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L'Escorte.
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Une chose le dérangeait depuis plusieurs jours. Plus précisément, depuis qu'il avait entendu les ragots scandaleux de ses éditrices sur la possibilité que sa secrétaire simule son aisance financière. Sasuke ne savait pas encore pourquoi mais il se sentait différent autour de la rose; plus alerte. Il voulait savoir de quoi il en découlait. Pas par simple curiosité, mais parce qu'il mettrait tout en œuvre pour l'aider si elle avait des difficultés financières à cause de son train de vie. Loin de forcément vouloir faire d'elle le modèle d'une femme entretenue, il pensait qu'une femme aussi talentueuse que Sakura méritait de vivre sans s'inquiéter de l'argent qui paierait sa prochaine paire de lunettes GentleMonster©. Oui, son travail excellent servirait à justifier sa décision de tripler son salaire ! Il hocha de la tête les gens n'y verrait que du feu.
Fier de son plan pseudo-insidieux, il termina son déca allongé d'un trait et posa sa tasse dans la soucoupe en porcelaine blanche reposant sur la table de réunion. Durant toute l'action, ses yeux restèrent rivés sur une main beaucoup trop audacieuse à son avis. Au loin, Sakura était assise à l'extérieur de la salle de réunion aux baies vitrées. Elle y papotait avec ses collègues de travail, Lee Rock et Kiba Inuzuka. En temps normal, Sasuke savait qu'il aurait dû faire un peu plus attention à ce que son directeur artistique, Neji Hyuga, lui disait sur la futur campagne des produits électroniques de UchihaCorp, mais la main que Kiba avait subtilement posée puis glissée le long de la cuisse de la fille était son centre d'attention.
De multiples questions le taraudait dont la principale était ce que le jeune analyste financier était pour Sakura. Un compagnon ? Un ami proche ? Ou juste un ami qui s'accordait le droit de la toucher comme bon lui semblait ? Sasuke jeta un coup d'œil rapide au visage de Sakura. Celle-ci riait aux éclats à une blague bien placée par Rock, visiblement très confortable du fait d'être touchée de la sorte.
Il était étrange de ne s'en rendre compte que deux années plus tard, mais Sasuke n'avait jamais confirmé le célibat de la jeune femme. L'absence de bague à son annuaire en disait pourtant long sur son statut marital.
Sakura Haruno a-t-elle un petit-ami ? se demanda-t-il en captant brièvement le regard rieur puis surpris de la rose. Tout naturellement, il lui fit un signe de main discret et elle lui sourit en faisant de même.
Aujourd'hui encore, la question resta sans réponse.
En l'homme débrouillard qu'il était, Sasuke décida donc de mener de façon discrète sa propre enquête. Poser subtilement quelques questions ne requérait point d'effort pour le maître de tact qu'il était. Ses pas le menèrent, en une belle journée ensoleillée, au bureau de Naruto, la seule personne de l'étage des publicistes qu'il connaissait et avec laquelle Sakura traînait lors de rares pauses cafés. Il emmena avec lui deux sachets de ramens, de la soupe miso et des side-dishes de viandes marinées juteuses. C'était une précaution nécessaire pour s'assurer la coopération du glouton.
— Donc… tu aimerais savoir si Sakura, Sakura Haruno, ta secrétaire particulière, a un petit-ami ?
Au diable la subtilité.
La franchise serait son atout. De toute façon, le sourcil arqué de Naruto ainsi que son air ouvertement dubitatif ne laissait planer aucun doute sur le fait qu'il protégerait la vie privée de son amie s'il soupçonnait que Sasuke n'était pas franc.
— Oui. Donc ?
Naruto renifla dédaigneusement et attrapa une paire des baguettes japonaises sur la table. Il ouvrit ensuite une des boîtes en plastique qui contenait des crevettes et se servit sans piper mot. Sasuke comprit son jeu. Il fit de même. Silencieusement, ils mangèrent.
— Depuis quand t'intéresses-tu à Sakura Haruno ?
— Tu n'as pas besoin de le savoir.
— Oh que si, on parle de Sakura Haruno, suppléât Naruto.
— Peux-tu arrêter de dire son nom complet comme ça ?
— Comme quoi ? Ça te donne l'impression de parler d'une figure mythique extrêmement mystérieuse ? Parce que c'est exactement ce que je veux te faire comprendre. Tu t'intéresses à Sakura Haruno, la ice-queen de l'entreprise, celle-sur-laquelle-on-ne-doit-surtout-pas-poser-de-questions-au-risque-de-devoir-vivre-sans-réponse-car-personne-ne-connait-sa-vie-privée.
— Ce titre est inutilement long, fit sèchement remarquer le brun. Et, oui, je parle de cette Sakura Haruno-là.
Naruto grimaça, se mordit la lèvre et continua à piquer des crevettes. Il avait l'air… stressé par la question.
— On n'en a jamais particulièrement parlé même si j'ai bien essayé… mais j'ai entendu des rumeurs sur sa vie privée.
Sasuke se retint de rouler des yeux. Bien sûr qu'il avait entendu des rumeurs, tout son étage était un nid à perroquets. C'était l'autre raison pour laquelle il était venu toquer à sa porte alors qu'il aurait pu rejoindre son frère, Itachi, dans le restaurant familial étoilé pour déjeuner.
Le brun attendit que son ami poursuive, sans succès. Ce dernier eut même l'audace d'afficher un petit sourire supérieur aux coins de ses lèvres.
