Hum... Coucou, ça faisait longtemps...?

Nan sérieusement, j'ai laissé beaucoup trop de temps avant de mettre ce chapitre au propre c'est un enfer, j'en suis désolée ! J'ai eu le malheur de commencer à écrire "Sept Jours", puis j'ai dû avancer sur les chapitres de "Real Love Song" et du coup bah j'ai pris 6 mois à écrire ce chapitre alors que j'adore cette histoire...

BREF, il est là, c'est officiellement le plus long texte que j'ai jamais écris (42k mots), donc je vous conseille de vous faire une petite tisane et de vous installer confortablement ! J'aime énormément ce chapitre, ainsi que la conclusion qu'il apporte au TS "La Pression", et j'espère que vous l'apprécierez tout autant ! :D


Contenu : Micro-Ice / Partie III

Ca fait un moment maintenant qu'ils sont coincés tous les dix dans cette prison qui leur laisse un semblant de liberté. Ils jonglent péniblement entre les entraînements de leurs fluides, la vie de groupe qu'ils n'ont pas demandé et leurs angoisses qui les rongent petit à petit. Mei et Micro-Ice ont beau faire de leur mieux, tout paraît bancal, faux, étouffant... S'échapper ne sera pas évident, mais ils finiront bien par trouver un moyen. Un qui les gardera tous en vie, de préférence.

/!\ Anxiété / instabilité émotionnelle / problèmes parentaux / dysmorphie (dans un certains sens...?) / fatigue chronique / blessures plus ou moins explicites /!\

Bonne lecture !


All the ways you come back to me

La Pression

Partie III

Micro-Ice cherche désespérément à reprendre son souffle. Il se sent avaler des bouffées d'air comme s'il était en train de se noyer, sa respiration rapide et bruyante, pendant que son cœur cogne fort dans sa poitrine. Son corps entier est sous tension, ses jambes raides, ses bras tremblants d'anticipation tandis que tous ses muscles sont tendus, prêts à le faire bondir à tout instant. Il a vite perdu la notion du temps et ne saurait dire si son entraînement du jour a déjà suffisamment duré ou s'il doit s'attendre à une nouvelle vague de robots, mais peu importe, son corps est prêt à réagir. Du moins, s'il parvient à suffisamment calmer sa respiration et ses battements de cœur pour se reconcentrer sur ce qu'il se passe dans la grande salle grise.

Pourtant, autour de lui, plus rien ne bouge. Les robots plus ou moins détruits jonchent le sol, les carcasses explosées ayant éparpillé pièces et huile sans la moindre retenue. Aucun androïde ne semble encore fonctionnel. Certains ne présentent plus que leur grand buste gris, leurs longs bras et jambes s'étant perdus ailleurs. D'autres présentent des écrans fissurés ou buggés, des pixels dansant aléatoirement sur les dalles noires, les laissant défigurés dans les deux cas. Quelques carcasses qui menaçaient de prendre feu se sont fait recouvrir de mousse, n'empêchant malheureusement pas l'odeur de plastique et de métal brûlé de lui chatouiller le nez. Le combat a duré longtemps et il a été violent, comme à chaque fois. Micro-Ice a bien eu l'impression de se faire avoir à de nombreuses reprises, de ne pas voir arriver une attaque, de riposter trop tard, de ne pas frapper assez fort. Mais au final, c'est lui qui reste debout. Encore. Ses mains douloureuses, son esprit agité et son corps fatigué d'avoir puisé dans ses réserves de Souffle.

Mais il sait que si tout se passe bien, aujourd'hui était la dernière fois.

Un grésillement retentit dans les hauts parleurs, résonnant dans la pièce, vite suivit par une voix enjouée qui le félicite. Micro-Ice a du mal à se concentrer pour l'écouter, encore tendu et essoufflé, mais il ne peut s'empêcher de grimacer à l'entente des compliments. Pas qu'il ne les mérite pas, il sait qu'il a parfaitement réussi son entraînement du jour. Aucun robot ne l'a touché et il les a tous détruit, aussi nombreux et rapides qu'ils étaient, ce qui implique que la prochaine fois ils seront encore plus forts. Mais quand il regarde la scène autour de lui, les "bravos" paraissent déplacés, presque glauques. Pire encore, une part de lui ne peut s'empêcher d'entendre la voix d'Aarch le féliciter après une séance d'holotrainer particulièrement réussie, laissant une pointe de mélancolie s'ajouter à son état général qui n'était déjà pas bien fameux.

Micro-Ice ne se rend compte que la voix a terminé son monologue que lorsqu'une porte se découpe dans un des murs de la pièce, le laissant apercevoir la navette de transport qui le ramènera dans sa prison aménagée. Ne perdant pas une seconde pour sortir du tableau sordide qui l'entoure, il se dépêche d'enjamber les carcasses de métal pour rejoindre la sortie, ne trébuchant qu'une fois ou deux sur des pièces orphelines. Il s'écroule plus qu'il ne s'assoit dans la petite cabine, ne pouvant s'empêcher de jeter un dernier coup d'œil en arrière. La scène est comme figée, le chaos presque artistique, surplombée par les grandes vitres noires qui creusent comme une faille dans l'un des murs. Il s'applique à adresser ce qu'il espère être un regard noir vers ceux qui l'observent mais qu'il ne voit jamais.

La porte coulissante se ferme avec un bruit sec, comprimant l'air dans la cabine, tandis qu'un moteur se met en route. Une seconde plus tard, la petite navette s'ébroue et se met à bouger, l'emmenant avec elle sans qu'il n'ait le moindre contrôle sur sa destination. Micro-Ice sait que le trajet sera un peu long, alors il ferme les yeux et respire intensément, faisant durer chaque inspiration et chaque expiration pour s'efforcer de reprendre contenance. Il lui faut répéter l'exercice de nombreuses fois avant que son cœur ne se calme et que la tension dans ses bras et ses jambes ne disparaisse graduellement. Bientôt, il parvient également à apaiser un peu son esprit, mais il ne s'arrête que lorsqu'il est certain d'avoir chassé toute agitation, se faisant presque violence pour laisser sa colère, sa frustration, sa mélancolie et ses angoisses dans la salle d'entraînement qu'il vient de quitter. Ca fait maintenant des années qu'il a pris l'habitude de faire cela, laisser tout le négatif derrière lui pour ne rentrer qu'avec le positif, épargnant à Mei et aux enfants d'avoir a y faire face. Mais ça ne veut pas dire que l'exercice s'est simplifié au fil du temps, c'est même plutôt l'inverse.

Une petite voix dans son esprit répète qu'aujourd'hui est certainement la dernière fois qu'il a à le faire, et Micro-Ice en sert les dents d'envie. Si tout va bien, demain à la même heure, ils seront libres.

La cabine s'ébroue subitement, cassant la monotonie du trajet, et Micro-Ice ouvre les yeux. Une série de claquement retentit à l'extérieur de la navette, recréant une mélodie qu'il connaît par cœur. Elle se conclut par un dernier son métallique lorsque la cabine s'accroche au mur et Micro-Ice se lève avant même que la porte coulissante ne s'ouvre. Il constate qu'une de ses mains tremble encore un peu, alors il sert le poing, s'élançant dans le couloir qui lui fait face à l'instant où l'accès lui est permis. Il rejoint la porte du fond sans pouvoir s'empêcher d'observer du coin de l'œil les plaques verticales qui jalonnent les murs, estimant nerveusement quelle force il lui faudrait pour les forcer si jamais leur plan A ne fonctionne pas.

La porte dans son dos et celle en face de lui s'enclanchent avant qu'il ne parvienne à trouver une réponse, alors il passe le sas avec un peu de frustration, débarquant dans l'entrée de leur petite "maison". Bizarrement, ce n'est qu'à ce moment-là que Micro-Ice remarque qu'une guerre est en train de battre son plein chez eux.

Des hurlements en tous genres font vibrer l'air, tout comme des talons martelant le sol, des portes qui claquent, et des chocs qu'il ne peut identifier qu'au son. La tension qu'il avait si méticuleusement chassée il y a quelques minutes à peine remonte en flèche, le poussant à s'élancer vers le salon avec précipitation, sa gorge nouée d'appréhension, imaginant le pire. Pourtant, dès qu'il sort de l'entrée pour débouler dans le salon, il ne trouve aucun intrus à combattre ni aucun robot à détruire. Le salon est bien sens dessus dessous, les canapés renversés ou poussés, la table basse loin de sa place, et des objets plein le sol de la pièce et du couloir qu'il entrevoie. Le cœur battant et le corps prêt à se battre, il met quelques instants à reconnaître des livres de Molly, des briques de construction des garçons, des billes, des peluches, des coussins et des pièces de jeux de société, le tout en bordel complet éparpillés sur le sol et les meubles.

Il est encore en train d'analyser la pièce quand une des portes du couloir s'ouvre avec fracas, laissant Kylian en jaillir. L'adolescent sort tellement vite qu'il s'écrase presque contre le mur qui lui fait face avant de tourner vers le salon avec précipitation, rapidement suivi, non, poursuivit par Ican. Les deux garçons hurlent à plein poumons, l'un tentant visiblement d'attaquer l'autre avec une couverture. Micro-Ice reste bouche bée devant la scène, confus face à l'écart entre ce qu'il s'était imaginé en entendant les cris et la situation qu'il a sous les yeux.

Il ne faut que quelques enjambées à Kylian pour rejoindre le salon, partit à toute vitesse vers les canapés, mais leurs regards se croisent avant qu'il n'arrive à sa destination. Malgré qu'il soit en mouvement, Micro-Ice voit parfaitement ses yeux s'écarquiller juste avant que le garçon ne stoppe sa course. Pilant de toutes ses forces, il glisse sur quelques centimètres à cause de ses chaussettes, poussant le désordre éparpillé au sol par la même occasion. Très vite, Ican est forcé de l'imiter pour ne pas lui rentrer dedans, suivant son ami avec un temps de retard.

- Eh mais pourquoi tu t'arrê-

C'est au tour d'Ican de regarder dans sa direction, son teint chocolat prenant immédiatement une teinte plus pourpre. Au même moment, une autre porte s'ouvre au fond du couloir, et Micro-Ice aperçoit Adri et Haan en sortir en trombe, leurs oreillers brandis bien haut au-dessus de leur têtes tandis qu'ils hurlent un cri de guerre. La jeune rouquine est visiblement plus observatrice que les garçons parce qu'elle le voit immédiatement et se stoppe avec une grimace, attrapant le bras d'Haan pour le forcer à l'imiter.

Un silence tendu prend place, à peine coupé par les respirations essoufflées des jeunes. Micro-Ice les dévisage un à un, passant d'un groupe à l'autre, consterné. Il lui faut encore quelques secondes pour véritablement comprendre qu'aucun danger n'est présent et qu'ils étaient simplement en train de jouer, mais ce n'est pas pour autant que sa tension s'envole. La réalisation le fait soupirer un peu agressivement, plus parce qu'il essaye de s'efforcer de faire passer son coup de pression que par réel agacement, mais les jeunes le comprennent autrement.

- On pensait pas que tu rentrerais si tôt-

- Et on n'a rien cassé !

- Ouais, c'est un peu le bordel mais on comptait ranger exactement comme à chaque foi- Ouch ! Eh !

- Mais tais toi !

- Toi, tais toi !

Micro-Ice ne peut qu'assister à un début de dispute entre Kylian et Ican, les deux garçons commençant à se chamailler à force de coups de coude et de messes basses. Au fond du couloir, Adri et Haan lui offrent des sourires qui se veulent angéliques mais il n'est pas dupe au point d'y croire. Soupirant à nouveau, Micro-Ice se passe une main sur le front dans l'espoir de faire passer son début de migraine.

- Où est Mei ?

La dispute face à lui se stoppe abruptement, les deux jeunes se souvenant subitement qu'il est toujours là.

- Euh... A son entraînement ?

Micro-Ice ravale une plainte, fermant doucement les yeux avant de les rouvrir. Il sait parfaitement qu'il est censé prendre son rôle de parent autoritaire et fâché face à l'état des pièces dont il n'a sûrement qu'un aperçu ici. Pourtant, il n'en a pas envie. Pas du tout même. A vrai dire, il n'aime pas son rôle de parent tout court. Il sait bien qu'avec huit enfants à leur charge ils n'ont pas trop le choix, et parfois, râler en prenant une grosse voix rend les choses bien plus simples pour tout le monde. Il sait aussi que les enfants en ont besoin, et que c'est comme ça qu'ils les voient de toute façon, Mei et lui. Mais ça n'a jamais rien changé pour lui. Il n'est pas à l'aise. Il ne se sent pas légitime.

Bien sûr, il serait sûrement prêt à les aider pour n'importe quoi, à prendre soin d'eux et à les défendre, mais gérer les caprices, les disputes, les bêtises, les pleurs... Il a beau faire de son mieux, il n'a jamais l'impression de bien faire. Peut-être parce qu'il n'a pas eu tellement de modèle de qui s'inspirer, peut-être parce qu'il n'est pas fait pour ça. Mais au final, peu importe. Aujourd'hui, il est trop fatigué pour faire semblant de toute façon.

- Je vais prendre ma douche. Quand je ressort, tout est rangé. D'accord ?

Un "D'accord !" composé de plusieurs voix retentit et les quatre têtes qui lui font face opinent à l'unisson. Micro-Ice s'empêche difficilement d'esquisser un sourire et part plutôt en direction de la minuscule salle de bain, prenant garde à ne pas marcher sur quoi que ce soit pendant son trajet. A l'instant où la porte se ferme derrière lui, un brouhaha s'élève, signe que les quatre jeunes s'affairent déjà. Il ne distingue que quelques ordres paniqués et des bruits de course le long du couloir, mais c'est suffisant pour le faire sourire pour de bon.

La petite salle de bain, bien que légèrement bordélique, a visiblement évité au saccage. Évitant son reflet dans le miroir, Micro-Ice se tourne vers les casiers pour retirer son uniforme d'entraînement, ne remarquant que maintenant les traces d'huiles et de brûlure qui le tâchent. Les vêtements sont donc allègrement jetés dans la trappe au mur, automatiquement avalés par la machine qui lui en donnera des nouveaux demain. Micro-Ice passe dans la cabine de douche et active l'eau chaude, laissant le jet d'eau chasser sa sueur et les odeurs d'huile et de fumée qui collent à sa peau et ses cheveux. Il n'a le droit qu'à dix minutes d'eau et la température n'est malheureusement pas aussi chaude qu'il le voudrait, mais il s'en contente.

Il reste dans la cabine bien après que le jet d'eau se soit coupé, profitant de l'instant de solitude pour refaire le vide dans sa tête exactement comme il l'a fait dans la cabine de transport. Et un peu pour laisser plus de temps aux enfants, aussi. Ce n'est que lorsque les vapeurs d'eau se sont ténues et qu'il commence à frissonner qu'il décide de bouger. Restant face aux casiers, il attrape sa serviette pour se sécher en vitesse, suite à quoi il fouille le box à son nom pour trouver un uniforme plus confortable à se mettre. Le tee-shirt et le jogging ne sont pas vraiment à son goût, pas assez amples et trop voyants, mais il fait avec.

Quand il est prêt, il s'avance vers la porte pour écouter ce qui se trame à l'extérieur, tentant de jauger où en sont les jeunes. Il passe une bonne minute à attendre le moindre son qui pourrait lui indiquer qu'ils n'ont pas fini de ranger, motivé à les laisser finir si ça lui permet de ne pas faire semblant de se fâcher. N'entendant rien, il finit par saisir la poignée de la porte pour sortir de l'espace confiné qui commençait à le rendre claustrophobe. C'est quand il referme la porte derrière lui qu'il a le réflexe idiot de jeter un dernier regard dans la pièce qu'il vient de quitter, croisant son reflet par la même occasion. Un frisson désagréable lui parcourt immédiatement l'échine et la porte est fermée précipitamment, cognant contre le montant dans un bruit sourd.

Secouant la tête pour chasser son trouble, Micro-Ice se tourne vers le couloir, inspectant l'évolution des alentours. Tous les objets dispersés sur le sol ont disparu, et quand il passe une tête dans les chambres, il ne peut que remarquer les jouets rangés et les lits faits, chose absolument rarissime. Avançant vers le salon, il a la surprise de retrouver la pièce exactement comme elle est habituellement. La vieille télé est réapparue avec son petit meuble de consoles, les tapis sont à nouveau droits, la table basse à sa place, les canapés en "U". Tous les jouets qui constellaient le sol à son arrivée ont disparu, comme évaporés, et Micro-Ice doit avouer qu'il est bluffé.

Assis sur les canapés, Adri, Haan, Kylian et Ican le regardent avec des airs plus ou moins inquiets, les joues rougies d'avoir couru dans tous les sens et visiblement incertains de son verdict. Micro-Ice prend un malin plaisir à faire durer le suspens, faisant mine d'inspecter chaque centimètre carré de la pièce. Il soulève des coussins au hasard, se penche pour voir sous la table basse, relève un coin du tapis du bout du pied... Le quatuor s'arrête de respirer à chaque vérification, scrutant son visage avec appréhension tout en s'échangeant des regards paniqués. Ce n'est que lorsqu'il finit par se tourner vers eux en opinant que les quatre jeunes exhalent en cœur, s'écroulant sur les canapés comme si quelqu'un les avait dégonflés. L'effet comique est non-négligeable alors Micro-Ice ne peut s'empêcher de ricaner.

- Et que je vous y reprenne pas, c'était votre joker !

Un râle parcourt le petit groupe, le faisant sourire à nouveau. A vrai dire, il aurait pu les féliciter vu la propreté assez remarquable de chaque pièce, mais il ne veut pas prendre le risque qu'un compliment soit interprété comme un encouragement. D'ailleurs, il devrait plutôt se féliciter lui-même. Inciter les plus téméraires du groupe à rattraper leurs bêtises sans même avoir besoin de crier ou menacer ? Il aurait même mérité une médaille.

Jetant un coup d'œil à l'horloge holographique coincée dans un coin de la pièce, Micro-Ice lit 16h12 et se dit qu'il a bien le droit à une petite sieste avant que les autres ne rentrent de leurs entraînements respectifs. Se dirigeant immédiatement vers le dernier canapé libre, il s'y allonge sur le côté, passant un bras sur sa tête pour se protéger de la lumière ambiante. Malgré les jeunes qui discutent à ses côtés, le sommeil le prend presque à l'instant où il ferme les yeux, son corps désormais plus qu'habitué aux siestes impromptues.

Juste avant qu'il ne s'endorme pour de bon, il réalise que s'ils parviennent bien à s'enfuir demain, les enfants n'auront plus l'occasion de refaire cette bêtise. Ni aucune autre d'ailleurs. Et lui, il n'aura plus besoin d'assumer ce rôle de parent qui le dérange tant.


Micro-Ice ouvre les yeux d'un coup, sursautant au son de la porte d'entrée qui se verrouille. Le son est suivi par les claquements métalliques habituels, et bientôt, Driss et Leroy apparaissent dans le salon. En les apercevant, l'appréhension déclenchée par son sursaut s'envole et il s'efforce de se redresser en leur offrant un sourire de bienvenue. Le duo le lui rend et ils échangent quelques mots, confirmant que tout s'est bien passé de leur côté. Selon Driss, leur séance de musculation était "ennuyante" et Leroy la qualifie plutôt d'"inutile", alors Micro-Ice lève les yeux au ciel tout en estimant qu'ils n'ont pas eu de soucis.

Le duo disparaît vite vers le couloir d'où provient un brouhaha chaleureux, signe que la plupart des enfants ont rejoint leurs chambres pour jouer entre eux ou discuter. D'ailleurs, les canapés à ses côtés sont vides et il ne remarque que maintenant qu'un plaid pelucheux le couvre. Réalisant qu'il a sûrement dormi plus que prévu, Micro-Ice se lève du canapé pour chercher l'horloge holographique du regard, grimaçant en lisant 19h02.

Il en est à râler en pliant rageusement sa couverture pour la ranger quand il entend un ricanement dans son dos. Il n'a pas besoin de se retourner pour savoir que c'est Mei qui se moque gentiment, mais il s'applique tout de même à lui adresser un air boudeur par-dessus son épaule. La jeune femme, qu'il découvre accoudée au dossier d'un des canapés et deux tasses fumantes dans les mains, rit de plus belle. Ne se redressant que lorsqu'il a fini de se débattre avec le plaid, elle part s'asseoir sur un des canapés, déposant la tasse qui lui est destinée sur la table basse. Traînant des pieds pour la rejoindre, Micro-Ice attrape le mug bariolé pour s'installer à ses côtés.

- Eh ben, c'est bien la première fois que je te vois faire une sieste aussi longue ! Je t'ai même pas réveillé en rentrant !

Micro-Ice grimace un peu, gêné, mais ne peut s'empêcher de sourire face à la bonne humeur évidente de son amie. Ca fait quelque temps maintenant que son moral s'est nettement amélioré, mais Micro-Ice aime s'en étonner à chaque fois. Parce que voir Mei joviale lui fait du bien, à lui aussi.

- J'ai eu un entraînement difficile, moi ! J'ai bien le droit de dormir un peu !

- Fais pas genre que tes entraînements sont plus difficiles que les miens ! Et d'après Adri t'étais plus proche d'une nuit complète que d'une sieste...

- N'importe qu- J'ai dormi trois heures !

- C'est bien ce que je dis !

Mei lui donne un coup d'épaule pour appuyer sa taquinerie et Micro-Ice se sent poussé à l'abandon, alors il plonge son visage dans son mug pour éviter le regard rieur de son amie. Mei ricane de plus belle face à l'esquive à peine dissimulée, tandis que Micro-Ice note dans un coin de sa tête qu'Adri mérite une petite vengeance. Un silence confortable commence à prendre place, à peine dérangé par les sons provenant des chambres. D'ailleurs il se serait bien contenté de ce moment de calme, profitant du thé chaud et d'une conversation légère. Mais, du coin de l'œil, il voit Mei s'agiter. Son amie se redresse, jette un regard dans leur dos pour épier le couloir des chambres, puis fait mine de se rassoir en s'installant plus confortablement. Elle ramène ses jambes en tailleurs sous elle, profitant de sa manœuvre pour s'approcher un peu de lui. La phrase suivante est dite sur un ton qui se veut détaché, mais il sait déjà qu'elle essaye d'aborder un autre sujet à demi-mot : leur plan d'évasion.

- Presque tous les enfants sont rentrés, il ne manque que Molly, elle devrait arriver dans une petite demie heure. Ca s'est bien passé pour tout le monde apparemment.

- Ouais, j'ai vu Driss et Leroy, ça avait l'air d'aller.

Sa voisine opine, puis penche la tête d'un air faussement détaché, ses yeux rivés sur sa tasse.

- Sanja est rentrée un peu avant eux aussi, tout s'est très bien passé pendant son entraînement.

- Top ! Tu penses lui faire travailler ses boucliers pendant votre entraînement demain ?

- Ouais, bien sûr. Elle se débrouille bien maintenant mais elle peut toujours apprendre à encaisser plus de charge. D'ailleurs, il faudra que tu commences à faire le déjeuner avant qu'on rentre, on sera les dernières à rentrer...

- Ouais, pas de soucis, on vous attendra tous ensemble dans le salon.

Mei approuve avec un sourire avant de plonger son nez dans son mug, ne laissant dépasser de la céramique que ses yeux soudainement brillants de malice. Micro-Ice acquiesce discrètement à son tour, tentant pour la centième fois cette semaine de confirmer à son acolyte qu'ils se sont bien compris.

Parce qu'il doit bien l'avouer, s'il y a bien une chose qu'il reproche à leur captivité (en dehors du côté "captif" en lui-même, bien évidemment), c'est qu'ils n'ont aucune interaction avec leurs kidnappeurs. Certes, ils sont bien traités. Ils vivent tous ensemble dans un espace un peu restreint mais raisonnable pour eux dix, ils reçoivent la nourriture qu'ils demandent, chacun a droit à des petits cadeaux de temps à autre, des horaires corrects, des temps de repos... Enfin, tant qu'ils suivent les règles, bien sûr. Les premières semaines avaient été compliquées et ils s'étaient vus "punis" à plusieurs reprises, coupés d'électricité, d'eau chaude ou mis à la diète. La voix des hauts parleurs prenait souvent la parole dans la "maison" pour leur donner des directives, qu'ils suivaient avec plus ou moins de bonne volonté au départ, et puis, au bout d'un moment, ils s'y sont fait. Ils ont trouvé un rythme, commencé à moins penser à se révolter, à accepter leur sort. La voix dans les haut-parleurs s'était fait plus rare chez eux, puis elle a disparu, leur laissant les rênes dans un semblant de liberté et de libre arbitre.

Mais du coup, aujourd'hui, ils n'ont aucun moyen de savoir qui les écoute ou qui les épie. Ni quand. Ni lesquels d'entre eux. Donc forcément, monter un plan d'évasion s'est montré quelque peu épineux.

Tout a commencé le jour où Sanja leur a annoncé vouloir faire des boucliers grâce à son Souffle. Pas qu'ils n'avaient pas pensé à s'enfuir avant ça, mais sans moyens de défense tout plan devenait vite dangereux pour les enfants. Alors forcément, un bouclier changeait entièrement la donne.

Déjà à ce moment-là, Mei et lui avaient commencé à s'échanger quelques sous entendus enjoués, puis quand Sanja et Mei étaient revenues d'un entraînement avec la preuve formelle que la petite rouquine était capable de manier son Souffle de la sorte... Les conversations en sous-texte sont devenues une habitude.

D'abord, ils ont réussi à comprendre qu'ils étaient tous les deux d'accord pour attendre que la jeune fille s'améliore. Et aussi de ne rien lui dire pour éviter toute pression.

Il a fallu deux mois à Sanja pour produire à coup sûr un écran de protection assez grand pour la protéger entièrement. Un autre mois de travail pour les rendre plus résistants. Trois mois pour améliorer sa vitesse d'exécution. Puis des travaux plus minutieux : des projections plus étendues, à distance, les effacer rapidement, continuer de courir en ayant un bouclier actif, orienter l'angle d'un écran déjà projeté... Et finalement, presque 9 mois après que Sanja ait réussi à projeter son premier bouclier, Mei et lui sont parvenus à se dire qu'elle était prête.

Mais cette résolution a ramené sur la table un autre sujet compliqué : quand et comment ?

Micro-Ice a passé des nuits entières à se creuser la tête, tentant de visualiser quels scénarios promettraient le plus de chances de réussite. Un plan sûr, qui leur permettrait de s'en sortir indemnes, tous les dix, mais surtout, aussi rapidement que possible pour éviter une quelconque riposte de leurs gardiens invisibles. De nombreuses idées se sont jouées dans sa tête, passant de lui explosant un mur de la maison au hasard, à simuler une urgence pour forcer leurs kidnappeurs à venir physiquement chez eux pour les prendre un otage... Mais chaque idée présentait des risques trop grands, un facteur chance important ou nécessitait l'aide des enfants qui ne connaîtraient rien à l'avance...

Sans surprise pour lui, c'est Mei qui a finalement réussi à trouver l'occasion parfaite. Celle qui se présente demain.

La grande brune est venue le voir le week-end dernier, le planning d'entraînements de la semaine à la main, feignant un conflit d'horaire dont ils devaient discuter. Micro-Ice a joué le jeu, bien sûr, tout en suivant du coin de l'œil le doigt lui indiquant discrètement l'organisation du jeudi matin :

...

8h : Driss (entraînement)

8h30 : Adri + Haan (musculation)

9h : Sanja + Mei (entraînement)

...

Il lui a fallu un moment pour comprendre, mais à force d'insister et de ramener le sujet à demi-mots, Mei a réussi à lui faire passer le message : jeudi midi, elle et Sanja rentreront en dernier pour déjeuner. Tous les autres enfants et lui seront à attendre à l'intérieur de la maison, et elles à l'extérieur.

A partir de là, avec quelques conversations en plus et des exemples mimés à la va vite avec certains jouets des enfants, un plan plus complet s'est mis en place entre eux. Avec le bon timing, Mei pourrait sortir de la navette de transport et utiliser une des parois de l'appareil pour bloquer les portes de sécurité ouvertes pour leur arrivée pendant que Sanja la protège d'une quelconque attaque. Lui n'aura qu'à asséner un coup dans la porte d'entrée pour leur permettre de se rejoindre, et le tour serait joué.

Pas le plan le plus simple à établir à demi mots donc. Ni le plus sûr. Sans oublier qu'ils n'ont jamais vu l'endroit où ils sont gardés captifs en dehors des salles d'entraînements, la navette et chez eux. Ils ne sont pas sûr non plus de trouver un téléphone ou un vaisseau, ni même de pouvoir s'enfuir bien loin. D'ailleurs, 80% de leur groupe n'est même pas au courant qu'ils prévoient de s'évader, laissant bien trop d'occasions pour que tout tourne mal.

A moins de 24h de l'échéance, Micro-Ice doit avouer qu'il angoisse un peu à l'idée qu'un enfant prenne peur et ne suive pas, ou au contraire, que l'un d'eux soit pris d'un trop gros élan et se mette en danger inutilement. Mais, au final, ils n'ont pas mieux. Et ils se doivent d'essayer. Ils se doivent de réussir.

