L'argent et le noir
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Des voix… j'ouvre les yeux, des autres soldats habillés tout en argent passent devant moi, que font-ils ? Je ne comprends pas… je me traîne à terre essayant en vain d'approcher la petit fille, c'était une enfant, une enfant !
Une voix raisonne au-dessus de moi, un homme me regarde ramper comme de la vermine. Son pied se pose sur mon dos et me cloue au sol.
« Tu es courageux petit, peu sont encore en vie… Tu veux vivre ? »
Je ne regarde pas cet homme, ma main a attrapé celle de la fillette, je pleure encore, pourquoi est-elle morte ? Je sers la petite main et je maudis la guerre, je la hais, je la tuerai, en fait, je les tuerai tous, ils n'auront plus à s'entretuer…
L'homme me retourne, il me sourit et pose sa main sur mon front, il réitère sa question. Si je veux vivre ? J'ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort, je le regarde droit dans les yeux, je le défie, et je lui crache dessus. De toute façon… je vais mourir. Je crache encore un peu de sang et perds conscience…
Je me réveille en hurlant le nom de la femme qui m'a aidé, secouru et nourri, un bruit me fait mal à la tête, comme un gros bruit de vaisseau, ma main touche mon torse, on m'a bandé. Je suis encore en vie, sur le lit, est posé la poupée de la petite fille que je ne reverrais jamais. Mes yeux se posent sur l'homme, qui est face au hublot.
« Je me nomme Mendosa, premier général de l'armada de Valua… J'ai été mandé pour détruire la flotte des pirates noirs, malheureusement je suis arrivé trop tard pour ta famille, mais pas pour toi. Si tu es fort et brave, tu survivras à leur mort et tu feras en sorte que telle tragédie ne se réitère jamais ! »
Je m'assois comme je peux, serrant la poupée ensanglantée dans mes mains, alors il n'y avait plus que moi de vivant ? Une larme tombe de ma joue, je vais devoir… faire quoi ? Je ne veux plus voir ça, plus jamais, je ne sais plus où je dois aller et ce que je dois faire... Je regarde cet homme qui s'est tourné vers moi. L'enfer que j'ai vécu semble irréel… Sa main glisse sur ma joue et retire mes larmes. Il a quelque chose d'étrange dans le geste qu'il vient de faire, dans l'attitude qu'il a. Mendosa… Il sort de ma chambre, on accoste à Valua et je me retrouve emmené avec les autres soldats.
Me voilà dans la ville que je devais détruire, drôle de coïncidence, il est vrai, Valua est grand et fort, ils sont dangereux ! Je fais partie du premier escadron sous les ordres de Téodora. Je n'accepte pas ses actions, mais autant être du côté des méchants pour vaincre. J'ai appris à me souiller comme les humains, je suis son jouet, mais au fond c'est moi qui joue avec elle. Quand je serais important, je mettrais sa tête au bout d'un pic et je libèrerais le Giga d'argent ! Alors s'abattront des millions de météorites jusqu'à ce qu'il n'existe plus d'humains !
Mourez, c'est ainsi que je vous sauverais !
Je passe entre les mains de la vieille folle, pour toute sorte de missions suicidaires, je ne suis que de la chair à canon, je ne parle à personne, car je sais que je rentrerai seul à la base. Je suis un soldat fort et brave, je survis et je me rapproche de plus en plus de mon but.
Aujourd'hui, j'accompagne Mendosa en première ligne. C'est la guerre, encore et encore, j'ai aperçu parmi les troupes, un homme aux cheveux argenté, il dégage une aura aussi noire qu'éblouissante. Qui cela peut-il bien être ? Il est fort, j'en suis certain ! Il dégage quelque chose d'imposant, qui m'a écrasé par sa prestance. Nous sommes dans le Snake en partance pour Nasr.. Nous allons nous battre et peut-être périr. Mais je n'ai pas peur, j'ai survécu une fois, je survivrai une autre. Ma main attrape l'épée que Mendosa m'a donné et je me mets au combat. Encore, encore, tuer et avancer, je me servirai d'eux plus tard, pour lors, je me dois de survivre à ces choses idiotes.
