J'espère que vous vous portez bien. Je vous laisse avec le dernier chapitre de cette histoire qui sera suivi d'un court épilogue. Merci et bonne lecture !

"Tout ce que j'ai à voir, moi, c'est que je suis perdu, et que les hommes n'en profiteront pas plus qu'ils ne me comprendront. "

Lorenzo, Acte III Scène 3, Lorenzaccio, Alfred de Musset

Twenty One Pilots – « The Judge »

Leonard Cohen – « You Want It Darker"

Bastille – « Requiem for Blue Jeans"

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Le FBI informe les médias de l'évènement en milieu de soirée, et ils ne dorment pas la nuit non plus. Le lendemain, les journaux, télés et sites n'ont qu'un titre tournant en boucle : le directeur d'une large chaîne de centre commerciaux et également candidat en-tête des élections municipales de New York n'est autre que le dirigeant d'un massif trafic illicite international.

L'avocat que lui a attribué Maria lui rend visite dans sa chambre d'hôpital dès huit heures du matin. Loki reconnaît Matt Murdock, l'avocat non-voyant ayant acquis une petite renommée durant l'affaire Fisk quelques années plus tôt. Il est en effet le meilleur candidat pour comprendre et défendre les implications grises et douteuses que nécessite le démantèlement d'une organisation criminelle urbaine. Une fois les banalités échangées, Loki constate rapidement qu'il connait déjà tout de sa situation, et il soupçonne Maria d'avoir confié son cas à l'avocat depuis que Loki et elle sont en contact.

Maître Murdock compte beaucoup sur les vidéos que le commissaire Fury a laissées pour faire pencher les membres du jury de son côté. Devant sa stupéfaction, l'avocat les lui montre, et Loki sent sa gorge se serrer un peu en découvrant l'homme qui lui a demandé de l'abattre expliquer les raisons de leur décision. Devinant son émotion, Matt Murdock coupe la vidéo et change de sujet, annonçant que Maria Hill va témoigner également pour construire leur ligne de défense sur l'agent double repentant. Avec cela, sa peine potentielle d'emprisonnement oscille entre trois et trente selon l'évolution de l'opinion publique à son égard.

Trois et trente ans.

Bizarrement, c'est le visage de Tony que Loki voit à ce moment-là. Avec la quantité d'alcool ingérée inversement proportionnelle à sa qualité de sommeil, Tony ne sera plus là dans trente ans.

Dépassé par les conséquences de ses actes, Loki doit mettre fin à leur entrevue et commence à tourner en rond dans sa chambre comme un lion en cage.

Maria revient et lui dit de se reposer, mais il en est incapable, il garde ses yeux ouverts à fixer le plafond. Il doit être encore en redescente, car la kétamine lui murmure qu'il est trop tard, qu'il n'aurait jamais dû entreprendre tout cela, et qu'il va mourir en prison.

Deux jours plus tard, il est transféré en détention provisoire avec une prescription de méthadone, d'antidouleurs et d'anxiolytiques. Ils s'installent dans un quartier haute sécurité, et ce sont des hommes de confiance de Maria qui montent la garde devant sa porte. Malgré cette précaution et son traitement, Loki est tout de même submergé de crises de panique et d'insomnies terrifiées, imaginant chaque nuit un gardien s'introduire dans sa cellule et maquiller son meurtre en pendaison.

Sous la pression publique et gouvernementale, le procès débute dix jours plus tard, et il est transféré au tribunal en fourgon blindé. En arrivant dans la salle d'audience, il balaie prudemment des yeux le public. Son frère est au premier rang, droit et inquiet, ainsi que Natasha et Tony. Natasha lui fait un petit salut militaire, et Tony a les bras croisés. Ils se fixent un instant, tentant de lire les regards de l'autre, puis Loki détourne les yeux pour ne pas trembler. Son avocat lui pose une main réconfortante sur l'épaule, et la juge frappe le bureau de son marteau.

