Poudlard
Pré-au-lard
Septembre 1991
Ma très chère Lily,
Ton fils est dans ma classe cette année.
Je m'étais promis de ne plus t'écrire, je ne crois pas que ça me fasse du bien, et ça ne t'en fait certainement plus à toi non plus. Mais sa présence devant moi a rouvert la plaie qu'est ton absence.
Il ne te ressemble pas du tout. Il est son portrait à "lui". La même certitude insolente d'être le maître du monde. La même impudence.
Je lui passerais peut-être ces défauts si chaque fois qu'il lève les yeux vers moi, ce n'était pas ton regard qui me transperçait. Je te revois dans chacun de ses gestes, chacun de ses regards blessés, presque chacune de ses prises de paroles.
Mais ce n'est pas toi, bien sûr.
Toi, tu es morte. Par ma faute.
A toi pour toujours,
Severus.
Abbott's Apothicary
Chemin de traverse
octobre 1991
Chère Sophie,
Je suis bien arrivée et j'ai fini d'aménager le labo. La boutique, ça va être une autre paire de manches.
Cet endroit est affreux. Sale. Putride. un mot, glauque.
Une odeur pestilentielle règne dans la boutique, un mélange d'œufs pourris et de choux avariés. Des tonneaux remplis de… Substances gluantes s'alignent sur le sol. Des bocaux sont disposés sur les étagères sans aucune logique ni hermétisme. J'ai même trouvé du foie de dragon avarié sous le comptoir.
Je sais que monsieur Abbott était vraiment vieux quand il m'a enfin cédé le bail, mais vraiment, son stock est bon à jeter. Ou brûler. Ou enterrer si on a peur du risque d'explosion. D'un point de vue marketing, je ne comprends ni comment il y avait encore des clients ni pourquoi ils revenaient.
Mais haut les coeurs, Sophie. Il n'est pas question de me décourager pour "si peu"...
Sophie chérie, je sais que tu considères qu'une boutique d'apothicaire n'est pas un lieu adapté pour une enfant, mais je suis sûre que tu aurais dû me la laisser sur notre Guernesey plutôt que d'arracher ma mini-Sophie à sa marraine adorée pour des choses aussi triviales que de l'emmener suivre une bonne scolarité à Paris.
Enfin, les vaisseaux sont brûlés et j'entend bien venir souvent vous voir pour la gâter outrageusement et lui apprendre toutes les grimaces indispensables. Et vous ravitailler Paul et toi en marmite et toutes les autres étrangetés que les anglais peuvent cuisiner.
D'ici là, il va falloir que je me retrousse les manches. Même la clientèle me semble étrange et déplaisante. Certains campent devant la porte, malgré le panonceau annonçant la fermeture temporaire et le changement de propriétaire. Quand prise de pitié, je finis par leur ouvrir pour les dépanner en oeil de scarabé moisi, je crois même qu'ils ne réalisent pas que je ne suis pas le vieil Abbott. A la rigueur, ils ne sont pas méchants, juste indifférents à ces viles considérations. J'espère que quand je rouvrirai après désinfection complète du lieu (peut être qu'il faudrait brûler ? ça irait plus vite) je me ferai une clientèle plus causante et ouverte. Ces petits vieux ne sont même pas les pires.
Ce matin, un homme a failli dégonder la porte à force de frapper dessus. Il m'a incendié quand je lui ai ouvert, me reprochant l'heure tardive d'ouverture, et qu'il en parlerait à mon maître. Il a cru que j'étais l'apprentie de Abbott, ce qui aurait presque pu être flatteur quand on connait mon âge, s'il n'avait pas était aussi odieux. Il a vociféré que le seul et unique attrait de cette boutique était que si on parvenait à faire abstraction de la propreté, de la qualité et de la fraîcheur des produits, au moins elle était ouverte.
Là dessus, qui lui donnerait tort.
L'individu était lui même tout aussi absurde. Blafard, émacié, les cheveux gras. On aurait dit une chauve-souris géante. Même sa voix m'a fait frissonner, froide et aussi profonde qu'une crypte. Malheureusement, je ne pouvais pas le mettre à la porte, parce qu'il est, il me semble, le professeur de potion de Poudlard, et qu'on ne crache pas sur un de ses plus gros clients et prescripteur potentiel.
Je n'ai même pas eu l'occasion de faire semblant d'être méchante et froide pour le reprendre avec sadisme sur son erreur. Il s'en est rendu compte seul en entrant dans le magasin vide dont j'étais en train de récurer le dallage.
Je ne dirais pas qu'il s'est excusé. Manifestement ce genre d'homme n'admet jamais s'être mal conduit. Il a juste demandé d'une voix froide si maître Abbott s'était retiré. Je lui ai expliqué la situation, et tu serais fière de moi, j'ai commercialement souligné toutes les modifications que j'entendais apporter à la gestion du magasin en termes de fraîcheur des produits et d'hygiène.
Je crois avoir réussi à lui faire bonne impression en le dépannant en feuilles fraîches de mandragore de très belle qualité. Je crois avoir compris qu'il est tombé en panne de ces feuilles au milieu d'une potion complexe, et sans ça, n'aurait jamais approché l'étal putride de Abbott.
