« I'VE ALWAYS LIKED TO PLAY WITH FIRE »
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« Les elementaris constituaient autrefois un peuple de faeries vénéré et respecté. Ils pouvaient contrôler les éléments auxquels ils étaient rattachés : la terre pour les terranis, le vent pour les ventis, l'eau pour les aquanis et le feu pour les infernis.
Mais le grand exil et l'instabilité qui s'en suivit eurent raison de leur race. Les autres faeries crurent, à tort, qu'ils descendaient des dragons et que, tant qu'ils vivraient, le sacrifice bleu ne serait pas complet.
A l'instar des daemons, ils furent traqués et massacrés pendant des siècles et aujourd'hui, seule une petite poignée d'individus subsiste encore, vivant cachés, la peur au ventre de tomber entre les mains de mercenaires ou de marchands d'esclaves. »
Nevra avait toujours eu une sainte horreur du climat hostile des Terres de l'Ouest. Il y faisait beaucoup trop froid et humide à son goût. Le paysage, balayé continuellement par un vent glacial, baignait dans une atmosphère sombre et peu hospitalière, le soleil ne perçant qu'en de très rares occasions le manteau nuageux qui s'élevait au-dessus de lui.
Il pesta intérieurement et remonta le col de sa cape de voyage. Une fine bruine tombait depuis plusieurs heures, trempant ses vêtements qui glissaient de manière désagréable contre sa peau. Il accéléra le pas et finit par arriver en vue de l'auberge qu'il cherchait. Le bâtiment ne payait pas de mine aux premiers abords, bâtis en pierre grise, il se dressait sur deux étages. De larges fissures parcouraient le mur de la façade et le toit de chaume menaçait de s'affaisser par endroits, mais peu importe, il ne comptait pas y passer la nuit de toute façon. Le vampire s'engouffra à l'intérieur et fut accueilli par des effluves malodorants de sueurs, de relents d'alcool bas de gamme et des éclats de rire gras. Il plissa le nez et retira sa capuche avant de passer négligemment une main dans ses cheveux mouillés. Il en profita pour balayer la salle du regard, étudiant chaque issue de secours potentielle. Il aimait savoir où il mettait les pieds et par où il pouvait sortir en cas de besoin. Il remarqua toute de suite le grand escalier permettant d'accéder aux chambres à l'étage, ainsi que la porte située derrière le bar qui devait probablement mener aux cuisines. À choisir, il préférait encore passer par la porte par laquelle il venait d'entrer, mais la suite ne dépendrait malheureusement pas de lui.
Il retint un soupir et se dirigea vers le comptoir. Il fut tenté de s'y accouder, mais la couche de crasse incrustée dans le bois l'en dissuada. À la place, il resta debout, tous les sens en alerte, et apostropha l'aubergiste : un brownie à la carrure imposante et aux épais sourcils roux dont le tablier rapiécé mettait en évidence la grosse bedaine qui lui servait de ventre. Il collait parfaitement avec l'endroit, on ne pouvait pas dire le contraire.
« Je peux avoir une bière ? »
Un verre glissa dans sa direction et il paya à contrecoeur. Au vu de l'odeur et de la couleur, ça n'allait pas être la meilleure bière de sa vie. Par l'oracle, tu m'étonnes que cet endroit craint s'ils n'ont que ça à boire, pensa-t-il alors qu'il trempait ses lèvres, buvant une gorgée du liquide âpre. Nevra grimaça, c'était tout juste buvable, comme il s'y attendait. Il prit sur lui et se força néanmoins à prendre une autre gorgée tandis qu'il observait distraitement les clients qui avaient trouvé refuge dans cette auberge miteuse.
Deux faeries étaient installés non loin de lui au bar, dont un qui se balançait dangereusement sur son tabouret. Leur état à moitié léthargique montrait qu'ils étaient bien trop ivres pour représenter une réelle menace. C'était une bonne chose. Un autre groupe attira davantage son attention. Assis autour de plusieurs tables au milieu de la pièce, une dizaine d'hommes était en train de manger et de boire en charmante compagnie. Des dryades, beaucoup trop maquillés et trop peu habillés étaient assises sur les genoux de certains, leur faisant les yeux doux avec insistance. Il fronça les sourcils, ce n'étaient pas eux qu'ils cherchaient.
Il se focalisa alors sur la table du fond, occupée par deux hommes et une fille. Un des deux faeliens – le plus petit – somnolait, les bras croisés contre son buste et le menton posé dessus, tandis que son acolyte buvait goulûment son verre. Quant à la fille, il ne pouvait pas dire. Elle était positionnée dos à lui et depuis l'endroit où il se tenait, il ne voyait que le sommet de son crâne qui dépassait du dossier de sa chaise. Mais il était pratiquement sûr que c'étaient eux, enfin surtout elle. Celle à cause de qui la garde l'avait envoyé en mission dans ce trou perdu. Évidemment, les missions au soleil, ce n'est jamais pour toi mon vieux.