Quelque part derrière eux, un grand fracas retentit, très vite suivi par des bruits de disputes. Différentes voix crient les unes par dessus les autres, faisant résonner accusations et reproches jusqu'au salon, cassant brusquement l'ambiance chaleureuse qui régnait jusque-là. Assise à ses côtés, Mei soupire puis lui adresse un regard, l'air de dire "J'y vais ou tu y vas ?". Conscient qu'il a déjà échappé à ses obligations parentales pendant les trois dernières heures, Micro-Ice se désigne d'office, offrant un temps de repos à son amie.

A son arrivée dans la chambre où à eu lieu le crime, de nombreuses voix tentent de lui expliquer la situation, tous les enfants présents parlant en même temps en pointant du doigt différentes choses. Il s'avère que Leroy, qui pleure à chaudes larmes, le cœur brisé, s'est fait détruire sa construction en brique. Haan est le fautif qui lui est désigné d'office mais le garçon nie en bloc, accusant Kylian et Sanja à tour de rôle. La rouquine s'indigne à chaque reproche pendant que le brun se trouve milles et un alibis, ajoutant toujours plus à la cacophonie ambiante. Finalement, Micro-Ice se trouve obligé de les gronder plus sèchement, rien que pour imposer un peu de calme. Il passe le quart d'heure suivant à réconforter le blondinet autant qu'il peut en même temps de superviser la reconstruction imposée à l'ensemble des accusés. Très vite, la corvée redevient un jeu, et Leroy se joint même à eux, le libérant de son rôle de parent pour le moment.

Et puis, très vite, leur rituel du soir se met en place. A l'instant où Molly rentre, le dîner est mis à cuire et les enfants sont appelés à venir dans le salon. Certains aident à préparer le repas, d'autres à réunir assiettes et couverts, et bientôt, ils sont tous réunis sur les canapés à déguster leurs poissons panés et petits pois. L'ambiance est redevenue festive, une multitude de discussion se superposant dans un brouhaha chaleureux : Micro-Ice ment à Haan sur le nombre de robots qu'il a battu pendant son entraînement, Leroy part chercher ses derniers dessins pour les montrer à Molly, Driss répète les progrès qu'il a fait la veille avec la Fournaise, Mei et Ican aident Adri à trouver les paroles de sa nouvelle chanson, Sanja participe un peu partout mais donne plus l'impression d'écouter les autres que de raconter ses propres aventures...

Puis vient l'heure de débarrasser la table, de se brosser les dents, d'aller se coucher. Comme d'habitude, Micro-Ice passe la tête dans chaque chambre pour dire bonne nuit avant de partir vers le salon. La table basse est poussée et Mei et lui s'allongent au centre du tapis, sachant pertinemment que tout le monde finira par les rejoindre au cours de la nuit. A 21h précise, toutes les lumières de jour s'éteignent ne laissant plus que les loupiottes de nuit et leurs faibles lueurs bleues.

Allongée à sa gauche, Mei tourne la tête vers lui, l'invitant à faire de même. Ils se dévisagent quelques secondes, sans rien dire et en se voyant à peine à cause de la pénombre, pourtant, Micro-Ice décèle parfaitement le regard tendu mais résolu de son amie. Cette fois-ci, ils n'ont pas besoin de se parler pour se comprendre.

Cette soirée était la dernière qu'ils passent ici.


Micro-Ice est réveillé par l'éclairage automatique qui lui brûle les yeux.

Plaquant ses mains sur son visage pour se protéger du réveil le plus cruel qui existe, il entend autour de lui un concerto de grognements s'élever, les voix de tous les enfants se joignant en une seule plainte. Ils ont beau tous être réveillés à l'instant où les lumières s'allument, pas un seul d'eux ne bouge pendant de longues secondes, chacun tentant de se réveiller ou de se rendormir à son rythme. La pause, aussi courte soit-elle, est extrêmement appréciable, et Micro-Ice est même tenté de se retourner pour dormir quelques heures de plus.

C'est sans compter sur la voix de Mei qui s'élève subitement, motivant la pièce à bouger tout en claquant des mains. Trois secondes plus tard, sa couverture lui est sauvagement arrachée, tout comme le coussin sur lequel reposait sa tête. Micro-Ice râle mais abdique quand il reçoit une pichenette sur le front, capitulant finalement à donner l'exemple.

Il lui faut encore quelque secondes pour réellement réveiller son cerveau et prendre de l'aplomb, mais après ça il parvient à se mettre dans l'exécution de leur préparation du matin. Il galère un peu à suivre Mei qui est bien réveillée, comme à chaque fois qu'il dort la deuxième partie de la nuit, mais il parvient tout de même à faire sa part. Il sort les petits déjeuners aux enfants, organise l'ordre de passage à la salle de bain selon les entraînements du matin, presse Driss pour qu'il soit à l'heure, plie et range la montagne de plaids qui a envahit le salon, empêche Kylian de voler plus que sa ration dans les placard, aide Adri à faire ses couettes, fait un thé pour Mei avant qu'elle ne parte à son entraînement...

Grâce à leur organisation somme toute bien rodée, Driss est prêt à temps et part à 8h, puis Adri et Haan à 8h30, et finalement, Mei et Sanja partent vers l'entrée à 9h. Micro-Ice s'apprête à aller continuer ses corvées, comme chaque fois qu'il reste dans la maison sans sa coéquipière, mais c'est justement un regard appuyé de son amie qui le réveille comme une grande claque, le ramenant à la réalité. Mei et Sanja disparaissent derrière la porte d'entrée avec le bip habituel, laissant Micro-Ice au milieu du salon, soudainement pleinement conscient que non, aujourd'hui n'est pas comme d'habitude. Qu'aujourd'hui est le grand jour. Celui qu'ils attendent depuis qu'ils sont arrivés ici.

La réalisation le frappe d'un coup, faisant accélérer son pouls, rendant ses mains moites et faisant monter sa pression en flèche. Micro-Ice sert les dents, s'efforçant d'arrêter tout signe extérieur de la panique qui le prend si subitement, et il doit même faire un effort conscient pour ne pas rester figé au milieu du salon. Respirant aussi profondément qu'il le peut, il se force à reprendre sa routine, retournant s'asseoir sur un des canapés pour faire la discussion à Kylian et Ican qui finissent leur petit-déjeuner. Après ça, il aide Molly et Leroy à débarrasser la vaisselle, pestant intérieurement à chaque fois que ses mains font trembler la pile d'assiettes qu'il transporte. Une fois les dernières miettes ramassées et les derniers plaids remis à leurs places, les enfants présents s'éclipsent vers leurs chambres respectives, et Micro-Ice laisse faire, bien trop proche d'une crise d'angoisse pour leur proposer de faire une activité collective. Il attend que le dernier d'entre eux ne disparaisse derrière une des portes du couloir pour enfin s'élancer vers la salle de bain, pressé de s'isoler pour de bon.

La petite pièce porte très largement les traces des neufs autres personnes qui l'ont utilisée avant lui. Rien n'est à sa place, les serviettes en boules au sol, les casiers dévalisés à la hâte, les brosses à dent en bordel, mais aujourd'hui, Micro-Ice s'en fiche. D'ailleurs, il ne le remarque même pas. A peine rentré dans la pièce exiguë, il tire la porte, la verrouille et s'y adosse. Son cœur bat la chamade, ses mains tremblent un peu, et le néon blanc accroché au-dessus du miroir l'éblouit plus que d'habitude.

Il met un long moment à regagner un peu de contrôle sur lui-même, les yeux fermés, comptant les secondes sur ses doigts tout en respirant profondément pour faire passer le plus gros de sa panique. Même quand il est à peu près certain que son épisode est passé, il sent toujours un sentiment désagréable lui ronger l'estomac, comme si sa peur et sa pression s'étaient associées pour le faire douter du plan qui est déjà amorcé. Mei et Sanja sont déjà parties, il n'a pas d'autre choix que de suivre le mouvement maintenant. Il veut suivre le mouvement. Mais son esprit panique sans lui demander son avis.

Micro-Ice soupire, le son de son souffle résonnant étrangement contre les murs carrelés qui l'entourent, et puis, enfin, il rouvre les yeux. Face à lui, le miroir couvert de buée et de traces de doigts lui renvoie son reflet. Le néon blanc donne à l'image un aspect fantomatique, les lumières et les ombres trop nettes, et Micro-Ice sent le frisson habituel remonter le long de sa colonne vertébrale. Pourtant, cette fois-ci, il soutient le regard. Il ne baisse pas les yeux. Il ne s'enfuit pas. Il observe. Le reflet suit ses mouvements, bouge ses yeux comme lui bouge les siens, les traits tirés, la mine fatiguée, sa barbe parsemée désordonnée, ses cheveux en bataille, son teint pâle. L'homme dans le miroir le scrute, l'observe, et une impression de déjà-vu le frappe, amenant avec elle un nouveau frisson qui le fait frémir.

Micro-Ice s'efforce de quitter son père des yeux et s'empresse de retirer ses vêtements, sautant dans la cabine de douche pour se noyer sous le jet d'eau chaude. Il ressort de la salle de bain une quinzaine de minutes plus tard, les yeux rouges, les cheveux humides et son uniforme de sport sur le dos, l'esprit plus clair et le corps plus frais, enfin prêt à affronter ce qui va suivre.

Conscient qu'il a au moins deux heures à tuer avant que Mei et Sanja ne soient sur le retour, Micro-Ice entreprend de rendre sa matinée la plus classique et ennuyante possible. Il passe une tête dans les différentes chambres pour vérifier ce que font les enfants. Dans leur chambre, Kylian et Ican discutent calmement en faisant rebondir une balle sur le mur, Leroy n'est pas dans sa chambre mais il le trouve dans celle des filles, allongé à même le sol pour dessiner, supervisé par Molly qui lui adresse des commentaires quand elle lève les yeux de son livre. Les autres chambres sont vides mais manquent un peu de rangement, alors Micro-Ice replace les boîtes de jeux de société à leurs places, remet les couvertures sur les lits qui n'en ont plus, récupère les paires de chaussures pour les remettre dans l'entrée. Quand il estime avoir fait le tour, il part dans la cuisine pour laver ce qui doit l'être, puis fouille les placards à la recherche de leur déjeuner. Il manque de se faire assommer à plusieurs reprises par des casseroles et des poêles mal rangées, mais il finit par mettre la main sur un paquet de pâtes qu'il laisse en évidence sur le comptoir.

Driss rentre à 11h30, disparaît dans la salle de bain puis revient le voir pour réclamer un thé. Le jeune Xénon lui raconte avec entrain ses derniers progrès, décrivant avec beaucoup de détails comment il est parvenu à immobiliser un cube en mouvement avec son fluide. S'ensuit une longue conversation sur la Fournaise, et Micro-Ice se retrouve même à partager quelques ressentis qu'il avait eu face à Luur, souriant en constatant que Driss boit chacune de ses paroles.

Adri et Haan rentrent à 12h, leur arrivée emplissant immédiatement leur maison de rires et d'exclamations enjouées. Micro-Ice a à peine le droit à un signe de main avant que les deux amis ne s'éclipsent vers leurs chambres, visiblement plus motivés à l'idée d'aller se relaxer que de lui raconter leur séance de fitness. S'il grimace un peu à l'idée d'être ignoré, il laisse couler, sachant pertinemment que les prochains à rentrer seront Mei et Sanja.

Sentant son appréhension monter d'un cran, Micro-Ice frappe dans ses mains et appelle tous les enfants présents à le rejoindre dans le salon, invoquant l'envie de jouer un jeu de société tous ensemble avant de faire à manger. Certains accourent avec joie, tandis que d'autres râlent et préfèrent rester dans leurs chambres, alors Micro-Ice leur force gentiment la main, accordant un délai à Adri et Haan pour qu'ils prennent leurs douches en vitesse. Bientôt, les sept enfants sont assis autour de la table basse du salon, se disputant sur la couleur de leurs pions et les règles de départ qu'impose le jeu qu'ils ont choisi. Lisant 12h22 sur l'horloge holographique coincée dans un coin du salon, Micro-Ice prend une grande inspiration, et quitte le petit groupe pour faire un dernier tour dans les chambres.

L'envie de vérifier qu'il n'oublie rien est un peu idiote vu qu'ils n'ont pas grand chose à eux ici, et pourtant, il ne peut s'empêcher de faire un inventaire de dernière minute. Il passe dans la chambre qu'occupent Driss, Kylian et Ican, tournant sur lui-même pour passer en revue tous les objets éparpillés sur le sol et les lits. Il sait que Driss sera triste de perdre ses bandes dessinées, tout comme Ican regrettera sa balle rebondissante, ou Kylian sa petite console de jeu portable. Dans la chambre d'Haan et Leroy, il ne peut que remarquer la multitude de dessins accrochés aux murs et les billes éparpillées dans un coin, réunies au centre d'une structure faite en papier plié qui se veut être un circuit.

Passant la chambre vide qui aurait dû être celle des adultes, Micro-Ice entre dans la dernière chambre. Sur le lit d'Adri, il voit la guitare et le casque acoustique qui l'accompagne, ainsi que le petit carnet de notes où elle écrit toutes ses mélodies. Plus bas, les quelques livres de Molly sont empilés contre le mur, tous plus écornés les uns que les autres, un seul laissant dépasser un marque page. En face, le lit de Sanja est plus vide, laissant sa peluche requin trôner par-dessus ses couvertures, le doudou semblant lui adresser un sourire carnassier.

Micro-Ice est sur le point de faire demi tour quand autre chose lui saute aux yeux. Oubliée sur le montant du lit simple qu'occupe la rouquine, une paire de lunettes d'aviateur accroche son regard. Le souvenir que Sanja les portait quand ils sont arrivés lui remonte immédiatement, alors sans y réfléchir à deux fois, Micro-Ice attrape la paire et l'enfouit dans une des poches de son pantalon.

Étrangement rassuré d'avoir fait ces dernières vérifications, Micro-Ice retourne vers le salon où des exclamations résonnent toujours. Il passe le groupe d'enfant, lisant 12h26 du coin de l'œil, et file vers la cuisine. Il se dépêche de mettre de l'eau dans une casserole et de la mettre sur la plaque chauffante, feignant de préparer leur repas comme d'habitude. Il retourne dans le salon en s'efforçant de marcher lentement, se postant derrière le canapé le plus proche de l'entrée pour observer la partie de jeu de société qui commence à peine. Pourtant toute son attention est portée sur l'entrée dans son dos, l'entièreté de sa concentration focalisée sur son ouïe. Il attend le signal.

Les minutes suivantes sont absolument insoutenables. Il s'efforce de respirer doucement et de ne pas laisser ses mains se crisper sur le dossier du canapé pendant qu'il étudie chaque bruit. Les enfants face à lui s'égosillent, penchés sur le jeu posé sur la table basse. La gazinière de la cuisine vibre. De l'eau coule doucement dans un des tuyaux cachés dans le plafond.

Des claquements métalliques résonnent quelque part dans son dos, recréant une mélodie qu'il connaît par cœur. Les notes se succèdent les unes après les autres, comme au ralenti, créant la musique grinçante pour laquelle il s'arrête de respirer afin de l'écouter plus distinctement, attendant une variation qui lui donnerait un signal de départ.

Ce n'est qu'au moment de jouer sa dernière note que la mélodie est interrompue par un fracas si puissant que le sol vibre jusque sous ses pieds. D'un coup, une série de chocs métalliques se déclenchent à la chaîne, immédiatement suivis par un grincement monstrueux. Le cris strident du métal malmené lui arrache un frisson d'effrois, mais Micro-Ice ne perd pas un instant pour faire un bond en arrière, quittant des yeux les enfants qui se sont subitement figés dans leur partie. Micro-Ice passe dans l'entrée en quelques rapides enjambées, s'élance vers la porte verrouillée, prend une grande inspiration, force son Souffle à se manifester, et frappe.

Le choc de son poing contre la paroi plie la surface lisse avec un bruit assourdissant qui se joint au cris du métal à l'extérieur, masquant à peine un cris de surprise provenant du salon. Le second coup est plus fort et enfonce la porte entière de quelques centimètres vers l'extérieur, la forçant à tirer sur ses jointures. Le troisième coup est le bon.

A l'instant où la porte cède dans une gerbe de fluide bleu, Micro-Ice tombe nez à nez avec Mei, postée à l'autre bout du couloir, tandis que le son du métal hurlant se décuple par cent. Les parois de sécurité du couloir tentent de se refermer avec force, appuyant sans répit sur la porte de la navette de transport qui fait barrage à l'horizontale, menaçant de les enfermer à nouveau à l'instant où la résistance cédera. Il ne faut pas plus à Micro-Ice pour se retourner avec hâte et courir à nouveau vers le salon où il découvre avec surprise qu'aucun des jeunes n'a bougé. Le petit groupe est comme pétrifié autour de la table basse, leurs mains sur leurs oreilles pour se protéger du bruit, serrés les uns contre les autres pour se rassurer. A l'instant où il entre, tous les regards se posent sur lui, chacun d'eux le dévisageant avec un mélange de peur et d'interrogation.

Micro-Ice sait qu'il regrettera son ton plus tard, mais il est obligé d'être un peu brusque. Sautant par-dessus le canapé pour rejoindre les enfants, son adrénaline le pousse à leur hurler de se dépêcher. Ican et Driss semblent comprendre immédiatement, courant vers l'entrée dès la première fois qu'il leur ordonne, mais les autres sont plus difficiles à convaincre. Adri suit avec un temps de retard, Kylian plante d'abord ses pieds dans le sol avant que son amie ne le tire en avant, et Micro-Ice est forcé d'attraper Molly et Leroy par les bras pour qu'ils avancent avec le groupe. Les cris d'excitation et de peur se mêlent au capharnaüm, résonnant désagréablement dans sa tête pendant qu'il essaye de réfléchir à mille à l'heure. Ils n'ont que quelques mètres à faire jusqu'à la porte qu'il a défoncée, mais le trajet lui semble terriblement lent. Pourtant, ils y arrivent tous les sept.

Il hurle le nom de Mei, voit la grande brune acquiescer de l'autre côté du couloir, puis Micro-Ice attrape Leroy et le soulève aussi haut qu'il peut. L'instant d'après, un éclair de Souffle court le long du couloir et vient frapper le petit blond, le suspendant dans les airs en l'enveloppant d'une fumée bleue. A l'autre bout du couloir, Mei replie son bras, et le garçon suit le mouvement. Leroy passe par-dessus la porte morcelée à une vitesse folle, parcourant la distance qui les sépare en une fraction de seconde pour être rattrapé dans les bras de sa coéquipière.

Micro-Ice voit le petit blond retomber au sol, tremblant, puis Mei lui adresse un nouveau signe de tête.

Tous les enfants passent avec plus ou moins de bonne volonté. Ican et Driss s'envolent sans soucis, Adri pousse un cri terrifié à l'instant où le Souffle l'attrape, et Micro-Ice est forcé de tirer Kylian hors du salon pour le faire passer à son tour. Tous les enfants passent rapidement et sans soucis, et Micro-Ice lâche presque un soupir de soulagement quand Kylian atterris, rassuré que la porte de la navette ait tenu le coup jusque-là.

S'avançant dans l'encadrement de la porte pour être tiré à son tour, Micro-Ice pose un pied sur le sas pour s'élever et voit sa coéquipière acquiescer. Derrière elle, les enfants discutent avec des postures plus ou moins paniquées, tournant en rond ou s'accrochant les uns aux autres, clairement secoués. Mei lève un bras vers lui au même moment qu'Adri se retourne vers lui avec un sursaut.

Micro-Ice ne saurait pas dire exactement pourquoi, mais les yeux ronds qu'elle lui adresse et les cris qu'il devine le poussent à esquiver l'éclair de Souffle qui est propulsé dans sa direction. A l'autre bout du couloir, Mei chancelle avant de le dévisager, estomaquée, lui criant un reproche qu'il n'entend pas à cause du métal qui hurle entre eux. L'instant d'après, Adri saute au bras de Mei, la tirant énergiquement pour attirer son attention. La petite rouquine hurle en faisant des gestes dans tous les sens, et Micro-Ice ne comprend qu'au moment où elle se tourne à nouveau vers lui en mettant ses doigts autour de ses yeux pour mimer des lunettes.

Micro-Ice pousse sur ses pieds pour prendre de l'élan, partant en arrière tellement fort qu'il en heurte presque un des murs de l'entrée. Il déboule dans le salon, regardant frénétiquement autour de lui tout en continuant d'avancer, se maudissant davantage à chaque instant perdu. Il donne des coups d'épaules dans chacune des portes, scannant chaque pièce aussi vite qu'il le peut avant de passer à la suivante, son cœur tambourinant tellement fort dans sa poitrine qu'il tonne jusqu'à ses oreilles.

Il trouve Haan assis en boule dans un coin de sa chambre, caché sous une couverture passée par-dessus sa tête, ses bras entourant ses genoux et ses yeux pleins de larmes derrière ses grandes lunettes rondes. Le soulagement qui prend Micro-Ice est accompagné d'un violent coup de pression, l'étrange cocktail ne l'empêchant pas d'aller chercher l'adolescent avec hâte. Il est forcé de sortir le jeune de sa protection de fortune, tout en tentant de le rassurer malgré le bruit infernal qui fait vibrer les murs jusqu'ici. Avec quelques mots d'encouragements, il réussit à convaincre Haan de passer ses bras autour de son cou et avec quelques efforts supplémentaires, il parvient à le hisser sur son dos. Malgré sa taille, Haan finit par s'accrocher à lui en le serrant comme s'il n'allait plus jamais se décrocher et quand Micro-Ice sent le garçon trembler contre lui et il sait déjà qu'il revivra ce moment à de nombreuses reprises dans ses cauchemars.

Au loin, le métal hurle avec un cri différent, puis se tais. Les murs et le sol cessent de trembler tandis qu'un silence glaçant prend place pendant un court instant. Des cris s'élèvent d'un coup, les voix des enfants et de Mei se joignant dans un brouhaha paniqué et pressé. Sentant sa tension bondir d'un coup, Micro-Ice s'élance à nouveau vers le couloir, courant vers l'entrée avec précipitation, priant pour que son erreur ne lui ait pas coûté le prix de sa liberté.

Suivant les cris et appels, Micro-Ice sort de la chambre à toute allure, Haan fermement accroché contre lui, bondissant pour passer d'une pièce à l'autre avant d'enfin rejoindre l'entrée. Quand il arrive face à la porte béante menant au couloir, il note d'abord avec effrois que le passage s'est drastiquement réduit et que la porte de la navette n'est plus à sa place. Le métal jonche au sol, les pièces grossièrement découpées et pliées, n'ayant clairement pas survécu à la pression. Et puis, il voit l'écran bleu à droite, et la fumée verte à gauche, les deux fluides tremblants douloureusement pour garder le passage ouvert. Au fond du couloir, Mei est maintenant entourée de Sanja et Driss, les deux jeunes terriblement concentrés sur leurs tâches tandis que Mei lui adresse un regard paniqué.

Sa coéquipière projette un éclair de Souffle à l'instant où leurs regards se croisent. Micro-Ice sent le fluide le toucher en pleine poitrine et s'étendre sur de lui, parcourant son corps à une vitesse folle. Haan, accroché dans son dos, l'agrippe plus fort et relève la tête, laissant échapper un hoquet de surprise quand le Souffle le touche à son tour. Micro-Ice s'attend à ce que Mei les tire à elle d'un instant à l'autre, mais face à eux, elle paraît subitement hésiter. Ses yeux passent de son visage à celui de l'adolescent sur son dos, tandis que le doute crispe son visage et son corps.

Autour d'elle, les enfants crient des mots qu'il n'écoute pas tellement, sautillant pour passer leurs têtes au-dessus de la première ligne. Une seconde interminable passe, et Micro-Ice s'apprête à prendre la décision de courir plutôt que d'attendre son amie quand Driss lâche un cri d'avertissement. D'un coup, la Fournaise qui illuminait le couloir s'éteint.

Micro-Ice sent ses pieds se décoller du sol et son corps entier être violemment tiré en avant. Il voit à peine le couloir défiler autour de lui, dépasse Mei et survole le groupe d'enfant en un instant, et découvre subitement un espace bien plus large qu'il n'avait jamais vu auparavant. Il n'a que quelques instants pour noter les teintes bleutées de la pièce ainsi que la carcasse éventrée et fumante d'une navette de transport, avant de se sentir tomber.

La perte de vitesse le prend par surprise alors il n'active son Souffle qu'au dernier moment, se servant du fluide pour tenter de maîtriser leur chute. Quand un de ses pieds touche le sol, son corps vrille douloureusement, le propulsant avec force sur le côté. Micro-Ice heurte le sol avec très peu de grâce, sent Haan se décrocher de son dos, puis entame un bon nombre de roulé-boulé qui brouille complètement le paysage autour de lui, le faisant perdre le très peu de repère qu'il avait toujours. Il sent le sol cogner contre lui à de nombreuses reprises avant qu'il ne se sente perdre en vélocité et que son corps s'arrête enfin après une énième galipette, son dos tapant à plat contre le sol. Un peu sonné, il reste immobile un instant, fixant le plafond de roche grise qui forme une voûte au-dessus de lui. Clignant des yeux à plusieurs reprises pour chasser le tournis, Micro-Ice s'efforce à reprendre ses esprits.

C'est la voix pressante de Mei qui lui rappelle qu'ils ont une activité urgente en cours.

Pivotant précipitamment pour passer à plat ventre, Micro-Ice sent un vertige comprimer son crâne, mais il s'efforce à tourner la tête vers d'où il vient. A une petite dizaine de mètres de lui, Haan se relève doucement, grimaçant en passant ses mains sur son pantalon pour chasser la poussière claire qui s'y ait collée, et plus loin encore, Mei court dans leurs direction, le groupe d'enfant à ses trousses. Il ne faut pas longtemps à la grande brune pour atteindre Haan, rapidement s'assurer qu'il va bien, puis se précipiter vers lui et lui jetant un regard écarquillé.

- Ça va ?! Je suis désolée, je vous ai tiré super fort ! Dis moi que je t'ai rien cassé !

Micro-Ice a à peine le temps d'acquiescer pour lui dire qu'il ne lui en veut pas, que Mei l'agrippe et le tire vers le haut, le forçant à se remettre sur ses pieds le plus rapidement possible. Autour de lui, le monde tangue un peu et sa tête s'alourdit dangereusement pendant un instant, mais l'impression se tasse vite. Il lui faut encore un instant pour véritablement s'appuyer sur ses pieds, ajustant sa posture pour que son corps se porte seul plutôt que grâce à l'appui de Mei. Micro-Ice ne sent que quelques points douloureux, mais définitivement rien de cassé ni foulé. Remerciant silencieusement le Souffle de l'avoir protégé d'une blessure qui semblait pourtant inévitable, Micro-Ice relève la tête vers sa coéquipière et lui offre un sourire, hochant la tête pour lui signifier que tout va bien.

Le visage de Mei se détend d'un coup, son soulagement plus que visible, et sa coéquipière se précipite pour le prendre dans ses bras. Micro-Ice lui rend l'accolade en passant ses mains dans son dos pour la rassurer, ignorant l'épaule qui lui écrase le nez et la différence de taille qu'elle souligne. Le moment ne dure que quelques secondes, mais très vite, il entend les enfants les rejoindre, attrapant ses vêtements tout en criant dans tous les sens. Certaines voix s'inquiètent, d'autres crient de joie, et bientôt, Mei et lui sont forcés de retourner leur attention vers les jeunes adolescents qui les entourent et la situation en cours.

Jetant un regard circulaire à la pièce qu'il n'a pas tellement eu le temps de détailler, Micro-Ice observe rapidement les alentours notant les murs de pierre grise, le sol en métal bleuté, la carcasse de la navette de transport, les autres navettes parquées dans un coin, les grandes portes numérotées qui creusent les murs immenses. Le hall, parce qu'il décide que la pièce ressemble à un hall, s'étend sur facilement cinquante mètres, l'espace surplombé par une voûte de pierre grise. Il est coupé dans ses observations par Mei qui tape dans ses mains pour faire taire le groupe, sa voix s'élevant avec calme mais autorité.

- Okay, bravo tout le monde, on a réussi à sortir de la maison, Mice et moi on est super fiers de vous ! Maintenant, notre objectif, c'est de sortir d'ici ! Je veux que vous restiez tous entre Mice et moi, aucun écart autorisé ni aucun caprice. On va devoir chercher une sortie, peut-être pendant un bon moment, alors je veux que vous nous suiviez sans faire d'histoire, c'est okay pour vous ?

Les enfants les plus enjoués, tels que Driss et Ican, crient un "oui" emplis de motivation, tandis que d'autres, comme Kylian, Adri et Sanja acquiescent silencieusement. Molly, Leroy et Haan restent immobiles, jetant des regards tendus au nouveau décor qui les entoure. Si Mei est déstabilisée par le manque d'entrain, elle ne le montre absolument pas et tape à nouveau dans ses mains, donnant l'air d'encourager leurs troupes autant qu'elle-même.