Les heures passent avec une lenteur douloureuse, le procureur crachant les pires horreurs à son sujet. Il déterre le passé de ses parents biologiques, et son père est éclaboussé par le scandale. Malgré les journalistes campant devant l'hôtel de ville, le maire sortant rappelle qu'il a renié son fils il y a des années, et qu'il se refusera à tout commentaire. Le lendemain, après le visionnage des vidéos laissées par Fury, le procureur remet en question leur authenticité, et ce point seul sera débattu durant deux semaines.

Le procès de ses anciens « collègues » se joue en parallèle, et Loki se surprend à glaner toutes les infos qu'il peut entendre sur leur déroulement. Son avocat travaille sur son affaire la nuit, écoute les audiences le jour, et a la patience de les lui raconter durant leurs entretiens en prison. Viktor a été extradé vers l'Est, où il encourt la peine capitale. Le procès de Thanos est très incertain, mais plus la balance penche en sa défaveur, plus les témoignages fusent, et alourdissent la peine imposée par le procureur. Elle finit par atteindre la perpétuité.

Un soir, le maître Murdock lui raconte un tournant dans le procès d'Amora, en prenant son temps et n'en omettant aucun détail. A la dernière séance, l'avocat de la mafieuse a montré une vidéo qu'elle avait gardé en lieu sûr pendant plusieurs mois, dans le but de prouver sa bonne foi si l'organisation était fragilisée. On y voit Andrès, le vendeur de chimichangas, posant son téléphone dans un coin de son magasin pour filmer discrètement, puis aller ouvrir la porte. Une femme blonde aux gestes saccadés entre, et lui demande le montant du forfait protection du mois.

"Vous allez me laisser tranquille, lui chuchote Andrès. Je sais qui est votre patron.

-Ah oui ? s'enquiert Amora.

- C'est le directeur de cette grande chaîne de magasins qui veut se présenter aux municipales. Je connais quelqu'un qui travaille pour vous, et il a vu son visage.

-Si tu parles de Ramirez, il est mort hier soir. Le patron l'a tué à coup de portière."

Andrès se pétrifie, et Amora sort une arme équipée d'un silencieux.

Toute l'audience du procès relève les épaules dans un sursaut de peur, mais la mafieuse lui ordonne de ne pas bouger avant de sortir de son champ de vision. Andrès se penche pour la surveiller, portant un autre téléphone à son oreille. On entend le bruit très étouffé de six coups de feu, et Andrès pose le téléphone avec précipitation. Amora revient quelques secondes plus tard, parlant de manière agitée.

"Ecoute-moi bien, Andrès. Je viens d'aller simuler ta mort dans ta chambre froide. Si tu acceptes de témoigner contre lui, je te mets en contact avec le FBI, et ils te mettent sous protection. J'ai un contact à la Crim' qui peut tout couvrir. Mais il faut que tu sois prêt à...

Elle se prend tout à coup la tête dans les mains et tourne un peu sur elle-même.

"Non, trop risqué, trop...

-Madame... tente Andrès en tendant le bras vers elle."

Elle recharge son arme avec des gestes saccadés, et lui tire six balles dans le ventre. L'audience pousse un cri unanime, et un grand silence s'installe dans la salle d'audience. Sur les images, Amora enjambe le corps et va derrière le comptoir, tapant sur le clavier. Elle se redresse au bout de quelques instants, et fait le chemin inverse. Ce faisant, son regard accroche tout à coup la caméra, et elle s'approche d'eux. Sa main obstrue la caméra, et la vidéo se termine.

Le choc se dissipe, et l'avocat d'Amora se lève pour la questionner. Après lui avoir demandé de dire la vérité et de confirmer ce qu'ils venaient de voir, il lui demande :

"Ce que vous faites sur l'ordinateur, c'est couper un fragment de la vidéo de surveillance.

-Oui, souffle-t-elle.

