Bonsoiiiir !

AVERTISSEMENT : Cet écrit aborde des sujets difficiles, tel que la maltraitance, le harcèlement scolaire, la discrimination, la vie à la rue, etc.

AVERTISSEMENT 2 : Cet écrit utilise la théorie Dabi = Todoroki Touya

Disclaimer : Tout appartient à Kohei Horikoshi


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- Acte 1 : Attraper ses rêves -

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Scène 2

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L'enfant est revenu ensuite. Plusieurs fois, avec des biscuits à la place des bonbons, voire de la vraie nourriture. Quand bien même ce n'est pas forcément ce qu'il adore et que Touya préférerait de l'argent pour se payer plus de médicaments ou de nouveaux vêtements, il accepte de le protéger. Ce n'est qu'un enfant ; il lui offre sans doute tout ce qu'il peut.

L'adolescent se persuade qu'il le laisse squatter son coin parce qu'il lui offre de la nourriture en échange, aussi peu nourrissante soit-elle, mais s'il doit être honnête avec lui-même, c'est le sourire du petit garçon - Izuku, Izuku Midoriya - qui lui sert de paiement. Si quelqu'un lui a déjà souri ainsi, comme s'il était la plus belle personne du monde, il ne s'en souvient pas. Et il devrait le détester d'allumer un feu dans sa poitrine, de le faire sentir vivant à chaque fois qu'il croise son regard vert.

Ils ne parlent pas vraiment, par contre. Le petit garçon ne reste que le temps d'échapper à ses harceleurs, panser ses brûlures et sécher ses larmes. Il a essayé de lancer une vraie discussion, certes, mais Touya ne lui a jamais répondu. Ce n'est pas un pas qu'il veut franchir. C'est perturbant de se sentir aussi bien, aussi détendu en sa présence. Izuku est juste trop lumineux pour quelqu'un comme lui qui traîne dans l'ombre.

L'adolescent refuse de dire qu'il est inquiet ce soir, parce qu'il n'a pas encore vu Izuku. Or, c'est un jour de semaine. Est-ce les vacances ? Son protégé vient moins souvent alors, quoi qu'avec plus de nourriture. Il parie qu'il a parlé de lui à ses parents et que ceux-ci se sentent parfois d'humeur assez généreuse pour lui faire un bentô froid. Sans doute pensent-ils que le protecteur de leur fils est un sans-abri bien plus âgé ? En tout cas, personne n'est venu l'importuner, ni la police, ni des parents anxieux.

Peut-être se fichent-ils des fréquentations de leur fils. Ça expliquerait que le harcèlement n'ait jamais cessé. Parfois, Touya se demande pourquoi Izuku ne réplique pas, puis il se rappelle que le gamin a un cœur trop grand et trop tendre pour ça. Pour l'instant. Peut-être devrait-il lui apprendre à se défendre ? Après tout, il n'est bon qu'à ça, il n'est né que pour se battre. Mais il n'arrive pas à lui proposer, car il sait qu'après, il n'aurait plus de biscuits et les sourires lumineux qui les accompagnent, parce que le môme n'aurait plus aucune raison de venir.

Touya est presque sûr qu'ils sont au mois de septembre et que les vacances sont encore loin. Il est peu probable qu'il se trompe, d'ailleurs, puisqu'Izuku est venu hier avec son uniforme sur le dos. Peut-être ses harceleurs ont arrêté ? À la seconde même où il pense cela, un rire amer secoue son corps malingre. Non, il ne connaît que trop bien la lueur dans les yeux rouges du meneur.

Le chien ne lâchera pas son os, de peur de le voir disparaître.

Un soupir lui échappe. Il pourrait quitter son coin pour chercher l'enfant, mais d'un, ce serait admettre qu'il s'inquiète pour lui, et de deux, il risquerait de le manquer. Autant rester à l'abri, non ? En plus, le typhon menace d'éclater, il le sent. Izuku est peut-être rentré plus tôt pour y échapper ?