Le vampire continua de les observer discrètement, buvant par intermittence le contenu de son verre et refusant poliment les avances d'une des femmes au teint fardé. L'ombre d'un sourire passa sur ses lèvres lorsqu'il vit celui qui dormait presque sur place s'étirer et monter à l'étage. Un de moins sans avoir besoin de se salir les mains. Le second se leva à son tour peu de temps après, et glissa quelques mots à l'oreille de sa camarade avant de sortir dehors. Et de deux. Il interpella une nouvelle fois le tavernier et posa trois pièces d'or sur le comptoir.
« L'homme qui vient de sortir, dit-il en indiquant la porte d'un mouvement de tête. Quand il reviendra, offre lui un verre de ton meilleur hydromel. C'est pour moi. »
Ce dernier le regarda avec méfiance, mais prit quand même l'argent, non sans jeter plusieurs coups d'œil en direction de la table du fond. La fille n'avait pas bougé. Elle s'y trouvait toujours, assise sous la lumière tamisée des lanternes accrochées aux murs.
« Si c'est elle qui vous intéresse, sachez que ce n'est pas une-
_ Je sais. » le coupa-t-il avant de filer.
Il se faufila jusqu'à elle, évitant les bousculades et éclaboussures d'alcool sur son chemin.
« Cette place est libre ? » demanda-t-il, tout en prenant place sur le tabouret qui traînait en bout de table sans même attendre de réponse.
La jeune femme sursauta et se tourna vers lui. Elle ne l'avait pas entendu arriver et cette perspective lui arracher un rictus narquois. Mais elle ne laissa pas son trouble la prendre de cours plus longtemps et se renfrogna.
« Je ne suis pas d'humeur, alors barrez-vous et retourner avec vos amis.
_ Ce ne sont pas mes amis. »
Il l'observa plus en détail. Elle correspondait à la description qu'on lui avait faite : de taille moyenne, elle était mince, voire presque maigre à en croire ses clavicules saillantes. Elle avait un visage aux traits définis, un nez effilé et droit, et une bouche pleine. Ses longs cheveux bruns aux reflets dorés tombaient en cascade dans son dos et, bien que ternes, ses yeux étaient d'une douce couleur ambrée. Elle semblait jeune. Il lui donnait dix-huit ans tout au plus, et pourtant, elle donnait déjà l'impression de porter tout le poids du monde sur ses frêles épaules.
« Je peux t'offrir à boire ? La bière n'est pas mauvaise, si on fait abstraction du goût et de l'odeur. »
Elle le toisa froidement.
« Vous êtes sourd ? Je vous ai dit de me laisser tranquille. C'est un conseil que je vous donne, si vous ne partez pas tout de suite, Gregor s'occupera de vous quand il reviendra. Alors déguerpissez, ça vaut mieux pour vous.
_ Gragor c'est le nom du type qui est sorti ? Il a l'air charmant, pas autant que moi bien sûr, mais charmant quand même. »
Elle fronça les sourcils et contracta un peu plus sa mâchoire.
« Je veux juste discuter un peu, déclara-t-il en levant les mains en l'air, en signe de paix.
_ Pas moi. Vous perdez votre temps et vous me prenez certainement pour quelqu'un d'autre. »
Elle coula un regard appuyé et rempli de dédains vers les nymphes qui s'accrochaient désespérément aux bras et aux cous des hommes ivres. Il comprit parfaitement le sous-entendu et la jaugea. Elle était plutôt jolie, mais définitivement trop jeune à son goût pour tomber dans les méandres de la prostitution. Et pourtant, la froideur avec laquelle elle lui avait répondu indiquée que ce n'était pas la première fois qu'elle se retrouvait confrontée à ce genre de situation.
« Tu penses que ton sort est plus enviable que le leur ? il ne lui laissa pas le temps de répondre en enchaîna. Quoi qu'il en soit, je crois au contraire que tu es exactement la personne que je recherche. »
Il rapprocha son visage seulement à quelques centimètres du sien.
« C'est toi l'inferni, n'est-ce-pas ? »
Un éclat lumineux brilla dans le fond de ses iris et, l'instant d'après, elle était debout, prête à prendre la fuite. Mais elle ne fut pas assez rapide. D'un bond, Nevra se leva et lui attrapa les poignets, y attachant deux bracelets métalliques autours, avant de la forcer à se rasseoir. Elle grimaça et laissa échapper un gémissement douloureux alors qu'elle essayait de se défaire de ses menottes, en vain. Le contact de l'acier contre sa peau la brûlait.
