Une vie de mort

Nous sommes le Lundi. Lundi 19 décembre. Il neige dehors. Et il fait nuit. Severus Snape s'assoit sombrement dans un fauteuil ancien dans un coin reculé de la salle. Il regarde l'horloge antique, dont le tic tac incessant lui vrille les tympans à chaque seconde, resserrant l'étau de sa gorge, augmentant sa douleur et son désespoir. Il est dix-neuf heures. Il y a beaucoup d'allés et venus dans la salle. On ne parle pas bien fort. On joue du jazz. On ne danse pas pourtant. La musique et trop lente, et trop triste. Pour eux la vie continue. Pour un, la vie s'est achevée.

Affectus Snape. L'oncle de Severus. Frère de son père, son presque père d'ailleurs. Mort il y a une semaine déjà. Severus ignore de quoi il est mort. En fait, il a refusé d'entendre cette information. Il est déjà si dur de le savoir partit. Pourquoi en rajouter ? Il soupire et se prend la tête sans sa main, le coude posé sur l'accoudoir. Il se mort la langue une énième fois pour ne pas pleurer, ou hurler. Il étouffe un sanglot silencieux. Pas lui. Pourquoi lui ? Severus aurait volontiers vu le monde entier mourir si son oncle avait pu être épargné. C'est stupide à dire. Mais il revoit clairement son sourire complice, entend sa voix moqueuse, relis dans sa tête la dernière lettre qu'il lui a adressé, trois mois auparavant. Severus entend alors un brusque sanglot près de lui.

Contre le mur, à deux mètres de lui à peine, une femme, un peu plus jeune que lui, tente de se contrôler mais les larmes lui échappent. Severus peut le comprendre. DE tous ces gens présent dans la salle, celle qui mériterait le plus de hurler à l'injustice, à la douleur, à la folie, c'est elle. Guenièvre Snape. Elle a les cheveux d'une longueur vertigineuse, châtains foncés et lisse comme la soie. Elle a une peau laiteuse, des lèvres fines et pâles et un nez digne de Cléopâtre. Oui, une Snape par excellence. Mais la plus belle de toutes. Severus hésite, mais ne se lève pas. A part lui, personne n'a remarqué l'emportement de Guenièvre. LA demoiselle tourne ses yeux rougis et encore remplis d'eau vers son cousin. Elle a un sourire douloureux qui ressemble fort à une grimace de dégoût. Depuis quand ne l'a-t-il pas vu ? La douce Guenièvre de son enfance ? Celle pour qui rien n'était impossible ? A la place, il ne se rappelle plus que de l'adolescente sèche et sarcastique, de la jeune musicienne qui enseignait son art aux enfants de la famille, enfin la femme qui collectionnait les aventures d'un soir pour mieux s'enfoncer dans la solitude. La vieille fille en somme. L'impassible, la grande demoiselle Guenièvre, fermée comme un coffre fort remplis de milles merveilles à vous rendre fou, mais dont personne n'a jamais trouvé la clef. Elle qui avait le père le plus formidable, de l'argent, du charisme, du talent et n'était point laide, que lui manquait-il pour être heureuse ? Pourquoi être tombée à ce point ? Voilà maintenant vingt ans qu'ils se voient sans se voir, s'écoeurent mutuellement. Ils se supportent. Deux personnes seules les lient. Ou du moins, Affectus les liait, Draco Malfoy les lie encore.

Ah, pourquoi Draco ? Severus, en tant que meilleur ami d'enfance de Narcissa et confident de Lucius se trouve être le parrain de Draco. Et pour une raison obscure, sa marraine n'est autre que Guenièvre, sa cousine. Obscure, car Lucius la hait. Il l'a toujours hait, haine réciproque et injustifiée. Narcissa n'a donc jamais entretenue d'amitié avec la demoiselle. Et pourtant, Guenièvre est la marraine de son fils, et son professeur de musique.

Elle se rapproche et lui tend la main, en séchant de l'autre ses larmes. Il se lève et refuse sa main. Elle la baisse donc, à regret visiblement.

« Contente de te revoir Severus. Dit elle d'une voix tremblante mais glaciale.

C'est ce que je constate. Répond il tout aussi froidement. Je ne pense pas avoir à te présenter mes condoléances…

Non, effectivement, il est plus sage que tu t'abstiennes.

Ta mère m'a dit que tu étais là le jour de sa mort…

Toujours aussi délicat Severus. Coupe-t-elle d'une voix hachée. Oui je l'ai vu mourir. J'ai écouté ses dernières volontés. Et si tu veux tout savoir, elles nous concernaient. »

Severus a envi de baisser les yeux. Pourtant il ne le fait pas. Orgueuil oblige.

« Je t'écoute. Dit il simplement.

Pas ici. Réplique-t-elle en lui faisant signe de la suivre et lui désignant l'escalier à l'autre bout de la salle. Tout ce monde m'ennuie, et je ne veux pas qu'ils entendent. Qu'ils se contentent du testament, ces vautours. »

Il la suit. Sur le passage il n'entend que des bribes de conversation. Un bras l'arrete et il se tourne vers sa tante, Jade, une petite vieille femme plutot jolie autrefois, mais aujourd'hui ravagée par la douleure. Elle lui sourit et le prend dans ses bras. Guenièvre stoppe donc sa marche et attend.