-Dans le rapport d'enquête, les policiers témoignent du fait que l'on vous voit tuer la victime sur la vidéo de surveillance. Pourquoi ne pas avoir supprimé ce passage ?

-Nos hommes à l'Antigang allaient vérifier que j'avais bien tué Andrès, puis étouffer l'affaire sans que je ne sois mise en danger. C'était leur rôle. Par contre, ce que je devais à tout prix supprimer, c'étaient les preuves de ma volonté de doubler la mafia, donc notre conversation. Si je n'avais pas remarqué et récupéré ce téléphone, et que mon patron avait vu ces images, je serais morte depuis longtemps."

Malgré tous les risques, elle a gardé cette vidéo. C'est donc qu'elle a un jour voulu se ranger. Elle travaillait déjà avec Vanessa, à l'époque.

Loki est stupéfait par ces révélations. Il brûle d'avoir une conversation avec Amora, mais leurs procès sont distincts et leurs prisons très éloignées. Amora encourant elle aussi la perpétuité, il finit par se résigner à ne probablement jamais savoir.

A part pour leur témoignage, Tony et Darcy viennent souvent. Natasha trois fois, Steve deux.

Clint, de manière prévisible, ne vient pas une seule fois.

Après des mois de débats, de rebondissements et de désespoir, le verdict tombe.

Loki plante nerveusement ses ongles dans ses mains, se refusant de regarder Tony, dont il sent pourtant les yeux tenter de lui percer un trou dans la nuque. Une goutte de sueur roule le long de son dos, et la juge prononce enfin :

"Vous êtes condamné à trois ans de réclusion ferme."

Eh bien. Son avocat est décidément très bon.

Ce n'est pas cher payé pour tout ce qu'il avait fait.

Il lève la tête vers l'audience en cherchant la réaction des personnes présentes. Si Thor a l'air soulagé que ce ne soit pas trente ans, Tony, lui, a un regard de désespoir.

Loki détourne les yeux pour ne pas souffrir, serre la main de Matt, et laisse les gardiens l'entraîner vers le convoi pénitentiaire.

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Son transfert est un véritable enfer. Son procès ayant duré plusieurs mois, la plupart de ceux qu'il a fait enfermer sont déjà là. Le premier jour, il ne passe pas une heure sans qu'une bagarre se déclenche, et qu'il soit mis à l'isolement avec deux côtes cassées. Il sort trois jours plus tard, et la chasse recommence. Quelques gardes ayant perdu leurs revenus complémentaires par sa faute s'arrangent pour le laisser plus longtemps lorsque les choses tournent mal.

Maria vient le voir une fois par semaine, son frère deux. Loki se refuse de penser à l'absence de Tony et à ce qu'elle signifie, mais il ne peut pas s'en empêcher.

Constamment douloureux et sans morphine, il ne réalise que plus vivement à quel point il est seul.

Il ne va pas bien.

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Tony ne veut pas aller voir Loki. Il ne veut pas être un policier allant visiter un tueur de flics en prison.

Et plus que tout, il ne veut pas affronter la réalité qu'il ne sortira pas de ce trou avant trois longues années.

C'est encore une nuit de fin d'été où il boit comme un trou sans fond lorsque son téléphone se met à sonner. Le fantôme de Vanessa grommelle qu'on ne peut pas boire tranquille ici, et reprend une gorgée de whisky. Tony raccroche d'un geste, et tente de faire la même chose, mais sa bouteille à lui est vide. Son téléphone sonne de nouveau, et il l'approche de ses yeux flous d'un geste agacé. L'identifiant du FBI s'affiche sur son écran, et il le fixe quelques secondes. Le fantôme d'Andrès lui lance en espagnol que ça a l'air important et qu'il devrait décrocher, alors il soupire longuement, et décroche.

"Ce n'est pas trop tôt, Stark."

Tony reconnait sa voix pour l'avoir beaucoup entendue au procès.