- Parfait, c'est super ! Mice, t'es plus efficace en rapproché et moi à distance, alors tu passes devant, les enfants te suivent et je ferme la marche. Sanja et Driss, vous restez bien au milieu, vous avez la responsabilité de tous nous protéger si jamais c'est nécessaire, d'accord ?

Driss saute de joie, le jeune Xénon plus qu'heureux d'avoir une responsabilité rien qu'à lui tandis que Sanja, elle, rougit et rentre sa tête dans ses épaules, clairement moins à l'aise. Micro-Ice, lui, se contente d'approuver avec un "Cheffe, oui, cheffe" qu'il espère rassurant pour les enfants, bien content de laisser l'organisation stratégique à sa coéquipière.

Une réorganisation du groupe plus tard, Micro-Ice se retrouve à enfoncer la plus grande porte du hall. Il est contraint d'asséner plusieurs coups pour que la grande plaque se torde puis se brise, emmenant avec elle un pans du mur dans un bruit plus qu'indiscret. S'il s'attendait à entendre une sirène à l'instant où le passage se dégage, il assiste simplement à la chute de la porte dans la pièce adjacente sans que rien de particulier ne se passe. Décidant que le manque de réaction de leurs ravisseurs est bon signe jusqu'ici, Micro-Ice se retourne vers le groupe et l'encourage à le suivre, entament un footing à travers le nouvel espace.

Le même schéma se répète tellement de fois qu'il finit par perdre le compte. A chaque nouvelle porte enfoncée, ils ne trouvent que des couloirs ou des pièces vides, aucune d'entre elles ne dénotant des autres. Pour autant, il est maintenant évident que l'endroit est grand. Chaque salle propose souvent un nombre multiple de portes, alors ils improvisent un chemin au fur et à mesure. Ils se retrouvent parfois à retrouver une porte déjà enfoncée par ses soins et ses mains deviennent de plus en plus douloureuses malgré le Souffle qui le protège, mais ça n'empêche pas Micro-Ice d'avoir l'impression de progresser.

A travers le dédale, ils font quelques découvertes. Ils retrouvent certaines des salles d'entraînements qu'ils ont utilisées, certaines sont équipées de matériel qu'il n'a jamais vu mais que certains des enfants reconnaissent. Une salle remplie d'uniformes qui correspondent aux leurs. Quelques pièces en désordre qui s'apparentent à des bureaux, visiblement vidés à la hâte. Des cuisines où ils s'empressent de prendre quelques gâteaux dans leurs poches. Ils réussissent même à trouver une des pièces d'observation qui donne sur les salles d'entraînement, découvrant pour la première fois ce qui se cache derrière la vitre fumée. Quelques fauteuils qui donnent sur la salle en contrebas, des consoles à mille boutons qui lui rappellent celles de Clamp, des écrans d'holo projection en pagaille. Toute l'installation est déconnectée, comme coupée d'électricité, et aucun d'eux ne parvient à trouver un moyen d'allumer un écran ou de trouver un éventuel téléphone, alors ils continuent leur exploration.

Somme toute, Micro-Ice estime qu'ils courent de gauche à droite pendant presque une heure sans jamais rien trouver. Si au départ il était anxieux à chaque nouvelle porte détruite, craignant ce qu'il allait trouver de l'autre côté, il se rend vite à l'évidence que personne n'est là pour les arrêter. Quelques signes de départ en vitesse sont visibles, des bureaux en pagaille mais vides aux quelques tasses de café encore tièdes qu'ils trouvent. Pourtant, l'endroit désert lui donne la désagréable impression d'être au milieu d'une gigantesque farce, comme si personne n'avait jamais été là pour les tenir enfermés. Pire encore, la fuite évidente de leurs ravisseurs le laisse penser qu'ils auraient pu s'échapper bien plus tôt, sans avoir à attendre que Sanja soit prête à les défendre. Mei aussi a un air furieux plaqué sur le visage, à peine masqué par les sourires d'encouragements qu'elle adresse aux enfants qui suivent la cadence remarquablement bien.

Même le hangar plein de robots de combat qu'ils trouvent est désert et privé d'alimentation, les centaines de carcasses de métal sont restées là, abandonnés par leurs propriétaires. Mei lui adresse un regard sidéré à l'instant où leur groupe entre dans la grande salle, regard qu'il s'empresse de lui rendre. Parce que pourquoi des gens avec une telle force d'attaque se seraient enfuis ? Pourquoi ne pas utiliser tous les robots pour les arrêter ? Certes, Micro-Ice n'est pas sûr que l'armada de robots aurait réussi à les arrêter. Il aurait sûrement réussi à en détruire un bon paquet et Mei tout autant, voir plus. Et avec les protections de Sanja et Driss, plus les éventuelles aides des autres fluides des enfants... Le combat aurait été rude, bien sûr, mais ils auraient peut-être gagné. Mais il ne comprend pas pourquoi ils n'ont pas essayé. Ils auraient pu les ralentir, les déborder, profiter de leur méconnaissance du terrain pour les piéger ou les acculer...

Un frisson d'inconfort lui parcourt l'échine en s'imaginant les images, alors cette fois-ci c'est lui qui presse le groupe de se dépêcher. Kylian et Ican sont décrochés de force de leurs observations des robots, négociant vainement auprès de Mei pour rapporter un bras métallique avec eux, tout comme Adri et Haan qui s'étaient empressés de fouiller dans le gigantesque atelier mécanique présent dans la pièce. Les autres sont plus contents à l'idée de quitter le hangar, scrutant les silhouettes argentées d'un œil mauvais jusqu'à ce qu'elles disparaissent derrière eux.

Ils courent encore longtemps. Progressivement, les portes déjà ouvertes se retrouvent de plus en plus sur leur chemin, déclenchant systématiquement des râles de désespoir dans leurs rangs. Les nouveaux passages se font de plus en plus rares, et chacun des nouveaux couloirs qu'ils trouvent débouchent au final sur des zones qu'ils ont déjà explorées. La frustration monte au sein du groupe, les commentaires désespérés ou fatigués s'élevant à intervalles réguliers. Et même s'il est censé jouer l'adulte responsable et motivant, Micro-Ice doit bien avouer que lui aussi grince des dents. L'utilisation répétée du Souffle commence à lui peser, son corps mécontent de puiser dans ses réserves, sans parler de ses mains qui se sont remises à trembler à cause des chocs.

Une porte drastiquement différente des autres finit par apparaître. Creusant un mur entier du sol au plafond sur au moins trente mètres de long, elle affiche des numéros peints en gris sur la surface brune. Micro-Ice ne peut que reconnaître la structure, son cerveau faisant immédiatement le rapprochement entre ce qu'il a sous les yeux et les stations de garages du Genèse Stadium. Même sans concertation, il sait que Mei a la même image en tête. D'ailleurs, ils ne perdent pas un instant pour se mettre au travail.

Bien qu'elle soit largement plus résistante que les autres, l'immense porte vole en éclat après de longues minutes d'acharnement. Micro-Ice prend quelques pas d'élans pour asséner le coup fatal, s'élançant pour cogner contre une des fissures que Mei et lui travaillent au corps. Le métal renforcé cède à l'impact, le laissant passer à travers la structure en emmenant avec lui tous les débris qui volent violemment autour de lui. Il débarque dans le hangar à vaisseaux avec fracas, contrôle son atterrissage grâce au Souffle, et s'empresse de détailler les alentours. Face à lui, le grand hangar se révèle, avec ses couleurs brunes et l'immense voûte de roche bleutée qui le surplombe. La salle est à peine éclairée par les lumières de nuit qui assurent le service minimum, mais il y fait suffisamment clair pour que Micro-Ice puisse affirmer que personne ne les attend ici non plus. D'ailleurs, c'est plutôt les quelques engins encore garés dans l'immense salle qui semblent les attendre sagement, parqués dans des zones prédéfinies qui laissent deviner qu'au moins le triple de vaisseaux aurait pu être contenu ici.

Micro-Ice sait qu'il devrait sauter de joie. D'ailleurs, derrière lui, les enfants hurlent d'excitation, courant dans sa direction jusqu'à le dépasser pour s'élancer vers les vaisseaux. Même Leroy et Molly finissent par se laisser emporter par l'effervescence générale, leur entrain grandement multipliée maintenant que la promesse que leur fuite se concrétise est devant leurs yeux.

Lui, il n'arrive pas à décrocher son regard de la trappe immense qui creuse un des murs du hangar. Le rectangle doit faire une centaines de mètres de haut et surement le double de largeur où brille un fin voile irisé qu'il sait être une séparation entre le vide galactique et l'atmosphère artificielle dans laquelle ils sont. Et derrière la trappe, derrière le voile, une galaxie d'un bleu violacé se dessine. Des volutes de poussières colorées bougent lentement, leurs matières trop fines pour masquer les étoiles qui les percent comme des trous d'aiguille. Quelques roches à la dérive flottent, parsemées à travers le tableau, leur couleur grise dévoilée par une étoile qui doit briller proche d'eux.

Ce décor devrait lui paraître anodin, terriblement banal et inintéressant, mais Micro-Ice ne peut lâcher des yeux la lente danse cosmique qui se produit devant lui. Il ne s'était pas rendu compte qu'il avait oublié à quoi ressemblait l'extérieur. Il n'avait pas réalisé qu'il lui manquait tant. Il a beau cligner des yeux autant qu'il peut, l'infiniment grand est presque impossible à concevoir pour son esprit qui est resté dans une boîte depuis si longtemps.

La réalisation le fait frissonner, l'envie de revoir tous les endroits qu'il aime tant le prenant aux tripes. Les montagnes d'Akilian, le petit appartement de sa mère, la Faculté, les immeubles du Genèse Stadium, tous les stades sur lesquels il a eu la chance de jouer... Il se sent perdu, loin de chez lui, le sentiment soudainement exacerbé par la mélancolie qui le frappe ainsi que la réalisation qu'ils y sont presque. Que la sortie leur tend les bras. Qu'ils seront bientôt libres.

L'espoir le frappe comme un coup de foudre, faisant battre la chamade à son cœur pendant que ses yeux s'écarquillent d'envie, et, enfin, Micro-Ice s'élance à la poursuite de ses compagnons d'infortune et des vaisseaux qui les attendent.

Il ne leur faut pas longtemps pour découvrir que tous les vaisseaux présents dans le hangar sont parés à décoller sans aucune restriction, alors il est vite décidé qu'ils prennent possession du plus gros d'entre eux. L'engin qu'ils empruntent est assez grand pour proposer une sorte de petit salon aménagé dans l'habitacle, l'agencement laissant penser que des invités de marques utilisent habituellement l'endroit. Les enfants prennent évidemment possession de l'espace avec hâte et furie, leurs cris d'émerveillements se transformant vite en chamailleries pour les meilleures places. Micro-Ice louche un peu sur une banquette qui paraît parfaite pour faire une sieste, mais il est tiré sans sommation vers le poste de pilotage qui est séparé de la cabine par une fine paroi de métal. Mei le pousse sur un des sièges placés face au pare-brise et s'assoit dans le second, ne lui laissant pas le temps de lui rappeler qu'il ne connaît absolument rien en conduite de vaisseau.

- Normalement je sais comment activer l'autopilote mais j'ai besoin que tu gardes un œil sur la console d'erreurs, le GPS et les carburateurs quand je démarre, okay ?

- Euuh... L'écran des consoles du-

Mei se penche de son côté pour pointer son index sur plusieurs écrans.

- Tu me dis juste s'il y a une alerte qui s'affiche. Ou si un truc se met à clignoter de manière insistante.

- O-okay

Micro-Ice acquiesce, ses yeux sautant désormais entre les trois zones que son amie lui a indiqué, craignant de perdre ses repères ou de louper un message en restant concentré trop longtemps sur le mauvais panel. Du coin de l'œil, il voit Mei inspecter son côté du tableau de bord, passant en revue les manettes et les boutons tout en murmurant ce qu'elle voit pour prendre ses repères. Elle appuie sur un premier bouton et il entend la porte extérieur du vaisseau se refermer dans un bruit mécanique, accompagné par quelques remarques des enfants. Ensuite, Mei pousse un loquet et toutes les lumières de la cabine changent à l'unisson, passant à une ambiance plus tamisée. Le bouton suivant réveille les moteurs dans un vrombissement roque, et Micro-Ice sent le sol vibrer sous ses pieds en même temps qu'un des écrans qu'il est chargé de surveiller s'illumine. Une vue en coupe du vaisseau se dessine sous ses yeux, certaines zones mises en évidence pour lui indiquer leur activation, mais aucune alerte n'apparaît.

- Je crois que c'est bon ?

- Pas d'indicateur moteur ?

- Non. Enfin, je crois pas.

- Le niveau du carburant n'est pas trop bas ?

- Hmm... On est pas au max mais je dirais que c'est pas catastrophique. On a peut-être un bon quart du réservoir plein ?

- Okay.

Mei pose ses mains sur les deux manettes devant elle, clairement concentrée sur chacun de ses gestes. Son amie continue d'observer les différents boutons et compteurs qu'elle a sous les yeux, jetant des coups d'œil vers le pare-brise où le hangar brun et bleu se dessine encore.

- On va pouvoir décoller... Met une destination sur le GPS, que l'autopilote prenne le pas rapidement quand j'aurais fait sortir le vaisseau du hangar.

Micro-Ice baisse les yeux sur les quelques écrans qu'il a sous la main, mettant un moment à discerner lequel est censé faire office de GPS. La géolocalisation s'active quand il presse un de ses doigts tremblants sur la dalle tactile, affichant subitement leur position et le morceau de galaxie qui les entoure. Le tout est accompagné d'une multitude de petits textes qui l'informent autant de la température extérieure que des noms des étoiles proches. En bas à droite, la date du jour est inscrite en petits pixels blancs, et Micro-Ice s'efforce de ne pas y porter attention. Dans un coin de sa tête, son cerveau s'empresse tout de même d'ajouter cinq ans aux dix-neuf qu'il savait avoir fêté.

- Je- je mets destination quoi ? Akilian ? Le Génèse ? Je vois qu'on est pas très loin du Cercle des Fluides aussi, on pourrait-

- Est-ce qu'il y a des planètes mineures dans le coin ? Ou des stations de réapprovisionnement ?

- Hm.. Je vois des planètes dont j'ai jamais entendu parlé, et quelques stations, ouais. Tu veux faire un arrêt avant d'aller chercher de l'aide ?

- Je pense pas que ce soit sûr de rester dans ce vaisseau trop longtemps... Au mieux on trouve un téléphone ou un ordinateur quelque part, au pire on vend ce vaisseau pour en acheter un autre le plus rapidement possible.

- Et pourquoi pas aller le plus vite possible vers des gens qui nous aideraient...?

- C'est pas parce qu'on a vu personne jusqu'ici qu'ils ne nous surveillent plus ou qu'ils ne vont pas tenter de nous stopper plus tard. Et si tu veux mon avis, les vaisseaux qu'ils ont gentiment laissé pour nous ne sont pas un cadeau. Ils ne vont pas se gêner pour nous suivre à la trace.

Une boule de stress se coince dans sa gorge à l'idée qu'ils soient toujours épiés, alors Micro-Ice louche à nouveau sur le GPS en faisant la moue. Il décortique les inscriptions et les formes à toute vitesse, tentant d'estimer quelle destination leur donnerait les meilleures chances de trouver de quoi contacter leurs amis ou de trouver un autre vaisseau. Il est sur le point de les diriger vers une lunes proche d'eux où une petite ville se dessine quand quelque chose le fait tiquer.

- Mais... Si on change de vaisseau mais qu'ils espionnent du côté des Snow Kids ou de la ligue quand on les contacte, ils nous retrouveraient pareil non ?

Mei quitte ses manettes des yeux et se tourne vers lui pour lui adresser un regard inquiet. Micro-Ice voit ses yeux sauter de gauche à droite comme si elle était en train d'étudier sa théorie, et lui croise les doigts pour qu'elle trouve une faille dans sa réflexion. La grande brune finit par pincer ses lèvres et secouer la tête, ses yeux revenant sur lui.

- Merde.

Micro-Ice serre les dents et essaye de s'empêcher de grimacer. C'est rare qu'il trouve quoi que ce soit à redire aux organisations de Mei, et d'habitude il est plutôt content de pointer des failles du doigt pour l'embêter. Mais cette fois-ci, la trouvaille est bien moins satisfaisante.

- Mais on fait quoi alors ? On change de vaisseau quand même ? Et après quoi ? On prend le risque ?

- On change de vaisseau et après on va chercher de l'aide sans s'annoncer.

- Sans prévenir personne ? On ne sait même pas où trouver les Snow Kids ou les Pirates !

- On change de vaisseau et on file sur Akilian. Ou... Ou au Cercle des Fluides, t'as dis que c'était pas loin, ils seront obligés de nous aider !

- Ouais et puis ce sera super drôle quand on leur expliquera que des gens nous forcent à utiliser nos fluides hors des matchs, ils vont être tellement compréhens- AH-!

Micro-Ice masse son crâne à l'endroit où Mei ne s'est pas gênée pour lui asséner une pichenette plus que douloureuse. La grande brune assise à ses côtés le toise avec un air réprobateur qu'elle réserve habituellement pour leurs bambins, ses lèvres pincées et ses sourcils froncés. Il aurait même pu prendre peur si le début de rictus sur le visage de son ami ne trahissait pas un minimum d'amusement.

- C'est pas le moment d'être sarcastique !

- C'était pas tellement sarcastique ! Si on peut éviter d'aller en prison juste après s'être évadé je préfèrerais...

- Ils nous mettront pas en prison parce qu'on a utilisé nos fluides sous la contrainte, Mice. Tu vois le Cercle des Fluides mettre des gosses de douze ou treize ans en cellule ?

- Qui sait... Brim Simbra aurait jamais osé mais Brim Balarius je te paris que c'est un tordu…

- N'importe qu- Eh mais comment tu connais ces noms là toi ?

- Molly a un livre sur le Cercle, j'ai eu le malheur de lui demander des détails une fois…

Mei lève les yeux au ciel mais laisse échapper un petit rire, secouant la tête avec un sourire.

- Bon, okay, c'est peut-être pas la meilleure idée. Et si on change de vaisseau et qu'on avise à partir de là, ça te va ? Ou tu préfères qu'on reste dans le hangar pendant encore une heure ?

C'est au tour de Micro-Ice de lâcher un rire face au ton faussement mesquin de son amie. Il s'empresse tout de même d'acquiescer au compromis, promettant au passage de les envoyer vers la station spatiale la plus cossue de la galaxie pour l'occasion. Mei rit à nouveau, prenant enfin les manettes en main tout en lui accordant un regard qu'il aime interpréter comme affectueux.

La carcasse de métal s'élève dans les airs avec un vrombissement sourd, écrasant un peu les occupants de l'habitacle lors de la première poussée verticale. A ses côtés, Mei tire sur les manettes et le vaisseau suit le mouvement avec douceur, pivotant tranquillement suspendu à quelques mètres du sol. Le hangar défile progressivement à travers le pare-brise, laissant apercevoir les vaisseaux qu'ils n'ont pas pris et les nombreux espaces vides. Très vite, la grande trappe où apparaît la galaxie entre dans leurs champ de vision, et Mei s'empresse d'appuyer sur un loquet, forçant leur vaisseau à s'immobiliser face à l'horizon galactique. Micro-Ice se surprend à retomber en hypnose devant les danses des différents corps célestes et leurs couleurs apaisantes. Les roches flottantes, les étoiles qui brillent au loin, les poussières qui glissent doucement, les lumières vives qui frappent le paysage, l'horizon insaisissable.

Le coup d'accélérateur le surprend autant qu'il surprend Mei. Le vaisseau fait un bond en avant, gagnant une dizaine de kilomètres heures d'un seul coup. Mei s'empresse d'accrocher fermement ses mains sur les manettes de pilotage et lui se retrouve dans le fond de son siège, le dos soudainement agrafé au dossier pendant que ses mains compriment ses accoudoirs. Dans leurs dos, quelques cris d'enfants retentissent, accompagnés de quelques injures fleuries qu'il se souviendra peut être de réprimander plus tard. Mais en attendant, toute son attention est focalisée sur le vaisseau qui prend de la vitesse à un rythme vertigineux, sur le hangar qui défile si vite que les couleurs brunes et bleues se joignent dans le flou, et sur la fenêtre céleste qui s'agrandis chaque seconde. Les moteurs hurlent d'un son roque, l'habitacle vibre mais tiens solidement le coup, et vite, très vite, ils dépassent le cadre de la trappe et se retrouvent bel et bien à l'extérieur.

La fin de la gravité artificielle les prends par surprise. Leur vaisseau file droit à l'instant où il n'est plus soumis au système, et la seule et unique raison pour laquelle ils ne finissent pas encastrés dans un des astéroïde que Micro-Ice admirait quelques instant plus tôt, c'est que Mei à le réflexe de tirer sur les manettes de toutes ses forces juste avant l'impact. La réaction est parfaite mais a le fâcheux inconveignant de les faire vriller à une vitesse folle, faisant hurler de peur tous les occupants de l'habitacle.

Le bouton d'autopilotage est trouvé après de longues secondes de torture où Mei et lui se disputent en hurlant sur l'emplacement probable du dis bouton, suite à quoi le vaisseau se stabilise d'un coup de réacteur, secouant à nouveau ses passagers. La voix de synthèse leur annonce gaiement leur destination pendant que Micro-Ice essaye de retrouver où est le haut et où est le bas, écroulé au pied du fauteuil qu'il était sensé occuper.

- T'avais dis que tu savais mettre l'autopilote...

Passée à moitié par-dessus la console de commande, Mei répond sans qu'il puisse voir autre chose que ses jambes.

- Je sais le faire ! Faut juste appuyer sur le bon bouton ! J'ai pas pensé à chercher où était le bouton avant de décoller, c'est tout...

- Mei, j'vais vomir.

- Mice c'est hors de question ! On a trois heures à tenir ici, t'as pas intérêt à me faire ça ! Mice !

Passé les premières minutes de nausées à surveiller le bon fonctionnement de l'autopilotage, Mei et lui finissent par rejoindre les enfants qui s'empressent de les taquiner. Les jeunes ont eu la présence d'esprit d'attacher leurs ceintures de sécurité dès la première secousse alors qu'ils étaient encore dans le hangar, et se donnent à cœur joie pour leur faire la morale sur les normes de sécurité galactique qu'ils connaissent tous. Les discours terriblement long prennent parfois des airs de poésie mal apprises, renforçant le côté punition d'une manière non négligeable.

Au final, Mei et lui cumulent quelques bleus ainsi qu'une migraine. Pas si mal vu leur postulat de départ.


Le voyage pour atteindre la station de réapprovisionnement qu'ils se sont fixés comme objectif se révèle être plutôt agréable. Les trois heures passent vite, occupées par de la surveillance radar, du repos, ou de l'observation spatiale. Ils ne croisent que deux vaisseaux qui ne cherchent pas à entrer en contact avec eux, ainsi que quelques planètes naines au loin autour desquelles ils ne s'attardent pas.

C'est la voix de synthèse de l'autopilote qui leur annonce que leur destination est en vue. La station de réapprovisionnement que Micro-Ice a sélectionnée au hasard sur la carte du GPS se révèle être un astéroïde d'une taille assez conséquente qui semble grouiller de vie. Greffés à même la paroi, de nombreux écriteaux aux néons flashy annoncent différents services, et une multitude de vaisseaux de toutes tailles passent en son centre où une galerie est creusée. Si un garage, une épicerie et une pompe à essence sont clairement indiqués comme étant disponibles à l'intérieur de l'astéroïde, la taille de l'endroit et la concentration de monde laisse présager que de nombreux autres services sont disponibles à la clientèle.

Très vite, leur vaisseau est cerné par d'autres et Mei est forcée de reprendre un pilotage manuel pour suivre le flux jusqu'à un cratère monté d'une pancarte géante "Entrée". Si voir autant de monde les entourer d'un seul coup lui donne des sueurs froides, Micro-Ice déchante davantage en apercevant pour la première fois l'intérieur de l'immense rocher. Ce qu'il avait pris pour une simple faille à travers le corps céleste s'avère en réalité creuser la structure de haut en bas, ne se servant de l'astéroïde que comme coquille extérieure. Par conséquent, l'intérieur est absolument immense, et fourmillant de monde.

Leur vaisseau est conduit par un circuit vers une zone de stationnement libre où de très nombreux vaisseaux s'empilent dans un système d'échafaudages qui donne au lieu des airs de ruche à ciel ouvert. Ils finissent parqués dans une case qui leur est attribuée gratuitement, leur véhicule solidement attaché à la structure par câbles et aimants. Mei, qui était jusque-là trop concentrée sur le pilotage pour réellement prendre la mesure de l'endroit, ne réalise qu'au moment où ils descendent tous sur la passerelle où leur vaisseau est amarré. D'ailleurs, elle s'empresse de lui adresser un regard écarquillé après avoir détaillé le décor qui grouille tout autour d'eux. Parce que c'est là le seul mot que Micro-Ice réussit à appliquer à ce qu'il voit. Ca grouille.

Partout, des gens d'espèces variées passent dans un sens et dans l'autre, formant une foule extrêmement hétéroclite et bruyante. Des vaisseaux se garent, d'autres partent, une affiche en néon crée des gerbes d'étincelles, des robots miniatures foncent à toute allure avec différents chargements, des voix hurlent le prix de leurs marchandises, d'autres rient, et certaines s'égosillent même dans des disputes enflammées.

A ce moment précis, Micro-Ice ne regrette pas leur maison-cellule, mais presque. Le changement d'environnement est brutal, et il a l'étrange impression que tous ses sens sont à la fois agressés et rassasiés. Le monde, le bruit, les odeurs, les couleurs... Ce genre de scène lui avait manqué. Mais c'est aussi un peu trop d'un seul coup.

D'ailleurs, sans surprise, les jeunes qui les accompagnent se sont empressés de s'agglutiner à leurs côtés, observant silencieusement le spectacle bien à l'abri derrière eux. L'atmosphère au sein de leur petite groupe s'est subitement tendue, ambiance qu'il ne peut s'empêcher de briser avec un ton blagueur.

- Je vous jure que ça avait l'air plus petit sur le GPS.

Mei lui adresse un sourire crispé qu'il situe entre de la panique et de l'effarement. Pourtant son amie force un peu son sourire, joignant du mieux qu'elle peut sa tentative de légèreté.

- Au moins on n'aura pas de mal à vendre le vaisseau et à en trouver un nouveau...?

- Ouais, voilà. Exactement.

Effectivement, trouver un acheteur s'avère simplissime. Le souci c'est plutôt qu'ils en trouvent une trentaine. Les enfants à la file indienne derrière eux, Mei et lui n'ont qu'à marcher deux petites minutes à travers la foule pour apercevoir un premier écriteau menant vers la zone marchande. L'espace qu'ils rejoignent rapidement est composé d'une multitude de petites échoppes qui se serrent les unes contre les autres le long d'une allée imaginaire. Partout, des stands, des étalages et des hologrammes mettent en avant des offres et services les plus alléchants les uns que les autres. D'ailleurs, une foule compacte se bouscule pour circuler de boutique en boutique dans une cacophonie monstre. Certains brandissent haut et fort leurs dernières trouvailles, d'autres se penchent par-dessus les comptoirs pour faire des messes basses aux marchands. Somme toute, Micro-Ice a un peu l'impression de revoir les marchés noirs de Shiloe, mais en version un peu plus légale, et bien trente fois plus fournie. Un endroit que Thran ou Artie auraient adoré, il en est absolument certain.

Le marchand auquel ils s'adressent est choisi d'un commun accord entre Mei et lui, leur choix dépendant entièrement des pièces détachées mises en avant sur son stand ainsi que les photos de vaisseaux accrochées partout sur son décor. La petite échoppe met en avant plusieurs écriteaux vantant les mérites de "ferrailleur-démonteur-redécorateur-thuning-non arnaqueur" de son propriétaire, et Micro-Ice fait un effort conscient pour ne pas loucher sur les vaisseaux bariolés qu'il aperçoit dans la collection photographique. Les jeunes à ses côtés n'ont pas autant de pitié.

Encore une fois, c'est grâce à Mei qu'ils s'en sortent sans se faire plumer. La grande brune donne la référence de la passerelle à laquelle est amarré le vaisseau qu'ils font passer pour le leurs, et ne sourcille pas quand le vendeur lève les yeux de son écran en leur annonçant un prix d'achat absolument dérisoire. Micro-Ice, lui, s'étouffe presque avec sa salive. Heureusement pour lui, Mei ne s'est jamais laissée marcher sur les pieds, et ce n'est pas aujourd'hui qu'elle a décidé de commencer. Les négociations sont brutales, son amie répondant aux justifications chaleureuses du marchand avec un ton froid et implacable. Ca faisait bien longtemps qu'il n'avait pas eu l'occasion de voir Mei en action, et Micro-Ice dois avouer que la revoir dans son rôle de princesse infecte et venimeuse a quelque chose de plaisant.

Sans surprise pour lui, Mei écrase son adversaire sans aucun problème. L'homme récupère les codes et le démarreur du vaisseau puis leur donne en échange un sac où s'entassent un nombre impressionnant de crédits standards. Micro-Ice voit Mei observer le contenu du sac d'un œil calculateur, avant d'acquiescer et de serrer la main de son rival, le remerciant d'un ton si chaleureux qu'il en est presque moqueur après l'échange qu'ils viennent d'avoir.