— Tu ne vas pas me rendre la tâche facile, conclut Sasuke entre ses dents serrées.
— Il faut bien que quelqu'un te fasse lâcher du string de temps en temps ! J'ai besoin d'un bon public !
Sasuke roula des yeux… deux fois, sous le regard amusé de Naruto. Il souffla, s'avouant vaincu. C'était impossible de discuter avec le blond lorsqu'il était dans cet état là.
— Comme c'est surprenant, fit Sasuke avec un ton plat et désabusé. Des rumeurs ? Et qu'est-ce qui se disait ?
Naruto éclata de rire à la grande humiliation de l'Uchiha.
— Oh mon Dieu, rit-il en s'étouffant presque. Tu es excellent !
— Enfoiré, murmura le brun, les joues rose d'embarras.
— Je disais, se reprit Naruto tant mal que bien, qu'une rumeur circule à ce sujet. Il y a six mois environ, les gens disaient que ses vêtements coûtaient trop chers pour son salaire de secrétaire et qu'elle venait sûrement d'une famille riche. Mais il y a une autre possibilité à mon avis... soit elle a des parents assez blindés comme ils le disent... soit elle travaille comme escorte.
Il se glaça à ce mot. Sakura Haruno ? Une escorte ? Pourquoi une "escorte" ?
— Cette information est confidentielle. Je ne l'ai révélée à personne mais un jour, elle était dans un magasin Cartier avec un homme d'à peu près deux fois son âge. Ils se tenaient par la main et marchaient trop près l'un de l'autre pour qu'il n'y ait rien entre eux !
Était-ce une blague de mauvais goût ? Une escorte ? Une femme avec autant de dignité et de morale pouvait-elle être une escorte ? Une rumeur aussi folle ne pouvait qu'être l'œuvre de femmes jalouses. Sasuke en était certain. Cela ne pouvait en être autrement.
— La raison pour laquelle ce n'est pas une rumeur et que personne d'autre ne le sait… c'est parce que c'est moi qui l'ai vu ce jour-là, de mes propres yeux.
Les yeux de l'Uchiha s'écarquillèrent sous le choc. Il savait que c'était une conclusion hâtive de déduire qu'elle sortait avec des hommes pour de l'argent mais une part de lui, la part ayant vécu avec Naruto — le seul survivant de l'accident ayant tué les meilleurs amis de ses parents, crut entièrement aux propos du blond.
— Hé, Sasuke, tout va bien ? s'inquiéta l'autre. Tu es tout pâle !
Non, il n'allait pas bien. Il savait qu'il avait une pensée très fermée sur le monde de la nuit, du travail du sexe et autres activités du même genre. Apprendre que Sakura, la femme qui l'obsédait depuis si longtemps, faisait partie intégrante de ce cercle lui fit le même effet qu'un coup de poignard dans les reins. Il voulait la courtiser, il voulait tenter une relation même professionnelle, n'importe quoi !, avec elle. Il aurait aimé la présenter officiellement à ses parents, puis à son frère lorsqu'il aurait eu leur feu vert.
Mais il ne le pouvait plus. Pas avec une escorte. Pas avec quelqu'un qui était peut-être sorti avec les mêmes personnes arrogantes et suffisantes avec qui il faisait affaire ou discutait lors des ennuyants banquets mensuels de la Corporation. Jamais n'avait-il connu cela; jamais n'avait il vu l'objet de son désir, de son obsession lui échapper d'une manière aussi brutale, impardonnable. Ce sentiment de perte lui coupa le souffle. Il en demeura muet ses yeux hagards cherchèrent un point fixe pour se recentrer mais trop tard, intérieurement il était comme dépossédé de lui-même.
— Hé, du calme ! C'est juste ce que j'ai vu mais j'ai peut-être mal interprété les choses ! paniqua Naruto en voyant le regard fixe, vide du brun.
Sasuke reposa les baguettes suspendues depuis trop longtemps au-dessus des récipients de nourriture. Il prit rapidement congé de son ami et monta dans l'ascenseur desservant son étage de travail. En passant à toute vitesse dans le hall vers son bureau, il fut arrêté dans sa course par une Sakura pimpante, très souriante, en train de finir son repas devant son ordinateur personnel.
— Vous êtes déjà de retour ? Puis-je vous amener les prochains dossiers à traiter ?
Sasuke ne sut quoi faire. Il ne pouvait pas lui faire face dans son état. Il ne le pouvait pas. Sinon il la tuerait. Il la tuerait parce qu'il ne pouvait plus la faire sienne. Il la tuerait parce qu'il était un malade qui ne la voulait que pour lui. Rien qu'à lui. Son regard intense plus que son silence effraya lentement la jeune femme qui posa ses baguettes dans la nourriture délaissée et tenta de s'approcher pour demander ce qui n'allait pas.
À l'opposé de tout ce que son éducation d'héritier Uchiha lui avait inculqué au fil de ses vingt-sept années d'existence, Sasuke écouta ses plus bas instincts, tourna sur ses talons et fuit sans demander son reste. Le tout, sous le regard médusé de la femme par qui il venait d'avoir le cœur brisé, pour la première fois de sa vie.
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à suivre...
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Note d'auteure : Il faut savoir que Sasuke souffre de troubles obsessionnels donc il est normal qu'il réagisse excessivement à la moindre contrariété pouvant éloigner l'objet de son obsession de lui.