« C'est de l'acier renforcé en diamandine. J'imagine que tu connais, ça sert à t'empêcher d'utiliser tes pouvoirs au cas où tu aurais envie de faire une bêtise. »
Intérieurement, il remercia son homologue de la garde obsidienne pour son précieux cadeau.
« Les élémentaris sont dangereux, encore plus quand ils ne contrôlent pas complétement leurs pouvoirs, lui avait-il dit. N'hésite pas à t'en servir parce qu'elle, elle n'hésitera pas une seule seconde à te faire rôtir vivant si elle se sent menacée. »
Et à en croire le regard meurtrier qu'elle lui lançait, il supposa que c'était effectivement le cas. Elle n'avait qu'une envie : le transformer en torche humaine et jouer avec ses cendres, mais pourquoi lui et pas ses compagnons de route ? Ils se comportaient comme des ogres avec elle, la traitait comme une misérable moins que rien alors qu'avec ses pouvoirs, elle aurait dû les mener à la baguette. Mais à la place, c'était elle qui leur mangeait dans la main, acceptant les ordres et les coups sans broncher.
« Tu as de sérieux ennuis, tu sais ? La garde d'Eel t'a dans le viseur depuis un moment déjà.
_ Je me moque bien de la garde, cracha-t-elle. Vous êtes un vampire, n'est-ce-pas ? Qu'est-ce que vous faites dans un coin aussi paumé loin de chez vous ? Une soudaine envie de découvrir les environs et de goûter le sang des locaux ? Je suis sûre qu'il est aussi infâme que cette bière.
_ Je travaille. Et mon boulot consiste à vous arrêter, toi et ta petite bande.
_ Ce n'est pas « ma petite bande », corrigea-t-elle, les dents serrées.
_ C'est quoi alors ? Ta petite colonie de vacances ?
_ Mon travail. »
Le vampire soupira doucement et croisa les bras contre son buste.
« Et tu penses que c'est un travail honorable de piller les villages et de tout détruire sur ton passage ? Tu ne penses pas que, peut-être, tu vaux mieux que ça ?
_ Si c'est pour faire de la psychologie de comptoir que vous êtes ici, vous pouvez repartir.
_ Je vous ai observé, avoua-t-il brusquement. Je vous observe depuis plusieurs jours avec mon équipe. Tu n'es pas comme eux, tu es sous leurs ordres. Ils ne te considèrent pas comme une des leurs, la preuve, ils traitent mieux leurs blacks dogs que toi. À leurs yeux, tu n'es rien de plus qu'une arme. »
Elle resta silencieuse, alors il continua, enfonçant un peu plus le clou.
« Dès qu'ils n'auront plus besoin de toi, ils te vendront au plus offrant sans une once de remords, ou pire. Alors pourquoi est-ce que tu restes avec eux ? Pourquoi est-ce que tu ne pars pas ? Tu n'as pas de chaînes aux poignets, alors qu'est-ce qui t'empêches de partir ? »
Ses iris ambrés prirent une teinte plus sombre et les muscles de son visage, de tout son corps, se raidirent. Ses doigts furent agités de tremblement, qu'elle tenta de dissimuler en serrant fermement les poings.
« Regarde autour de toi, il balaya la salle et ses occupants d'un geste de la main. C'est ça que tu veux ? Finir tes jours dans un trou à rats comme celui-ci ? Tu n'as pas l'air d'être une mauvaise personne et ça se voit que tu ne prends pas le moindre plaisir à faire ce que tu fais. Tu le fais juste parce qu'ils te l'ordonnent, c'est tout. »
Il marqua une pause.
« Je peux t'aider, mais ça ne dépend que de toi. Dis-moi juste pourquoi tu restes avec eux et je t'aiderais. La garde peut t'aider, elle peut te protéger.
_ La garde … le mépris transperçait dans sa voix. Et où était la garde quand mon peuple se faisait massacrer ? Où était la garde lorsque les marchands d'esclaves sont venus se nourrir des restes ? »
Il ouvrit la bouche pour répondre, mais la referma aussitôt. Elle avait raison. La garde condamnait fermement la traite des faeries, mais pour autant, ils n'avaient rien fait. Ils n'avaient rien fait en partie parce que les Terres de l'Ouest ne dépendaient pas de leur juridiction et il était rare qu'ils y soient envoyés en mission. Mais il garda ça pour lui, ce n'était pas ce qu'elle avait envie d'entendre.
« Pourquoi est-ce que vous m'aideriez ? finit-elle par demander. Il y a deux minutes, vous disiez que vous étiez venu pour m'arrêter. Et vu tout ce que j'ai fais, la seule chose qui m'attend, dans le meilleur des cas, c'est la prison à perpétuité.