Pas de biscuits pour lui aujourd'hui, donc. Peut-être devrait-il aller fouiller dans les poubelles avant que la pluie ne tombe, non ?

Il sort de ses pensées lorsque des reniflements familiers lui parviennent. Il sort de sa cachette, trouvant son petit protégé à sa porte, le nez en sang, la veste déchirée et sa cheville droite formant un drôle d'angle. Il tente de retenir ses larmes, sans grand succès, alors que le vent commence à se lever.

― Je… Je suis désolé, Dabi, ils m'ont rattrapé, je n'ai plus rien pour toi… J'ai essayé de garder les biscuits, je te jure, mais ils les ont écrasés en riant, je, pardon, pardon !

Est-ce qu'il est en train de s'excuser de ne pas avoir pu lui apporter à manger ? Est-ce qu'il s'est traîné jusqu'à lui dans cet état pour le mettre au courant, alors qu'il devrait être à l'hôpital ? Mais quel crétin ! Touya a envie de lui hurler dessus, mais pas pour les biscuits. Izuku ne pourra plus lui en apporter s'il est blessé et qu'il se soigne mal. Il aurait dû rentrer. Il n'aurait pas dû forcer !

L'adolescent blêmit en se rappelant soudain l'inquiétude de sa mère lorsqu'elle voyait ses blessures. Est-ce que c'est le même sentiment qui la taraudait alors ? Celui de vouloir secouer le gamin face à lui pour lui faire rentrer un peu de bon sens dans le crâne ? Touya est conscient de ne pas en avoir beaucoup lui-même, mais merde ! Le typhon va éclater ; il ne peut pas laisser Izuku traîner la patte jusqu'à chez lui. Qui sait ce qui pourrait lui arriver ? Sans lui, plus de nourriture.

Plus de sourire qui lui réchauffe l'âme.

― Izuku ? Si je te porte, tu pourras me guider jusqu'à chez toi ?

L'enfant l'observe avec de grands yeux ronds et humides, comme s'il ne comprenait pas la question. Touya siffle entre ses dents, avant de l'agripper par les manches pour le secouer un peu et le sortir de son apathie. Le plus petit finit par acquiescer doucement et l'adolescent le saisit par la taille pour le passer par-dessus son épaule. Il est lourd, mine de rien, mais toujours moins qu'un cadavre d'adulte.

― Ne gigote pas et contente-toi de m'indiquer le chemin avant que je ne change d'avis.

Izuku lâche un maigre oui, avant de lui obéir. Les jambes de Touya n'apprécient guère le poids sur ses épaules alors qu'il marche le plus vite possible. La dernière offre de Giran lui a certes permis de mieux manger pendant quelques jours, mais ses muscles ont fondu avec le peu de nourriture qu'il a habituellement. Il est encore plus frêle qu'avant, déjà qu'il n'était pas bien gras lorsqu'il vivait encore sous le toit de l'Autre.

Le chemin est plus long que Touya ne l'a prévu et le vent est de plus en plus fort ; il lutte presque à chaque pas. Il est pratiquement certain qu'Izuku fait ce si long chemin tous les jours juste pour lui apporter à manger, plus que pour échapper à ses tortionnaires. L'adolescent mettrait sa main au feu qu'il y a d'autres cachettes, certes moins sûres, mais beaucoup plus proches. Cela fait presque vingt minutes qu'il marche et le gamin a beau être vif, il ne doit pas aller vite lorsqu'il est fatigué.

Touya jure lorsque le vent manque de lui envoyer un cageot dans la gueule et que la pluie commence à tomber, s'intensifiant de seconde en seconde.

― On est plus très loin ! crie Izuku. Ce sont les immeubles au prochain pâté de maisons !

L'adolescent ne sait pas comment il arrive à atteindre l'appartement du petit garçon, alors même que la pluie torrentielle floute sa vision et alourdit ses vêtements. Mais au moins, ce dernier n'a pas eu à se traîner sur le trajet ; qui sait ce qui aurait pu lui arriver avec ce temps ? Il est si petit, il pourrait presque s'envoler avec le vent. Il repose finalement Izuku au sol et celui-ci saisit soudain sa main alors qu'il pousse la porte, le tirant à l'intérieur, avant de repousser le battant.

