Petit mot de l'auteure : texte écrit pour l'atelier de Sifoell : écrire sur un père et son enfant
Trois gouttes de sang.
C'est tout ce qui lui fallut pour paniquer.
En temps normal, Matthew aurait haussé des épaules devant une telle blessure. Bien sûr, les coupures n'étaient pas à prendre à la légère ; une mauvaise infection pouvait entraîner la mort du plus féroce des guerriers. Toutefois, il aurait procédé avec méthode et calme. Rentrer à la maison, chercher un peu d'alcool, panser la plaie. Il n'y avait rien d'extraordinaire à cela, ni rien d'insurmontable. Il avait soigné d'innombrables coupures de la sorte, sur Marilla ou sur lui-même, sans jamais se départir de son pragmatisme.
Pourtant, à cet instant, il se senti presque défaillir.
Car là, ce n'était pas lui-même ou Marilla qui était blessé.
C'était Anne.
Anne avait voulu l'aider à la ferme. Toutefois, elle travailla tout en parlant, comme à son accoutumée. Tout à son enthousiasme, elle n'avait pas fait attention à la lame qu'elle tenait et s'était entaillée la paume de la main. Maintenant, elle saignait et, si la blessure n'était pas profonde, elle était suffisante pour la faire saigner. Et Matthew, au lieu de réagir calmement... perdait complètement ses pensées. Il ne savait plus quoi faire : éponger le sang ? Courir avec Anne vers la maison ? Appeler en urgence Marilla ? Tour à tour, ces suggestions se bousculaient dans son esprit, à une vitesse si folle qu'il n'arrivait plus à réfléchir correctement.
Heureusement, sa sœur, alertée par le cri de surprise d'Anne, se montra à la porte et les enjoints à la rejoindre. Après qu'ils aient précédé aux soins qu'ils avaient déjà fait cent fois et que Anne soit remontée, Matthew s'accabla.
- Pourquoi ai-je réagi aussi lentement ? Ce n'est pas si nous nous étions jamais coupés...
- Oui, mais c'était nous, répondit Marilla. Et là... c'était notre fille.
En entendant sa réponse, Matthew réalisa alors pleinement ce qu'être père impliquait : une inquiétude constante pour cette gamine qui était devenue la sienne. Il était condamné à vivre dans l'angoisse que quelqu'un ne lui fasse du mal ou qu'elle ne souffre.
Le pire dans tout cela ? C'est que cela ne le dérangeait pas plus que ça. Il avait l'impression d'être né pour veiller sur elle.
