Chapitre 4
Deux heures plus tard, je me retrouvai seule dans le parc, assise sur un banc pas loin du fourré de buissons. J'étais encore en état de choc. Tout ce que je pensais savoir, tout ce que l'on m'avait appris depuis quinze années avait été anéanti en deux heures seulement.
A 19 heures, ne me trouvant pas chez moi, Jake partit à ma recherche. Lorsqu'il me vit, il eut un hoquet de surprise.
« Jade ? Jade ça va ? »
Je revins brusquement à cette réalité qui était encore la mienne.
« Hein ! Quoi ?
Ca va ?
Oui, oui !
Heu… Tu sais que tu es censée être chez toi ? Il est 19 heures ! »
Je me levai d'un bond, repensant tout à coup que je les avais invités.
« Merde ! Ils sont déjà là ?
Je ne sais pas ! »
Il me dévisaga.
« Mais qu'est-ce qui t'arrive ?
Je t'expliquerai à la maison ! »
Et je me mis à courir, Jake sur les talons.
« Tu peux courir ailleurs que sur mes talons s'il te plait ? Ca fait mal !
Oui, excuse !
Quand nous fûmes arrivés à la maison, Liv et Din nous attendaient sur le pas de la porte.
« Désolée, je n'ai pas vu le temps filer ! » dis-je, tout en les faisant entrer.
« Que s'est-il passé ? » demanda Liv.
Ils s'assirent dans les fauteuils pendant que Jake, habitué à la maison, allait chercher des boissons. Ensuite il s'assit avec les autres et je me retrouvai seule debout. Tous attendaient que je réponde à la question que Liv avait posée. Je commençai, d'un ton grave :
« J'ai quelque chose de très important à vous dire. Ma rencontre avec Néo a tout boulversé. Rien ne sera jamais plus pareil… »
Tous me regardèrent sans comprendre.
« Les révélations qu'il m'a faites sont si insolites que personne ne pourrait imaginer ce qu'il m'a dit ! Il m'a demandé de faire un choix, un choix très dur, un choix dont dépendait mon avenir… Soit je restais dans le système, j'oubliais tout ce qu'il m'a dit depuis un an et je continuais cette sorte de rêve. Soit je sortais du système et ma vie changerait totalement. »
Je marquai une pause.
« J'ai choisis de sortir du système… »
Personne ne comprenait ce qu'il se passait, y compri moi. Je planais. Après les paroles de Néo, j'étais en quelque sorte déjà hors du système. Je ne voyais plus rien de la même façon. Cela faisait une impression bizarre. J'avais un peu peur de la suite des événements.
« Je ne comprends pas ! Que va-t-il se passer ? On te verra encore ? » demanda Din.
Je ne pense pas… »
Une boule se serra dans ma gorge. De longues et interminables secondes s'écoulèrent.
« Qu'est-ce qu'il y a là-bas ? demanda soudain Jake.
Je fis signe d'ignorance. Un long silence s'installa. Je sentais déjà la distance me séparer de mes amis et de Din.
« Tu pars quand ? demanda Liv d'une toute petite voix.
Ce soir..
Déjà ! s'exclama Din.
Acquiesçai. La boule grossissait de plus en plus.
« Néo viendra me chercher ici vers onze heures.
Et tes parents ? demanda Jake.
Quoi mes parents ?
Tu comptes leur dire ?
Non, ils m'oublieront. Ils ne sauront même pas que j'ai existé !
Tes parents ne sont peut-être pas souvent là, mais comment veux-tu qu'ils t'oublient !
Ce monde est un programme ! Si l'on m'enlève du système, il n'y aura plus aucunes traces de moi dans ce monde !
Mais je ne veux pas t'oublier ! s'écria Liv.
Si tu veux vraiment te souvenir, tu y arriveras…
Je n'en pouvais plus. Je désespèrais à les quitter, mais je ne pouvais plus changer d'avis, il était trop tard ! Les larmes me montèrent aux yeux. Din le vit et vint me prendre dans ses bras où je m'abandonnai. Deux ruisseaux de larmes déferlèrent de mes yeux et une flaque grandissante se forma à nos pieds. La boule que j'avais dans la gorge se rétrécit peu à peu. Bientôt, l'eau s'infiltra partout. J'essayai d'arrêter de pleurer, mais le courant était trop fort ! Je plaquai mes mains sur mes yeux et le flot diminua peu à peu. Puis les deux ruisseaux furent à sec. Je regardai autour de moi et vit qu'il y avait cinq centimètres d'eau dans le salon. Je sortis de la pièce et m'aperçus que tout le rez-de-chaussé était noyé. J'allai ouvrir la porte à l'arrière de la maison, puis revins au salon où Liv, Din et Jake m'attendaient, debout, le cœur serré.
