Chapitre 44 : Paris
En sortant du Louvre, ils longèrent la rue Rivoli et allèrent récupérer leurs bagages laissés à la consigne de la Gare du Nord avant de se rendre en voiture, rue de Fleurus, où il pénétrèrent dans une petite maison mitoyenne à la devanture grise. La bâtisse, peu large, mais décorée avec goût, s'élevait sur trois étages et étaient confortablement meublée. Ils s'empressèrent ouvrir les fenêtres pour faire circuler l'air et ôtèrent les grands draps blancs recouvrant le mobilier. Puis, laissant leur sac dans une coquette chambre au premier étage, ils s'installèrent dans le salon avec la petite carte codée et de quoi écrire.
'Ixvi mrwgvmx ey terxlisr hi pe pmxxivexyvi, mp ir e jemx we Qywi ix we virsqqii. Vinsmkrid-pe ix ehqmvid wsr hmehiqi wtmriwgirx.'
Un sourire ravi sur son beau visage, Holmes s'inclina sur le message et dit :
– Il existe une multitude de méthodes pour chiffrer un message… Je ne pense pas que cela soit très difficile de casser ce code… Commença le détective. L'essentiel c'est d'avoir la clé.
– Voulez-vous que je vous aide, amour ?
– Je ne pense pas que cela sera nécessaire, mon ami, répondit-il en lui souriant. Je vois déjà des possibilités. Cela ne me prendra pas de temps.
– Dans ce cas, je vais m'absenter un instant, chercher quelques emplettes comestibles pour nos repas. J'ai vu une petite épicerie au coin d'une rue à deux pâtés de maisons…
Le médecin se pencha sur son homme et lui mordit doucement le cou.
– Et, je compte bien vous faire manger un peu durant cette enquête, ajouta-t-il, la voix légèrement étouffée.
Le limier leva les yeux au ciel en soupirant et lui répondit de mauvaise grâce, en lui baisant la naissance de la mâchoire :
– D'accord, John… Vous trouverez de la monnaie dans mon portefeuille. Ne soyez pas long !
Après un rapide baiser, le blond partit, laissant derrière lui, son détective occupé à griffonner sur des feuilles.
– Bon… commençons par essayer le codage le plus simple…
Une petite dizaine de minutes passèrent avant que dans un grognement, le brun lâcha :
– Je m'en doutais… C'était bien trop simple…
Il se pencha à nouveau sur sa feuille et coucha sur le papier la phrase décodée. Lorsqu'il la lut, il fronça les sourcils et partit dans un éclat de rire. C'est à ce moment-là, que le docteur entra, les bras chargés de victuailles.
– Holmes ? Tout se passe bien ? Demanda-t-il, en déposant ses courses. Pourquoi une telle hilarité ?
–Oh ! Mon cher Watson ! Vous êtes rentré… Commença le brun en s'essuyant les yeux. Il n'y a rien, c'est juste ce code…
– Vous l'avez déjà décodé ?
– Oui, bien sûr, cela a été même trop simple… Codage de César… Mais c'est le contenu du message en lui-même, qui va me poser le plus de problème.
– Codage de César ?
– Oui. Notre voleur a juste remplacé chaque caractère de son message en les déplaçant de cinq lettres. Le « A » devient « E », le « B » devient « F », le « C » devient « G » et ainsi de suite… Enfantin.
– Et donc ? Quelle est la teneur du message ?
– Lisez par vous-même ! Répondit le logicien en riant doucement.
Il lui tendit sa feuille et s'alluma une cigarette après en avoir proposé une à son docteur.
– Voyons voir…
«
'Être inscrit au panthéon de la littérature, il en a fait sa Muse et sa renommée. Rejoignez-la et admirez son diadème spinescent.'
»
– Comment ? Une énigme ? Il a codé une énigme ? S'exclama le militaire.
– Pourquoi pas… Si ça lui fait plaisir… Répondit évasivement le brun en soufflant la fumée de son tabac.
– Avez-vous une idée de la réponse ?
– Pas la moindre, d'où ma réaction de tout à l'heure.
– Oh ! Je vois. Si vous me le permettez, je vais ranger nos provisions et nous allons décoder cela ensemble… Je peux peut-être vous aider sur ce point.
– J'espère… Vu mes connaissances limitées dans le domaine de la littérature. Faire des recherches nous ferait perdre beaucoup de temps...
Les vivres stockés dans la cuisine, Watson rejoignit son logicien et s'installa à ses côtés, sur le sofa. Il prit délicatement des mains de celui-ci, le morceau de papier et le relut.
– Pouvez-vous me dire où en sont vos réflexions ?
– Selon toute logique, si j'omets le côté littéraire du message, le mot « Muse », nous mènera à une femme… Ou peut-être un lieu…
– Je suis du même avis. Mais j'opterais plus pour un lieu. Hormis le conservateur, nous ne connaissons personne à Paris.