"Qu'est-ce-vous m'voulez, Hill, marmonne-t-il avec difficulté.

-Je m'inquiète, il ne va pas bien là-bas. Il a rendu un grand service à la ville, alors demain, vous allez bouger votre cul et aller le voir. Compris ? De toute façon, si vous ne le faites pas, je m'arrange pour vous coller au stationnement jusqu'à la fin de votre carrière. Bonne soirée, ponctue-t-elle d'un ton sec."

Tony éloigne son téléphone de son oreille, et constate de nouveau avec dépit qu'il n'a vraiment plus d'alcool.

Et merde, tiens.

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Une après-midi de fin août, on vient le chercher pour l'emmener au parloir. Loki reste stoppé à l'entrée, fixant le visiteur. Il reste là quelques secondes avant de finir par s'approcher et s'asseoir. Incrédule et fébrile, Loki décroche le téléphone.

En s'approchant de lui, il voit les yeux de Tony l'examiner et s'écarquiller. Sans doute qu'il n'a pas bonne mine. Il n'en a aucune idée, ils n'ont pas de miroir à la prison. Trop fragile et trop dangereux. Ce n'est pas comme s'il pourrait supporter son reflet de toute façon.

Ils s'installent des deux côtés du plexiglas, et décrochent leur combiné. Ils se contemplent un instant, mais Loki n'ose pas parler, de peur qu'il ne s'en aille.

"L'orange te va très mal, finit par commenter Tony en guise de bonjour.

-Je sais, murmure-t-il. J'ai l'air malade, avec.

-Maria m'a appelé hier pour me dire que j'étais un gros con et que je devais aller te voir fissa.

-Tu... es toujours à la Crim' ?

-Je travaille à la lutte contre la cybercriminalité, le temps que les choses se calment.

-Tu dois être doué, là-dedans.

-L'ambiance n'est pas la même qu'à la Crim'. Mais on n'arrivait plus à travailler ensemble, avec les autres. Tu revenais tout le temps sur le tapis. Je crois que Clint ne te pardonnera jamais... Pour Lila. Il a vraiment cru que le crime organisé allait lui prendre sa fille, ce jour-là."

Tony ment. Clint ne pardonnera effectivement jamais Loki, mais il est parti travailler au département des Communications depuis deux mois déjà. La vérité est que Tony ne peut plus voir les locaux de la Brigade Criminelle sans voir Fury ou Loki à tous les coins de murs. Pour une raison obscure mais sans doute liée à l'alcool, Vanessa et Andrès sont souvent là eux aussi. Un matin, il a craqué et présenté sa demande de mutation à Steve.

Loki ne le regarde pas dans les yeux, et répond en ne semblant pas réaliser qu'il lui a menti.

"Je n'aurais jamais rien pu faire à Lila, mais... Je comprends. J'ai eu peur aussi. Je devais avoir l'air sans pitié aux yeux de Thanos pour paraître crédible, et c'est le pire moyen de pression sur vous que j'ai trouvé."

Tony a une grimace amère en se souvenant de ce jour-là. Quelques heures plus tard, il tirait sur Loki pour la seconde fois, et cette fois-ci, visait juste.

"C'était bien toi, murmure-t-il.

-La taupe ? s'enquiert Loki sans comprendre.

-Le mec de ta pièce. Lorenzo.

-Oh. Oui, souffle-t-il.

-J'étais vraiment con. Tu m'avais laissé des indices partout, quand tu... étais encore avec nous.

-Non, pas vraiment. Enfin, je n'espère pas. Juste celui-là.

-Et Fury ?"

Loki grimace. Il aurait voulu attendre un peu avant d'avoir à aborder le sujet avec Tony, mais ce n'est manifestement pas son cas.

"Tu as tout vu au procès.

-Oui, mais je veux l'entendre de ta bouche. Qu'est-ce qui vous a pris de monter un plan aussi tordu ?