Leur butin porté en bandoulière, Mei s'empresse de mener leur petite troupe hors de la zone marchande, les dirigeant vers le premier coin plus calme qu'elle parvient à trouver. Coincé entre un fast-food particulièrement mal odorant et un escalier menant à l'allée principale, le coin est juste assez grand pour eux dix, mais ils n'ont pas le temps de se sentir à l'étroit que Mei fait taire les commentaires.

- Bien ! Une première chose de faite, bravo tout le monde !

Quelques-uns des enfants répètent la félicitation. Micro-Ice, lui, se contente d'un pouce en l'air. D'autres sont moins certains de la réussite de leur plan.

- Mais comment on va faire maintenant sans vaisseau...? On en avait besoin pour rentrer...

Molly marmonne sa question avec peu de conviction, sa bouche trop occupée à mordiller sa lèvre inférieure pour articuler correctement. Pourtant, la question provoque quelques froncement de sourcils chez d'autres enfants, comme s'ils se rendaient soudainement compte que la question est complètement légitime. Sentant une nouvelle tension arriver, Micro-Ice s'empresse de poser une main sur l'épaule de Molly et de se pencher vers elle pour lui adresser un sourire qu'il espère rassurant.

- T'en fais pas, Molly. Mei a pensé à tout ! Maintenant on n'a plus qu'à aller acheter un nouveau vaisseau et on pourra repartir pour de bon ! On est entre de bonnes mains je t'assure !

La grimace de la jeune Xyionnienne se détend un peu, remplacée par un petit sourire que Micro-Ice considère comme une victoire. Derrière elle, il voit Kylian et Haan acquiescer à leur tour, comme s'ils étaient aussi inquiet que Molly sans oser formuler leurs craintes. D'ailleurs, Mei fait un pas en avant vers le groupe, et s'empresse de continuer son discours rassurant.

- Exactement ! On a tiré un très bon prix du vaisseau, en trouver un autre ne devrait pas trop poser de problèmes. C'était la première partie de notre plan et tout c'est très bien passé, donc je vous félicite tous, sincèrement.

Cette fois-ci, la félicitation rencontre plus de succès, l'intégralité des jeunes affichant des sourires triomphants. Mei aussi paraît plus sereine, certainement rassurée que tout le groupe soit d'accord.

- Alors, maintenant, la suite du plan !

- Allons acheter un-

- On se sépare en deux groupes !

Micro-Ice ravale la fin de sa phrase et adresse des yeux ronds à son amie. Mei, le sourire radieux, brandit deux doigts devant elle pour souligner son idée.

- On va faire deux équipes, une va venir avec moi pour acheter un vaisseau, et l'autre va aller avec Mice pour aller faire des courses et des provisions !

- Des courses ? Quelles courses ?

- Des vêtements et un peu de nourriture, juste de quoi être tranquille pendant le voyage.

- Mais depuis quand on a besoin de-

- Mice, on ressemble à un club d'athlétisme. Voir à une équipe de karaoké, ou un groupe de colonie de vacances, au mieux.

Micro-Ice fronce les sourcils, s'apprête à s'offusquer, mais baisse les yeux sur leur groupe avant de répondre. Ce n'est pas que leurs uniformes ne sont pas beaux. Certes, ils ont le mérite de se porter de différentes façons, avec des versions plus ou moins décontractées ou sportives. Ils ont aussi l'avantage d'être légers, de bonne qualité et gratuits. Certes. Par contre, s'il y a bien une chose sur laquelle Micro-Ice doit accorder un point à son amie, c'est qu'ils ne sont pas particulièrement discrets. Les habits sont bariolés de plusieurs bandes colorées qui créent des motifs qui se retrouvent sur toutes leurs tenues. Et effectivement, maintenant qu'il observe leur groupe avec ce détail en tête, il doit avouer qu'ils ressemblent à une troupe de danse un peu étrange. Une troupe fluo, qui plus est.

Plusieurs enfants l'ont imité dans son observation, et il voit quelques têtes se redresser vers lui avec des regards consternés. Sanja lui adresse même une grimace et hochement de tête discret, comme si elle essayait de le convaincre d'accepter qu'un changement de garde robe est obligatoire.

Micro-Ice est sur le point d'abdiquer à la demande qui est en train de se généraliser quand un détail titille subitement son esprit. Cachant un sourire qui menace de s'étaler sur tout son visage, il se redresse vers Mei.

- T'es vraiment en train de m'envoyer faire du shopping pour toi ?

Sa coéquipière fronce les sourcils et ouvre la bouche comme si elle allait lui répondre du tac au tac, mais s'arrête net. Il voit le pourpre lui monter aux joues et ses yeux se plisser doucement, signe que sa plaisanterie était inattendue et a fait mouche.

- Mice-

- T'as une liste de fringues que tu veux ? Ou des dessins ? Parce que je risque de trouver n'importe quoi et-

- Micro-Ice je te jure que si tu reviens avec des vêtements immondes je te-

- Tu crois que le rose est encore à la mode ? Ou plutôt le turquoise ? Le saumon peut-être ? Sinon on peut tenter des trucs différents genre des damiers ou-

- T'oserais pas !

- Bah pourquoi pas ? C'est sympas les damiers, nan ? T'aimes pas ?

Il est à peu près sûr que le visage de Mei a encore prit deux teintes de rouge, et si la perspective de voir sa coéquipière dans une tenue confectionnée par ses soins n'était pas si drôle à ses yeux, il aurait eu peur du doigt menaçant pointé dans sa direction et des yeux bleus qui lui lancent des éclairs.

- Si j'aimes pas les fringues que tu me trouves, je prends les tiennes et tu te débrouilleras avec ce qu'il reste.

- Sinon tu vas faire les courses et moi j'achètes le vaisseau, hein.

- Mice, tu savais pas faire la différence entre le panneau de contrôle et le GPS, vas pas me dire que tu sauras voir si un moteur fonctionne ou pas !

- Ah parce que tu sais dire ça toi ?

- Plus que toi je pense, oui !

Micro-Ice s'apprête à rétorquer qu'il en serait absolument capable, avant de réfléchir une seconde, et de se rendre compte que non, il en serait absolument incapable. Sa réalisation doit se montrer sur son visage parce que Mei affiche un sourire en coin, visiblement bien contente de remporter leur petite joute verbale. Leur assemblée affiche aussi quelques sourires, certains moqueurs, d'autres plus rieurs, ainsi que quelques regards désabusés qu'il ne peut qu'accepter.

- Ou on pourrait tout faire ensemble sinon...

- Et mettre le double de temps ?

- ...

- Bieeeen. Vu que c'est réglé, disons que Kylian, Haan, Adri et Driss restent avec moi, et toi tu emmènes Sanja, Ican, Molly et Leroy. Sanja je compte sur toi pour l'empêcher d'acheter n'importe quoi, Molly essaye de trouver des vêtements qui t'iront à toi et à Driss. Et Leroy et Ican, vous êtes chargés de vérifier qu'on aura assez de provisions pour le voyage, d'accord ?

Un "D'accord !" général retentit immédiatement, et Micro-Ice s'empresse de se plaindre d'avoir des babysitters, forçant le trait pour faire rire les enfants qui l'accompagnent. La vérité est plutôt qu'il est soulagé que Mei ait fait les répartitions à sa place, séparant les éléments perturbateurs tout en donnant un rôle à chacun pour les occuper. D'ailleurs, Mei lui adresse un clin d'œil amusé.

- Parfait ! Nous on va s'occuper de trouver le meilleur vaisseau possible. Adri, Haan, vous testerez le confort des banquettes. Driss tu t'occuperas de fouiller tous les vaisseaux, s'ils essayent de cacher quoi que ce soit il faudra que tu me dises ! Et Kylian tu viendras m'aider à mettre la pression aux vendeurs, on va négocier les meilleurs prix !

Quelques cris affirmatifs et un partage d'argent plus tard, leurs deux groupes se séparent avec la promesse de se rejoindre à cet endroit même dès que leurs tâches sont finies, et même si une ambiance bon enfant règne sur les deux groupes, Micro-Ice ne peut s'empêcher de jeter un œil en arrière. Il a beau savoir que c'est la meilleure chose à faire, et qu'il y a peu de chances que qui que ce soit s'en prenne à eux avec autant de monde autour, la séparation reste quelque peu anxiogène. Et vu la façon dont Mei se retourne à son tour pour lui jeter un dernier regard, il sait que le sentiment est partagé.


Ce n'est pas que Micro-Ice n'aime pas faire du shopping. Disons plutôt qu'il a une vision bien plus simple de cette activité que la plupart des gens. Son armoire a toujours été remplie de vêtements simples, pratiques, et passe partout. Ceux trop abimés remplacés à l'identique si possible, et de manière générale il ne cherche ni à innover, ni à entrer dans une mode quelconque. Il aime porter ses fringues large et aux couleurs neutres, pas besoin d'aller chercher plus loin.

De toute évidence, les quatre enfants qui l'accompagnent ne partagent pas cet avis.

Trouver des magasins de prêt-à-porter est plus que facile mais face aux différents univers de mode que chacun met en avant, Micro-Ice est obligé d'imposer celui dans lequel ils entrent. Il reconnaît vaguement l'enseigne, et les affiches en vitrine promettent des vêtements adaptés pour toutes les races ainsi que des prix cassés. Il ne lui en faut pas plus, mais il comprend un peu la frustration qu'affichent Ican et Molly qui le supplient d'entrer dans les boutiques aux vitrines plus tape à l'œil et branchées. Ican s'en donne même à cœur joie pour commenter son mécontentement, croise les bras et suit le mouvement en traînant des pieds. Micro-Ice redoute de devoir hausser le ton pour que le garçon suive le groupe et participe à la recherche d'habits avec bonne volonté, mais à le bonheur de constater que la mauvaise humeur de l'adolescent est oubliée à l'instant où ils pénètrent à l'intérieur du magasin.

L'endroit n'est pas énorme mais déborde littéralement de choix. De très nombreux portiques sont organisés en rangées et les murs proposent même plusieurs étages de vêtements. Des pancartes indiquent vaguement le contenu de chaque étale, laissant au client le soin de comprendre de lui-même l'organisation du lieu, tout en informant des prix dérisoires appliqués à chaque section. Les néons au plafond illuminent la plupart des articles d'une lumière claire, mais de nombreux spots lumineux sont disposés à plusieurs endroits pour mettre en valeur les offres phares ou les cabines d'essayage. Proche de l'entrée du magasin par laquelle ils débarquent, le petit bureau presque collé à la vitrine propose une large gamme de petits articles, bonbons, magazines ainsi que quelques snacks. L'homme qui est avachi derrière la caisse ne leur adresse qu'un coup d'œil à l'instant où ils entrent, son magazine visiblement bien plus intéressant que les clients potentiels qu'ils sont.

Jetant un œil circulaire au décor qui s'offre à eux, Micro-Ice note également que seuls deux autres personnes fouillent actuellement les rayons, alors il se penche vers les quatre jeunes qui sont encore miraculeusement à ses côtés.

- Bon. Disons qu'on cherche déjà des vêtements pour nous, d'accord ? Un tee-shirt et un pantalon chacun, et si vous trouvez une veste ou un pull pour aller avec, c'est parfait. Dès que vous avez votre tenue vous venez me montrer, on essaye, et on valide ou pas. Quand on est bons, on cherchera les vêtements des autres, d'accord ?

Leroy, dont le visage s'est tendu au fur et à mesure de ses consignes, s'empresse de répondre.

- Mais- Et si on sait pas quoi choisir ?

- Prends ce qui te plait, et on verra ensemble après. Si tu trouves rien je t'aiderais.

- On change pas nos chaussures ?

Ican grimace à nouveau, tendant sa jambe vers lui pour mettre en avant la basket grise qu'il porte et dont ils possèdent tous la même paire.

- Nan, on n'a pas besoin d'en changer. Et je connais pas les pointures de tout le monde donc bon...

- Mais c'est nul si-

- Pas de changement de chaussure ! Tant pis si elles ne vont pas parfaitement avec vos nouvelles tenues, vous vous en remettrez. Et interdiction de sortir de la boutique tout seul ou d'aller voir les autres clients. On fait profil bas, je rigole pas.

Ican croise les bras, clairement mécontent, mais fait "oui" de la tête. Même si l'ordre était un peu dirigé vers lui, les autres s'empressent d'acquiescer à leurs tours, Sanja et Molly se promettant immédiatement de s'aider pendant que Leroy regarde vers les allées avec un air un peu perdu. Les quatre jeunes adolescents partent en direction des montagnes de vêtements avec plus ou moins d'entrain, et Micro-Ice ravale un énième soupir. Il n'aime pas jouer les parents responsables, et encore moins monter le ton pour se faire obéir. Même si cette fois-ci il est bien content que tout le monde suive le plan avec un minimum d'implication.

Avançant à son tour vers les allées bordéliques, Micro-Ice tente de garder ses bambins dans son champ de vision un maximum pendant qu'il commence à fouiller les étales. Heureusement pour lui, trouver des vêtements neutres est chose facile, mais il a du mal a estimer s'il porte la même taille qu'à l'époque. Il a beau ne pas avoir grandi en cinq ans, ou du moins pas significativement, il hésite pour la largeur du pantalon et la taille de sa veste. Il finit par parier sur un pantalon cargo qui lui paraît ajustable, deux tee-shirts amples et plusieurs modèles de vestes avant de s'éclipser en direction des cabines d'essayage.

Le petit renfoncement qu'il découvre est étroit et moins bien éclairé que la salle principale. Une dizaine de cabines aux rideaux tirés sont disposées le long des murs, créant un couloir qui lui paraît étrangement sordide. Les bras chargés de ses différentes emplettes, Micro-Ice hésite un peu vers laquelle aller, et est sur le point de tenter sa chance sur une d'entre elles quand des pas rapides se font entendre derrière lui, vite accompagnés de chuchotements peu discrets.

- Hey ! Micr- Euh... Euuuh... Dis ? J'ai trouvé des trucs, je peux essayer...?

Sanja dépasse à peine derrière la pile de vêtements qu'elle porte dans ses bras, ne laissant apercevoir que ses grands yeux derrière sa frange ainsi que sa queue-de-cheval volumineuse. Pourtant, sa posture et son hésitation laissent deviner que la jeune fille est peu sûre d'elle, faisant hausser un sourcil à Micro-Ice .

- Pourquoi on chuchote ? Et ça y'est, t'as oublié mon prénom ?

La rouquine cligne des yeux doucement et il devine un air stupéfait malgré qu'il ne puisse voir que ses sourcils se froncer pour jauger son expression.

- J'étais pas sûre que t'appeler par ton prénom entrait vraiment dans la consigne "discrétion absolue"...?

Micro-Ice met une seconde à comprendre, puis l'image d'Ican hurlant son prénom à travers la boutique lui vient en tête, ainsi que la potentielle réaction des autres clients présents, et il ne peut que se maudire pour ne pas avoir inclus cette règle pendant ses consignes. Mei y aurait pensé, elle.

- C'est pas faux... Hmmm. Est-ce que tu peux aller passer le mot à tes camarades ? Qu'on évite une catastrophe ? Et après tu peux essayer tout ce que tu veux, bien sûr.

- Ouais, okay !

Sanja hoche la tête avec entrain, visiblement contente de lui venir en aide, et Micro-Ice essaye tant bien que mal de masquer le coup de pression que lui ont mis les quelques images qui se sont succédées dans sa tête. D'ailleurs, il s'empresse de faire un pas vers la cabine d'essayage à ses côtés pour clore la conversation aussi rapidement que possible, et il est sur le point d'inviter Sanja à laisser ses affaires dans une des cabines voisines avant de repartir voir ses amis, quand il ouvre le rideau.

Le reflet le prend par surprise.

Il ne se sent pas faire un bond en arrière. Il ne contrôle pas ses deux mains qui viennent s'agripper au rideau pour le refermer d'un coup sec. Sa mâchoire se crispe en même temps que son cœur se met à tambouriner dans sa poitrine et que son ventre se serre, figeant son corps sur place pendant ce qui lui semble une éternité. Micro-Ice prend plusieurs respirations avant de se rendre compte qu'il respire trop vite, se force à expirer lentement, et réitère l'exercice à plusieurs reprises avant que son esprit sorte de sa torpeur. Clignant des yeux rapidement, il constate que ses mains sont toujours fermement accrochées au rideau, trop crispées sur le tissu pour qu'elle puisse trembler, mais tout de même douloureuses. D'ailleurs, si ses mains sont là, ça veut dire que les vêtements qu'il portait dans ses bras ont disparu et qu'ils sont certainement-

- ... Ça va ?

Micro-Ice pivote doucement sa tête jusqu'à tomber sur Sanja. La rouquine le regarde avec des yeux ronds, ses sourcils tout juste assez froncés pour qu'il ne puisse pas dire si elle est étonnée ou effrayée. Ses yeux bleus passent incessamment de son visage au rideau, et sa posture s'est un peu modifiée, comme si elle avait elle aussi eu un mouvement de recul. Lui, sent sa gorge se nouer d'un coup, et se sent comme pris la main dans le sac.

Il n'a jamais eu à expliquer ça. Personne ne l'a jamais vu faire, personne n'a jamais remarqué, alors il ne sait tout simplement pas quoi dire.

Son esprit tourne à mille à l'heure, et finit par faire ce qu'il fait le mieux : il plaisante.

- Une araignée.

Sanja fronce les sourcils, le regarde avec des grands yeux, puis finit par acquiescer doucement. Micro-Ice n'est pas certain que l'excuse soit particulièrement plausible, ni que sa voix un peu tremblante soit très convaincante, pourtant la jeune fille recule, puis repart en direction de la salle principale. Elle disparaît derrière la séparation en lui jetant un dernier coup d'œil, et Micro-Ice ne peut s'empêcher de lui adresser un sourire qu'il espère encourageant.

Cependant, à l'instant où elle sort de son champ de vision, Micro-Ice prend une grande inspiration et décroche ses mains du rideau pour les poser sur ses genoux. Il lui faut quelques secondes de respirations intensives en tournant en rond pour véritablement faire passer sa montée de stress, après quoi il s'empresse de ramasser les vêtements tombés au sol et entre dans la cabine d'essayage à reculons.

Ignorant autant qu'il peut la glace froide qui se presse contre son dos, Micro-Ice s'empresse de déchausser ses chaussures, de retirer l'uniforme qu'il porte depuis bien trop longtemps, tire le pantalon gris foncé de la pile de vêtement qu'il a jeté dans un coin de la petite cabine, et se change. Passer le vêtement large lui apporte un confort qu'il n'aurait pas suspecté, et quand il resserre les élastiques à sa taille et à ses chevilles, il soupire presque d'aise. Bien sûr, le pantalon cargo n'est pas aussi confortable que son pantalon fétiche qu'il portait absolument tous les jours, pourtant, la coupe similaire suffit à lui apporter un sentiment de réconfort qui gomme partiellement la panique par laquelle son esprit vient de passer.

Une fois ses chaussures remises, il enfile un des deux tee-shirts au hasard, et décide de le garder quand celui-ci tombe amplement contre ses côtes. Les vestes qu'il a sélectionnées sont testées plus minutieusement. Toutes sont dans des tons neutres et foncés, mais leurs coupes et tailles ne sont pas les mêmes, alors il prend un peu de temps à vérifier s'il est à l'aise, où sont les poches, la taille de la capuche, l'épaisseur de la doublure... Finalement, il opte pour celle avec des poches intérieures où il fourre l'argent qui lui a été confié par Mei, tout en se félicitant d'avoir trouvé un modèle avec une capuche ajustable. Encore une pâle copie de son gilet favori, mais une veste agréable tout de même.

Jugeant sa tenue acceptable, Micro-Ice renfile ses chaussures et ramasse son ancien uniforme qui gît encore au sol. Il hésite entre le laisser là ou prendre un sac pour le transporter quand ses mains passent sur une partie plus rigide à travers le tissu. Il découvre avec surprise les lunettes de Sanja dans la poche de son ancien pantalon, confus de les avoir oubliées alors qu'il les avait récupérées il y a quelques heures à peine. En vérité, il a un peu l'impression que leur évasion s'est produite il y a des jours, alors le rappel à la réalité lui fait un peu bizarre. Secouant la tête pour s'empêcher de se figer à nouveau, Micro-Ice s'empresse de fourrer la paire de lunettes d'aviateur dans une des poches de sa veste, et se promet de les remettre à sa propriétaire aussi rapidement que possible.

Ressortant de sa cabine d'essayage en prenant bien soin de tirer le rideau dans son dos, Micro-Ice se retrouve immédiatement entouré des enfants qui ont pris possession des cabines adjacentes. En le voyant apparaître, Leroy bondit dans sa direction, brandissant à bout de bras les cinq pantalons entre lesquels il hésite. Juste à côté, Ican s'active à marcher le long du couloir, très occupé à tester les nouveaux vêtements qu'il porte. L'adolescent s'accroupie, se tord, s'étire, saute, et fait toute une routine en boucle sous les regard observateur de Molly. La jeune Xyionnienne porte désormais un jogging mauve et un pull gris étoilé qui s'accordent parfaitement à sa peau bleue et à ses longues mèches blanches. D'ailleurs, elle s'empresse de lui indiquer sa nouvelle tenue en l'apercevant, et lui offre un grand sourire quand il approuve avec un pouce en l'air. Ican, lui, ne lui demande absolument pas son avis sur le jean rouge et la veste rayée de noir et de blanc qu'il a choisi, visiblement très sûr de ses choix.

Leroy n'en est pas exactement là. Le petit blondinet a entassé un quantité assez impressionnante de vêtements dans sa cabine, et Micro-Ice est forcé d'aller y fouiller pour trouver des articles plus décontractés que ceux qu'il a présélectionnés. Le faire en ignorant son reflet qui le suit dans la périphérie de sa vision n'a rien de simple , et il doit bien avouer qu'il frôle la catastrophe à plusieurs reprises. Pourtant, à force de négociations et d'encouragements, Leroy finit par accepter l'association d'un pantalon en toile ample, d'un tee-shirt à motif humoristique et d'un gilet épais dont les manches se rétractent avec une fermeture. C'est à peu près le timing auquel Ican valide les tests de sa tenue également, privant Molly du spectacle qui la tenait occupée jusque-là. Trois têtes se tournent donc vers lui à l'unisson, et Micro-Ice se sent un peu dépourvu face à l'attention.

- On fait quoi maintenant ? On peut aller attendre dehors vu qu'on a fini ?

Plissant le nez face à la question qui va à l'encontre des consignes qu'il a pourtant énoncées tout à l'heure, Micro-Ice accorde un regard désapprobateur à Ican.

- Et tes camarades alors ? Tu veux pas choisir les fringues de Kylian ?

- Bah pas trop.

- Ican, c'est pas une question. Tu vas chercher la nouvelle tenue de ton pote, Leroy s'occupe de celle de Haan, Molly celle de Driss et Sanja s'occupe de celle d'Adri.

Leroy affiche immédiatement un air terrifié, comme s'il la tâche s'annonçait irréalisable, tandis que Molly hoche la tête avec bonne volonté et qu'Ican se laisse presque tomber au sol d'ennui. Et d'ailleurs, c'est le moment auquel Micro-Ice réalise qu'il manque une tête à son quatuor.

- Où est Sanja ? Elle a fini de trouver sa tenue ?

Entre les deux garçons qui désespèrent pour des raisons différentes, Molly hausse les épaules et lui pointe du doigt une cabine dont le rideau est tiré.

- Je crois qu'elle essaye encore, elle est arrivée avant nous.

Pivotant sur place pour voir la cabine fermée dans laquelle est la rouquine, Micro-Ice fronce les sourcils, mais acquiesce. Vu que la jeune fille était la première de ses camarades à être prête à essayer ses emplettes, il s'attendait à ce qu'elle ait fini avant les autres. En bas du rideau, il aperçoit les baskets de Sanja, immobiles, et positionnées dans une position qui lui donne l'impression qu'elle attend.

- Bien. Ça vous empêche pas de commencer à aller chercher pour vos amis. Essayer de pas traîner, et prenez des choses sympas, d'accord ? On passe en caisse dès que vous avez fini.

Les trois enfants présents approuvent et partent en direction de la salle principale du magasin avec plus ou moins d'entrain, certains passant contre lui en marmonnant leurs mécontentements. Ils disparaissent vite derrière le mur de séparation et Micro-Ice soupire, désabusé du manque d'enthousiasme mais tout de même soulagé qu'ils obéissent. Se passant une main sur le visage pour faire passer la fatigue qu'il sent revenir au galop, il se tourne désormais vers la cabine dans laquelle se cache Sanja. Attendant quelques secondes sans que la jeune fille ne sorte, il finit par s'appuyer contre le montant et frappe une de ses phalanges contre la parois, faisant mine de toquer pour qu'elle ouvre.

- Excusez-moi mademoiselle, seriez-vous prête à rejoindre vos camarades ?

Un silence suit sa question, et Micro-Ice commence à se demander si elle est bien à l'intérieur quand une main agrippe le rideau depuis l'intérieur et le tire d'un coup sec. Sanja apparaît l'instant d'après, adossée contre un des murs de sa cabine, les bras croisés et l'air farouche. La rouquine, qui porte d'ailleurs ses nouveaux vêtements, un jean bleu, un tee-shirt beige et une veste sportive rose, lui adresse un regard fâché et une petite grimace qui le laisse penser qu'elle n'est pas ravie qu'il la sorte de son trou.

- Tu te caches ?

Sanja fronce les sourcils, visiblement peu ravie de sa question, et réplique avec un ton peu commode.

- T'as peur des araignées ?

La réplique sonne plus comme une accusation qu'une véritable question, alors Micro-Ice essaye d'enchaîner rapidement pour ne pas mettre le sujet de sa panique passagère sur la table.

- Ça m'arrive. Qu'est-ce qu'il se passe ? T'avais pas envie de montrer ta tenue à tes potes ?

- C'est pas mes potes.

- Ah non ?

- Non.

- Je croyais que tu t'entendais bien avec Molly.

La rouquine baisse soudainement les yeux, détournant le regard pour aller fixer ses chaussures, et hausse bizarrement les épaules. Une petite voix finit par marmonner "un peu" après une seconde d'hésitation, et Micro-Ice ne peut que pencher la tête, indécis sur la procédure à suivre. Il sait bien que Sanja n'est pas toujours au centre du groupe. Il est même plutôt fréquent qu'elle participe moins aux jeux des autres, ou qu'elle se dispute ouvertement avec ses camarades. Il n'est pas sûr que se cacher dans un coin est une de ses habitudes, mais avec huit enfants à gérer au quotidien, il n'est pas certain qu'il aurait remarqué.

Micro-Ice se passe une main derrière la nuque avec un soupire. Il ne sait pas quoi faire face à ce type de comportement. Il ne se sent pas légitime de la forcer à avancer ou au contraire de lui apporter du réconfort. Pour autant, il sait qu'il ne peut pas l'abandonner là. Alors, au bout d'un court débat intérieur, il choisit de dire ce qu'il aurait aimé entendre s'il avait été à sa place.

- Tu veux m'en parler ou tu préfères que je te laisse tranquille ?

Sanja lève sa tête vers lui, l'air toujours fâchée mais moins farouche. Il la voit hésiter, ses yeux fixant les siens un moment, avant qu'elle finisse par plisser le nez en grimaçant.

- Ican s'est moqué de moi quand je suis allée lui dire de pas t'appeler par ton prénom, il a passé son temps dans le couloir après et je voulais pas le voir. Alors je suis restée là.

- Il s'est moqué de quoi ? Des vêtements que tu avais avec toi ?

- Nan, il- enfin... Ils sont plusieurs à dire que je suis votre chouchoute, alors... Alors il s'est moqué que je fasse passer le message pour toi. Que je crâne et que j'en fais trop pour me faire bien voir, ce genre de trucs.

Micro-Ice s'étonne d'abord de voir Sanja si blessée face à une remarque qui lui paraît plutôt futile, avant que le souvenir de Rocket ne lui revienne en tête. Il s'en était lui-même donné à cœur joie quand sa relation à Aarch avait fini par se faire savoir, et même si ses propres remarques n'étaient pas très véhémentes, il se souvient que d'autres n'avaient pas été tendres. Il n'a jamais vraiment demandé à Rocket ce qu'il avait pensé de tout ça, et là, de suite, il regrette un peu de ne s'être jamais excusé pour les remarques injustes qu'il a dû prononcer.

- Est-ce que tu veux que j'aille lui en parler ?

- Hmmm... Ça prouverait un peu qu'il a raison, nan ?

La jeune fille lui répond avec une grimace qui laisse entendre qu'il est idiot, et Micro-Ice ne peux empêcher un rire passer ses lèvres. Il craint pendant un instant que Sanja prenne mal sa réaction, mais au contraire, un sourire timide apparaît doucement sur son visage. La peine et la colère n'ont pas entièrement disparu, Micro-Ice en voit encore quelques traces dans sa posture et dans ses yeux, mais il est indéniable que son humeur s'est améliorée.