Les morts s'entassent sous mes pieds, je m'en fiche ! J'avance, inébranlable, je suis brave, courageux, intrépide et quasi-fou, je ris au milieu des vagues de sang, mon visage en est éclaboussé, mais qu'importe !
Je tourne la tête, le voilà, c'est encore lui ! Il est plus que fort ! Son épée terrasse les ennemis sans difficulté, son regard croise le mien, j'y lis quelque chose, je ne sais si j'hallucine ou pas, mais c'est comme si il m'avait parlé ! Je troue l'attaque faite à trois heures pendant qu'il prépare et envoi une attaque à m'en couper le souffle.
Je l'ai lu dans ses yeux…
Divertis les ennemis, mais soit vif !
Je le suis, je saute dans les airs, le laissant exécuter son attaque et retombe souplement derrière lui. Dos à dos, nous terrassons les adversaires, je me sens encore plus puissant à ses côtés, plus vivant, plus…
Mon épée se brise, alors que ses éclats argentés glissent devant mes yeux effarés. Les soldats de Nasr sont bien plus forts que je ne l'avais imaginé. Je me prends un coup d'épée et fait une grimace, ce n'est rien du tout, j'ai vécu l'enfer bien avant ça. L'homme aux cheveux argentés m'attrape et me propulse dans les airs, je vole, c'est étrange, que fait-il ? Une attaque encore étrange, il a décimé tout le monde et me rattrape, avant que je ne retombe au sol. Mes yeux sont grands ouverts, j'ai du mal à y croire, il est si fort ! Si puissant ! Il me sourit me reposant à terre. Il me semble entendre un cri, il me semble ressentir le danger, je pousse l'homme avec vivacité et prends la lame à sa place. J'ai mal au cœur, s'en est insupportable !
Une lumière argenté me parcourt le corps, me faisant pousser un long cri. Ma main, mon bras… Il s'agite tout seul ! Je cherche du regard l'homme aux cheveux argentés, il me regarde stupéfait. Ma main tremble, ma chair bouge, je sens une force étrange parcourir mon bras, et sous deux paires d'yeux médusés, une lame fine, luisante et argentée sort de ma chair. Une épée ? Une épée étrange et puissante : la matérialisation de mon fragment de lune. Mon regard se fait méchant, peut-être dément et je découpe l'homme en dizaines de petits morceaux.
« Un silvite ? Je ne pensais pas en voir un de mes propres yeux… je suis Galcian… »
L'homme me tend la main, je me sens bien, comme en sécurité, cette espèce de chose que j'ai ressenti avec les enfants, c'est pareil avec lui mais en bien plus fort…
La bataille est finie, Galcian me ramène sur le Snake, j'apprends que Mendosa est mort durant l'assaut, je ne pleure pas, je m'en fiche ; je n'ai besoin de personne, ni de rien !
Le plus étonnant c'est que Téodora a donné la place de Mendosa à Galcian dès notre retour au palais.
Nous avons festoyé notre victoire, loqua et liqueur coulant à flots. Je ne sais pas pourquoi, mais cette chose me rend bizarre. Je regarde mes doigts, je les sens qui picotent, tout est trouble, je marche pas droit. C'est étrange, je rigole tout seul en me dandinant, j'aime cette sensation, j'en oublie le sang versé et les cadavres jonchant le sol ! Je regarde Galcian, cette aura puissante et noire, je la veux, je la veux pour moi ! Je m'approche de lui, De Loco me regarde bizarrement… à chaque fois que son regard croise le mien, j'ai l'impression qu'il a des idées étranges derrière la tête…
Sans le faire exprès, je bouscule Alphonso qui me lance des myriades d'insultes. Qu'en ai-je à faire, lui et sa banane ratée, brrr, quel homme cupide ! Belleza m'adresse un petit mot doux en me caressant les cheveux.