Liv me demanda avec un maigre espoir :
« On ne peut vraiment pas te persuader de rester ? »
Je fis signe que non, accablée par le chagrin et l'angoisse de les quitter.
- Je suis désolée…
Des minutes passèrent, chacun perdu dans ses propres pensées. J'étais consciente que je venais de leur mentir. Cela me fit une impression bizarre. Surtout avec Jake car, jamais auparavant, je ne lui avais menti ou cacher quelque chose. Mais, moins ils en sauraient et mieux ils se porteront. La pensée que je leur mentais pour les protéger me réconfortait quelque peu. Je n'aimais pas non plus l'idée que j'allais quitter Din, alors que je venais seulement de le connaître et de m'y attacher. Je ne trouvais même pas bizarre qu'ils acceptent d'emblée que cette situation soit réelle.
Soudain, Jake reprit un peu d'entrain et de gaieté :
« Bon, alors ne gachons pas cette dernière soirée ensemle ! Qu'est-ce qu'on fait ? Il nous reste au moins encore trois heures et demie à passer ensemble!
Et si on jouait à UNO ? » proposa Liv, qui avait retrouvé sa bonne humeur.
Tous furent enthousiastes et j'allai chercher le jeu dans l'armoire du salon. Ensuite, je m'installai à côté de Din qui me prit dans ses bras et nous commençâmes à jouer. Ce fut un très bon moment, le dernier avec mes amis. C'était notre jeu préféré depuis que Jake et moi avions 10 ans. Nous racontions à Din nos meilleurs souvenirs.
A onze heures, des coups frappés à la porte d'entrée nous fîmes sursauter. Tout le monde, même moi, avait oublié mon départ. Je me levai, allai ouvrir la porte et fis entrer Néo. Lorsqu'il pénétra dans le salon, un silence pesant se fit. Je sentis son poids me compresser peu à peu.
- « Heu… Voici Néo ! dis-je précipitament.
- Salut ! dit ce dernier.
- Et voici Din, Liv et Jake…
Salut ! » dirent-ils en chœur.
Jake ajouta :
C'était moi jeudi… pour la lettre…
Oui, je me souviens de toi !
Puis, il me regarda :
« Tu es prête ? »
Je déglutis et acquiesçai. J'allai chercher mon manteau dans le vestibule. Din me suivit.
« Ne pars pas…je te connais à peine !
Je n'ai pas le choix ! Moi aussi j'aurais voulu rester avec toi !
On a toujours le choix…
Que ferais-tu si on te demandait de choisir entre sauver l'humanité et rester avec les gens que tu aimes mais qui vont de toute façon mourir en même temps que l'humanité ?
Mais, tu ne sais rien de là-bas ! Tu ne sais pas qui il est ! C'est peut-être juste un gros psychopate qui a une imagination débordante ! Ou un gars qui veut profiter de toi !
Din…Je vous ai menti…
Quoi !
En fait, j'y suis déjà allée là-bas…
Mais… pourquoi ne l'as-tu pas dit ?
Parce que je ne le savais pas ! »
Il me considéra sans comprendre. Je me lançai :
« Lorsque j'étais là-bas, j'étais quelqu'un d'important. J'étais la seule, avec Néo, qui pouvait combattre les programmes, appelés Thorrs. Puis, il y a eu une grande guerre que nous avons remportée. Elle n'était pas suffisante à la libération de l'humanité mais nous pouvions au moins contrôler certains programmes. Alors j'ai voulu revenir ici, reprendre ma vie là où je l'avais laissée. Je voulais aussi oublier ce qu'il s'était passé. Alors ils m'ont remise dans le système, ayant Néo pour seul lien avec mon passé. Je ne me souvenais pas de lui. Ils lui avaient créé un personnage qui avait ma confiance, comme ça ils pouvaient facilement me contacter en cas d'alerte. Et c'est ce qu'il se passe… »
Din était abasourdi
« Eh ben !
Oui… »
Néo nous rejoignit.
« Il faut qu'on se dépêche ! Les Thorrs arrivent ! »
A ce moment là, un grand fracas venant du salon se fit entendre. Je voulus aller voir, mais Néo me retint :
- « C'est trop tard…
- Mais…Que va-t-il leurs arriver ?