_ Tu ne mérites pas ça. »
Les mots étaient sortis tout seul. Il avait de la peine pour elle, et d'une certaine façon, elle lui faisait penser à sa sœur. Elle semblait être aussi impétueuse et piquante que Karenn, peut-être même plus. Et il aurait aimé que quelqu'un veille sur elle et lui vienne en aide s'il n'avait pas été en mesure de le faire lui-même.
Elle leva des yeux brillants vers lui, et au même moment, la porte d'entrée s'ouvrit. Du coin de l'œil, il vit le faelien se glisser à l'intérieur, mais à peine eut-il fait un pas que le tavernier l'interpella depuis l'arrière du bar, attirant son attention. Nevra retint un soupir, il venait de gagner de précieuses secondes
« Pourquoi est-ce que tu restes avec eux ? » la pressa-t-il.
Elle sembla hésiter, faisant plusieurs fois la navette entre lui et l'homme se trouvait dans son dos. Il vit son expression changer peu à peu et la panique gagner son regard. Les couleurs de son visage disparurent comme neige au soleil et sa respiration se bloqua dans sa gorge, alors que des larmes perlaient aux coins de ses yeux. Elle ressemblait à un animal pris au piège qui ne savait pas quoi faire pour survivre. Elle était piégée et un inconnu lui offrait un espoir auquel elle ne voulait plus croire sur un plateau. C'était trop beau, beaucoup trop beau pour être vrai.
« Si tu ne me le dis pas, je ne pourrai rien faire pour t'aider. »
Il posa une main sur la sienne dans un geste qui se voulait encourageant.
« Vous ne pouvez rien faire, elle secoua la tête.
_ Laisse-moi en juger par moi-même. Ne me sous-estime pas. Ne sous-estime pas la garde.
_ Vous ne savez pas de quoi ils sont capables. Vous ne les connaissez pas, moi si. »
Elle recula, se soustrayant de sa prise, et ramena ses mains contre sa poitrine.
« Tu ne me connais pas non plus. J'ai plus d'un tour dans mon sac.
_ Vous n'avez aucune chance contre eux. Ils sont plus nombreux que vous ne le pensez.
_ Neuf, si mes informations sont exactes, déclara-t-il en observant le bout de ses ongles. Les cinq qui montent la garde non loin dehors ont déjà été neutralisé par mon équipe. Il ne reste plus que les quatre autres qui logent dans cette auberge, rien que je ne puisse pas gérer seul. »
Elle pencha la tête sur le côté et fronça les sourcils.
« Et puis, je pense pouvoir dire sans me vanter que, de tous ceux qui vous traquent, je suis le premier à réussir à vous mettre la main dessus. Alors quand je dis que je peux t'aider, sache que ce n'est pas des paroles en l'air, c'est un fait. Tu peux me faire confiance. »
Il posa un regard sérieux sur elle.
« Qu'est-ce que tu décides ? Tu es avec eux ou avec moi ?
Une chaise racla bruyamment sur le sol et des bruits de pas précipités se firent entendre derrière lui. Ils allaient avoir de la compagnie.
« Je ne peux pas partir. Ils ont mon frère … » murmura-t-elle, si bas qu'il ne l'aurait probablement pas entendue sans son ouïe vampirique.
Une poigne de fer s'abattit avec force sur son épaule à la seconde où elle finit sa phrase, le forçant à se retourner.
« Qu'est-ce que tu veux toi ?! aboya l'homme. Fiche le camp d'ici !
_ Gregor je suppose ? il sourit à pleine dent. Ravie de faire votre connaissance. Je crois qu'on a beaucoup de choses à se dire vous et moi. »
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[NOTE DE L'AUTEUR]
À la base, cette histoire n'était qu'une idée parmi tant d'autres, mais je pense que ma frustration concernant le traitement du personnage de Lance et sa route plutôt bâclée (ou catastrophique alors qu'il avait un potentiel de dingue !) dans ENA m'a motivé à essayer d'en faire quelque chose.
Et finalement, j'ai l'impression que ça a pris une ampleur qui m'a un peu dépassé et que je n'avais pas prévue. Je ne sais pas où ça va me mener, mais on verra bien. Pour le moment, j'imagine cette fanfiction s'articuler autour de trois parties (ou quatre, la répartition n'est pas encore clairement définie dans ma tête), donc je verrais au fur et à mesure de la rédaction !
AVANT PROPOS : Les premiers chapitres de la "PARTIE I" se déroulent environ un an avant la trame de The Origins. Cette fanfiction a pour but de la rattraper et de s'intégrer au fur et à mesure dans les différents évènements.
J'ai également pris quelques libertés scénaristiques au niveau de la chronologie ou de certains éléments qui paraissent totalement normaux quand on joue à un jeu en ligne. Mais beaucoup moins quand on écrit et qu'on veut que l'histoire tienne la route et soit un minimum crédible.
