Il y avait de ces rencontres étranges. De celles qui vous laissent un arrière-goût inconnu en bouche.
Pour Valymn, ça avait été ce grand guerrier à la coiffure sévère. L'air revêche, la posture rigide, et le regard glacial. C'est à peine s'il avait osé le regarder. Un scientifique ne regardait pas un guerrier en face. Ils n'étaient pas égaux. Et pourtant, le soldat avait cherché son regard, effleurant presque parfois son esprit. Surtout lorsqu'il hurlait sur les deux adorateurs qui lui servaient d'assistants.
Un peu excédé, il avait fini par confronter le guerrier. Enfin presque. Il s'était arrêté et avait fixé un point quelque part sur l'épaulière de cuir du combattant jusqu'à ce que ce dernier lui adresse la parole.
« Vous ne savez donc pas dresser vos humains ? » lui avait sifflé l'alpha.
Il avait vaguement feulé, vexé.
« Nos esclaves sont soumis et obéissants.» avait-il répondu ensuite.
« Oui, car ils vous craignent. »
« Nous sommes leurs maîtres. »
« Oui, mais des maîtres effrayants, qui risquent de les tuer à tout instant. » nota le guerrier avec un demi-sourire.
« Nous sommes des wraiths, ils sont du bétail ! » avait-il répliqué, scandalisé.
« En effet. Du bétail terrifié. Mon esclave est doux et conciliant. Il recherche ma satisfaction avec dévouement, non par crainte pour sa vie, mais dans l'espoir d'une récompense. »
A ce moment-là, il avait levé les yeux, fixant bêtement l'autre wraith.
« Les humains ne réagissent qu'à la peur. »
« Non. Il est facile de les terrifier c'est vrai, même une larve peut y arriver, mais leur donner confiance, leur apprendre à... manger dans la main, c'est un véritable art. »
Le guerrier l'avait fixé, l'air heureux de le sentir perdu.
« Votre esclave vous mange dans la main ?! »
« Façon de parler. Il sait que si je le touche, ce n'est jamais pour lui faire du mal. Si je pose ma main sur lui, c'est pour lui faire un don de vie, ou pour le récompenser pour ses actes. Il sait que nul n'a le droit de le toucher, ou il aura affaire à moi. Il sait qu'en bon maître, je veillerai toujours à ce qu'il n'ait besoin de rien. Jamais faim, jamais froid, jamais peur, et en retour de ces quelques petites attentions, mon esclave me donne tout. Sa vie, son temps, son esprit et son cœur. Il n'a ni ami, ni famille. Il n'existe que pour me servir, et se délecter de ma satisfaction. »
Le guerrier avait fouillé dans la poche de son manteau et en avait sorti un petit sachet de papier.
« Je me suis procuré ces friandises pour lui. Dans trois jours, ce sera une célébration très importante pour son peuple, et ces choses sont un élément clé du rite. En lui offrant ces aliments et quelques heures de mon temps libre, je m'assure de nombreux services précieux et utiles. Vous devriez essayer aussi. Peut-être que vos esclaves cesseraient de confondre désinfectant et dissolvant en nettoyant vos tables. »
Il n'avait pas répondu alors, seulement signifié d'un geste de la tête qu'il avait compris et le guerrier était parti. Il ne l'avait plus revu. La reine de ce dernier, qui était venue en visite, était repartie quelques heures plus tard en emmenant ses wraiths, et la vie avait repris sur la ruche, mais comme un ver qui fait son nid, les paroles du guerrier ne l'avaient pas quitté, et il y avait repensé, aux moments les plus inopportuns.
Et voilà que des mois plus tard, il se retrouvait à examiner une étoffe scintillante sur un marché mixte d'un monde neutre. Le châle était d'un bleu pâle, un motif au fil brillant étincelant dans le faible soleil. Juste aimait porter ce genre de couleur. Elle apprécierait sans doute un tel présent. Il gronda à l'idée absurde, et s'éloigna, avant de revenir, passant encore et encore devant le stand sous le regard plein d'espoir de l'adoratrice qui le tenait.
Avec un sifflement vaincu, il s'avança, les quelques piécettes que coûtait l'étoffe en main. Juste aurait un cadeau en cette fin d'année, et il en trouverait sans doute un autre pour Fébrile.
