Lorsque l'adolescence frappa Shinichi Kudo pour la seconde fois, le moins qu'il puisse dire, c'est qu'il y était préparé.
Tenir le rôle d'un Conan enfant était une chose.
Revivre son adolescence tout en devant gérer des situations de promiscuité avec Ran serait tout simplement intenable.
L'esprit sur la matière. Foutaises...
Lors de sa première enfance, il ne saignait pas du nez. Certes, il se savait déjà amoureux de Ran, mais le désir était venu bien après. Il la trouvait belle, il aimait la voir sourire, pour autant, ses sentiments étaient aussi chastes que pouvaient l'être ceux d'un jeune enfant. Les saignements dont il était frappé sous son identité d'emprunt étaient sûrement l'une des plus belles preuves que son esprit ne dominait fichtrement pas la matière…
Il allait troquer ses saignements de nez contre des manifestations autrement plus gênantes sous peu. Surtout s'il continuait à se faire trainer dans des bains, à dormir dans son lit…et que sais-je encore…elle n'a jamais manqué d'imagination pour me mettre dans les situations les plus embarrassantes qui soient…
La mauvaise foi l'empêchait de s'avouer que ces moments l'avaient rattaché à sa véritable identité et que, dans le fond, ils n'étaient pas si désagréables.
Frustré, il regrettait que cette imagination ne lui soit jamais venue avec Shinichi. Il se demandait parfois si les sentiments de Ran s'étaient, ne serait-ce que pour une seconde, teintés de désir pour lui. Certes, elle lui avait confessé indirectement son amour. Mais pour autant qu'il puisse en juger, ses sentiments à elle semblaient avoir conservé la candeur de l'enfance.
Il l'enviait pour cela. Il avait beau avoir conscience qu'il ne l'aimait plus comme un enfant, il n'en rougissait pas moins à la simple idée d'embrasser sur la joue une petite fille qui le prenait pour un de ses semblables, ce qui en disait long sur sa carrière de séducteur, pour ainsi dire inexistante. Elle lui en demandait plus qu'il n'avait osé offrir ou recevoir de Ran…
Il ne touchait des femmes que dans le cadre des enquêtes, plus de la moitié étaient mortes, et il ne s'approchait des autres que dans un but scientifique. Toucher la main d'une femme pour vérifier qu'elle est gymnaste ne lui posait aucun problème. Sorti de là…
Ran ne semblait pas percevoir les changements physiques qui se profilaient à l'horizon. Pas plus qu'elle ne s'apercevait qu'il ressemblait chaque jour un peu plus à Shinichi.
Pour un peu, il en serait presque vexé.
Il s'apprêtait à être superbement ignoré pour la seconde fois.
Il pouvait refuser de se baigner avec elle. Elle finirait par comprendre. Parfois, elle comprenait déjà, quand son subconscient lui soufflait qu'il était peut être autre chose qu'un enfant. Pour ce qui était de dormir avec elle, il pouvait encore tenir la supercherie quelque temps, tant qu'il veillait à se réveiller avant elle. Il ne tenait pas à ce qu'elle découvre en même temps que lui le premier matin où il aurait la preuve tangible que dormir à ses côtés ne le laissait pas indifférent. Au reste, il aimait la voir dormir, même s'il était à la torture de ne pouvoir l'approcher davantage.
Mais que se passerait-il lorsqu'il muerait et que sa voix deviendrait de plus en plus difficile à contrefaire ? Lorsqu'il atteindrait sa taille adulte ?
Les années passaient. Trouver l'antidote n'aurait qu'une utilité limitée, à présent.
Lorsqu'il atteignit l'âge de quinze ans, il finit par demander à ses parents de vendre la maison et d'en acheter une autre, pour qu'il puisse de nouveau s'établir seul.
Il se donnait encore un an pour dévoiler son identité à Ran. A seize ans, il aurait l'air suffisamment adulte. Peut-être qu'elle ne le rejetterait pas. Et puis, ça lui laissait du temps pour se faire à l'idée qu'il n'était plus le petit garçon qui habitait avec elle.
A vingt-cinq ans, elle était toujours aussi belle. Davantage, sans doute. Rongé par le remords, il s'en voulait de l'avoir fait attendre aussi longtemps.
Et puis, que pourrait-il lui offrir ? Certes, il avait un toit sur la tête. Mais il vivait aux crochets de ses parents. Même s'il la savait capable de subvenir à ses besoins, il avait espéré qu'il serait au moins capable d'en faire autant. Qu'il serait mieux qu'un Kogoro bis. Pire, même : Kogoro avait travaillé pour la police grâce au concours qu'il avait eu le droit de passer avec son diplôme. Sans diplôme supérieur, de nombreux concours se fermeraient à lui et il ne pourrait compter que sur son activité de détective en freelance, pour laquelle il n'avait encore jamais été rémunéré puisqu'il n'avait pas officiellement l'âge requis pour percevoir un salaire.
Il était privé depuis dix ans de toute possibilité d'entamer des études supérieures en présence.
Il avait trouvé la parade en s'inscrivant à la faculté sous sa véritable identité pour y suivre un cursus à distance. Mais entre les heures qu'il était contraint de faire au lycée et les enquêtes, force était de constater qu'il peinait à faire plus d'un semestre par an.
Et puis, s'il devait rester sous cette forme jusqu'au bout, il ne pourrait même pas faire valoir ce diplôme. Il devrait tout reprendre à zéro lorsque Conan Edogawa obtiendrait l'équivalent du baccalauréat. Il voyait d'ici le regard désapprobateur de Eri Kisaki si elle apprenait que sa fille sortait avec un homme ridiculement jeune aux perspectives aussi limitées…
Il arriverait bientôt au seuil fatidique où, soit il parvenait à faire interpeller les hommes en noir et récupérait par la même occasion son identité, soit il devrait se résoudre à demeurer Conan.
L'un des deux devrait mourir pour de bon…