― Maman, je suis rentré ! crie-t-il.

― Izuku !

Touya reste stoïque alors qu'une femme un peu enrobée apparaît dans le couloir, la main agrippée sur un téléphone et les yeux baignés de larmes. Oh, un trait de famille ? Elle a son autre main serrée sur son tablier et un hoquet de soulagement lui échappe, alors qu'Izuku lui adresse un sourire rassurant malgré le sang séché sur son visage.

― Oui, il vient bien de rentrer, je suis désolée du dérangement, mais avec le typhon…

L'adolescent comprend qu'elle a appelé la police et la mère d'Izuku monte dans son estime. Au moins, elle a senti que quelque chose n'allait pas. Il s'apprête à repartir sans un mot, peu désireux de voir la femme se montrer tendre et affectueuse avec son fils, quand ce dernier bloque la porte.

― Non ! Tu vas pas dehors avec le typhon ! Maman, dis-lui qu'il peut rester ! C'est Dabi, il va être sous la pluie s'il sort !

Donc, son petit protégé a bien parlé de lui à sa mère. Il ne sait pas s'il doit l'en remercier ou l'en maudire, alors que celle-ci acquiesce, comme d'accord avec les propos de l'enfant. Avant d'avoir pu protester, il a une serviette-éponge entre les mains et Izuku rit à côté de lui alors que sa mère lui essuie les cheveux et le visage.

Le tissu est lourd et doux entre ses doigts. Frais, aussi, contrastant avec la pluie chaude qui se déverse dehors. Délicatement, il s'essuie le visage et essore ses cheveux, se figeant lorsque sa coloration bas de gamme reste sur la serviette. Il se tend, avant qu'une main douce ne se pose sur ses cheveux sans aucun doute blancs désormais.

― Ne t'en fais pas, ce n'est pas grave. Dabi, c'est ça ? Je dois pouvoir trouver des vêtements qui t'iront dans ceux de mon mari, pour que tu ne prennes pas froid.

― Pourquoi vous faites ça ? demande-t-il, plus agressivement qu'il ne le voulait.

La femme et Izuku le regardent avec surprise, avant que l'adulte ne soupire, posant ses deux mains sur ses épaules, avec douceur, comme si elle se doutait que ses blessures continuaient sous sa chemise et qu'elle ignorait où.

― Je ne vais pas te renvoyer sous le typhon, tout de même, et puis Izuku est tellement heureux lorsqu'il parle de toi !

Oh. Ça, il ne s'y attendait clairement pas, même si c'est son petit protégé tout craché. Il doit bien être l'un des rares sur cette planète à avoir des sourires dans ses yeux lorsqu'il le voit. Il n'est ni effrayé, ni dégoûté, comme si son apparence est normale.

C'est difficile de se considérer soi-même comme un déchet lorsque ses yeux vert émeraude scintillent.

― Tu veux en profiter pour te laver ? Je peux te donner un gant de toilette.

Touya veut lui demander si elle l'a bien regardé avant de lui poser la question, mais ses mots restent coincés dans sa gorge. Les yeux verts recèlent la même bienveillance que son fils. Il n'a pas le cœur à lui dire non, à être aussi agressif qu'il en a l'habitude. Sans doute est-ce sa fatigue qui lui joue des tours ; il n'a tout simplement pas la force de s'énerver, trempée comme un rat crevé dans les égouts.

― Je n'ai pas de savon adapté, malheureusement. Ça ira pour toi quand même ?

Trop de gentillesse le rend tout de même méfiant. Compte-t-elle le mener au poste de police le plus proche une fois le typhon passé ? Peut-être n'accepte-t-elle pas qu'un sans-abri soit l'ami de son fils et a-t-elle décidé unilatéralement que le remettre dans le système sera mieux pour lui ? Mais Giran lui a bien assez dépeint ce qui l'attend s'il est mis en famille d'accueil et il sait ce qui l'attend si la police le ramène chez l'Autre. Plutôt crever.