Gardant son sourire aux lèvres tout en hochant la tête pour lui signifier qu'il a bien pris sa remarque en compte, Micro-Ice opte pour une autre solution, une option à laquelle il aurait dû penser dès le départ.

- Je vois, je vois. Et si je t'offres un lot de consolation, ça t'irait comme dédommagement ?

- Un lot ? Quel genre ?

Micro-Ice hausse les épaules et plonge une main dans la poche de sa veste. Ses doigts se referment presque immédiatement sur une lanière en cuir, alors il n'a qu'à tirer pour que la paire de lunette d'aviateur tombe de sa poche pour se mettre à dodeliner au bout de leur attache. Sanja émet un son tellement surprenant qu'il en sursaute presque, mais la rouquine se redresse immédiatement pour attraper l'objet suspendu devant ses yeux. Micro-Ice lâche sa prise dès qu'il la sent tirer sur les lunettes et il observe avec amusement la jeune fille qui retourne son cadeau dans tous les sens. Sanja tourne le bandeau dans tous les sens, ses yeux sautant sur tous les détails à une vitesse folle. Subitement, elle redresse sa tête vers lui.

- C'est les miennes ?!

- Bien sûr que c'est les tiennes, je les ai récupérées avant qu'on parte.

Un nouveau son peu catégorisable s'élève et Sanja sautille subitement sur place, serrant les lunettes contre elle avant de faire volte-face vers le miroir pour passer le bandeau sur sa tête. Micro-Ice détourne les yeux pour éviter de croiser le reflet, mais quand la rouquine se tourne à nouveau pour lui faire face, il constate que les lunettes trônent désormais sur son crâne, habillement placées entre sa frange et le haut de sa queue-de-cheval. Maintenant qu'elles sont à la lumière et en position, les lunettes paraissent un peu abimées, le cuir de l'attache légèrement morcelé et les verres ternis, pourtant Sanja n'a pas l'air de s'en soucier le moins du monde.

- Dédommagement accepté ?

- Oui ! Carrément ! Merci, merci, merci !

- Tu m'excuseras, j'ai pas pris le temps de récupérer ton requin par contre.

- Excusé ! J'en rachèterai un !

L'engouement démesuré tranche très fortement avec l'état dans lequel elle était il y a encore une minute, et Micro-Ice ne peut s'empêcher de ricaner. Sanja, elle, garde ses mains sur sa tête pour continuer de toucher l'accessoire qu'elle vient de retrouver, et qu'elle pensait certainement avoir perdu. Des étoiles se sont mises à scintiller dans ses yeux et Micro-Ice se demande si elle aura la même réaction en retrouvant ses parents et son frère.

Mais avant d'en arriver là, ils ont encore quelques courses à finir. Sanja accepte sans aucun souci de sortir de la cabine, tout comme sa mission de trouver une tenue à Adri. D'ailleurs, la rouquine le dépasse en sautillant pour disparaître derrière le mur qui donne sur la salle principale. Maintenant seul dans la zone d'essayage, Micro-Ice hésite une seconde à récupérer toutes les fringues essayées et non choisies par ses bambins, tout comme les uniformes abandonnés dans les coins de chacune des cabines qu'ils ont utilisés. Pesant rapidement le pour et le contre, il finit par quitter l'endroit avec une petite pensée pour l'employé qui passera derrière eux.

Dans la salle principale du magasin, pas grand chose n'a bougé. Les clients qui étaient présents tout à l'heure ont été remplacés par quelques autres, et à leurs côtés, il compte rapidement les quatre têtes qui fouillent les rayons à la recherche des vêtements parfaits pour leurs camarades. S'occupant rapidement de trouver de quoi habiller Mei, Micro-Ice attrape un pantalon en toile mauve dont la coupe lui rappelle celui qu'elle portait souvent à l'époque, ainsi qu'un tee-shirt ample sur lequel trône un dinosaure stylisé sur un fond blanc. La veste qu'il trouve pour elle n'est pas aussi longue que les manteaux qu'elle adore, mais sa coupe le laisse imaginer qu'il tomberait au moins jusqu'à mi-cuisse. Il est moins sûr que la couleur un peu terne lui plaise, mais il espère que sa capuche spacieuse et ses nombreuses poches suffiront à compenser.

Une fois les quelques vêtements choisis et bien à l'abri dans ses bras, Micro-Ice se tourne à nouveau vers les enfants qui l'accompagnent. Molly attend patiemment dans un coin du magasin, la tenue qu'elle a choisie pour Driss proprement pliée contre elle. Il suffit d'un coup d'œil à la sélection pour qu'il puisse approuver immédiatement, les vêtements lui paraissant suffisamment grands pour que le Xénon puisse y être à l'aise. La situation chez Ican et Leroy est un peu moins évidente. Le petit blond se noie littéralement sous les vêtements qu'il transporte, à tel point qu'il est même miraculeux qu'il parvienne encore à apercevoir les articles qu'il attrape. Il suffit d'un peu de tri pour que Micro-Ice l'aide à organiser ses trouvailles et un peu de patience et de compromis pour qu'ils tombent d'accord sur une tenue qu'Haan pourrait aimer. Ican, lui, se balade avec une pièce maîtresse à bout de bras, et compare chaque article à elle dans l'espoir de trouver l'accord parfait. Micro-Ice ne peut s'empêcher de le railler un peu sur sa méthode, faisant apparaître un rougissement sur le teint chocolat du jeune homme. Il leur faut un peu de temps pour trouver un ensemble qu'Ican considère comme "passable", mais le garçon paraît tout de même satisfait, bien qu'il refuse de l'admettre ouvertement.

Tournant maintenant pour trouver Sanja et finir leurs emplettes pour de bon, Micro-Ice la retrouve en pleine conversation avec Molly dans le fond du magasin, les deux adolescentes discutant à voix basse avec des sourires timides. Souriant intérieurement face à l'amitié qu'il voit, Micro-Ice part à leur rencontre pour s'assurer que la tenue d'Adri a bien été choisie, et approuve immédiatement les quelques fringues que Sanja lui tend fièrement.

Enfin. Enfin, ils ont fini.

L'annonce est accueillie avec joie et soulagement par tous les enfants qui l'entourent, les plus pressés d'en finir le poussant carrément vers la caisse, dernière étape avant de pouvoir réellement rayer la mission de leur liste.

Placée perpendiculairement contre la vitrine à l'entrée du magasin, le bureau qui fait office de caisse est largement fourni de babioles et petits articles en tout genre. Un homme qui porte un polo aux couleurs de l'établissement est avachi sur un fauteuil aux airs peu confortables, complètement absorbé par un magazine qui lui mange la moitié du visage. Derrière lui, de grandes photos décorent le mur, affichant des modèles de races différentes portant les vêtements de la marque dans diverses situations. Les tableaux sont un peu ridicules, et les grands sourires affichés par les comédiens tranchent particulièrement avec l'air désabusé du vendeur.

L'homme, à qui il donnerait quarante ou cinquante ans, le regarde à peine quand il se présente face à lui. A vrai dire, il ôte ses yeux de son magazine uniquement pour loucher sur la pile de vêtements qu'il pose sur le comptoir, et il fronce les sourcils quand il lui précise que les vêtements qu'ils portent sont à compter aussi. Posant son magazine mollement sur ses genoux, le vendeur grimace, et sans rien dire, pianote sur l'écran digital de sa caisse. Il passe de longues secondes à observer chaque enfant, ses yeux à peine ouverts, tout en tapant sur l'écran pour chaque article. Le schémas se répète cinq fois avant qu'il ne se tourne vers la pile de vêtement du comptoir, étape à laquelle l'homme soupire profondément.

- Eh beh... Qu'est ce qui vous est arrivé pour avoir besoin d'autant de fringues d'un coup...?

Micro-Ice se contente de répondre par un rire poli, mais l'homme lève ses yeux vers lui, lui indiquant qu'il attend une réponse plus construite.

- Oh- hmm. On a perdu nos bagages sur la dernière planète qu'on a visité et... on avait besoin de changes avant de rentrer ? Vous savez comment sont les gosses !

- Ah, classique, classique. C'est les vôtre ?

- ... Quoi donc ?

- Les enfants ?

- Ah ! Euh- Oui, oui. Les miens.

L'homme le fixe un instant, puis jette un regard aux quatre adolescents dans son dos. Son observation est juste assez longue pour que Micro-Ice se sente obligé de l'imiter, et en apercevant le visage mi paniqué, mi souriant de Molly, ainsi que l'air désespéré de Sanja, il se rend compte que les mensonges ne sont toujours pas son point fort. Le vendeur se tourne à nouveau vers lui en lui offrant un froncement de sourcil particulièrement étrange, alors Micro-Ice s'empresse de compléter sa réponse.

- Vous savez, la vie, hein...

Le vendeur hoche la tête avec une lenteur abominable, et Micro-Ice sert les dents pour s'empêcher de partir en courant. Malgré cela, l'homme commence enfin à scanner les articles qui attendent entre eux, et Micro-Ice se sent à nouveau respirer. Il ne s'attendait pas à ce que le plus grand rempart face à leur fuite soit un caissier avec un manque de motivation évident, et pourtant.

Maintenant stressé, Micro-Ice observe les vêtements disparaître de la pile à un rythme terriblement lent, emportés un par un vers le scanner sous le comptoir. Sentant ses pieds commencer à gigoter et ses doigts pianoter d'impatience sur un petit bout de comptoir, il tente de se distraire autant qu'il peut. Les sucreries alignées sur le devant du bureau sont accompagnées de dessins enfantins ainsi que de slogans à base de jeux de mots idiots. Des barres chocolatées sont proprement rangées dans des petites boites, des portes clefs multicolores sont accrochées à un petit portique, des lunettes de soleil en toc sont présentées sur un étale minuscule, des casquettes brodées de dessins mignons s'entassent. A peine plus loin, une grille présente une collection complète de magazine papier dont les couvertures sont surchargées d'informations et de phrases aguicheuses qu'il lit en diagonale : "Recette de pain au flocon de sable", "L'amour est-il encore à votre portée?", "300 exercices pour se muscler le cerveau", "Découvrez comment briller en société !", "Fleure avec pile incluses", "Victoire des Lightnings - remporteront ils les quart de finales ?".

Micro-Ice sent son cerveau se figer d'un coup, ses yeux relisant la phrase à nouveau pour s'assurer qu'il n'a pas confondu un mot avec un autre. Pourtant, il lui suffit de regarder plus haut pour apercevoir la silhouette de Warren en plein dribble ainsi qu'une multitude d'autres vignettes et illustrations en rapport avec le Galactik Football. Dans un coin de la couverture, une phrase écrite en orange vif questionne "Les Snow Kids vainqueurs pour la quatrième fois d'affilée ?".

- Il y a une Cup en ce moment ?

La question est posée sans qu'il y pense vraiment, comme s'il se donnait l'information à lui-même pour vraiment intégrer ce qu'il a sous les yeux. Pourtant, le vendeur relève à nouveau la tête, son air désabusé s'étant un peu effacé pour afficher de l'intérêt.

- Pas qu'un peu ! Vous aviez pas vu que la saison a commencé ? Les quarts de finales doivent commencer ce weekend, c'est sur toutes les chaines depuis au moins-

- Mais alors ils jouent déjà au Genèse Stadium ?

- Bah- ouais, bien sûr. Mais franchement, si vous voulez mon avis, cette année ce sera encore vite plié. J'aurais aimé parier sur les Xénons ou les Lightnings mais les Snow Kids ont encore trop la rage de vaincre cette saison, ça m'étonnerait pas qu'ils remportent la Cup une quatrième fois de suite !

- Les Snow Kids jouent encore ? Ils sont aux quarts de finale ? Sur le Genèse ?

- Ouais ils doivent affronter les Shadows dimanche soir. Vous devriez regarder, c'est une des équipes qui leur tient toujours tête un minimum, on est au moins sûr d'avoir un minimum de spectacle. Vous vous rendez compte qu'il y en a qui disent que les autres équipes les laissent gagner leurs matchs en ce moment ? Au moins on peut être certain que les Shadows sont pas de ceux-là !

- Mais... Pourquoi ils les laisseraient gagner ? Ils ont pas trop intérêt, non ?

Le caissier agite sa tête de droite à gauche et se penche en avant pour tirer le promontoire à porte-clefs qui trône sur le comptoir. Derrière la structure métallique, il devine soudainement l'arrière de l'écran de caisse où quelques écriteaux et stickers se superposent. Au milieu d'entre eux, son visage et celui de Mei ressortent étrangement, et Micro-Ice se surprend à fixer les deux photos avec étonnement. A la fois parce qu'il est surpris de se reconnaître, mais aussi parce qu'il ne s'était pas rendu compte à quel point ils ont tous les deux changé depuis cette époque-là.

- J'sais pas si vous avez entendu cette histoire là, mais ça a fait tout un foin à l'époque. Je comprendrais qu'on leur laisse un peu répit ou qu'on fasse un geste ou deux pour les aider, mais de là à les laisser gagner ça m'étonnerais !

Micro-Ice ressort du magasin, deux sacs dans chaque main, et une casquette vissée sur son crâne. Une deuxième a été ajoutée à leurs achats, de même que le magazine de Galactik Football qu'il avait repéré plus tôt. Il est assez pressé de retrouver Mei pour lui faire part de ses dernières découvertes, mais aussi de partir de cette station de réapprovisionnement dont la foule le rend maintenant quelque peu mal à l'aise. Malheureusement pour lui, ils ont encore des courses à faire, alors il s'empresse de mener le groupe vers une épicerie bon marché qu'ils dévalisent sans vergogne. La marchande a l'air trop satisfaite de ses achats pour que les prix soient corrects, mais Micro-Ice estime qu'ils ne sont plus à cela près.

C'est donc des victuailles pleins les bras et des compotes à boires dans la bouche que sa petite troupe retourne vers le point de rendez-vous fixé par Mei un peu plus d'une heure auparavant. En approcher déclenche à nouveau une pointe de stress dans sa poitrine, et Micro-Ice craint un instant que le petit coin entre l'escalier et le fast-food soit vide à leur arrivée, mais il reconnaît la silhouette sa coéquipière de loin, lui retirant rapidement le poids des épaules.

Mei, elle, est adossée contre la rampe d'escalier et scrute la rue bondée de monde sans s'arrêter sur eux, lui laissant le temps de voir la tension dans sa posture ainsi que ses mains qu'elle porte à sa bouche pour mordiller ses ongles. A l'instant où elle les identifie, quand ils ne sont plus qu'à quelques mètres d'elle, elle se redresse d'un coup et il la voit les scruter de la tête au pied. Il ne sait pas dire si elle observe leurs vêtements ou si elle essaye de jauger s'ils vont bien, sûrement un peu des deux.

- Vous en avez mis du temps !

Le ton de Mei est légèrement réprobateur, mais il sent tout de même du soulagement dans la façon dont elle s'élance vers eux. La grande brune s'empresse de récupérer quelques sacs portés par les enfants tout en continuant de le questionner du regard.

- Ouais, c'était moins simple que prévu, mais ça s'est bien passé.

- Vous avez trouvé tout ce qu'il fallait ?

- De la bouffe, des fringues, et même une destination en prime si tu veux tout savoir !

Mei se redresse, des sacs en tout genre maintenant accrochés à ses bras, et hoche la tête avec un air grave.

- Y avait une holoTV dans un des garages qu'on a visité, je crois qu'on a vu la même chose.

Acquiescent à son tour, Micro-Ice se débat rapidement avec les sacs qu'il porte jusqu'à mettre la main sur la casquette supplémentaire qu'il a en stock. Mei lui arrache presque l'accessoire des mains et s'empresse de l'enfoncer sur sa tête, laissant les mèches de sa longue frange dépasser sous la visière, sa longue natte passée par le trou à l'arrière du chapeau. Son amie lâche un soupire qu'il interprète comme du soulagement avant de se tourner à nouveau vers lui.

- On a trouvé un vaisseau qui tiendra amplement le voyage, ça te va si on déguerpit d'ici en vitesse ?

- Carrément... T'as pas ta part de gosses avec toi ?

- Planqués dans le vaisseau, quand j'ai compris que c'était la Cup... Mice y a des portraits de nous qui passent toutes les dix minutes sur les chaînes de sport, je déconne même pas ! J'ai frôlé une trentaine de crises cardiaques depuis tout à l'heure, au moins !

- On s'en va alors ?

- Carrément qu'on s'en va !


La planète naine où ils trouvent refuge a un climat tempéré et une lumière douce qui frappe sur les plaines à la végétation rougeâtre qui s'étend tout autour du vaisseau. Après ces longues années passées dans une boîte coupée du monde, puis la visite de la fourmilière agitée qu'était la station de réapprovisionnement, Micro-Ice a tout simplement l'impression d'être au paradis. Il aurait sûrement préféré des plaines de neiges blanches et des montagnes si hautes qu'elles masquent entièrement l'horizon, certes, mais il a appris à profiter des rares moments de répit et c'est ce qu'il fait. Assit à même le toit du petit vaisseau acquéri il y a peu par sa coéquipière, il profite du calme, du vent, de l'air. La réalisation qu'ils sont bel et bien libres ne le rattrape que maintenant et savoir que tous les enfants dorment dans la cabine qui se trouve sous lui a quelque chose d'étrangement réconfortant.

Il n'est pas totalement certain de l'heure qu'il est censé être par rapport à leurs horaires habituels, mais après les retrouvailles, la découverte du petit vaisseau, l'échange des vêtements et un repas léger, les huit adolescents ont voté à l'unanimité pour l'extinction des feux. Micro-Ice sait qu'il devrait faire de même, et vu comment sa tête et ses bras lui pèsent, il a tout intérêt à le faire rapidement. Mais voilà, le journée a été chargée pour lui aussi, et il sait qu'il ne dormira pas.

Quelque part dans son dos, un coulissement métallique se fait entendre, le bruit suffisamment discret et long pour qu'il devine que quelqu'un pousse la porte de l'habitacle avec délicatesse. La mélodie grinçante se tait vite, puis est remplacée par d'autres petits à-coups. La tête de Mei apparaît là où l'échelle en titane rejoint le toit de l'appareil, et la grande brune lui offre un sourire.

- J'ai essayé mes fringues, ça y est !

Micro-Ice sourit à son tour en la voyant escalader les derniers barreaux à la va-vite pour sauter sur la plateforme où il est assis. Mei s'applique immédiatement à prendre la pose pour mettre ses nouveaux vêtements en valeur, et il est forcé de constater qu'elle les embellis grandement. Le tee-shirt dinosaure a été replié pour qu'il retombe parfaitement sur le pantalon de toile mauve dont la coupe droite s'accorde parfaitement avec la veste oversize qu'elle porte ouverte. Le manteau tombe presque de ses épaules, et l'élastique à sa taille a été serré pour suivre la courbe du corps qu'il cache en partie.

- C'est marrant, ils étaient pas aussi stylés quand je les ai pris à la boutique...

- C'est ce qu'on appelle le charisme mon cher ! J'aurais fait bien mieux avec une base plus moderne, mais c'est passable !

- J'ai passé le test alors ? Je suis ton nouveau styliste personnel ?

- Même pas en rêve, je te donne des cours sur l'accord des couleurs dès qu'on rentre !

Mei fait mine de le menacer d'un air sévère, mais son visage est tellement rayonnant que Micro-Ice ne peut que rire face à la torture qui lui est promise. Son rire doit être communicatif parce que son amie l'imite immédiatement, fait un dernier tour sur elle-même, comme pour célébrer une dernière fois sa nouvelle tenue, puis s'avance vers lui d'un pas léger. Mei se laisse presque tomber à ses côtés, le bousculant volontairement au passage pour le faire rire. Il s'attends à ce qu'elle s'éloigne un peu, mais elle reste collée contre lui malgré la place qu'offre le toit du vaisseau où ils sont installés. Son épaule pressée contre la sienne, Mei laisse ses jambes pendre dans le vide, ses mains fermement accrochées au bord de la tôle, le menton haut et le regard perdu dans l'horizon face à eux. Micro-Ice ne peut s'empêcher de se dire qu'elle est toujours aussi jolie. Même avec la fatigue qui cerne son visage. Même avec sa frange trop longue dont les mèches glissent de ses oreilles pour venir chatouiller son nez. Même avec sa longue natte qui cache le volume de ses cheveux.

Pourtant, parmi ce tableau dont il était tombé fou amoureux à une époque, Micro-Ice ne peut décrocher son regard des yeux bleus clairs qui pétillent de joie. Les voir ainsi efface presque le souvenir des yeux ternes qu'arborait son amie pendant un temps. Presque.

Toujours collée contre son épaule, Mei se redresse d'un coup et prend une grande inspiration, humant la brise à pleins poumons en exagérant le trait un maximum. Micro-Ice en rit, se moquant gentiment en baissant la tête, alors il ne voit pas tout de suite que Mei reprend un air plus sérieux avant de se pencher davantage sur lui.

- Dis... Je peux te demander un truc ?

Le ton le prend plus de court que la question en elle-même. La voix rieuse et chaleureuse se fait plus basse, plus douce, et Micro-Ice sent l'ambiance légère s'envoler en comprenant que la question est importante. Pourtant, Mei garde son sourire, et les yeux qui regardent les siens sont toujours heureux, alors il essaye de ne pas trop s'en faire.

- Techniquement, tu viens de le faire.

- Aaah, je vois. Une deuxième question, alors ?

- Troisième. Techniquement. Mais j'accepte ta requête.

Il entend un rire dans le soupire de sa coéquipière tandis qu'elle secoue sa tête d'un désespoir amusé. Elle n'enchaîne pas tout de suite pour autant, laissant quelques secondes passer avant de se lancer. Micro-Ice ne sais pas si elle a du mal à formuler sa question ou si elle hésite à la lui poser, alors il attends. Il lui laisse le temps.

- Est-ce que ça va ?

Micro-Ice se sent froncer les sourcils, surpris. Mei penche la tête, l'observant réagir à sa question. Ses yeux se sont un peu ternis mais son sourire est toujours là.

- C'est ta question...?

- Ouais.

- Mais... Pourquoi ?

- Parce que la réponse m'intéresse ?

- Ca va. Je vais bien.

Mei penche la tête à nouveau, son sourire s'étend un peu et l'épaule collée à la sienne le presse un peu plus. Il ne sait pas dire comment exactement, mais il sait qu'elle ne l'a pas cru.

- Et pour de vrai...?

Il hésite un instant, parce qu'il n'est pas certain de la réponse qu'il est censé donner. Parce qu'il évite de se la poser en général, aussi. Alors, au lieu de se faire un nœud au cerveau, il fait simple. Il dit vrai.

- Je fais avec.

- "Avec" ?

- Avec le bien et le moins bien ? Je... Mei, je comprends pas pourquoi tu me poses la question, j'ai... J'ai fais un truc ?

Mei hausse les épaules et lui offre un sourire compatissant.

- Nan, bien sûr que non. C'est... Sanja est venue voir tout à l'heure. Elle m'a dit qu'elle t'a trouvé bizarre pendant vos courses, et on sait tous les deux que pour que Sanja vienne me dire que tu es pas bien... C'est que ça va pas trop ?

Micro-Ice sent sa gorger se nouer et son cœur se serrer, comme si un étaux s'était subitement abattu sur lui. Il ne pensait pas que Sanja parlerait de son coup de panique à Mei. Il ne pensait pas à avoir à s'expliquer davantage. Et de toute façon, il n'est pas sûr de le vouloir. Pas après tant de temps passé à le cacher. Pas maintenant qu'ils sont libres. Pas maintenant que les choses vont enfin aller mieux.

L'épaule contre la sienne le presse gentiment, alors il relève la tête pour découvrir que Mei lui sourit toujours. Il y a quelque chose de différent chez elle, une douceur dont il est rarement le destinataire, mais aussi une énergie investie, intéressée, inquiète. Parce qu'il le voit, maintenant. Mei s'inquiète pour lui. Exactement comme lui s'est inquiété pour elle.

Finalement, il se dis que partager ce qui le préoccupe n'est peut-être pas si terrifiant. Peut-être qu'il peut le faire. Peut-être que ça l'aidera.

Micro-Ice prend une grande inspiration, gonflant ses poumons pour souffler fort et chasser le nœud qui lui comprime la gorge. Sa voix n'est plus aussi assurée, ni aussi rieuse ou détachée, mais il se lance. Avec les mots qui lui viennent, maladroitement, sans savoir comment avouer ce qui lui pèse depuis si longtemps maintenant.

- Non, ça va. J'veux dire, le plus souvent, je vais bien. C'est juste... C'est juste étrange...

- Étrange ? D'être dehors, tu veux dire ? Qu'on soit partis ?

- Ouais. Et... et tout le reste aussi.

- Tout le reste ?

Micro-Ice inspire à nouveau, tentant vainement de faire passer le stress qui lui tord l'estomac. Mei y voit une hésitation.

- Tu sais que tu peux me dire s'il y a quelque chose qui te traquasse. C'était pas évident dans la maison vu que les enfants étaient jamais bien loin mais... Je veux pas te forcer la main, c'est juste que... Si tu veux en parler, je suis là ?

- Nan, c'est... C'est pas grand chose. Presque rien.

- Rien ?

- C'est idiot, c'est même pas vraiment un problème, je... Je sais même pas pourquoi je fais une fixette dessus.

- Une fixette sur quoi ?

- Je ressemble à mon père.

C'est la première fois qu'il prononce ces mots, cette évidence qui lui fait si peur, et Micro-Ice s'imaginait naïvement que les dire à voix haute aurait un impact. Pourtant, le stress continue de lui tordre le ventre, le vent souffle toujours sur la pleine qui lui fait face et l'épaule de Mei reste collée à la sienne. Il n'est pas vraiment déçu, ni surpris. Mais il aurait aimé que quelque chose change. Que son esprit comprenne l'absurdité de sa terreur en se l'entendant dire.

Assise à ses côtés, Mei se penche davantage sur lui, et en la sentant prendre sa main dans la sienne, il devine que ses doigts se sont remis à trembler.

- Ca te plaît pas ?

- Non, c'est... C'est pas que ça ne me plait pas, c'est plutôt que... J'arrive pas à me regarder dans une glace et me dire que c'est moi. C'est un peu comme s'il était réapparut d'un coup et... Je sais pas, ça me bloque. Ca me fait flipper.

- Je crois pas l'avoir déjà rencontré, si ?

- Y a peu de chances.

- Ah oui ? Il est mort avant qu'on forme les Snow Kids ?

- Ca lui donnerait une bonne excuse, mais non, il est juste parti.

- Oh...

- Ouais...

Et c'est là qu'est tout le problème. Son père il ne l'a pas tellement côtoyé, et franchement, il dirait même qu'il a vite été débarrassé. Il sait qu'il est né sur Akilian, que sa mère et lui se voyaient déjà dans leurs jeunesses, mais il sait aussi qu'il était plus intéressé par des aventures à travers la galaxie que par une vie de famille sur sa planète natale.

Certes, son arrivée dans leur couple n'était pas prévue, tout comme la glaciation qui a suivie. Et même si son père a eu le bon sens de tenir son rôle quelques années, il se souvient vaguement d'un homme chaleureux qui s'est doucement durcit, jusqu'à devenir inapprochable. Sévère, sec, et méchant. Notamment à son égard.

Il se souvient surtout d'à quel point sa mère l'aimait, au point de ne jamais voir ses défauts, au point d'ignorer les erreurs, les coups bas, la colère, les reproches formulées à demi mots. Il se souvient du jour où il est parti, emportant avec lui les maigres économies qu'ils avaient récoltées, et il se souvient de la voir pleurer son départ plutôt que sa lâcheté.

Du haut de ses cinq ans, il ne l'avait pas beaucoup pleuré. Ni regretté, d'ailleurs. Pourtant, sa mère avait tenu à garder des photos, des souvenirs, et allait même jusqu'à lui compter ses hypothétiques aventures à travers l'espace. La vérité, c'est que Micro-Ice, lui, l'a très facilement effacé de sa vie. Sa mère a eu du mal à l'accepter.

Il a fallut quelques années pour que le sujet de son paternel ne soit plus abordé quotidiennement, et quelques autres pour que le seul souvenir qu'il en reste soit les photos accrochées aux murs. Il a bien eu peur de le voir débarquer après la diffusion des premiers matchs des Snow Kids, tout comme à la victoire de leur première Cup. Mais non, il n'est jamais revenu. Ni pour sa mère, ni pour lui, ni pour son argent, ni pour son succès.

Alors forcément, le retrouver dans son reflet lui a fait un choc. Doucement, son visage s'est mis à changer, laissant ses traits d'adolescent se transformer en traits d'adulte. Ca ne lui a pas sauté aux yeux tout de suite, mais doucement, jour après jour, de petites choses changeaient. Jusqu'au jour où sa propre image a complètement disparu des miroirs, laissant la place au portrait de son père.

La réalisation fut terrible. Terrifiante même. Surtout là-bas, dans leur prison exiguë avec nul part où s'isoler. Sans sa mère avec qui en parler. Lui aussi coincé dans un rôle de parent qu'il ne demandait pas. Coincé. Piégé. Tout comme lui.