-C'était sa vie, de faire tomber la mafia. Alors, quand on lui a dit qu'il lui restait trois mois à vivre, il a voulu tout mettre en œuvre pour réussir. J'ai cru qu'il était fou, mais il ne m'a pas lâché, et j'ai fini par accepter.

-C'est complètement dingue, mais je crois que le pire dans cette histoire, c'est que ça ait marché. On est tous complètement tombé dans le panneau. Sauf Natasha, elle a tout compris en trouvant ton livre. Alors que je l'avais déjà lu.

-Ce n'était pas toi, qui étais visé, s'excuse-t-il à moitié.

-Je sais.

-Je suis désolé, murmure-t-il douloureusement sans pouvoir s'en empêcher.

-Je suis désolé aussi."

Loki fronce les sourcils, les yeux un peu douloureux. Désolé pour quoi ?

Tony semble entendre sa question silencieuse, et répond :

"Pour ton épaule.

-Ah. Ce n'est pas grave, tu t'es déjà excusé. Elle est juste un peu grippée les jours de pluie."

Ce qui est complètement faux, elle lui fait toujours mal avec les coups qu'il reçoit toujours souvent, mais il serait déplacé que ce soit Tony qui se sente coupable.

"Tu sais quel jour on est ? finit par lui demander Tony"

Il est surpris de réaliser qu'il n'en a aucune idée. Il faut qu'il se ressaisisse, ils ont la télé ici, bon sang.

"Je perds un peu le compte, ici, avoue Loki.

-C'est l'anniversaire de ton arrivée à la brigade."

Loki a un petit sourire et conclut :

"De notre rencontre, donc.

-En quelque sorte.

-Pourquoi, en quelque sorte ?

-Eh bien, je ne te connaissais pas. Pour moi, c'est le soir de ton overdose, où tu t'es ouvert un peu et j'ai pu commencer à te connaitre."

Loki ne trouve rien à répondre, le souvenir de la kétamine lui arrachant un frisson. Il se frotte discrètement le nez, et en reconnaissant son tic de manque, Tony change de sujet en soufflant :

"Je t'ai ramené un livre."

Il se penche vers son sac pour retirer un objet, et le glisse dans le mince espace sous le plexiglas.

"Désolé, je n'ai pas pu mettre de lame de rasoir dedans, ils fouillent tout, ici."

Loki s'attendait à ce que ce soit L'Ecume des Jours, mais c'est Lorenzaccio. Il prend le livre et le ramène vers lui.

"Merci.

-De rien. J'ai pensé que tu le voudrais.

-C'était un peu mon manuel d'instruction, en fait. Ma mission est finie, je n'en ai plus vraiment besoin."

Mais il caresse tout de même la couverture du pouce.

"C'est bien… que tu n'aies pas fini comme lui, précise Tony.

-Oui. J'ai trouvé une alternative. Finalement, Lorenzo sort de sa cachette et se laisse tabasser par les passants parce qu'il est dévasté par l'annonce de la mort de sa mère. Moi, j'avais déjà digéré.

-Le peuple t'a quand même fichu en taule.

-On en sort, de taule. Même si certains considéreront que je ne mérite pas de sortir."

Loki relève un peu le nez, et Tony comprend qu'il veut parler de lui. Il secoue la tête.

"Non. C'est ce que Fury voulait, non ?

-J'ai commis d'autres crimes qu'aider Fury à mourir.

-Ce qui importe, c'est le résultat, pas ta façon de faire.

-J'ai tué un homme simplement pour obtenir un poste de commandement.

-Oui je sais, Coulson. J'étais à l'enterrement, mais j'avais dû le croiser deux fois. Il collectionnait les cartes de comics. Tu sais, la victime, elle est morte, donc elle s'en balance. La famille, elle cicatrise. Celui qui souffre, des années après, c'est le fichu flic chargé de l'affaire qui n'a pas su compartimenter. C'est l'une des premières choses que je t'ai dites, et tu n'as toujours rien appris.