« Notre petit sergent est ivre ! Comme il est mignon ! »
Sergent ? Ah oui, j'ai monté de grade aujourd'hui, vu que je ne suis pas mort, quelle bêtise ! Enfin... Je monte doucement mais sûrement, je rigole encore et fais un baisemain à Belleza. Elle ne m'est pas antipathique, mais je n'éprouve pas plus de sympathie pour elle que pour un cafard mort ! Je pousse un peu Vigoro qui raconte pour la millième fois comment attraper une conquête féminine et me rapproche de mon but. Si ce n'est que Gregorio me barre encore la route. Il est bon amiral, je ne peux me dresser contre lui, alors je fais le tour et fixe Galcian. Il m'envoie un sourire majestueux et incline la tête, je comprends encore… C'est une discussion importante, je ne dois pas déranger, soit, je retourne m'assoir à côté de Belleza et avale d'autres verres de cette chose qui me donne le tournis. Belleza semble réjouie de mon état, elle continue à caresser mes cheveux, c'est étrange, je me sens tout bizarre, j'ai du mal à bouger, à parler, elle me tape dans le dos et je m'effondre sur la table… ivre comme ils le disent, je ris, je ris tellement, je ne peux pas m'en empêcher…
Téodora me fixe du regard, je lui souris et je danse pour elle. Tout le monde se moque de moi, mais qu'importe... Je me sens tout à coup planer, deux bras me stoppent, le temps que mon regard arrête de tanguer de partout, je découvre encore Galcian, comme pour la première fois, son aura, je ferme les yeux et chancelle.
« Je l'aime… »
Je parle de son aura, cette puissance qui émane de lui, j'entends les gens rire de plus belle, alors que les bras de Galcian me soulèvent de terre.
« C'est encore un petit jeune Galcian ne lui brise pas le cœur… »
Que veut dire Belleza ? Je ne comprends pas, elle m'envoie un regard sournois, je ne comprends pas, je souris toujours, alors que la lumière noire m'emporte plus loin dans les obscurités des appartements généraux.
J'ouvre un œil, j'ai l'impression que le lit tangue, c'est horrible, je mets la main devant la bouche et essaye de me lever, je me sens mal, atrocement mal, j'ai envie de vomir. Je vais vomir, je vais vomir ! J'ai plus envie…
Ma main retombe mollement, alors que mes yeux se posent sur Galcian, il m'envoie un sourire et incline la tête, s'allumant un truc étrange, long et blanc.
« Ne bois pas à la déraison Silvite. Oh je parie que tu ne connais pas l'alcool… tu as beaucoup à apprendre… Ramirez, si tu veux à partir d'aujourd'hui tu seras mon bras droit, je t'apprendrai tout ce que tu as à savoir… »
Galcian ferme les yeux et se dirige vers la fenêtre, je suis là, face à lui, en train de me demander si oui, ou non je vais finir par vomir et me couvrir de honte. Je me rassois sur le lit et me met à fixer la chambre. Je suis dans la chambre de Galcian ? Je sens mon cœur battre d'une façon singulière, je suis un sous-officier, je n'ai pas le droit d'être là ! Je me lève promptement et me mets à courir vers la sortie, j'ai du mal à attraper la poignée de la porte, j'ai froid, je me sens encore bizarre.
Je regarde mon corps, je suis… nu ? Pourquoi ? La main de Galcian m'attire vers lui et me recouvre de sa cape. Il reste silencieux dans l'obscurité de la pièce, et moi je grelotte devant lui, comme un enfant devant la mort.
« Reste ici… et rendors-toi. Demain je te lève à six heures, entraînement spéciale ! Oh et avale ça, ça te dessaoulera ! »
J'attrape le verre qu'il me tend, ça a une odeur répugnante, il a envie que je vomisse mes tripes ? Je le regarde, je regarde le verre, je le re-regarde et je le bois d'un trait avant de retourner sous les couvertures et de finir ma nuit
Il est six heure zéro, zéro, Galcian me réveille et j'ai du mal à sortir de ma léthargie. Je cherche mes habits du regard, ils sont sur une chaise à côté de son bureau. Je les prends et m'habille tout en parcourant un rapport sur la guerre de Nasr. Je souris un peu en voyant toutes les bonnes choses dites de Mon amiral et je cours le rejoindre dans la salle d'entraînement.