Micro-Ice inspire l'air tiède à pleins poumons, et force sa tête à se taire, gommant du mieux qu'il peut l'ombre de son père qui plane sur son esprit. Ils ne sont pas les mêmes, il le sait. Pourtant, il ne peut pas s'empêcher de voir des parallèles partout. Des coïncidences, des répétitions. Et à tout cela s'ajoute une crainte terrible, intimement liée aux souvenirs qu'il a de l'époque où son père était toujours dans sa vie. Une peur presque enfantine tellement elle est pure et profonde.

- Je crois que j'ai peur de la réaction de ma mère surtout... Quand elle va me voir arriver, j'ai tellement peur qu'elle soit heureuse de le voir lui, puis qu'elle soit déçue en comprenant que c'est moi...

La main qui tient la sienne sert un peu son étreinte, et Micro-Ice sent son amie poser sa tête sur son épaule. Presque immédiatement après, il l'entend renifler discrètement.

- Moi aussi j'ai... J'ai peur que ma mère... Quand j'imagine nos retrouvailles, la seule chose que je vois c'est ma mère en train de critiquer mon apparence. "Mei, non mais tu as vu l'état de tes cheveux ?!", "Mei, tu aurais pu éviter de te faire des cicatrices, c'est moins vendeur !", "Mei ton sourire tu ne le perds que quand tu dors !"... Je ne sais pas pourquoi, mais je suis incapable de l'imaginer dire autre chose...

Micro-Ice sent sa bouche se tordre. Il ne sait pas s'il sourit tristement ou s'il essaye désespérément de ne pas approuver les craintes de son amie. Mei, qu'il ne voit pas clairement vu leur proximité, continue de renifler à intervalles réguliers, et il ne peut que remarquer qu'une de ses mains monte à son visage de temps en temps.

C'est à son tour de serrer la main dans la sienne, et malgré ses doigts tremblants et sa main engourdie, il y insuffle autant de soutient et d'affection qu'il peut.

- On n'a qu'à dire qu'on ira pleurer ensemble si ça se passe comme ça.

Sous sa tête, un reniflement se transforme en éclat de rire, faisant tressailler le corps appuyé au sien.

- Ca marche, mais ce sera dans un bar avec un peu d'alcool et aucun enfant à l'horizon. Non négociable !

- Deal, t'auras pas à me le proposer deux fois !

Mei rit à nouveau, puis se redresse. Il la voit hocher la tête avec un sourire aux lèvres, ses mains s'empressant de replacer les mèches de sa frange à leurs places. Il voit aussi ses yeux briller, mais il sait que les siens le sont tout autant, alors il se refuse de faire un commentaire. Son amie inspire doucement, puis se tourne à nouveau vers lui. Le son de son rire est toujours dans sa voix.

- Il y a des gens que j'ai tellement hâte de retrouver...

- Sinedd ?

- Ouais ! Je... On va rentrer avec sa sœur, sains et saufs ! Et puis j'ai... Mon père, Tia... Tous les Snow Kids... J'ai tellement hâte de les revoir...

L'émotion dans la voix de Mei l'irradie sans ménagement, passant comme un baume sur sa peine. Micro-Ice laisse échapper petit un rire en sentant la facilité avec laquelle son amie efface l'angoisse qui l'oppresse, et il se laisse emporter, avouant à son tour ce que son cœur espère retrouver au plus vite.

- D'jok. J'ai tellement hâte de revoir D'jok... Et Thran, Ahito... Akilian ! La neige ?!

- OH ! La neige !

- Les montagnes, les descentes en magnetboards-

- La Faculté ! Les soirées au Planet Akilian !

- Je te jure que je mange une marmite entière de choucroute Akilienne sans aucun problème !

Mei éclate de rire, basculant sa tête en arrière en tombant presque à la renverse.

- Toi et la bouffe, je te jure !

- Quoi ? T'as tes fringues, j'ai la bouffe, chacun son truc.

- Woah, toutes ces fringues qui m'attendent...

C'est au tour de Micro-Ice de rire face au visage soudainement rêveur de sa coéquipière. La grande brune s'empresse de lui tirer la langue, fronçant même son nez pour appuyer sa grimace. Pourtant, la moquerie disparait vite, laissant la place à un visage radieux et à des yeux pétillant. D'ailleurs, Mei affiche soudainement un sourire en coin avant de se pencher à nouveau vers lui.

- Eh mais dis donc toi ! T'en parles pas mais t'as d'autres gens qui vont être contents de te voir !

- Quoi ? Qui ça ?

- T'es pas pressé de revoir Yuki ?

- Bien sûr que je-

- Et Zoéline ?

- Att- Hey ! Je sais ce que t'es en train de faire, c'était une erreur de jeunesse !

- Et quelle jeunesse mon ami !

- Mei ! Je te jure qu'à l'instant où on rentre, je fais mon choix et je m'y tiens !

- Ah ouais ? Yuki ou Zoéline, alors ?

- Eh bien figure toi que-

- Ou bien Artie peut-être ?

- Qu- Mais d'où est-ce que-

- Nan parce que pour vous avoir vu un petit peu tous les deux-

- Mei !

- -lui il en pinçait quand même grave pour toi ! Et puis, c'est un gentil gars, tu pourrais lui laisser sa chance ! Si tu veux je peux même te donner deux trois conseils et-

- MEI !

Ils continuent à se chamailler un moment, chacun renchérissant sur l'autre jusqu'à ce que Mei le batte à plat de couture. Ils rient encore pendant un long moment, assits sur le toit du vaisseau pendant que le vent souffle gentiment sur la plaine rougeâtre qui les entoure. Leurs inquiétudes sont vites oubliées, remplacées par les horizons joyeuses qu'ils avaient perdues de vue, laissant leurs cœurs plus légers et leur amitié toujours plus forte.

Ils retournent dans le petit vaisseau quand la brise commence à se faire plus fraiche et que la fatigue les rattrape. Dans le petit habitacle, tous les enfants dorment encore, leurs silhouettes éparpillées sur le sol et les assises le long des parois. Quelques vêtements traînent au sol, ainsi que des emballages alimentaire en tout genre, créant un joyeux bordel. Mei et lui n'ont aucun mal à se trouver une petite place chacun, et ils n'ont qu'à fermer les yeux pour se laisser bercer par les respirations et les ronflements discrets qui les entourent.

Malgré ses pensées tournées vers leur destination du lendemain, Micro-Ice s'endort vite, son esprit suffisamment réconforté pour laisser son corps se reposer.


Le Génèse Stadium apparaît à travers le parebrise de leur petit aéronef après presque six heures de vol.

Assez étonnement, l'immense structure qui flotte dans le vide spatial est la copie conforme du souvenir que Micro-Ice avait en tête. Les branches constituées d'une infinité de pièces de métal brillent doucement, éclairées par la nébuleuse voisine, pendant que la station entière tourne au ralenti. Une multitude de lumières, vaisseaux et débris la parcourt, ajoutant une multitude de points colorés à sa surface. Et en son centre, un dôme d'un vert émeraude s'élève fièrement. Même s'il est incapable de discerner le stade qui se cache à l'intérieur, Micro-Ice ne peut que frissonner en se remémorant les moments qu'il y a vécu.

- J'avais oublié que c'était si grand !

- C'est parce qu'ils l'ont agrandis gros débile !

- Mais n'importe quoi ! Il a toujours été comme ça !

- Pas du tout ! Tout ça là-bas, en jaune, c'est nouveau je te signal !

- Non, c'était là avant !

- T'y connais quoi toi d'abord ? T'es jamais sorti du Génèse de ta vie !

- Bien sûr que si !

De l'autre côté du cockpit, adossée contre le mur juste à côté de son fauteuil de pilotage, Mei lui adresse un regard exaspéré. Les huit adolescents se sont empressés de les rejoindre à l'instant où la voix niaise de l'autopilote a annoncé leur approche, brisant soudainement le calme des six dernières heures de vol. La plupart des enfants vivaient au Génèse Stadium avant d'être enlevés, alors forcément, une effervescence a vite pris place au sain du groupe. Malheureusement, l'émerveillement s'est vite transformé en chamailleries, chacun y allant de son commentaire pour comparer l'immense structure qu'ils ont sous les yeux avec les souvenirs qu'ils en gardent.

- On s'en fiche si c'était pas là avant !

- Tu dis ça parce qu'Adri veut juste pas avouer qu'elle tort !

- Quoi ?! C'est toi qui te trompe depuis tout à l'heure !

- Mais trop pas ! T'as qu'à demander à Mei et Micro-Ice si c'est pas vrai !

- Okay ! J'men fiche de demander, j'ai raison !

- Hey- Allez pas vous imaginer qu'on connait la réponse.

- Mais-

- On n'en sait rien et personne ne sait ! On posera la question en arrivant si vous voulez, mais en attendant, retournez vous asseoir le temps qu'on aille atterrir.

Mei insiste sur ses derniers mots pour appuyer son ordre, provoquant un grognement déçu qui parcours le groupe des huit adolescents agglutinés sur le panneau de contrôle. Adri, Kylian et Driss repartent en traînant des pieds, visiblement contrariés de ne pas finir leur discussion. Molly repart d'un air guilleret, vite suivie par Haan et Leroy en pleine conversation sur des lieux du Génèse qu'ils sont pressés de retrouver. Ican reste encore de longues secondes à observer l'immense étoile métallique silencieusement avant de rejoindre les autres. Sanja part en dernière, haussant les épaules en quittant l'horizon spatial des yeux. En n'ayant vécu que six mois entre Akilian et le Génèse Stadium, la jeune fille est visiblement moins touchée que ses camarades, et Micro-Ice ne peut que faire la moue en la voyant encore une fois à l'écart du groupe.

Mei se laisse retomber dans son fauteuil de pilotage dès que le cockpit leur est de nouveau réservé, soupirant bruyamment en tirant sur un loquet. Quelques boutons appuyés plus tard, le moteur de leur vaisseau reprend vie, et le véhicule se remet à avancer vers l'immense planète de métal. Assit dans son fauteuil de copilote, Micro-Ice ne peut qu'observer les manœuvres et l'approche progressive. A vrai dire, il laisse entièrement Mei faire, ne l'aidant en vérifiant que quelques voyants que lorsqu'elle le demande et en gardant un œil sur les enfants entassés dans l'habitacle derrière eux. Les disputes continues à voix basse, mais il n'a pas tellement le cœur à aller les réprimander à nouveau.

Le vol a été long, les derniers jours tout autant, et l'appréhension de leur retour commence à se faire sentir. Parce que même s'il essaye de ne pas y penser, Micro-Ice sent clairement la tension monter au fur et à mesure qu'ils approchent du Génèse et de leurs proches. Chaque instant à attendre est douloureux et réconfortant, comme si le changement radical qui est sur le point d'arriver dans leur vie était à la fois une excellente et une terrible nouvelle.

Ou peut-être que c'est lui qui réfléchis trop. Peut-être.

Mei n'a aucun mal à les mener vers une des voies d'approches du Génèse Stadium, rejoignant une file où plusieurs astronefs s'entassent pour entrer dans l'enceinte. Des véhicules de tailles et de formes variées sont alignés pour attendre leur tour aux différents guichets où un système automatique les trient par destination et fonction avant de les rediriger vers les ports correspondants. Leur petit vaisseau met un moment à atteindre une des bornes, mais est presque immédiatement aiguillé vers les garages à destination des particuliers. Un système d'aimants les tire dans la bonne direction, faisant glisser la carlingue à l'intérieur du Génèse Stadium.

Ils sont conduis vers la bouche sombre d'un tunnel, et à l'instant où l'espace disparaît derrière eux pour laisser la place aux murs métalliques, de gigantesques écriteaux s'affichent à même les parois pour leur souhaiter la bienvenue dans une dizaine de dialectes différents. Les messages disparaissent presque aussi vite qu'ils sont apparus, immédiatement remplacés par des éclairages publicitaires bruyants et colorés. Les hologrammes dansent à tour de rôle pendant que leur vaisseau progresse, agressant leurs yeux tout en ravivant des souvenirs plus nets du monde dans lequel ils vivaient il n'y a pas si longtemps. Au bout du tunnel de métal, un astroport se révèle subitement à eux.

L'aimant qui les guide les force à survoler rapidement la zone, les laissant apercevoir les quelques rangées où sont parqués des vaisseaux colorés assez semblable au leur dans leurs dimensions. De larges rues s'étendent entre toutes les carlingues, et Micro-Ice s'étonne à nouveau de voir autant de gens vagabonder à travers les différentes plateformes.

Leur vaisseau est délicatement descendu à la hauteur des autres, puis aimanté à nouveau pour se coller sur une place de stationnement libre. Les pieds de l'aéronef touchent le sol en faisant vibrer la carlingue toute entière, secouant légèrement ses occupants, pendant qu'une voix guillerette sort subitement de leur écran de contrôle pour leur annoncer le tarif à régler sous un délais quelconque. A vrai dire, Micro-Ice n'y prête pas tellement d'attention, puisque comme tous les autres, il se précipite vers la porte de sortie à l'instant où le vaisseau est stabilisé.

Ils sortent tous les dix plus où moins en même temps, forçant le passage à travers la porte étroite de l'appareil pour sauter sur la plateforme où ils ont atterri. Ici, contrairement à la station de réapprovisionnement qu'ils ont visité la veille, le port immense donne une impression de calme. Les gens autour d'eux sont nombreux, certes, mais aucune foule ne s'agglutine, peu de voix s'élèvent, et le système d'aimants rend les mouvements des vaisseaux particulièrement silencieux. Des arches en métal sont joliment décorées, une immense baie vitrée laisse apercevoir l'espace sur un pan de mur, des écriteaux aux lumières pâles indiquent les directions possibles et les tons verts et orangés du décor sont si doux qu'ils reposent immédiatement les yeux.

Micro-Ice tourne doucement sur lui-même, à la fois surpris et admiratif. S'il n'avait pas oublié la forme de l'édifice, il en avait oublié la quiétude. L'environnement surcontrôlé est absolument parfait, pensé dans les moindres détails et plus qu'agréable. Il a encore un peu de mal à voir autant de monde autour d'eux, et il s'étonne encore de voir des espaces si grands, mais ça ne ternis en rien la redécouverte du lieu mythique qu'est le Génèse Stadium.

Une main s'écrase subitement sur sa tête et Micro-Ice tombe presque à la renverse.

- La casquette c'est pas pour déconner, Mice !

Micro-Ice se rattrape avec précipitation tandis que ses mains s'accrochent par réflexe à la casquette que Mei vient d'enfoncer sur sa tête. Sa coéquipière lui adresse un regard appuyé, son propre visage presque à moitié mangé par sa visière, et il comprend le reproche sans qu'elle n'ait besoin de le formuler davantage. Il ne peut pas se laisser distraire alors qu'ils sont si près du but. Le cœur battant la chamade et les jambes légèrement cotonneuse, Micro-Ice souffle un grand coup et se redresse convenablement, reprenant immédiatement son rôle. Il refoule la légère panique qu'a déclenché son amie, tout comme son envie presque irrépressible d'observer encore les alentours, et à la place il se tourne vers les adolescents qui les accompagnent.

- On fait comme quand on est partis de la maison ? Tout le monde entre Mei et moi ?

Il n'a pas besoin de se répéter pour que les enfants courent s'approcher d'eux, stoppant leurs observations et leurs conversations enjouées pour les rejoindre au plus vite. Une ambiance particulièrement joyeuse s'est rependue à travers le petit groupe, chassant définitivement les quelques chamailleries qui tonnaient encore il y a quelques minutes. Certains des adolescents trépignent d'impatience, tournés vers eux dans l'attente des prochaines consignes.

A ses côtés, Mei croise les bras et lève les yeux vers les nombreux écriteaux destinés à aiguiller les voyageurs.

- On part vers où ? On pourrait aller directement aux bureaux de la ligue, ou on peut tenter l'hôtel qu'on prend d'habitude. Il y a de très grandes chances pour que les SK y soient encore cette année.

- Hmm... T'as pas peur des fans au pied de l'hôtel ?

- Un peu. Mais on est en secteur 12, la ligue est plus loin d'ici que l'hôtel. Je sais pas si c'est super raisonnable.

- C'est vrai que si on peut éviter de rester longtemps à découvert ce serait mieux... Si des gens nous reconnaissent et que ça crée le bazar j'imagine qu'on viendrait nous récupérer rapidement, mais ça risque de pas être super agréable.

- Partons pour l'hôtel alors, si on se fait bloquer avec les fans à l'entrée on forcera le passage.

Mei acquiesce sur sa propre décision, son visage soudainement grave et concentré. Elle passe encore quelques instants à observer les différents panneaux accrochés en hauteur avant de se tourner vers lui, s'assurant qu'il approuve à son tour.

- Bon, alors c'est parti. Les enfants, vous restez entre Mice et moi, même règles qu'en partant de la maison ! On ne s'éloigne pas, on n'attire pas l'attention, et on écoute, d'accord ? Bien. Mice, tu passes devant ?

- Si tu me dis vers où aller, ouais je peux.

- ... Tu sais pas comment aller jusqu'à l'hôtel depuis ici ?

- Non...? Je suis même pas sûr du secteur où il est, alors y retourner...

- Sérieusement ? Tu sais pas le situer non plus ? On a passé les trois Cup là-bas, comment c'est possible ?

- J'avais un téléphone et une appli pour me guider ? Et puis à part aller chercher de la bouffe dans les restos du coin et quelques balades, je sortais pas tellement, hein...

Son amie lève les yeux au ciel, l'air profondément désespérée, mais tend tout de même son bras vers une des portes de l'astroport.

- D'après les panneaux, on doit pouvoir rejoindre un des boulevards principaux en passant par-là. Après, on marche jusqu'au quartier des studios TV, on tourne à droite aux écrans géants du petit parc publique et on devrait pas être loin de l'hôtel. Je pense que tu reconnaitras après.

- Tout droit, à droite au parc, et après on suit les hordes de fan, compris !

Mei lui adresse un regard dépité accompagné d'une grimace peu impressionnée, mais elle l'invite tout de même à ouvrir la marche. Micro-Ice passe à ses côtés en s'efforçant d'afficher un sourire radieux pour l'embêter davantage, et pousse la taquinerie jusqu'à motiver leurs troupes avec des phrases un peu niaises. Leroy s'empresse de lui emboiter le pas, accrochant une main à sa veste en riant à ses encouragements, et tous les autres l'imitent avec bonne volonté. En jetant un coup d'œil en arrière, Micro-Ice voit Mei les suivre en fermant la marche. Sanja et Driss qui sont juste devant elle lui parlent avec de grands sourires, et il voit sa coéquipière se détendre un peu.

Malgré les blagues et la bonne humeur qu'il projette, Micro-Ice n'est pas très serein à l'idée d'ouvrir la marche. Il a bien compris par où ils doivent passer, et même s'il se trompe Mei ne manquera pas de le rediriger rapidement, mais avancer à travers le lieu qu'il redécouvre à quelque chose d'effrayant. Même si le port est bien plus calme que la station de la veille, il reste immense et regroupe tout de même pas mal de monde. Ils passent près d'autres vaisseaux, croisent d'autres gens, des robots, des adultes, des enfants, des familles entières ou des personnes seules. Il a d'abord l'impression que leur petit groupe dénote trop, que les personnes qu'ils croisent les fixent et les observent curieusement, et il lui faut quelques minutes de marches pour comprendre que non. Qu'eux dix ne sont que des voyageurs lambdas qui déambulent sans trop faire d'histoire.

Respirant doucement pour se forcer de calmer son stress, Micro-Ice avance à un rythme soutenu mais suffisamment doucement pour que les adolescents qui le suive n'aient pas à courir. Il évite de se retourner trop souvent sur ce début de parcours, mais il entend les conversations dans son dos, et il sent l'accroche qu'a Leroy sur un pan de sa veste. Le souvenir douloureux d'Haan qu'il a faillit laisser derrière lui lui revient soudainement, et il doit se faire violence pour ne pas se retourner et compter toutes les têtes qui le suivent encore.

Atteindre l'immense porte de sortie de l'astroport n'est pas si rapide. Il leur faut de longues minutes de marche pour quitter le plateau principal, après quoi il a un peu de mal à repérer les escaliers qui mènent à l'étage supérieur où se trouvent les différentes portes et tunnels de sortie. Ils doivent encore traverser les zones de rencontre où se rejoignent famille et voyageurs, ainsi qu'une colonne de taxis dont les chauffeurs sont particulièrement véhéments. Pourtant, l'immense arche finit enfin par apparaitre sur le même étage qu'eux, et Micro-Ice est encore une fois impressionné par sa taille.

La porte, qui n'est en vérité qu'un arceau métallique haut de plusieurs dizaines de mètres, sépare très nettement l'astroport et les rues du Génèse qui se trouve derrière elle. L'avenue sur laquelle ils marchent parait être un couloir étroit en comparaison des rues qu'ils commencent à deviner, sans parler de la taille des buildings dont ils ne deviennent encore que les bases. Autour d'eux, la foule s'est un peu compactée. L'avenue a beau être large, de nombreux voyageurs se croisent dans les deux sens pour transiter vers ou hors du port, et même s'ils ne sont pas serrés, la foule reste dense. Beaucoup de personnes se pressent à leurs côtés, et il s'étonne à redécouvrir autant de variété dans les corps, les visages, les voix, les vêtements... Finalement, la foule qui lui faisait un peu peur a quelque chose d'hypnotisant dans sa diversité, quelque chose de fascinent même. Micro-Ice continue à avancer mais commence à détailler les gens qu'ils croisent, reprenant goût à cette normalité qu'il avait oublié.

Une famille entière d'êtres à la peau pâle tirent de lourds bagages en sifflant méchamment. De jeunes Wambas courent à travers la foule, rappelés à plusieurs reprises par les voix agacées de leurs parents. Une humaine porte une robe si scintillante que des paillettes restent au sol après son passage. Un jeune Ryker discute avec un petit robot de compagnie tout en fouillant sa valise à même le sol. Une mère de famille porte son enfant sur ses épaules, le petit pointant du doigt l'arche de laquelle ils approchent. Un groupe de jeunes, aux sac-à-dos lourds et épais, demandent leur chemin à un robots cubique et gris qui indique du doigt une direction pendant que des pixels souriants s'affichent sur la dalle numérique qui lui sert de visage. Il s'apprête à regarder ailleurs quand, d'un coup, le robot quitte des yeux les jeunes qu'il était en train d'aider pour regarder dans sa direction, comme si son intérêt passager avait soudainement attiré la boite de métal. Fronçant un peu les sourcils, Micro-Ice s'apprête à se détourner du visage pixelisé pour éviter de l'inviter à une quelconque interaction, quand le dessin souriant change brusquement.

L'écran sur son visage affiche un petit motif de points qui dansent en suivant un motif géométrique et Micro-Ice sent son sang se glacer dans ses veines. Une fraction de secondes plus tard, le motif se fige, clignote, et le robot gris s'ébroue violement. Sa petite tête ronde descend d'un cran, subitement soudée au bloc massif qui donne des airs de réfrigérateur à son corps. Ses bras, jusque-là courts et presque mignons sur sa grande carcasse, s'étendent d'un coup, comme si le robot ne laissait dépasser qu'une fraction de ses membres auparavant. Même ses jambes, qui étaient jusque-là inexistantes, poussent sous lui d'un seul coup, lui faisant gagner presque un mètre cinquante en un instant.

Autour d'eux, des cris surpris s'élèvent, de nombreuses voix murmurants en cœur leur étonnement. Les quelques personnes qui se tenaient proche du robot se sont écartées et le regardent maintenant avec confusion, comme si le comportement était loin d'être anodin. Micro-Ice, lui, oublie de respirer. Son cerveau bloque, bégaye, disjoncte. Il connaît ce robot. Il en a vu des centaines comme celui-là. Il en a détruit des centaines comme celui-là. Mais il ne les as vu que là-bas. C'est impossible qu'il soit ici. Pas au Génèse Stadium. Pas sur leurs chemin. Pas maintenant.

Dans son dos, une voix s'écrie brusquement et le ton paniqué le fait sursauter. Devant lui, le robot s'éboue à nouveau, comme parcouru d'un spasme, les points sur son visage disparaissent, et il bondit.

Micro-Ice est sauvé par un réflexe durement acquis pendant ses entrainements. A l'instant où l'androïde saute, propulsé en avant par ses longues jambes, il s'empresse de reculer d'un pas et pivote pour basculer un bras en arrière. Il heurte immédiatement une épaule qu'il pousse de toutes ses forces. Avec son dos et son bras, il parvient en en un seul geste à emmener plusieurs enfants avec lui hors de la trajectoire qu'est en train de suivre leur assaillant.

Ils heurtent le sol dans des cris paniqués à l'instant où le wagon de métal passe proche de sa tête, et il a tout juste le temps de tourner la tête vers le reste du groupe pour constater que Mei a elle aussi protégé sa part du groupe. Le grand robot gris passent au dessus de leurs têtes de justesse, s'écrasant au sol à quelques mètres à peine derrière Mei. Il atterrit avec un crissement métallique insupportable, bousculant sans ménagement les quelques voyageurs qui se trouvaient dans la zone. Des cris s'élèvent immédiatement autour d'eux, et Micro-Ice ne peut que rester figé, ses yeux rivés sur le robot qui se redresse doucement.

Les robots sont censés attendre entre chaque attaques. Ils restent immobiles de courtes secondes pendant que des points dansent sur leurs écrans, comme pour calculer leur prochain coup. Ils ne bougent jamais avant. Ils n'attaquent jamais avant. Micro-Ice le sait parfaitement parce qu'il a vu ce comportement presque tous les jours ces cinq dernières années. Et pourtant, aujourd'hui, la règle n'est pas respectée. Ce robot-ci n'attends pas. Il se redresse doucement, puis fait volte face, comme s'il était agacé de les avoirs ratés. D'ailleurs, quand il leur fait face, aucun point coloré ne danse sur son visage, signe que ses calculs sont déjà faits.

Toujours au sol, Leroy, Ican et Adri proche de lui, Micro-Ice voit le robot baisser la tête vers eux, s'accroupir, et bondir à nouveau.

Un éclair frappe, si puissant qu'un flash de lumière colore brièvement de blanc le couloir tout entier tandis que l'androïde est subitement propulsé en arrière. Le robot décolle du sol et s'envole avec force, décrivant un arc-de-cercle pendant que son corps vrille dans les airs. Il n'atterrit qu'à une vingtaine de mètres, sa chute cachée par la foule mais trahie par le fracas métallique qu'elle déclenche. Mei, au bout de leur petit groupe toujours au sol, se relève d'un coup et se tourne vers lui. Ses yeux débordent encore de Souffle, et Micro-Ice frissonne en voyant la panique dans ses traits.

- Mice ! On court !

L'ordre est crié avec urgence lui met une claque. Son esprit confus de voir un robot dans cet environnement qu'il pensait sûr accepte enfin la situation dans laquelle ils sont, arrêtant enfin de se concentrer sur ce qu'il pensait impossible. Micro-Ice se relève d'un coup, comme soudainement monté sur ressort, tire le gilet de Leroy pour le mettre sur ses pieds, attrape les bras d'Ican et Adri pour les tirer à leurs tours, voit Mei faire de même avec Driss, Sanja, Haan et Molly, et comme un seul homme, ils se mettent à courir.

La foule paniquée s'ouvre avec précipitation pour les laisser passer, leur laissant le chemin presque libre jusqu'à l'arche qui marque la sortie du port. Micro-Ice s'efforce à ne pas laisser l'adrénaline le consumer, ralentissant sa course pour rester au niveau des premiers adolescents du groupe, malgré son cœur qui bat fort dans sa poitrine et sa mâchoire serrée. Les enfants autour de lui courent vite et tiennent remarquablement bien la cadence malgré la surprise et la peur, mais il doute que ce soit suffisant pour semer leur poursuivant.

Passer l'arche les laisse enfin rejoindre la rue plus large du Génèse Stadium. L'espace entièrement piéton réunit de nombreuses personnes mais la foule est bien moins compacte que dans le couloir de l'astroport, bien moins paniquée aussi, et les laisse avancer sans qu'ils n'aient à jouer des coudes. Ils sont sur le point de dépasser le petit carrefour pour continuer tout droit, suivant scrupuleusement les directions données par Mei plus tôt, quand Micro-Ice décide qu'il est temps de jeter un œil en arrière.

Derrière eux, par delà les gens calmes qui flânent dans la rue, un mouvement de foule paraît parcourir les personnes encore présentes dans l'astroport. Les silhouettes courent toutes sur le côté, comme pour s'écarter du centre au plus vite. Bientôt, une carcasse grise dépasse de l'attroupement, et malgré la distance, Micro-Ice devine le rectangle noir sur la petite tête ronde.

- Attention !

Le cris strident d'Adri est si proche de lui que son tympan s'endolorit. Il a tout juste le temps de tourner la tête vers elle, arrachant ses yeux de la silhouette menaçante qui les suit, pour voir une seconde masse grise s'approcher d'eux à grande vitesse. Cette fois-ci, il n'a pas le luxe d'hésiter. L'androïde est déjà très proche, alors il n'a pas le temps de vérifier si Mei compte le repousser. A la place, il lâche prise. Micro-Ice inspire sèchement, déclenche son Souffle, pousse sur sa jambe, arme son poing, et frappe. Ses phalanges heurtent l'écran du robot de plein fouet, le choc si brutal que son fluide se décolore à l'impact pendant que la tête entière se ratatine sous la pression. La fin de sa frappe pousse davantage sur le point d'impact, forçant le métal à plier dans la direction qu'il lui impose, et projetant le droïde vers d'où il vient.