-La première chose que tu m'aies dite, c'est que je ne tiendrais pas deux jours.

-Ce n'est pas comme si tu avais tenu deux ans non plus. Ça la fout mal d'être en taule quand on est flic, tu sais. C'est comme, je ne sais pas moi, un prof pédophile, un boucher végétarien… bon, ça c'est pas trop grave…"

Loki a un sourire timide. Il sent que tout n'est pas réparé, mais… il y a comme un espoir.

Courageusement, Loki pose deux doigts sur le plexiglas, comme s'il allait la frapper doucement dessus pour qu'on lui ouvre.

Tony les fixe un long moment, et finit par avancer les siens.

Il se racle la gorge et souffle :

"Je dois y aller.

-Merci d'être venu.

-À plus, le bleu."

Son cœur se serre en le voyant partir, mais il a l'impression de se sentir un peu mieux.

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Il y a des visites courtes, et des visites longues. Des qui se passent bien, où ils parlent du présent, et d'autres qui sont plus tendues, où ils parlent du passé.

Tony est soucieux, ce jour-là. Loki n'est pas très en forme non plus. Maria est venue trois jours plus tôt pour lui annoncer la mort d'Amora dans sa cellule de prison. Elle avait l'air hors d'elle, et disait tout faire pour identifier les responsables. Loki n'est pas sûr qu'il y ait un quelconque responsable.

Il aurait aimé croire aux histoires que l'on raconte aux enfants sur la mort. Il aurait aimé croire qu'elle et Vanessa sont en train de danser un slow sur une plage avec des palmiers, mais la prison empêche ce genre de pensées d'entrer dans sa tête.

Loki essaye de maintenir la conversation dans un registre de banalités rassurantes, mais il sent que ce ne sera plus très long avant que Tony ne rouvre l'affaire. Et plus le temps passe sans qu'il ne le fasse, puis l'appréhension de Loki augmente. Ce doit être grave, pour qu'il hésite aussi longtemps.

Il est presque soulagé quand Tony lâche dans un soupir :

"Désolé de ramener ça sur le tapis une nouvelle fois, mais je dois être sûr. Vanessa. C'était toi ? »

Ah. Vanessa. Tony a été sérieusement ébranlé par sa disparition, puis par la découverte de son corps. Finalement, c'est sa mort qui avait tout mis en branle.

Loki secoue faiblement la tête.

"C'était Amora, souffle-t-il. La journaliste jouait double jeu, et elle l'a découvert. Elle l'a faite taire, et ça lui a définitivement fait perdre les pédales. Elle n'a plus jamais été la même, après ça. Tu le sais ? Qu'elle est morte ?

-Oui, Maria dit chercher activement quel est le gardien qui a fait ça.

-Je ne crois pas que c'était un gardien. »

Un silence lourd s'installe, Loki ressassant les soirées où Amora et lui buvaient jusqu'au petit matin. Ce temps où ils faisaient partie du même camp, et étaient presque proches. Qu'aurait-il pu faire pour que ça ne se termine pas comme ça ?

« Si ce n'était pas toi, lance soudain Tony en le tirant de ses pensées, pourquoi il y avait son sang sur l'étagère que je t'ai fabriquée ?"

Ah, alors c'est comme ça qu'il a su. Le cœur de Loki se sert, comme si une aiguille de seringue l'avait percé. Comment a-t-il pu commettre une erreur pareille ?

"Elle est venue chez moi, la nuit où elle l'a fait. Elle a dû poser sa main dessus. Elle était dans tous ses états, droguée et bourrée... »

Des souvenirs de leur conversation et des bleus qu'ils se sont faits lui reviennent, et il frissonne. Quel gâchis. Il aurait dû prendre plus de risques avec elle, la titiller sur sa loyauté à la mafia, sur les alternatives possibles. Il était si prudent à cette époque qu'il n'avait pas envisagé de rallier d'autres membres à son combat.