Pourtant, après s'être lavé et avoir mangé à sa faim pour la première fois depuis longtemps, dans une chemise trop grande pour lui, mais bien plus agréable à porter que ses loques et allongé sur le sofa pour qu'il puisse passer la nuit, Touya voudrait presque espérer qu'elle ait aussi bon cœur que Giran. Il l'entend rire avec son fils dans la chambre de celui-ci, un rire qui réchauffe son âme abîmée.

Il a mal au cœur. Pourquoi ne se souvient-il pas de ce genre de rire ? Pourquoi il ne se souvient que des cris et de regards déçus lorsqu'il pense à ce qui fut sa famille ? Il n'est même pas certain de se rappeler le visage de Fuyumi autrement que marquée par la tristesse face à sa méchanceté, ni même du sourire de Natsuo lorsqu'ils jouaient à la balle ensemble.

Est-ce qu'il a même jamais mérité l'affection et l'amour qui suintent des murs de cet appartement ?

Il a froid, ô combien ironique pour un Alter comme le sien. Mais il a l'impression d'être gelé jusqu'aux os alors qu'il se demande s'il n'est pas responsable de ce qui lui arrive. Si ce n'est pas sa faute s'il a l'impression de n'avoir jamais reçu d'affection. S'il n'aurait pas dû être un peu plus comme... Il ne sait pas, en fait, parce que Natsuo et Fuyumi ont toujours été dédaignés par l'Autre face à sa propre existence, parce qu'il avait un Alter utile.

Était-ce vraiment tout ce qu'il devait être ? Utile ?

Les rires s'éteignent comme les lumières et il n'y a soudain plus que le bruit du typhon dehors. Est-ce que son abri survivra au déluge, ou devra-t-il le reconstruire dès la tempête passée ? Il est fatigué, de tout. Il espère presque ne plus rouvrir les yeux une fois ses paupières closes. S'il n'est pas né pour être aimé, s'il n'y a aucun espoir pour lui, pourquoi s'accrocher ? Ses illusions lui donnent l'impression d'étouffer et il serre ses doigts sur la couverture qui le recouvre.

Il ne peut pas être un héros.

Les héros ne sont pas seuls, les héros sont aimés, les héros n'ont pas leur âme en cendres.

Il n'est qu'un cafard dans la vie des gens, prêts à être écrasé à tout moment. Peut-être devrait-il accepter l'offre de Giran. Peut-être devrait-il devenir un homme de l'ombre puisque la lumière ne veut pas de lui.

― Merci.

Un murmure, si doux que Touya a l'impression de l'avoir rêvé, avant qu'une main ne passe tendrement dans ses cheveux encore humides pour les démêler. Il a une boule dans la gorge, alors qu'il a bien conscience que la mère de famille doit le penser endormi pour se permettre une telle chose. Il n'a même pas envie de lui signaler qu'il est réveillé. Depuis quand n'a-t-il pas reçu un tel geste d'affection... ?

Il ne s'en souvient même pas.

― Je ne sais pas comment je peux te rendre tout ce que tu fais pour Izuku. Il sourit plus, depuis que tu es entré dans sa vie. J'aimerai tant t'aider.

La boule dans sa gorge grossit.

― Tu seras toujours le bienvenu ici, sache-le.

Touya a envie de pleurer, alors que la main douce quitte ses cheveux. Trop de gentillesse cache forcément quelque chose, non ?

La question empêche Touya de trouver le sommeil et, dès les premières lueurs du jour, il récupère ses vieux vêtements dans le sèche-linge, avant de partir en catimini. Il ne mérite pas tant de douceur. Il y a forcément un piège. Elle doit vouloir l'envoyer dans le système, c'est sûr et certain. Il n'y a pas d'autres explications.

La boule dans sa gorge refuse de disparaître.

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