Shuffle Romance.
Scène 1: La Fuite.
Il faisait
sombre dans les bois. Les formes noires des arbres se distinguaient à
peine de celles des espaces vides qui les séparaient. La nuit
était tombée depuis plusieurs heures déjà,
et seuls les rares rayons d'une pleine lune, se cachant, timide,
dans les nuages, venaient éclairer les chemins et sentiers. Du
moins, c'est ainsi que cela aurait dû être…
A
l'orée du bois, les arbres n'étaient pas baignés
dans la douce lueur des lanternes de la ville avoisinante. Ils
n'étaient pas l'unique distraction d'un des gardes du
fort à l'imagination débordante.
Non.
Ils
étaient en feu!
Se propageant tels de petits diables, les
flammes sautaient de toit de chaume en toit de chaume, de buisson en
arbuste, de bout de bois en bout de bois. La ville était en
proie à un incendie ravageur. Les animaux de compagnie
fuyaient, la queue entre les jambes, les chevaux paniquaient, et les
humains criaient.
Pourquoi ne faisait-on rien pour éteindre
les flammes? Pour sauver les brûlés?
Un homme portant
un plastron en métal leva un glaive menaçant au-dessus
de sa tête. Un large groupe d'hommes était à
ses côtés. Ils le fixaient tous des yeux.
D'un
mouvement entraîné, il dirigea sa lame vers les portes,
maintenant brisées et noircies, du Fort. Il hurla ses
instructions. Le signal avait déjà été
clair. D'un cri de guerre, les hommes partirent à l'assaut
du château médiéval, leur leader en tête.
Il tenait dans son autre main une torche enflammée. Plusieurs
de ses hommes s'arrêtaient occasionnellement pour allumer de
nouveaux foyers.
Le fort du royaume de Trump était sur le
point de tomber. Les gardes de la famille royale le savaient, malgré
l'énergie qu'ils mettaient à combattre
l'envahisseur aux blasons noirs. Le capitaine de la garde, un homme
imposant, le casque bien enfoncé sur son crâne et une
moustache buissonnante, jeta un dernier regard à la tour de
guet et aux cimes que l'on voyait derrière. Il soupira,
murmura une courte prière, avant de sortir sa lame et de
partir à l'assaut.
Du temps, c'est tout ce dont il
avait besoin.
Du temps.
Dans les bois, les longues ombres
des troncs d'arbres dansaient sur le sol illuminé par la
rougeur des flammes. Parmi ces ombres, quatre d'entre elles se
démarquaient nettement. Elles avaient des bras, elles avaient
des jambes. C'était des ombres d'hommes… Des
rescapés.
Courant à en perdre haleine, de peur qu'on
ne les rattrape, la famille royale et le garde Agi s'étaient
enfuis par derrière. Le plus jeune d'entre eux, un enfant de
douze ans, jetait des regards inquiets par-dessus son épaule
dans la direction de la ville en flammes.
Cela n'avait pas été
leur idée de fuir. Cela avait été l'idée
du capitaine.
« La bataille est perdue d'avance. Si
nous voulons que le royaume de Trump ait un avenir, il vous faut
rester en vie! » Leur avait-il dit. « Ces
chiens vous tueront! Je vous en conjure, mes seigneurs, enfuyez-vous
vite, je me charge de vous gagner du temps. »
Le jeune
garçon n'aimait pas cela du tout…
« Prince
Spade! »
Il fut rappelé à l'ordre par
le garde Agi. Ce dernier secoua la tête, avant de lui sourire.
Spade comprit.
'Ne t'inquiètes pas pour le capitaine…'
Il hocha la tête avant de se concentrer de nouveau sur sa
course.
Derrière lui, Agi sembla hésiter un moment.
N'avait-il pas entrevu un cavalier dans les ténèbres
de la forêt?
Il se secoua la tête. Il fallait vraiment
qu'il arrête de s'imaginer des choses. Ce n'était
vraiment pas le moment de rêver.
Une vingtaine de mètres
plus en avant, une jeune femme jetait un regard meurtrier à
son compagnon. Même sans lumière, celui-ci pouvait
sentir sa colère. L'homme, très grand, se pencha sur
sa monture, espérant éviter sa juste colère.
'Cet
Idiot!' Pensait la femme, ses yeux jetant des éclairs. 'Il
a failli nous faire repérer par le garde!'
Un sifflement
attira son attention. Elle se redressa dans sa selle pour regarder
vers son second comparse. Ce n'était pas le moment de perdre
de vu la mission.
« J'ai compris où ils se
rendent. Je connais un raccourci. » Lui fit comprendre le
cavalier en tête, via le code qu'ils avaient établi.
L'homme, un peu rondouillard, au crâne légèrement
dégarni, connaissait ces bois comme le dos de sa main. Il
était aussi habile dans le maniement des chevaux. Elle avait
bien fait de le placer en tête.
D'un signal, elle lui fit
connaître sa réponse. Sur ses indications, les trois
cavaliers dirigèrent les sabots emmitouflés de leurs
chevaux sur un sentier de sa connaissance…
Lorsqu'ils
furent à distance raisonnable de la ville, soit
'Ils-n'en-voyaient-plus-les-flammes-et-n'étaient-pas-poursuivis »,
le roi du royaume, maintenant conquis, de Trump les invita à
prendre une courte pause. Ils en profitèrent pour récupérer
leur souffle…
Ils avaient couru vite et loin, dans la
semi-obscurité des bois. Cela n'avait pas été
chose aisé.
Le jeune Spade, moins essoufflé
maintenant, regarda le visage sérieux du roi. Jamais son père
n'avait eu, à sa connaissance, un air aussi sérieux!
Sa mère, quant à elle, avait un air inquiet et
incertain tout aussi perturbant.
« Que fait-on
maintenant mon chéri? » Dit la reine. Dans l'ombre
d'un nuage, Spade pouvait à peine distinguer ses traits,
mais sa voix laissait croire qu'elle avait eu une expression
soucieuse en disant ces mots.
« Il nous faut aller chez
notre plus proche allié… » lui répondit
son mari, d'un ton qu'il aurait utilisé pour commander une
armée. « Et vite. Nous devons reprendre la route
immédiatement. »
Il prit la main de son épouse
et avança en tête. Ils n'avaient plus à courir,
mais cela ne les empêchaient pas de marcher d'un pas rapide.
Spade luttait pour se maintenir au niveau des adultes, aux jambes
plus longues que les siennes…
Et au-dessus, rendue moins timide
par on ne sait quelle ironie du sort, la pleine lune brillait sur les
dégâts déjà causés par l'incendie,
sur les quatre fuyards suivant le sentier, et sur trois chevaux et
leurs cavaliers placés, judicieusement, sur une petite falaise
leur permettant de surveiller leurs proies…
