâché à tout jamais, et on ne peut jamais revenir en arrière. Un peu comme dans Lorenzaccio.
-L'enfer est pavé de bonnes intentions.
-Comment tuer quelqu'un peut-il partir d'une bonne intention ?
-Je ne sais pas, comme dans Vol au Dessus d'un Nid de Coucou… Tu verras, quand on le regardera ensemble, se rattrape-t-il avant de raconter la fin du film. Ou alors... marmonne-t-il en réfléchissant à un autre exemple. Tu te souviens de mon amie Pepper ? La journaliste blonde que tu as vue une fois, elle venait parler à la mère de Simon. J'ai tiqué quand tu as blagué qu'elle était soupçonnée de meurtre. C'est parce qu'après l'explosion, Obby avait su que j'avais deviné qu'il était pourri, et alors que je venais de me réveiller du coma, il est venu finir le boulot à l'hôpital. Elle était là, et elle l'a tué. Les gars l'ont couverte pour qu'on règle l'affaire en interne. Elle m'a sauvé la vie."
Loki est sincèrement surpris par la révélation, et d'avoir la réponse à la question qu'il s'était posée ce jour-là. Il n'aurait pas pensé cette femme mince et élégante capable de meurtre.
"Je crois qu'on est prêt à aller très loin quand on a décidé de protéger quelqu'un ou quelque chose, explique Tony à sa façon. Le procès qu'on te fait ensuite ne cherche qu'à déterminer si le mal causé valait le bien apporté, ou bien non. En tout cas, c'est ma vision des choses. »
Loki se sent fragilisé par leur conversation, et décide de ne plus rien dire. Il contemple la fumée de sa cigarette, laissant ses pensées se déchaîner.
Est-ce que faire tomber la mafia vaut la peine de mettre en danger ses nouveaux collègues ?
Est-ce que Thanos en vaut la peine ?
Est-ce que Tony en vaut la peine ?
Au fond, qu'est-ce qui en vaut la peine ?
Qu'est-ce qui, au bout du compte, le rendra fou ? D'avoir laissé Thanos s'en sortir, ou de n'avoir pu protéger les personnes qui comptent ?
Est-ce qu'une vie qui compte un peu plus pour lui vaut la destruction de celles de dizaines d'inconnus ?
Il est perdu.
"Ça va ? lui demande Tony en lui jetant un œil.
-Ça va, souffle-t-il. Ça remue des choses.
-Oui, moi aussi. Mais je suis content de t'en avoir parlé."
Il lui tend la bouteille de whisky, et Loki l'accepte en broyant du noir. Ils picolent en silence pendant plusieurs minutes, avant que Tony dise :
"Allez. Si on n'a pas crevé de froid ou de lumbago dans ma bagnole, demain, on trouve le fils de pute qui a planté Evelyn.
-Oui," souffle l'infiltré en étant un peu apaisé par cette promesse.
Ils passent toute la nuit à boire, discuter, remuer les souvenirs, et écouter les vagues.
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"Songes-tu que ce meurtre, c'est tout ce qui reste de ma vertu ?"
Lorenzo, Acte III, Scène 3, Lorenzaccio
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