Nous nous affrontons avec force et vaillance, il ne retient pas ses coups, non, il me prend pour égal, j'en suis heureux, je fatigue plus vite que lui, quelle endurance, son épée glisse sur mon bras, je fais la grimace et le sers. Il m'a battu, mais je me suis bien défendu. Je dois me maintenir à mon épée pour pas m'écrouler par terre. Je suis lessivé, complètement… Je m'assois par terre et regarde mon bras, j'ai l'habitude de voir mon sang couler, ça ne m'émeut plus.
« Bravo, je ne pensais pas que tu me tiendrais tête aussi longtemps… Les silvites ont l'air d'être résistant ! »
Galcian lâche son épée et se baisse vers moi, je le vois retirer son foulard d'amiral et le nouer autour de mon bras. Je ne comprends pas, ce foulard avait l'air très important, pourquoi le souiller de mon sang ? J'incline la tête, il me tapote le dessus du crâne et me sourit. J'ai encore beaucoup à apprendre sur les gens d'ici… Je caresse la matière douce du foulard et me relève. Comment il sait ce que je suis ? Et pourquoi ne me pose-t-il pas de questions ? Il me prend par le bras et me traîne dans les cuisines, les servantes le regardent en rougissant, je n'avais pas remarqué, beaucoup de femmes le regardent, est-ce à cause de cette aura noire ? Il se glisse vers le cuisinier et j'interpelle une des filles pour savoir.
« Aura ? Je… oh non le seigneur Galcian est simplement, divinement beau, un très grand parti pour toute demoiselle qui se respecte, si j'étais de sang noble j'aimerais l'épouser ! Sûrement que l'Amirale Belleza obtiendra ses faveurs, j'en suis folle de jalousie ! »
Épouser ? Faveur ? Beau ? Aimer ? Il y a encore des choses qui me sont incompréhensibles, si je lui demandais ? Galcian sait que je ne suis pas d'ici, il ne devrait pas m'en vouloir si je le lui demandais, non ? Je m'installe à sa table, ses yeux me l'ont demandé et je mange en silence. Pendant un moment nous n'échangeons aucun mot, puis, je repose ma fourchette et affronte son regard.
« Vous allez épouser Belleza ? Est-ce vrai ? Vous… l'aimez ? »
Il pose un regard interrogateur sur moi, je baisse les yeux, je n'aurais pas dû, ce ne sont pas mes affaires après tout… Je soupire et reprend ma fourchette, alors que Galcian pousse un soupir à son tour et m'attrape le menton, pour que j'affronte son regard.
« Belleza ? Qui t'a mis ça en tête ? Elle ? Je n'ai pas que ça à faire ! Je me fiche d'elle, comme de tous ici… Ils ne sont que de vulgaires pions, à la botte de Téodora ! Dis-moi Ramirez, toi aussi, tu vois plus haut et plus loin qu'elle ? Tu me suivras dans mon rêve ? »
Je ne sais pas de quoi il parle, mais s'il me voit autrement que les autres alors oui, je resterai auprès de lui ! Je suis heureux, tellement heureux ! La lumière noire m'étreint, je le suivrais au-delà de la vie, aux confins de l'espace ! J'incline la tête et je souris, je suis tellement heureux que je n'arrive plus à manger, ma jambe se secoue toute seule j'ai envie de me lever et de courir un grand coup ! Alors je baisse la tête lançant une excuse et me met à courir hors de la salle à manger en direction de la terrasse.
Vigoro me donne un coup de poing dans l'épaule et pointe du doigt une courtisane. Il me parle encore et encore de ces choses que je ne comprends qu'à moitié. Séduire, draguer, embrasser… je ne connais pas mais à chaque fois qu'il parle des filles qu'il a connues, ou aimées, je pense à l'aura noire de Galcian.
Ça en devient une obsession !
Il m'emmène boire dans une taverne où l'on vide un tonneau de loqua, tandis que je l'écoute attentivement parler de toutes ces choses. Je retrouve mon dortoir en pleine nuit un peu plus conscient de l'humanité et ses sentiments.