Le robot est propulsé en arrière avec force, son inertie initiale entièrement annulée. Il voit la carcasse filler droit, cogner le sol puis rebondir, abandonnant de nombreuses pièces mécaniques sur son passage. Le robot finit sa course contre le mur d'un bâtiment qu'il cogne fort, faisant vibrer son corps une dernière fois.

Un court silence résonne après le fracas infernal provoqué par le robot, puis, subitement, des cris effrayés s'élèvent tout autour d'eux.

Une main attrape fermement son épaule, et Micro-Ice est tiré en avant par sa coéquipière. Reprendre la course est difficile après ce sauvetage qu'il sait in extremis, et bien qu'il s'efforce à retomber dans le bon rythme en coupant son Souffle et en regardant loin devant eux, il ne peut que voir du coin de l'œil les silhouettes grises qui s'ébrouent et grandissent sur leurs passages. Heureusement pour eux, la foule continue de s'écarter de leur chemin, et Micro-Ice met un moment à comprendre que tous ces gens les fuient eux.

Un robot saute dans leur direction suffisamment haut pour que Mei le frappe d'un éclair assassin, l'encastrant dans un bâtiment voisin. Un autre attaque pendant que Micro-Ice est déjà occupé à contrer un revers, mais est stoppé par la Fournaise de Driss. Le robot est abandonné là, encore englué du fluide vert, pendant qu'ils continuent de courir à en perdre haleine. Molly à du mal à suivre la cadence, mais se téléporte pour passer de la fin du groupe au premier rang. Ican utilise son fluide orange pour s'octroyer des pointes de vitesse. Haan utilise le sien pour glisser sur le sol à intervalle régulier. Leroy et Adri se tirent l'un l'autre, leurs mains fermement accrochées pour qu'ils s'aident mutuellement. Kylian est presque collé à Mei, ne se servant de son fluide rouge que pour sauter en avant de temps en temps. Sanja, au milieu du groupe, court en regardant constamment autour d'elle, paniquée.

Atteindre le quartier des studios TV est laborieux, mais ils y arrivent sans trop d'accrocs. Ils se sont fait quelques frayeurs, mais jusque-là, ils tiennent bons. Le souci, par contre, c'est que leur trajet est apparemment plutôt prévisible. Le quartier se distingue des autres par de hauts bâtiments aux façades colorées dont les hologrammes promeuves de nombreux films, séries ou publicité. Mais en plus des installations tape à l'œil et bruyantes, les quelques bâtiments offrent aussi le parfait coupe gorge.

Plusieurs robots les attendent dès qu'ils atteignent le centre de la zone, bondissant des avenues adjacentes pour les prendre en tenaille. Sous la surprise, ils n'ont pas le temps de se concerter, et chacun esquive l'attaque comme il peut, éparpillant dangereusement leur équipe. Micro-Ice, lui, est forcé d'attaquer le robot qui fonce vers la tête du groupe. Il bloque sa respiration, force le Souffle à venir à lui et se propulse en avant. Il est sur le point de cogner contre le torse du robot qu'il vise quand un bras le métal heurte sa jambe gauche avant qu'il n'y arrive. Le choc n'est pas si violent, et en tournant la tête vers l'assaillant qu'il n'a pas vu venir, Micro-Ice constate que le robot ne l'a pas frappé de plein fouet mais armait son bras pour attaquer Mei et Driss qui sont à ses côtés. Pourtant, le choc est suffisamment puissant pour le projeter directement vers le sol.

Protégé en grande partie par le Souffle, Micro-Ice encaisse avec une grimasse, pousse sur ses bras, pivote et shoot. Le robot qui est maintenant à sa portée ne voit pas le coup venir, ne protégeant pas ses jambes du coup de pied qui file dans sa direction. Son tibia frôle le bas de son buste et attrape le haut de la jambe métallique exactement là où elle s'unit au corps plus robuste. Il doit forcer sur son coup pour que le tube de métal cède, mais celui-ci finit par s'envoler pour atterrir plus loin, maintenant entièrement désarticulé. Le robot, lui, titube un instant puis s'écroule, complètement déséquilibré. Il suffit à Micro-Ice d'écraser son pied sur sa tête pour que le robot s'immobilise entièrement, aplatissant la sphère dans une gerbe de fluide et d'électricité.

La carcasse inerte à ses pieds, Micro-Ice coupe son Souffle dont l'utilisation commence à le fatiguer, puis se tourne vers les autres. Mei a visiblement réussi à repousser deux robots à elle seule, leurs cadavres écrabouillés au sol dans des tas informes de pièces mécaniques. Un autre androïde se tient encore debout mais est entièrement immobile, comme déconnecté, tandis que des éclairs jaunes vifs le parcourent de la tête au pied. Un peu plus loin, proche d'où sont réunis la plupart des enfants, sa coéquipière réconforte Leroy qui lui parait plus que secoué. Comprenant que le garçon à certainement dû utiliser son fluide pour se défendre contre un assaillant passablement effrayant pour lui, Micro-Ice se dépêche de les rejoindre. Malheureusement, en le voyant revenir vers eux Mei s'empresse de se relever pour encourager tout le groupe à repartir, ne lui laissant pas le temps de formuler son inquiétude, ni l'occasion de lui dire que sa jambe gauche le fait souffrir.

La douleur est gênante, mais pas au point d'être insupportable. L'extérieur de sa cuisse où a frappé le robot est endolorie, la zone entière se contractant péniblement à chaque mouvement, et il est forcé de boiter légèrement pour l'atténuer. Elle ne l'empêche pas de courir pour autant, bien que l'exercice soit maintenant bien plus pénible qu'avant. Micro-Ice sert les dents pour continuer aussi ardument qu'il le peut, lançant des encouragements au groupe à son tour. Il sait que la délivrance n'est plus si loin, alors une jambe ecchymosée ne sera pas ce qui l'empêchera d'atteindre son objectif. Parce qu'il le sait, malgré les attaques à répétitions, les combats, les enfants plus ou moins endurent et le manque de repères, il sait qu'ils progressent. Lentement mais sûrement.

Le parc dont parlait Mei apparaît comme par enchantement au détour d'un building. L'endroit est constitué d'une petite plaine verdoyante qui dénote particulièrement des immeubles qui l'entourent, et propose quelques bancs entourés d'arbustes et fleurs de synthèse. Tout autour de l'espace, des écrans géants accrochés à bonne hauteur diffusent des images relaxantes, certains proposant des documentaires pendant que d'autres diffusent des images de nature. Même s'il n'a pas la prétention de la forêt située plus loin dans le Génèse, l'espace reste bucolique et cherche très clairement à créer un espace calme et reposant. Micro-Ice ne doute pas que l'effet soit réussi, et il aurait sûrement passé un long moment à observer ces choses qu'il n'a pas vu depuis si longtemps, mais voir les gens qui l'occupaient se mettre à courir dès leur arrivée lui donne un ressenti plutôt négatif.

- A droite, au fond !

Mei le tire de son observation, se tournant vers lui en pointant du doigt l'espace entre deux buildings à bien cinq cents mètres d'eux. Micro-Ice acquiesce, comprenant qu'ils vont devoir traverser l'entièreté du parc verdoyant pour atteindre la rue qui les intéressent. Serrant les dents, il s'empresse d'encourager davantage les adolescents qui courent à ses côtés, motivant du mieux qu'il peut le groupe à aller vite. La vérité, c'est qu'il ne s'attendait pas à ce qu'ils soient encore aussi loin de leur but. La douleur chasse progressivement l'adrénaline qui le faisait tenir, ramenant à la surface la fatigue et le stress qu'il refoule depuis bien trop longtemps. Son cœur bat trop fort, sa respiration trop saccadée, ses mains sont agitées, sa jambe le pince et son corps entier souffre de l'utilisation répétée du Souffle. A vrai dire, il n'est pas sûr de tenir beaucoup plus longtemps, que ce soit en course ou en combats, alors il faut absolument qu'ils accélèrent. Qu'ils profitent qu'aucun robot ne soit encore là pour leur barrer la route pour avancer un maximum.

Ils parcourent presque la moitié du parc maintenant vide avant qu'une silhouette grise ne sorte d'une des rues adjacentes. Son apparition est immédiatement suivie par un cri d'alerte, puis d'un éclair de Souffle. Le rayon frappe le robot à l'épaule, l'impact faisant pivoter son buste, mais cette fois-ci le coup n'est pas assez puissant pour l'arrêter davantage. A la tête de leur petit groupe, Micro-Ice voit Mei trébucher légèrement, et malgré la casquette qui lui mange la moitié du visage, il devine qu'elle aussi est à bout.

La voix de Kylian s'élève, puis celle de Molly. Les androïdes apparaissent de deux directions opposées, l'un venant dans leur dos pendant que l'autre débarque de leur destination. Ils sont encore loin, mais le premier robot que Mei a déjà endommagé est bien plus proche.

Micro-Ice bloque sa respiration, active son Souffle, et sprint. Il s'écarte du groupe, déviant de leur trajectoire pour aller à la rencontre de leur assaillant le plus proche. Le robot ne ralentis absolument pas à son approche mais il le voit armer ses bras, décrivant subitement des arc-de-cercles qui visent certainement à le frapper. Micro-Ice estime les trajectoires, saute, baisse la tête pour éviter qu'une main métallique ne lui heurte le crâne, et laisse son corps tout entier cogner contre le large buste du robot. Le métal s'incurve sous le choc, et il sent l'androïde vibrer sous la violence de l'impact. Pourtant, le robot déjà endommagé ne recule que de quelques mètres. Il encre ses pieds dans la terre, retournant la pelouse sans ménagement pour éviter de tomber à la renverse. Micro-Ice, lui, retombe un peu plus lourdement au sol, et est bien heureux de chuter sur le terrain meuble plutôt que les dalles robustes qu'il a déjà vu de près un peu plus tôt.

Se relever est moins simple. Son Souffle a disparu sans même qu'il ne le choisisse consciemment, signe que son corps fatigue et que ses ressources se vides. Il s'efforce tout de même de se redresser rapidement, passant à genoux avant de se remettre sur pied, fronçant les sourcils quand sa jambe gauche refuse de suivre le mouvement facilement.

Devant lui, à peine quelques mètres plus loin, le robot lourdement endommagé reste immobile. Une marque foncée tâche son épaule droite. Son buste est cabossé, des angles abrupts creusant la surface lisse sur presque toute sa largeur. Ses bras sont ballants, comme désarticulés autour du bloc rectangulaire de son corps. Ses jambes aussi ne bougent plus, bien droites avec ses pieds couverts de terre et d'herbe fraiche. Sur sa tête, l'écran affiche un motif géométrique dont les motifs dansent doucement. Dans son dos, un écran géant diffuse des images d'oiseaux qui semblent voler tout autour de l'androïde immobile. Plus loin, des gens regardent la scène, agglutinés contre une façade comme s'ils y étaient à l'abris.

Micro-Ice sourit, bien content que la machine soit hors circuit malgré qu'elle lui ait laissé penser le contraire. Il s'empresse de faire volte face, observe un instant où en sont ses camarades, et s'élance à nouveau pour les rattraper. Le petit groupe a presque atteint l'extrémité du parc, laissant derrière eux un robot figé par la Fournaise et un autre démembré au beau milieu du jardin. Il voit Mei, dont la silhouette dépasse d'au moins une tête le reste du groupe, pivoter dans sa direction. Micro-Ice lève un bras pour lui indiquer qu'il va bien, puis accélère, sifflant quand la douleur dans sa jambe se fait plus mordante. Il n'a que deux ou trois cents mètres à parcourir, chose qu'il devrait faire rapidement, mais il voit sa coéquipière stopper les adolescents pour l'attendre.

Il ne lui manque qu'une centaine de mètres à parcourir quand l'atmosphère du parc change d'un seul coup. La lumière se fait soudainement bien plus vive et quelque part, un haut parleur remplace les bruits d'oiseaux et de nature par une voix au ton grave et urgent. Il fait l'erreur de lever la tête.

Les quatre écrans géants qui entourent le petit parc ont drastiquement changé de ligne éditoriale, leurs thèmes bucoliques soudainement remplacés par un journaliste Xyionnien dont le costume est tiré à quatre épingle. Une image du Génèse est affichée à ses côtés, et Micro-Ice a tout juste le temps de comprendre les mots "Danger immédiat", "confinement" et "attaque en cours" quand l'écran change subitement. L'image un peu floue d'une caméra volante fait son apparition, filmant des rues désertes qui portent la trace de quelques affrontements. Micro-Ice a tout juste le temps de reconnaître les quartiers des Studios TV qu'ils viennent de traverser quand l'image coupe à nouveau, affichant soudainement l'image de son père en train de courir au milieu d'un parc largement endommagé. Micro-Ice voit la silhouette se figer en direct, et il lui faut de longues secondes pour comprendre c'est parce qu'il s'est lui-même arrêté de courir.

Le souffle court, le corps soudainement en feu, il ne peut que voir l'image qui s'affiche en gigantesque sur les quatre écrans autour du parc. Il ne voit pas la caméra volante qui s'approche en gardant une distance raisonnable, affichant le visage de son père toujours plus grand sur les holoTV. Il ne voit pas qu'il a perdu sa casquette. Il ne voit pas que de l'huile tâche une de ses joues. Il ne voit pas ses cheveux en bataille ni la terre qui tâche sa veste. Ses yeux sont comme happés par l'image, hypnotisés par les pixels qui lui renvoient ce reflet qu'il déteste tant. Comme s'il n'était plus sur le Génèse Stadium. Comme s'il était toujours là-bas. A l'étroit dans la petite salle de bain où il a à peine la place de se retourner. Coincé. Terrifié.

Il n'entend pas la voix grave du journaliste donner la liste des secteurs à évacuer et les consignes de sécurité. Il n'entend pas les hélices de la caméra volante qui lui tourne autour. Il n'entend pas Mei hurler son nom. Il n'entend pas les cris. Il n'entend pas le robot arriver dans son dos.

Le bras métallique le frappe horizontalement, déclenchant une vive douleur sur son flanc droit alors que ses pieds décollent du sol. D'un coup, l'image sur laquelle ses yeux étaient bloqués se floute, bascule, et sort entièrement de champ de vision. Ce n'est qu'à ce moment là qu'il réalise réellement qu'il a été projeté sur le côté. Il heurte le sol avant de pouvoir activer son Souffle. Le choc lui coupe la respiration et les roulé-boulé qui suivent lui brouillent la vue.

Micro-Ice ne se rend pas immédiatement compte que son corps a arrêté de bouger. Rouvrir les yeux est difficile, et il se plaindrait sûrement de la terre sur laquelle repose son visage si respirer ne le faisait pas autant souffrir. Chaque inspiration lui arrache une vive douleur, le tirant très vite de l'état un peu léthargique dans lequel il était tombé. Soudainement, il entend les cris, les voix qui appellent son nom, et il entend les pas qui martèlent le sol si fort que la terre sous lui en vibre.

Il parvient à relever suffisamment sa tête pour la décoller de la terre moite, puis à la tourner pour voir l'énorme silhouette grise foncer sur lui. Le robot bouge comme si son corps cabossé et brulé ne lui pausait aucun soucis, ses longs membres s'activant à une vitesse folle pendant que sa tête le fixe, le noir de son écran approchant comme s'il était prêt à l'engloutir. Micro-Ice comprend qu'il a très peu de temps pour réagir. Il ramène ses bras contre son buste, pose les paumes de ses mains contre le sol pour se pousser vers le haut, et sert les dents en sentant ses côtes mettre le feu à tout le côté droit de son buste. Il réussit à peine à se mettre à genoux quand il voit l'androïde pivoter ses épaules pour armer un de ses bras.

Le coup arrive terriblement vite. Le long membre de métal décrit une trajectoire parfaite pour que sa frappe l'atteigne à l'instant où il entre à sa portée, et Micro-Ice ne peut qu'observer son approche inexorable. Son corps a arrêté de bouger. Trop fatigué. Trop abimé. Il ne pense même pas à activer son Souffle pour amoindrir le choc, ni a esquiver d'une quelconque manière. Il se contente de regarder ce robot qu'il a pourtant battu tellement de fois dans sa vie venir lui asséner le coup final. Le bras métallique est sur le point de cogner contre sa tête quand Micro-Ice regrette d'échouer maintenant, si près du but.

L'écran bleu qui se matérialise devant lui est tellement proche que son énergie lui brûle les yeux. Moins d'un instant plus tard, le poing fermé de son assaillant entre en contact avec le bouclier, la puissance du choc faisant vibrer la surface tellement fort qu'il sent la vibration jusque sur son visage et dans son torse. Micro-Ice a tout juste le temps de voir la surprise dans la position du robot quand la petite caméra volante qui lui tournait autour un peu plus tôt s'écraser là où se trouve sa tête, propulsée si fort grâce à un éclair de Souffle que les deux mécanismes explosent à l'impact. A travers le bouclier de Souffle, il voit l'explosion d'étincelles projeter métal et circuits, puis la grande carcasse métallique chancelle, et tombe doucement en arrière. Elle s'écroule avec un grincement aigu et soulève un nuage de terre et de poussière là où elle chute.

- J'aurais pu taper mais- Un bouclier c'est- c'est déjà un peu mieux que la fuite ? Pas vrai ?

Micro-Ice lève la tête pour trouver Sanja à ses côtés. La jeune rouquine, essoufflée comme si elle venait de courir le sprint de sa vie, le regarde avec une expression qu'il a du mal à identifier. Il voit de la peur dans ses yeux humides, du soulagement dans son rictus, et un peu de fierté dans la manière qu'elle se tient à ses côtés. Il met un instant à réaliser que la jeune fille fait référence à tous les entraînements qu'ils ont partagés, mais aussi à toutes les fois où il l'a sauvée d'un robot qu'elle se contentait de fuir. Micro-Ice se surprend à sourire en comprenant que la situation s'est bien inversée cette fois-ci.

- Chacun sa spécialité, hein ?

Sanja sourit de plus belle et hoche la tête, l'air soudainement rayonnante. Micro-Ice lui rend un sourire, puis se décide à se relever avant qu'une autre attaque ne les prenne pas surprise. Il prend appuis sur l'écran de protection qui brille toujours à quelques centimètres de son visage, puis pousse sur ses jambes pour passer d'à genoux à debout. La manœuvre devrait être simple mais elle lui demande un effort démesuré. La douleur dans son flanc droit irradie méchamment dans son thorax, le forçant à couper sa respiration le temps qu'il se relève. La cuisse qui le faisait souffrir ne représente plus qu'une gène mineure en comparaison, et bien que sa jambe peine un peu à suivre, il parvient à se remettre sur ses deux pieds sans l'aide de personne.

Reprenant sa respiration doucement en prenant garde à ne pas inspirer trop fort, Micro-Ice lâche le bouclier qui lui servait d'appuis et fait un pas sur le côté pour s'en éloigner. Sa jambe gauche est un peu cotonneuse mais soutient son poids sans trop de mal. Ses côtes droites, elles, ne semblent pas apprécier de le maintenir debout. La douleur grandit un peu à chaque pas et à chaque respiration, et Micro-Ice à pour réflexe de passer une de ses mains sous sa veste pour soutenir sa cage thoracique à travers son tee-shirt. Le geste n'est pas très agréable, pourtant la douleur s'atténue légèrement, le faisant souffler de soulagement.

Maintenant debout, il n'a pas de mal à repérer les autres enfants qui se sont réunis contre le building duquel ils étaient le plus proche, se joignant presque à la foule qui les observe avec crainte. Plus proche d'eux, Mei approche à pas vifs, laissant derrière elle un autre robot dont la carcasse laisse échapper une fumée pourpre. Sanja, elle, le regarde avec un air un peu inquiet. Micro-Ice s'applique à lui offrir un sourire rassurant malgré la douleur, et va même jusqu'à poser sa main libre sur sa tête pour ébouriffer davantage sa queue-de-cheval.

- Merci du sauvetage, je te rachèterais peut-être ton requin peluche finalement.

La jeune fille râle mais relève la tête avec un sourire, ses mains s'accrochant à ses lunettes d'aviateurs qui sont la seule et unique choses qui tiennent encore ses cheveux un minimum. Elle est sur le point de répondre quand des pas se font entendre près d'eux, leurs faisant relever la tête vers Mei. Son amie le regarde immédiatement de haut en bas, ses sourcils froncés et sa mâchoire crispée. Il voit ses yeux s'arrêter sur sa main qui passe sous sa veste avant de remonter sur son visage, et Micro-Ice s'efforce d'afficher un sourire qui ne laisse pas trop deviner sa peine.

- Est-ce que ça va ?

- Ca devient récurent comme question...

- Mice, j'ai faillit mourir de peur, c'est vraiment pas le moment ! Côtes cassées ?

- Ah- Y a des chances, ouais...

- Tu peux marcher ?

- Je pense ? On est plus très loin de l'hôtel de toute façon, non ?

- On est pas très loin mais il faut qu'on se bouge avant que des renforts arrivent.

Mei s'approche, place une main dans le dos de Sanja et lui offre un sourire de félicitation, avant de venir vers lui. Elle se saisit de son bras libre le temps qu'il fasse quelque pas, puis le laisse marcher seul une fois rassurée. Ca n'empêche pas la grande brune de lui jeter un regard appuyé, et il comprend qu'il lui a fait plus peur qu'elle ne le montre, là, tout de suite. Il la voit avaler et pincer ses lèvres avant d'hocher la tête.

- Laisse moi m'occuper de repousser les robots, à partir de maintenant tu ne te bats que si c'est absolument nécessaire, okay ?

- Je vais essayer mais-

- Sanja, t'es son garde du corps. Fait autant de bouclier que tu veux, d'accord ?

La jeune fille hoche la tête avec un air déterminé et Micro-Ice est forcé de ravaler son désaccord. Mei s'empresse ensuite de le tirer en avant pour le forcer à marcher plus vite et demande à Sanja d'aller voir les autres enfants pour leur dire de les rejoindre. La rouquine part en courant vers le petit groupe qui n'a toujours pas bougé de leur cachette près d'un des buildings vers lequel ils se dirigent, et Micro-Ice essaye de ne pas penser aux réflexions qu'elle pourrait à nouveau recevoir.

- T'aurais pu me dire que c'était si terrible que ça.

A ses côtés, Mei marche vite et le regarde du coin de l'œil.

- ... Quoi donc ?

- Tu m'as dis que t'arrivais pas à te voir dans une glace, mais j'avais pas compris que c'était à ce point.

Se souvenant soudainement de la raison pour laquelle il s'est fait surprendre par le robot, Micro-Ice sent son cœur se serrer et tourne subitement la tête vers l'écran qui projetait l'image de son père il y a quelques minutes à peine. L'écran géant est grésillant, l'image qu'il affiche striée par d'innombrables lignes noires qui rendent la diffusion illisible. En son centre, un banc du parc est passé à travers la dalle et produit des gerbes d'étincelles. Un rapide regard circulaire lui apprend que tous les écrans qui entourent le parc sont dans un état similaire, et il sent son angoisse redescendre doucement.

- Je me suis occupée de ceux-là, mais il faudra que t'évites de lever les yeux dans les prochaines rues, okay ?

- Je... Okay. Merci...

- On règlera ce soucis là ensemble, et avec l'aide de tous les autres, t'en fait pas.

Le ton de son amie est serein, emplis de certitude, et Micro-Ice sent une boule se former au creux de sa gorge face à la promesse. Il n'a jamais imaginé réussir à régler le problème, et il n'est même pas sûr que ce soit possible. Il s'est bêtement entêté à vivre avec et comptait continuer aussi longtemps que nécessaire. Pourtant, voir Mei aussi résolue et sûre d'elle lui fait penser que c'est peut-être possible, et il décèle un soutient indéfectible qui lui fait un peu regretter de ne pas lui en avoir parler avant... Mais malgré tout, il sait déjà qu'elle fera le maximum pour l'aider.

Micro-Ice ne répond pas plus mais adresse un sourire reconnaissant à son acolyte. Mei aussi lui sourit, puis accélère à nouveau sa marche, prenant un peu d'avance pour rejoindre les enfants qui s'approchent d'eux.

Le groupe les rejoint en le regardant avec des yeux inquiets et des grimaces plus ou moins tristes, les assaillants de questions pendant que Mei leur demande de ne pas lui sauter dessus. Il fait du mieux qu'il peut pour cacher qu'il a du mal à marcher aussi rapidement et que sa respiration est douloureuse. Il réponds aux inquiétudes avec des sourires qu'il espère sincère, et laisse à Mei le soin de secouer leurs troupes pour qu'ils se remettent en route. La plupart des enfants sans poser plus de questions, mais il voit bien que Haan tourne la tête dans sa direction tous les quelques mètres, que Molly marche doucement pour rester derrière lui, et qu'Ican a rejoint Sanja pour rester à ses côtés. Mei, elle, tient fermement la main de Leroy et parle à Kylian qui la suit de très près, tout comme Driss et Adri qui ouvrent la marche d'un pas rapide.

Le petit groupe quitte le parc avec un rythme bien moins soutenu qu'avant, passant assez doucement devant les gens apeurés pour sentir leurs regards et entendre les murmures. Dans la grande avenue piétonne où ils font irruptions, de nombreuses personnes s'enfuient de la rue et partent vers les allées adjacentes. Pourtant, parmi les groupes qui s'agglutines dans des abris improvisés, Micro-Ice est presque certain d'entendre son nom et celui de Mei à quelques reprises.

Ils parviennent à traverser presque toute l'avenue avant qu'un premier robot se présente à un croisement de rue. Il est très vite balayé par un groupe électrogène dont Mei se sert comme projectile, mais son arrivée est suivie par d'autres. Micro-Ice est forcé de serré les dents pendant que Mei projette plusieurs androïdes à travers les immeubles, ou que certains des enfants les protègent à leur tour. Driss immobilise un robot qu'Ican repousse d'un coup de pied, Molly esquive un coup en se téléportant au dernier moment, laissant son assaillant s'écraser contre un immeuble, emporté par son élan. Sanja s'est décidé à utiliser ses boucliers, n'hésitant plus pour poser des écrans préventifs à chaque approche de robots. Cela crée quelques malentendus quand certains préparent une riposte et son soudainement bloqués par une protection, mais Micro-Ice s'efforce d'encourager toutes les initiatives avant que des chamailleries n'explosent.

Cinq robots plus tard, ils parviennent enfin au bout de l'avenue et découvrent une petite place qui mène à nouveau vers d'autres rues. La découverte aurait pu lui paraitre cauchemardesque, le Genèse Stadium étant bien trop grand pour qu'ils puissent atteindre leur destination rapidement, et pourtant Micro-Ice a le plaisir d'enfin reconnaître quelque chose. De nombreux bars et restaurants cernent la place, chacun affichant noms, concepts et menus avec d'immenses néons colorés. Certains établissements ont changés, et il ne peut pas détailler certains qui sont trop proches d'écrans TV qui diffusent leur progression en direct, mais Micro-Ice sait où il est. Enfin. Il est venu manger dans la plupart de ces endroits, parfois accompagné de Thran, Ahito, D'jok ou même de Yuki ou Zoéline. Il sait lesquels il préfère et ceux qu'il vaut mieux éviter à tout prix. Mais il sait surtout que l'hôtel habituel des Snow Kids n'est que deux ou trois rues plus loin.

Comme pour les lieux précédents, la foule qui l'occupe se vide alors qu'ils s'en approchent, laissant les terrasses désertes et désordonnées. Eux se contentent d'avancer à leur rythme, suivant la direction que Mei pointe du doigt tout en épiant les rues d'où pourraient surgir des robots. C'est donc sans aucune surprise que l'un d'eux apparaît à l'entrée d'une des rues reliant la place. Son apparition est tout de suite suivi d'un échange à travers leur groupe pour décider de qui s'en charge, puis Driss fait quelques pas vers leur assaillant pour l'arrêter avant qu'il ne s'approche. Le jeune Xénon charge son fluide dans ses mains, puis s'accroupis pour forcer la Fournaise à s'élancer grâce au sol. Le fluide vert émeraude court jusqu'au robot, le figeant instantanément dans une position agressive.

Micro-Ice s'apprête à féliciter Driss dont la maîtrise s'améliore à chaque fois quand une explosion retentie, faisant sursauter l'entièreté du groupe. Grinçant des dents sous la douleur provoquée par sa réaction, Micro-Ice se tourne précipitamment vers le robot et constate que la couche de fluide qui le figeait a déjà volé en éclat. Quelques murmures surpris parcourent les enfants qui l'entourent, et Driss fait quelques pas en arrière pour les rejoindre alors que le robot se remet à avancer.

Il est sur le point de dire à Mei de l'achever quand une nouvelle explosion retentie, et cette fois-ci, Micro-Ice parvient à comprendre ce qui la cause. Le robot gris chancelle, conservant son équilibre in extremis, puis se détourne de sa cible initiale pour se tourner vers une autre rue reliant la place. Le laser suivant frappe sa tête et fait voler en éclat l'écran qui lui sert de visage, laissant le robot s'écrouler pour de bon dans une gerbe d'étincelles.