« Ah, cela me fait plaisir de vous revoir ensemble ! dit elle d'une voix tendre. Guenièvre chérie, pourras-tu lui montrer sa chambre ?

Merci ma tante, mais je ne comptes pas rester. Réplique doucement le brun avec un pâle sourire.

Et moi je refuse que tu transplane dans cet état ! réplique la vieille femme avec fermeté. J'ai assez d'un mort pour cette vie ! »

Severus se raidit et n'ajoute rien. Guenièvre lui prend la main et l'entraine dans l'excalier. Au passage il entend deux femmes parler sur leur passage :

« Ils étaient si adorables étant enfant, toujours ensembles !

Quel dommage que cela n'ai pas duré ! C'était un petit couple charmant ! »

Ils montent dans un silence de mort les marches de bois sur deux étages. Puis ils s'engouffrent dans un couloir illuminé de torches, et enfin poussent une porte à leur droite. A l'interieur, c'est la chambre de Guenièvre. A terre, il y a un matelas. Il devra dormir dans la chambre de sa cousine, vraisemblablement. Ca ne l'enchante guère mais il se garde bien de le signaler. Elle s'asseoit sur son lit. Il reste debout, adossé au mur, près de la porte. Le silence dure encore quelques minutes. Enfin la jeune femme prend la parole.

« Draco va bien ? demande-t-elle d'une voix faible mais se voulant neutre.

Je crois. Répond laconiquement le professeur de potion.

Bien… très bien… »

De nouveau le silence.

« Tu n'es pas bien bavarde. Remarque-t-il avec un rictus moqueur.

Tu me connais Severus ! réplique-t-elle séchement.

Non. Répond aussitôt l'homme. Je ne te connais pas. Mais je connais une petite fille… »

Guenièvre lève la tête, un air triste sur le visage.

« Une petite fille, poursuit-il, qui un 19 Décembre comme celui-ci, mais plus joyeux, courrait dans la neige en robe et collants. Une petite fille qui riait. Et qui criait mon nom… »

« Sésé ! Sésé attend ! »

Le jeune homme, de dix ans tout rond, soupira et se retourna, fatigué, vers l'enfant de cinq ans qui courait vers lui. Lui qui voulait se balader dans ce grand jardin pour être au calme, c'était raté d'avance.

« Se-ve-rus, Guenièvre ! articula-t-il. Severus, pas Sésé ! C'est ridicule comme surnom ! »

La petite fille stoppa face à lui, un sourire malicieux aux lèvres. C'était une jolie petite fille aux cheveux longs retenus par un ruban argenté et portant une robe verte en velour, avec des collants blancs et des souliers vernis noirs. Elle pencha la tête et sourit gracieusement.

« Elle est jolie ma robe, hein ? fit elle de sa petite voix joyeuse. Maman me l'a achetée avec papa ! Hein je suis jolie Sésé, hein ? »

Severus eut un sourire hautain et la toisa de toute sa longueure. Lui-même était habillé d'une simple tenue noire brodée d'argent au niveau des manches et ceintré à ses hanches maigres.

« Tu ferais un parfait sapin de noël ! répondit il railleusement. Quoi qu'un peu trop décoré ! »

La petite mit ses mains sur ses hanches dans une attitude sévère.

« Papa m'a dit que je ressemblais à une princesse, et que tu étais mon prince charmant ! dit elle.

Moi, le prince charmant de ce paquet cadeau enrubané ! ricana-t-il. Et puis quoi encore !

Mais papa a dit que…»

La voix de Guenièvre se fit tremblottante et elle croisa les bras dans une attitude boudeuse, les yeux se remplissant déjà de larmes de caprice. Severus leva les yeux au ciel et prit sa cousine dans ses bras, tandis qu'elle refusait de le regarder, en colère contre lui.

« Tu as raison de croire Oncle plutot que moi. Dit il avec douceure. Tu es vraiment une très jolie princesse, et je suis un prince bien laid et bête. »

La petite rit un peu et s'accrocha au cou de son cousin.

« Un jour je me marierais avec toi ! dit la petite d'une voix certaine. Et on aura pleins d'enfants ! »

Severus se raidit et rougie, mal à l'aise.

« Gwenn… dit il prudement en la serrant contre lui. On peut pas se marier… t'es ma cousine…c'est tout…

Et alors ? fit elle avec un sourire. Les princesses et les princes se marient ensemble, cousins ou pas ! Et à la fin des histoires ils ont pleins d'enfants, et de petits enfants, et d'arrières petits enfants…

C'est ça ! répliqua Severus en riant amerement. Pleins de sapins de noël aux nez crochus ! Pauvre petite princesse ! Ce n'est pas un avenir pour toi ça ! Allez, arrette de dire des bêtises et laisse moi me promener en paix ! » ajouta-t-il en la déposant à terre et se retournant vers le chemin.