Elle leur était si fidèle, comment aurait-il pu savoir ce qu'il s'était réellement passé avec Andrès, et qu'elle avait un témoignage depuis le début ?

Tony pousse un long soupir las et douloureux. Tout le poids de la tristesse des derniers mois semble grimper de nouveau sur ses épaules et le faire rapetisser.

"Tu ne peux pas savoir ce que j'ai ressenti quand Darcy m'a donné les résultats des analyses…

-Je suis désolé, murmure Loki. Vraiment, j'aurais dû…"

Mieux nettoyer ? Il ne peut pas dire ça.

Quel genre de monstre est-il devenu ?

"...Ne jamais mettre un pied dans la mafia, murmure-t-il à la place en baissant les yeux.

-Oui, ça, c'est sûr, marmonne Tony avec amertume."

La crise est passée, mais le mal est fait. Tony semble de nouveau à des années lumières de lui et de le comprendre, comme le jour où il était venu dans cet appartement trop grand pour lui tirer dessus.

Un silence lourd s'installe alors qu'ils refusent de se regarder, et Tony murmure :

"Le soir où tu m'as… enfin, quand je t'ai dit que j'avais découvert quelque chose. Pourquoi tu as fait…ce que t'as fait ?

-Tu veux dire… »

Tony plante ses yeux dans les siens, comme le défiant de lui faire dire ou de ne pas comprendre de quoi il parle.

Oh, songe-t-il.

Ce soir-là lui revient comme sa scène préférée d'un film culte. Il sent de nouveau les lèvres de Tony contre les siennes, la chaleur de sa peau sous ses doigts, son estomac qui se tord en lui faisant comprendre qu'il attend ça depuis des mois.

C'est de ce moment dont Tony veut reparler.

« C'était le seul moyen que j'avais de nous gagner deux semaines tout en te sauvant la vie. Te faire du chantage pour arrêter de fouiller sans attirer tes soupçons. Mais je m'en suis voulu terriblement.

-Donc tu t'es forcé.

-Bien sûr que non. Je… Il y avait quelque chose entre nous. Mais je ne pouvais pas prendre un tel risque avant de ne pas avoir d'autre choix. Le risque de… m'attacher.

-C'est un ramassis de conneries.

-Te rencontrer n'était pas dans le plan, tente de se justifier Loki.

-Moi non plus, je ne comptais pas te rencontrer. J'aurais sans doute préféré, d'ailleurs, ponctue-t-il avant de raccrocher et de se lever pour partir.

-Tony ! lance Loki dans le téléphone, mais on ne se retourne pas. Tony ! tente-t-il de nouveau."

Tony disparait dans le couloir des visiteurs.

"Merde ! lâche-t-il doucement en raccrochant avec force le combiné sur son support."

À sa gauche, un détenu qui parlait avec son fils se tourne vers lui, et avec un sourire narquois tordant son visage, lui lance :

« Bah alors, cafard, tu t'es disputé avec ta copine ? »

Loki n'a aucun instant d'hésitation. Il bondit, et d'un crochet du droit, il fait tomber l'homme de sa chaise. L'enfant a un cri de surprise, et plaque ses petites mains contre le plexiglas en appelant son père d'une voix effrayée. Posant un genou sur son torse, Loki commence à abattre ses poings l'un après l'autre. Les gardiens lui hurlent dessus et le ceinturent. Un coup de taser le paralyse de douleur, et il se raidit dans leurs bras.

Il gagne deux semaines d'isolement. Il croyait que les autres détenus allaient le rendre fou, mais il ne savait pas que la prison était encore plus dure complètement seul.

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Le temps est si long, et il n'a même pas une fenêtre pour le mesurer avec objectivité.