– Je suis d'accord, acquiesça le cadet. Mais j'y pense… Peut-être que notre homme fait un jeu de mots avec les termes « être » et « panthéon », vu qu'il semble être friand de ce genre de pirouette linguistique... Il ne faut pas oublier que nous avons affaire à quelqu'un qui sait écrire…
– Donc si je comprends bien, cela parle d'un homme qui est au Panthéon… Donc de quelqu'un qui y est enterré.
– Connaissez-vous des écrivains, des poètes qui y sont ?
– Heu… Il me semble qu'il y a Voltaire, Rousseau, Marat… heu non, lui, il était médecin…
– Mort assassiné en 1793, je sais. Qui d'autre ?
– Récemment, Victor Hugo y a été inhumé. Oh ! Mais attendez ! Un de ses plus beaux romans s'appelait Notre-Dame de Paris. Cela fonctionnerait avec notre énigme…
– C'est effectivement un lieu, mais qu'elle est le lien avec, je cite : « le diadème spinescent » ?
– La Cathédrale conserve de nombreuses reliques du Christ, Sherlock… Dont la Sainte Couronne.
Avec un sourire heureux, Holmes pris des lèvres de son docteur, puis la parole :
– Cela concorde parfaitement… Je crois bien que vous avez trouvé, John ! Vous êtes formidable !
Il l'embrassa passionnément une nouvelle fois, puis l'attira avec lui vers la porte.
Allons-y ! C'est à deux pas ! En cab, nous y serons en moins de cinq minutes.
À peine débouchèrent-ils sur la rue de Vaugirard, que le génie manqua de donner une crise cardiaque à un cocher, en sautant devant sa voiture pour l'arrêter et s'y engouffrer en tirant son compagnon. Comme prévu, ils atteignirent leur destination en peu de temps. Traversant rapidement l'esplanade de l'imposant monument, ils entrèrent et furent immédiatement subjugués par tant de magnificence. Le détective, bien que peu sensible à la beauté de l'art, s'arrêta immédiatement. Son esprit, fut-il entièrement tourné vers son enquête, il contempla un court instant les murs et colonnes colorés par la lumière que les vitraux des rosaces laissaient passer. Charmé, il prit la main de son docteur et lui dit tout bas :
– Je ne crois pas en Dieu, Watson. Vous le savez. Mais face à un tel spectacle, je pourrais presque douter de mes convictions, si je ne savais pas que c'était l'humain qui en est la cause…
Pour toute réponse, l'ancien militaire lui serra brièvement la main et lui sourit. Puis, il passa son bras sous le sien et se dirigea vers la Sainte Couronne, l'entraînant avec lui.
– Venez mon cher, notre prochaine étape doit être quelque part, ici.
Ils cherchèrent un peu partout. Au début dans des endroits visibles, puis faisant chou-blanc, ils envisagèrent des lieux improbables, de moins en moins discrètement. Alors que Holmes s'apprêtait à escalader une colonne pour atteindre un encensoir accroché en hauteur, un léger raclement de gorge attira leur attention. Une enfant, d'un peu moins de dix ans, s'approcha d'eux timidement et d'une voix fluette et un peu tremblante, elle s'adressa à eux avec politesse :
– Bonjour messieurs, je suis désolée de vous déranger, mais vous semblez chercher quelque chose depuis quelque temps… Et quelqu'un m'a dit que si c'est le cas, je devais vous donner ceci.
Elle tendit à Watson une petite enveloppe, avec un petit sourire. Celui-ci la prit et lui donna un franc pour la remercier. Lorsqu'elle partit, ils se retirèrent dans une chapelle, ouvrirent la missive et découvrirent un feuillet d'un grammage un peu plus fin qu'à l'accoutumé. Mais seulement deux lignes y figuraient tout en haut.
«
Mes félicitations, messieurs. Vous avez atteint la première étape de votre voyage… Mais serez-vous capable d'en faire autant pour la deuxième ? Bonne chance !
»
La feuille fut retournée. Rien.
– Puis-je ? Demanda le plus jeune.
Il se saisit du papier et le porta immédiatement à son nez.
– Comme je le pensais… Je sens une petite odeur acidulée. Notre homme, bien que d'un certain âge, s'amuse à masquer des messages comme un enfant… Il a utilisé du jus de citron.
Le médecin, amusé, sortit une boite d'allumettes et moyennant de l'argent, alluma un cierge qu'il planta dans un présentoir aux pieds de la statue de Saint-Martin auprès duquel ils se trouvaient, en souriant.
– Une coïncidence qui tombe à propos… Nous brûlons une bougie pour le Saint qui protège les policiers… Je suis convaincu que la simplicité de cette nouvelle énigme ne continuera pas.
Le détective approcha le feuillet de la flamme, et progressivement, sous l'effet de la chaleur, des mots rougeâtres apparurent.
«
Adoré par le Soleil et ses planètes gravitant autour, à l'instar de Shakespeare, on dit que je suis la langue des Français. Mon entrée dans le Royaume s'est faite dans l'ombre, mais je brille maintenant parmi les plus grands, ma place se situe dans un chemin qui porte mon nom.
»
– J'imagine que votre aide ne sera pas superflue, mon cher ami, sourit le brun, en lisant le court texte.