- Tant qu'ils ne savent rien, ils ne craignent rien ! »
Je regardai Din avec effroi :
« Oh non !
Quoi ? Tu lui as dit ? » s'exclama Néo.
J'acquiesçai, décontenancée.
- « Merde ! Bon, on a plus le temps ! » s'adressant à Din « Tu viendras avec nous ! »
Il nous attrapa chacun le bras et nous sortîmes de la maison par la porte de derrière. Je sentais une présence qui nous suivait mais je n'osais me retourner. Nous contournâmes la maison et arrivâmes sur la rue où deux voitures noires occupaient le trottoir.
- « Vite ! Par ici ! » dit Néo.
Il nous mena dans une rue déserte où seule une voiture était garée. Il nous fit signe d'entrer et se mit derrière le volant. Je m'installai sur le siège du passager. Le moteur vrombit et nous fûmes emportés à toute allure dans les rues du quartier paisible. Nous perçûmes le bruit assourdi des voitures noires qui venaient de démarrer et qui allaient bientôt nous rattrapper. La voiture quitta les petites rues pour s'engager sur une route à deux bandes. Le trafic et les astuces de Néo ne suffisaient pas à perdre nos poursuivants.
« Tiens le volant ! me dit-il.
Quoi ! Mais ça va pas !
Tiens le volant ! »
Il me mit le volant dans les mains. Puis il sortit un gros flingue de sous le siège, baissa la vitre et tira sur les deux voitures noires. La première fit une grande embardée et alla s'écraser sur un poteau, mais la deuxième n'eut aucun dégâts. Néo reprit le volant et accéléra encore. Puis il prit un T.P.A. dans sa veste.
« Allo ? C'est Néo !
…
Tu saurais me trouver une sortie ?
…
Fais vite !
…
O.K. ! Je vois où c'est ! »
Il remit le T.P.A. dans sa poche. Il vira soudainement à droite et prit une sortie.
Din demanda, affolé :
« On fait quoi là ?
Ethan va ouvrir une porte et nous devrons la passer sans que l'Ennemi passe lui aussi. Nous devrons aller très vite ! répondit Néo
Comment tu comptes y arriver ? demandais-je.
Une fois que je vous le dirai, vous sortirez du côté droit et vous vous éloignerez le plus loin possible de la voiture. Là, vous verrez un grand mur de pierres, longez-le. Vous arriverrez devant une porte en bois, entrez ! Je vous rejoindrai ! Vous avez bien compris ? »
Nous acquièsçâmes tous les deux.
- « Préparez-vous à sauter… Maintenant ! »
Nous sautâmes de la voiture et nous en écartâmes juste avant que celle-ci ne dérape et explose. Nous courûmes jusqu'au mur de pierres où je m'arrêtai pour voir où était Néo. Je le vis, courrant à une vingtaine de mètres derrière nous et se retournant pour tirer sur un individu près de la route. Je me mis à cavaler pour rattraper Din qui longeait déjà le mur.
Enfin, nous arrivâmes devant une petite porte en bois. Nous tirâmes sur la poignée toute rouillée, mais rien ne se produisit. Nous tirâmes de toutes nos forces, mais rien y faisait. Nous paniquâmes.
« Merde ! Qu'est-ce qu'on fait ? me demanda Din.
On attend Néo !
Quelques secondes plus tard, Néo arrivait.
« Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il précipitamment.
La porte est coinçée !
Néo se jeta sur la porte et tira à son tour sur la poignée. Aucun changement. Il reprit son T.P.A.
« Allo ? C'est Néo ! On a un gros problème : la porte ne s'ouvre pas !
…
Je ne peux pas ! Les Thorrs vont revenir !
…
O.K. ! »
Il attendit sans raccrocher.
« Alors ? demandai-je, inquiète.
Il a eu un problème. Les Thorrs ont envoyé une offensive et il n'a pas pu ouvrir la porte! »
A ce moment là, il y eut un déclic dans la porte et elle s'ouvrit. Nous entrâmes. La pièce, sombre, ne possédait qu'une porte, car celle par laquelle nous venions d'entrer avait disparu dès que nous l'avions fermée. Néo se dirigea vers celle qui avait apparu devant nous et la poussa. Une clarté aveuglante surgit. Je tendis mes mains en avant et avançai à l'aveuglette. Je touchai Néo devant moi et il me prit la main tandis que je prenais celle de Din qui se trouvait derrière moi.
- « Vous êtes prêts ? » demanda Néo.
Malgré ma crainte, je fis oui.
« C'est parti… »
Il avança.