Pour ne pas perdre la tête, il tourne en rond comme un animal en cage en récitant Lorenzaccio. Tony le lui avait ramené. Il savait que ce livre comptait pour lui. C'était le symbole de sa rédemption, ce qui l'avait sauvé d'une deuxième balle. Tony l'avait récupéré, il l'avait apporté pour lui.

Loki aurait aimé l'avoir dans les mains pour conjurer la dernière phrase qui ne veut pas quitter sa tête.

J'aurais préféré ne jamais te rencontrer.

Il l'a dit, il l'a pensé. Et il est parti. Loki ne le reverra jamais plus.

« Qui est là dans la boue ? murmure-t-il en marchant en cercles pour se calmer. Qui se traîne aux murailles de mon palais avec ces cris épouvantables ?"

J'aurais préféré ne jamais te rencontrer.

« Ô Lorenzo, Lorenzo ! Ton cœur est très malade."

J'aurais préféré ne jamais te rencontrer.

« Ne me parle pas sur ce ton, assène-t-il avec une colère soudaine. Je suis rongé par une tristesse auprès de laquelle la nuit la plus sombre est une lumière éblouissante."

Le silence lui répond. Prenant conscience du ridicule de son attitude et de l'effet inverse qu'ont les répliques sur son état, il s'assoit sur le sol, et masse avec précaution son épaule blessée.

Il baisse la tête, lâche un cri de frustration, et s'efforce de respirer calmement.

"La ferme ! lui crie un autre détenu en isolement.

-Toi, la ferme ! crie-t-il plus fort."

Le bruit d'une matraque sur les parois de métal les assourdit.

"Vos gueules, ou on vous prive de dîner !"

On est donc le soir.

Mais de quel jour ?

Il pose son front sur ses bras, et reste prostré jusqu'à l'arrivée du plateau repas. Quand il finit enfin par s'endormir avec la faim au ventre, il fait un long rêve.

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Amora ouvre péniblement les yeux, sa tête pesant lourd sur le rivage humide. L'eau salée lui pique les lèvres et bruisse près d'elle sur le sable chaud. À sa gauche, la lumière rouge du couchant éclaire une eau turquoise et une plage déserte.

Elle entend quelqu'un courir vers elle, et relève la tête avec appréhension. Une femme à la peau mate et aux longs cheveux bouclés la rejoint en quelques pas, et lui prend les mains pour l'aider à se redresser.

« Vanessa ? balbutie la jeune femme blonde.

-Non, sa jumelle démoniaque, répond-elle avec un sourire sarcastique.

-Je… »

Les larmes glissent sur sa joue sans qu'elle ne puisse les arrêter.

« Je suis désolée, hoquète Amora en serrant ses mains dans mes siennes. Je suis si désolée, je l'ai regretté à la seconde où je l'ai fait…

-Hey. C'est bon. Regarde. »

Vanessa jette un regard vers l'océan, et Amora se tourne sans lâcher ses mains. Le soleil se couche en retapissant le ciel de tous les crayons pastel qu'il peut trouver.

« Où on est ? murmure Amora.

-Aux Bahamas. Comme on voulait. »

Sans détacher ses yeux des siens, Vanessa entrelace leurs doigts et redresse ses bras. Doucement, elle se met à osciller au rythme des vagues, commençant à danser sur une chanson inaudible. Amora libère une de ses mains pour essuyer ses larmes, puis serre la journaliste dans ses bras.

Son nez dans les cheveux sentant le sel et le soleil, loin, très loin des odeurs d'essence et d'alcool, elle respire profondément.

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Soyons bien d'accord : Loki aurait dû mourir en prison pour le bazar complet qu'il a provoqué, mais hey, vous vouliez une happy end, je voulais une happy end, il est temps d'arrêter les bêtises.

J'espère que ce dernier chapitre vous a plu. Je publierai bientôt un court épilogue pour terminer cette histoire. Merci pour votre soutien, je n'aurais jamais pu la terminer sans vos petits mots.