Je ne dirai pas que l'homme est parti content, ou même de meilleure humeur qu'en arrivant, mais enfin, il semblait presque satisfait de son achat. Avec beaucoup de chance, quand j'ouvrirai, il enverra ses larbins juger de la qualité des produits à l'ouverture et faire des achats plantagrueliques.
Avec une chance plus raisonnable, il reviendra lui-même mais de meilleure humeur.
Je t'écrirai bientôt pour te parler du stock, mais je voudrais réussir à finir d'installer ce portail vers le jardin avant demain.
Je vous embrasse tous les trois bien forts,
Votre Hellebore, bien fatiguée
Abbott's Apothicary
Chemin de traverse
novembre 1991
Chère Sophie,
Merci pour ces jarres hermétiques, c'est exactement ce dont j'avais besoin. On peut vraiment compter sur Paris pour ces articles beaux et délicats. ça changera des jarres en terre de toutes les apothicaireries londoniennes.
ça m'ennuie de mettre les plus lourdes en haut des étagères, mais c'est là qu'elles seront le plus à l'abri de la lumière. Es-tu certaine que de les faire léviter magiquement peut endommager les substances ? J'en suis à espérer que personne n'achètera ces produits et que je n'aurais pas à les déplacer souvent.
Tu me demandais comment j'avais fabriqué le portail entre la boutique et mon jardin de Guernesey. C'est tout bête, enfin, presque. Quand je suis arrivée dans le magasin, il y avait de larges panneaux de bois qui menaient vers une cour sombre et étriquée. J'ai fabriqué des belles porte fenêtre à vitraux et avec les sortilèges adéquats sur la poignée, en la tournant de la bonne façon, quand on ouvre ces portes depuis ce magasin sinistre du chemin de traverse, on se retrouve parmi les carrés de plantes et fleurs, risquant la noyade dans la lumière éclatante de l'île. Non seulement, ça me permet d'avoir un avantage concurrentiel en ayant les produits les plus frais de Londres (puisque quoi de plus pratique que d'aller les cueillir directement dans les plantations) mais en plus, même fermés, ces vitraux amènent une lumière magnifique dans cette échoppe georgienne si sombre.
Je crois que c'est pour ça qu'autant de challans collent leur nez à ma vitrine. J'en serai ravie s'ils ne risquaient pas de me la resalir. Je vais coller des affiches publicitaires pour la protéger et ménager le suspens.
Je ne sais pas si je me ferai aux clients londoniens. Je dois avoir la nostalgie de mon ancienne boutique sur la côte Normande, mais il me semble que les clients entraient en saluant joyeusement, ou au moins poliment, prenaient des nouvelles du chien, de la récolte et de la famille (en général dans cet ordre) et te racontaient les derniers potins avant de te demander ne serait-ce que trois graines de dictame.
Ici, sans être encore officiellement ouvert, le magasin attire une clientèle plus… Pragmatique ? Efficace ? Mal élevée ? Les salutations sont clairement une option, et parfois même on considère qu'il suffit de mentionner l'article dont on souhaite faire l'acquisition en guise d'échange verbal.
Je viendrais à bout de tous ! Je connaîtrais le nom des enfants, des chiens et des hiboux de chacun, même les plus grognons.
Quoi que l'un d'entre eux va être difficile à amadouer. Mon professeur de potion chauve-souris vient régulièrement depuis l'intrusion dont je t'ai parlé. Non pas pour ma compagnie (il a bien tort), mais uniquement pour mes produits frais. De ce que j'ai vu de Londres, je suis la seule à vendre autre chose que des feuilles sèches ou macérées dans du moisi. C'est le client le moins aimable que je n'ai jamais servi, et pourtant, cette ville est clairement une source inépuisable de clients peu urbains.
Je dois te sembler bien raleuse envers Londres. Je ne me laisse pas abattre, mais j'avoue collectionner les cailloux dans la chaussure sur le chemin de la réussite et du bonheur. J'avais quitté ma Guernesey chérie pour un homme, un magasin et une vie sociale, et comme tu le sais, l'homme en question, hum, voila, la boutique est un cloaque et ça ne me laisse pas beaucoup de temps pour une vie sociale.
Mais enfin, hardi compagnons, l'emplacement est bon, et je suis sûre de pouvoir apporter beaucoup aux potionnistes anglais. Les herboristes locaux ont vraiment des soucis d'approvisionnement. Heureusement pour moi, le climat plus clément de Guernesey me permet de faire pousser beaucoup de choses très exotiques pour les anglais, l'île est rattachée au Royaume-Uni, ce qui m'épargnera toutes les tracasseries administratives d'import.
Tu te rends compte que les anglais ont tellement de mal à se fournir en herbes qu'ils ne produisent pas de tue-loup à prix raisonnable ? Ne viens jamais dans cette île avec ma Sophinette chérie un soir de pleine lune. Je me demande si ce n'est pas comme ça que je vais réussir mon lancement. Les loups garou ne sont peut être pas la population la plus riche, mais Merlin sait à quel point ils ont besoin de cette potion. C'est un vrai souci qu'elle soit si chère à produire mais j'ai des idées pour remplacer certains réactifs trop luxueux. Il faudrait que je fasse quelques expériences.
Si tu as des idées pour remplacer l'asphodèle, pense à moi. Je ne sais pas où je vais réussir à trouver ces délicates fleurs méditerranéennes pour moins cher.
Je t'embrasse,
Hellebore.