Dans la rue vers laquelle Mei les dirigeait, Micro-Ice repère sans aucun mal la veste rouge qu'il a déjà croisé à de nombreuses reprises dans sa vie.

Sonny Blackbones court au beau milieu de la rue piétonne, le bras tendu et le pistolet encore fumant des quelques lasers qu'il vient de tirer avec précision malgré la distance. Le chef des Pirates replie son bras pour pointer le canon vers le ciel métallique du Génèse Stadium, ne prenant aucun risque de toucher qui que ce soit, et accélère sa course. A ses côtés, Micro-Ice reconnaît vaguement quelques Pirates qu'il a déjà vu lors de ses excursions plus ou moins autorisées dans leurs quartiers, pourtant toute son attention reste sur le père de son meilleur ami.

Revoir un visage familier a quelque chose d'étrange, parce qu'il est évident que Sonny Blackbones n'a absolument pas changé depuis la dernière fois qu'il l'a vu, et pourtant il a l'impression de le redécouvrir d'une certaine manière. Son idole d'antan a conservé ses cheveux blonds, sa barbe stylisée, son air grave et sa veste rouge, mais il paraît légèrement irréel, comme sorti d'un rêve. Pourtant, vu la façon dont Mei bondit en appercevant son ancien beau-père, Micro-Ice est à peu près certain que l'homme est bel et bien là.

Le Pirate les rejoints en quelques longues enjambées, opinant de la tête pendant que ses yeux passent rapidement sur eux tous. Il ralentis juste assez pour s'approcher de Mei à une vitesse plus raisonnable, faisant reculer les enfants qui ne voient en lui qu'un homme armé. Micro-Ice s'empresse de répondre par des sourires rassurants aux regards inquiets qui lui sont adressés, et s'avance doucement vers sa coéquipière qui enlace maintenant le vieux Pirate. Sonny et Mei échangent quelques mots qu'il n'entend pas avant que le nouvel arrivant ne lève la tête dans sa direction et lui offre un sourire amusé.

- Je te devais un sauvetage, non ?

Micro-Ice ricane, puis grimace en sentant ses côtes se plaindre sous la pression de l'air dans ses poumons. Face à lui, Sonny fronce son nez avant dans s'approcher pour poser une main sur son épaule dans un geste qui se veut rassurant. Sonny profite certainement de la proximité pour l'ausculter un peu aussi, Micro-Ice n'est pas tout à fait sûr, mais il répond avec un sourire qu'il espère plus sincère que crispé.

- Je dois avoir le droit à de sacrés intérêts depuis le temps, possible d'avoir un sauvetage premium ?

- Vu le temps qu'on a passé à votre recherche, vous avez le droit à toute la panoplie mon garçon, tu peux me croire. Le reste de la cavalerie est en route et d'autres équipes nous préparent le terrain, mais je dois admettre que vous nous prenez un peu par surprise.

- Merde, à ce point ?

- Plus ou moins. Avec la Cup on a pas mal d'effectif au Génèse, mais on n'a pas eu beaucoup de temps pour s'organiser entre l'alerte TV et maintenant. D'ailleurs, t'as fait sacrément peur à tout le monde tout à l'heure, Artie a faillit faire une syncope. Sans parler de D'jok.

Micro-Ice se sent grimacer à nouveau, mais pas à cause de ses côtes. Une pointe de culpabilité et de honte viennent lui tordre l'estomac, le faisant déglutir. La main sur son épaule le sert brièvement pendant Sonny lui adresse un dernier sourire bienveillant.

- On s'occupe de vous maintenant, ça va aller.

La main sur son épaule le lâche et Sonny prend un instant pour saluer les enfants qui le regarde avec méfiance, tout comme les autres Pirates qui les entourent. Il entend l'homme compter à voix basse, puis hocher la tête, avant de porter une main à son oreillette. La phrase "On les as tous récupérés" est prononcée avec un soupire de soulagement, puis suivie d'un silence. Sonny approuve à plusieurs reprises, pose quelques questions destinées à son interlocuteurs, et fini par lâcher son oreillette et se tourner vers ses hommes.

- On y va, Artie nous attend au point de rendez-vous qu'on a prévu. Bennett tu ouvres la voie avec Lance, tous les autres, prenez vos places en escorte, je ne veux aucun blessés supplémentaires.

Le petit groupe de Pirate hoche la tête en cœur avant que les hommes n'aillent prendre leurs positions à des rythmes plus ou moins soutenus. Mei profite du court temps d'organisation pour se rapprocher de Sonny et Micro-Ice, se tournant vers sont ancien beau-père avec les sourcils froncés.

- Tu nous emmènes où ? A l'hôtel des Snow Kids ?

- En lieu sûr, dans une de nos planques en sous-sol.

- Qu- Mais pourquoi ? On a plus que deux rues à faire pour rejoindre l'hôtel !

- Hors de question. Je me doutes que vous avez très hâte de revoir vos amis mais on vous emmènes où on contrôle le terrain à cent pourcent, surtout si les robots de sécurité continuent à vous sauter dessus comme ils le font. Les Snow Kids nous rejoindrons là-bas aussi.

L'air contrarié de Mei ne disparait absolument pas. Toujours mécontente de voir leur plan initial être changé à quelques pas de sa réussite, elle relève la tête et est sur le point de rétorquer à nouveau quand Micro-Ice la coupe.

- Attendez- vous dites que c'est des robots de sécurité ?

Il montre du doigt la carcasse à quelques pas d'eux d'où sortent encore quelques étincelles là où sa tête à été endommagée. Sonny suit son geste des yeux, puis hoche la tête.

- Ouais, nouveau modèle. La Technoïde a perdu ses droits militaires y a trois ans, leurs robots de patrouille se sont fait remplacer par ceux-là. On n'avait jamais eu à s'en plaindre jusqu'à aujourd'hui. D'ailleurs, essayez d'arrêter d'utiliser vos fluides à partir de maintenant, ça évitera d'en attirer davantage pendant qu'on vous escorte, d'accord ?

A ses côtés, Mei a un mouvement de recul, sa colère s'effaçant soudainement pour laisser place à de la confusion.

- Mais... Comment c'est possible ?

- Quoi donc ? Ils vous attaquent uniquement parce que vous utilisez vos fluides, si vous aviez rejoint l'hôtel sans les utiliser vous auriez pu-

- Non, non, pas du tout ! Ces robots là ils étaient là où on était, on s'entraîne contre eux depuis qu'on s'est fait enlever !

- Pardon ?

- Demande à Micro-Ice et aux enfants, on en a affronté des centaines des robots comme ça !

Sonny se tourne vers lui, le visage soudainement bien plus grave, alors Micro-Ice acquiesce rapidement.

- Ben- Ils étaient bridés, mais ouais, c'est clairement le même modèle. Et puis c'est eux qui nous attaqués ici, on n'avait pas prévu d'utiliser nos fluides pour aller jusqu'à l'hôtel...

Le chef des Pirates le toise un moment, fronçant ses sourcils davantage quand quelques uns des enfants autour d'eux approuvent à leur tour. Il regarde à nouveau Mei, puis se tourne vers un des membres de son équipe. Le grand blond dont la tignasse est partiellement cachée par son chapeau et ses grosses lunettes rouges secoue la tête avec vigueur.

- S'il s'avère que ces robots sont méchants depuis le début, je rappelle que je les ais toujours trouvés louches !

- Bennett, ça n'a aucun sens, pourquoi est-ce qu'ils- Comment vous êtes arrivés ici ? Vous vous êtes échappés ou on vous a laissé partir ?

Micro-Ice est surpris du ton qui est devenu urgent et inquiet, alors il répond aussi vite qu'il peut.

- Échappés ? On n-

- Vos ravisseurs ressemblaient à quoi ? Une espèce en particulier ? Un uniforme ? Une façon de parler ?

- Qu- non on- On n'a jamais vu personne. Y avait une voix dans un haut-parleur et tout le reste était automatisé-

- C'était situé où ? Sur le Génèse ou autre part ?

- Non, c'était dans un coin de Zaélion, on a volé un vaisseau et-

- Quel secteur ? Autour de quelles planètes ?

- Euh- Je-

- C'était proche de planètes naines. Néméris, Antibus, Qualios... La base était cachée dans une ceinture d'astéroïdes.

- Secteur des Cassiopées. Du côté du Cercle des Fluides ?

- Ouais, c'est ça, exactement ! On a faillit aller là-bas directement pour demander de l'aide d'ailleurs !

La mâchoire de Sonny se contracte et l'homme quitte Mei des yeux pour se tourner à nouveau vers Bennett. Le grand blond fait une grimace particulièrement prononcée tout en secouant une de ses mains, comme si l'information qu'il vient d'entendre était particulièrement désastreuse.

- Olalaaaa ! Si le Cercle des Fluides s'est servi de vous pour entraîner leurs super robots révolutionnaires, on est bons pour un sacré bordel politique encore...

Micro-Ice entrouvre la bouche pour s'apprêter à lui répondre qu'il est impossible que le Cercle des Fluides soit à l'origine de leur enlèvement, mais il la referme aussitôt. A ses côtés, Mei tourne la tête vers lui, l'air incrédule.

- Mais quel intérêt est-ce qu'ils-

- Je dis pas que c'est tout le Cercle qui a pris la décision unanimement, mais ils ont bien un gars qu'était responsable du projet "gentils robots contre l'utilisation non-autorisées des fluides", non ? Et puis, il faut dire qu'à vous dix vous représentez un joli échantillon de fluides à étudier pour perfectionner leurs machines.

Bennett hausse les épaules, comme si la conclusion lui paraissait absolument évidente et, devant eux, Sonny se fige en perdant ses yeux dans le vague, réfléchissant à son tour. Micro-Ice, lui, ne sait pas quoi penser. Le Pirate pourrait avoir raison, mais la conclusion lui paraît rapide avec si peu d'informations. Et pourtant. Il a toujours cru que les robots étaient là pour l'entraîner lui, que les pauses entre chaque coups servaient à calculer leur prochaine approche, à le mettre au défis. Mais et si c'était l'inverse ? Et si c'est lui qui apprenait aux robots à se battre contre le Souffle ? A compiler ses mouvements, prévoir ses attaques, reconnaître ses stratégies. Un utilisateur lambda du Souffle n'aurait aucune chance contre un des robots qu'il a combattu aujourd'hui, et même lui s'est laissé avoir à plusieurs reprises.

En les prenant tous les dix, ils ont pu observer sept fluides différents et observer le développement du Souffle à un niveau bien plus poussé que la moyenne. Aucun des éclairs de Mei n'a endommagé critiquement un des robots du Genèse avec un seul tir. Il est obligé de mettre bien plus de force dans ses coups pour abimer les carcasses ou détruire les points faibles qu'il connaît. Les fluides de Leroy, Driss et Sanja ne sont que des solutions temporaires. Et ce, malgré leurs années d'entraînements, leur travail de groupe et leur connaissance de l'ennemi.

Des utilisateurs irréguliers de fluides n'auraient aucune chance.

Micro-Ice est ramené au moment présent quand sa respiration qui s'est accélérée force sur ses côtes, lui arrachant une grimace. A ses côtés, Mei fixe un point invisible sur le sol et les enfants se sont réunis autour d'eux. Il sent plusieurs mains attraper sa veste, et il voit aussi certains des enfants discuter à voix basse, leur tension perceptible dans leur ton. Il s'apprête à s'approcher de sa coéquipière pour s'assurer qu'elle va bien quand Sonny Blackbones secoue vigoureusement la tête, faisant soudainement volte face en posant une main contre son oreillette.

- Artie, on a un problème. ... Non, je crois qu'on va avoir beaucoup plus de résistance que prévu. ... Je t'expliquerais plus tard, mais je pense que les robots de sécurité vont faire le maximum pour les tuer avant qu'on puisse les mettre en sécurité. ... C'est ça. ... Okay, pas étonnant. On fait comme prévu pour l'instant, on avisera.

Plusieurs des adolescents autour d'eux se tournent vers Sonny à l'unisson, faisant mourir les chuchotements inquiets. Mei a toujours ses yeux fixés sur le sol. Micro-Ice, lui, sent sa bouche s'assécher brusquement.

- Nous tuer ? Carrément...?

Sonny lâche son oreillette et se tourne vers lui en fronçant les sourcils.

- Ils t'ont donné l'impression de vouloir vous appréhender calmement jusqu'ici ?

Micro-Ice hausse les épaules mais hoche la tête brièvement, signifiant au Pirate qu'il a comprit tout en suggérant qu'il n'a pas à expliquer davantage devant les enfants qui ont l'air bien plus inquiets qu'avant. Sonny doit comprendre, parce qu'il leur adresse un sourire rassurant auquel il ajoute qu'ils sont "entre de bonnes mains". Vu la façon dont la plupart des têtes se tournent vers Mei et lui, Micro-Ice prend le paris qu'ils n'y croient pas plus que ça.

Le départ de leur petite troupe bien gardée est donné dans la foulée. Mei se reprend seule, décrochant ses yeux du sol en inspirant bruyamment. Elle vient ensuite marcher à ses côtés, de sorte à ce qu'ils restent bien au centre du groupe d'enfant, mais aussi de la ronde armée qui les entoure. Sonny leur apprend distraitement qu'une quinzaine de robots sont postés devant l'hôtel des Snow Kids, attendant leur arrivée de pied ferme, raison pour laquelle ils partent dans le sens opposé. Le plan est d'avancer aussi rapidement que possible avant que les machines, ou les personnes qui les pilotent, ne se rendent compte qu'ils ont changé de trajectoire.

Le début du trajet se passe bien. Micro-Ice peine à suivre la cadence malgré le soutiens ponctuel de Mei et les mains qui tiennent toujours sa veste. Il s'efforce tout de même à marcher aussi vite qu'il peut, baissant la tête dès qu'un écran apparaît sur la surface d'un building. Les hommes de Sonny sont efficaces et organisés, la foule de passants est devenue plus curieuse depuis l'apparition de l'homme le plus recherché de leur galaxie, mais ils parviennent à leur frayer un passage sans problèmes. Les caméras volantes sont abattues à l'instant où le vrombissement de leurs ailes se font entendre, empêchant la retransmission de leur progression à travers les quartiers du Génèse Stadium.

Pourtant, ce qui devait arriver arrive, et des robots de sécurité commencent à remonter leur piste. Le premier qui les retrouve tente de sauter par dessus la ligne armée pour s'écraser sur eux, mais l'attaque est repoussée à temps par des lasers parfaitement bien placés qui forcent l'androïde à dévier sa trajectoire, puis à s'écraser contre un mur. Les robots suivants sont moins simples à arrêter. Plusieurs robots gris apparaissent d'un seul coup et s'élancent dans des attaques plus ou moins coordonnées, puis d'autres arrivent encore, et encore.

A vrai dire, Micro-Ice ne sait plus trop où ils en sont. Autour d'eux des nuées de lasers filent, leurs sons électrique sifflant dans ses oreilles pendant que les explosions plus lointaines font vibrer l'air. De nombreuses voix hurlent au milieu du capharnaüm, mais une seule d'entre elle tonne avec force pour guider les autres. Au moins un robot a dû prendre feu parce qu'une fumée pourpre commence à troubler sa vue alors qu'une odeur de métal et de plastique brûlé s'impose violemment. Très vite, ils sont forcés de courir, suivant aveuglément les voix qui les guident à travers la tempête. Alors Micro-Ice suit. Malgré la douleur, la perte totale de contrôle sur la situation qui les entoure et l'envie presque irrépressible qu'il a de vouloir recompter les enfants qui les entourent. Mei s'est emparée de son bras et le tire en avant, et il l'entend hurler à plusieurs reprises de garder sa tête baissée. Il ne se rend pas tout de suite compte qu'ils quittent les rues du Génèse Stadium. Ils passent différentes portes, puis descendent des escaliers éclairés par des néons bien plus sales que le jour artificiel du Génèse. D'un coup, les bruits tonitruants des combats s'étouffent, comme filtrés à travers des murs épais, et Micro-Ice lève enfin la tête.

Devant lui, la veste rouge de Sonny se découpe très nettement sur le couloir cimenté dans lequel ils courent. Un coup d'œil circulaire lui apprend que la plupart des Pirates qui les accompagnaient ne sont plus à leurs côtés, mais aussi que les huit adolescents sont toujours là. Mei le tire un peu plus fort et Micro-Ice trébuche presque sur les escaliers qui se découpent subitement sous ses pieds. Ils s'enfoncent sous terre encore et encore, dévalant les marches délabrées à toute vitesse.

Sonny ne ralentis que lorsqu'ils atteignent un étage plus large dans lequel aucun des éclairages blafard ne laisse deviner d'escaliers supplémentaires. Le groupe entier ralentis à son tour et les voix qui étaient jusque là restées muettes se mettent à s'élever. Micro-Ice entend partiellement Sonny parler dans son oreillette, Bennett faire quelques commentaires désobligeant et les enfants à ses côtés converser avec des tons émerveillés ou craintif. Lui, peine douloureusement à reprendre son souffle. Ses jambes continuent de marcher par il ne sait quel miracle, survivant à la brûlure qui mord sa cuisse gauche à chaque pas. Ses côtes, elles, contrent chaque tentative de respiration profonde avec une douleur perçante, le laissant haleter bien plus longtemps qu'il ne devrait. Les ongles de Mei creusent sa veste et appuient sur son biceps. Ses paupières s'alourdissent dangereusement par instant, la fatigue rendant sa vision floue et sa posture bancale. Il fait abstraction un maximum. Il chasse toutes les sensations négatives, fixe le manteau rouge de Sonny Blackbones, et suit. Douloureusement, difficilement, mais il tient le coup.

Au détour d'un couloir fait de ciment et de métal, enfin, ils arrivent dans une salle plus vaste où des silhouettes les attendent.

La planque des Pirates ressemble exactement à ce à quoi il s'attendait. La salle n'est pas immense, juste assez grande pour contenir l'équipe d'une dizaine de personnes qui occupe les lieux, quelques armoires, des écrans de surveillance placardés sur un des murs et les consoles associées juste en dessous. Le tout est assemblé dans un bordel plus ou moins organisé: des câbles de toutes sortes courent au sol, un salon a été aménagé avec de vieux meubles délavés sans le moindre effort d'assortiment, et des spots lumineux ont été scotchés grossièrement au plafond et aux murs pour éclairer l'espace... Micro-Ice n'aurait pu rêver mieux.

Leur arrivée est suivie par plusieurs silhouettes qui viennent à leur rencontre, et il ne reconnaît Artie que lorsque son ami l'a quasiment rejoint. Il n'a pas tellement changé, ses cheveux sont un peu plus long, sa barbe n'a plus le même style et il ne porte plus son habituelle veste kaki, mais il reconnaitrait le sourire joyeux entre milles. Avant même qu'il ne puisse se redresser correctement, Micro-Ice voit son ami approcher et des bras enserrent ses épaules dans une accolade pressée. La force du choc lui coupe presque la respiration, brouillant un peu sa vue pendant un instant, mais il s'empresse pourtant de rendre le geste pendant qu'un soulagement infini se déverse dans ses veines. Si revoir Sonny Blackbones avait quelque chose d'irréel, revoir Artie lui donne enfin cette certitude d'être de retour chez lui.

- J'ai le droit de garder ce câlin en souvenir ou tu vas me l'effacer dès que t'as fini ?

Son ton n'est pas exactement comme il voulait et sa respiration hachée terni un peu sa blague, pourtant il sent Artie ricaner dans ses bras avant de se reculer. Le visage du jeune Pirate est souriant, même s'il décèle une pointe d'inquiétude dans ses yeux.

- J'accepte de te le laisser si tu promets de laisser les combats de robots aux gens compétents !

- Deal ! Prenez les tous ! J'ai eu ma dose...

Artie rit à nouveau et, à ses côtés, il entend Mei rire également. Le Pirate se tourne vers sa coéquipière pour la saluer à son tour, la gratifiant d'une rapide accolade et d'un sourire toujours aussi joyeux. Les enfants à leurs côtés ont vite dépassés Artie pour aller observer les écrans accrochés au mur. Plusieurs angles de caméras montrent que des combats font toujours rage à travers les rues du Génèse, et les Pirates présents s'activent à faire parvenir des informations aux équipes sur place. Pour sa part, Sonny est en pleine discussion avec d'autres Pirates que Micro-Ice ne connaît pas, visiblement occupé à faire un point sur leurs situations.

Micro-Ice observe les échanges qui parcourent la petite équipe de Pirates présents quand une nouvelle vague de fatigue le frappe. Il sent ses paupières s'alourdir pendant que sa jambe blessée faiblit. Sans la main de Mei pour le tenir debout, il peine un peu à rester droit, et chancelle légèrement avant de se rattraper en serrant les dents. Sa respiration hachée lui paraît plus inconfortable qu'elle ne l'était il y a un instant, tout comme la douleur dans ses côtes qui le force à passer sa main sous sa veste pour tenter de la calmer un minimum. Le coup de fatigue part aussi brusquement qu'il lui est tombé dessus, le laissant un peu désorienté. Il découvre donc tardivement que ses deux amis sont tournés vers Sonny qui est en fait en train de leur parler.

- ... en route. Donc pour l'instant, vous attendez ici, Corso saura m'en dire davantage. Je vous tiens au courant.

Le chef des Pirates se détourne sans attendre de réponse de leur part, et traverse une bout de la planque pour disparaître derrière une porte, accompagné de quelques membres de son équipe. Passant une main sur son front, Micro-Ice tente de ne pas montrer qu'il ne sait pas ce qu'il se passe et fait à nouveau le tour de la pièce. Certains enfants sont toujours devant les écrans, d'autres discutent avec des Pirates. D'autre membres de l'équipe de Blackbones parlent en code dans des casques reliés à des ordinateurs. Bennett s'est approché pour parler à Artie. Mei regarde dans la direction où a disparu Sonny. Le vieux canapé au fond de la pièce est vide. Il se rend à peine compte que ses jambes se sont remisent à marcher de leur plein gré, l'amenant tout droit vers le canapé à la forme fatiguée et à la couleur douteuse.

- Qu'est-ce que tu fais ?

Il ne prend pas la peine de se retourner pour répondre à son acolyte. D'ailleurs, il ne lui répond pas du tout. Il arrive au niveau du canapé assez rapidement, hésite un instant à quelle position opter pour accommoder ses différentes blessures, et finit par s'asseoir doucement puis se laisser tomber sur son côté gauche. L'assise grince sous son poids et il s'empresse de passer sur le dos quand sa cuisse entre en contact avec le tissu. Le canapé est juste assez grand pour qu'il puisse s'y allonger tout entier, bien que le haut de son crâne soit collé contre un des accoudoirs. Son corps entier soupire de soulagement à l'instant où il est installé, sa respiration ralentissant d'un cran.

Il voit Mei approcher du canapé et se pencher légèrement sur lui. Sous cet angle elle paraît encore plus grande, alors Micro-Ice ne peut que froncer son nez. Son amie sourit et secoue la tête.

- Même pas tu laisses une place pour les autres ?

- Premier arrivé, premier servi...

- Hmm. On a traîné avec des enfants un peu trop longtemps je crois.

- Parle pour toi !

Mei secoue à nouveau la tête, faisant onduler sa longue tresse derrière elle. Elle a perdu sa casquette alors les mèches de sa frange lui tombent sur le nez et sur les joues, cachant à peine son regard pétillant. Parce que oui, malgré les marques de fatigue sur son visage, la terre sur son pantalon, et l'huile sur sa veste et son tee-shirt, Mei lui paraît resplendissante. Comme elle ne l'a jamais été là-bas. Presque comme elle était avant. Presque.

- Okay ! T'as le droit au canapé un quart d'heure et après c'est mon tour.

- Cheffe, oui, ch-

- Ca tombe bien d'ailleurs, j'avais vraiment envie de discuter avec Artie, juste histoire de vérifier deux-trois théories.

- Mei-

- Bisous, repose toi bien !

Mei fait demi tour si vite que sa tresse décrit un arc de cercle autour d'elle, et si Micro-Ice n'était pas aussi fatigué il se serait relevé immédiatement pour éviter le fiasco monumental qu'il sent arriver. Son ami se retourne vers lui après quelques pas, lui adressant un clin d'œil qu'il accepte comme une excuse à sa taquinerie, bien qu'il lui tire la langue avec vengeance. Mei sourit de plus belle, et est sur le point de se retourner vers les autres quand elle s'arrête, lui faisant face une dernière fois.

- Et t'endors pas !

Micro-Ice lève les yeux au ciel, grimaçant face au regard réprobateur que Mei lui adresse. Comme s'ils n'avaient pas reçu les mêmes cours de Dame Simbai sur premiers secours, les comportements à adopter en tant qu'aidant, ou en tant que blessé. Jamais il ne se laisserait s'endormir, il ne se laisserait pas faire une erreur aussi idiote.

- Ca va, j'suis pas débile, merci !

Son amie penche la tête et pince ses lèvres, l'air de dire "un peu", avant de lui adresser un dernier sourire et de partir vers les autres pour de bon. Micro-Ice grimace à nouveau, mais sourit à son tour, le cœur plus léger après les interactions amicales qu'il aime tellement partager avec Mei. Il observe sa coéquipière rejoindre les Pirates qui discutent avec les enfants. Les jeunes se tournent vers elle avec de grands sourires pour la plupart, l'angoisse de leur fuite ayant déjà disparu pour certains d'entre eux. D'autres, comme Leroy et Kylian, préfèrent venir se poster près d'elle pour discuter. Il voit le petit blondinet froncer les sourcils et chercher la pièce du regard, et quand ses yeux s'arrête dans sa direction, Micro-Ice lui adresse un signe de main et un sourire pour le rassurer. Les épaules de Leroy se décontractent un peu, et le jeune adolescent lui rend son sourire, se tournant vers Molly pour discuter.

Micro-Ice passe un moment à observer le petit groupe qui se mêle avec plus ou moins d'aisance aux Pirates qui les entourent, tout comme Artie et Mei qui parlent en pointant du doigt certains écrans. Il ne sent pas tellement la vague de fatigue qui passe à nouveau sur son corps, dissipant le peu d'adrénaline qui lui restait. Sa respiration ralentie, ses muscles se détendent, son cœur se calme. Ses paupières se ferment et il ne se rend pas compte qu'elles en se rouvrent pas, le laissant glisser dans un sommeil qu'il n'attendait pas.

Il rouvre les yeux sans se rendre compte que du temps s'est écoulé depuis qu'il les a fermés. Sa vision n'est pas très claire pourtant, et il sent que son corps s'est engourdit sur les coussins grinçant du canapé. Des voix discutent toujours autour de lui et le même plafond terne lui fait face, l'accoudoir collé contre sa tête mangeant également une partie de son champ de vision, tout comme le dossier du canapé à sa droite. Il met quelques secondes à remarquer que le néon bleu fixé au-dessus de son visage n'était pas là avant. D'ailleurs, il se rend compte que le néon n'en est pas un, que la barre lumineuse est en fait bien plus basse que le plafond, et que des variations de couleurs la parcourent sur toute la largeur. Micro-Ice fronce les sourcils, et commence à fouiller sa mémoire pour retrouver où est-ce qu'il a déjà vu un objet similaire dans sa vie.

Une douleur aigue frappe son flanc droit, le sortant violemment de son état léthargique. Son corps sursaute sous le coup de la douleur, faisant s'écarquiller ses yeux pendant que sa main gauche saute sur ses côtes. Il relève la tête en même temps que sa main en saisit une autre, et Micro-Ice se retrouve subitement face à face avec un visage qu'il n'a pas vu depuis très longtemps, mais qu'il ne met qu'un instant à reconnaître.

- Je t'ai fait mal ? Excuse moi, mon scanner n'est pas aussi efficace que ce que je voudrais vu la disposition, j'ai dû vérifier par moi-même. Contente de voir que tu es réveillé.

Dame Simbai est assise sur un petit tabouret juste à côté du canapé, légèrement penchée sur lui avec une de ses mains posée sur son ventre et l'autre saisie d'une épaisse tablette numérique. Micro-Ice cligne des yeux à plusieurs reprises pendant que la pique de douleur dans ses côtes se dissipe peu à peu, laissant sa respiration redescendre également. Il observe un instant le sourire doux, les longs cheveux bruns et l'uniforme qui est resté le même, son esprit engourdi mettant bout à bout toutes les informations à sa disposition à son rythme.

- D- Dame Simbai...? Mais- Vous êtes arrivée quand ? J'me suis endormi ?

- Tu as dormi une petite heure d'après Mei, on vous a rejoint il y a un peu moins de vingt minutes. Comment est-ce que tu te sent ? Est-ce que tu as des douleurs particulières, des vertiges, ou même un-

Micro-Ice n'écoute déjà plus. Il se détourne du doux sourire et tourne la tête vers le reste de la salle, cherchant frénétiquement sa coéquipière des yeux tout en se maudissant de s'être laissé avoir par sa propre fatigue. Parmi toutes les silhouettes présentes dans la planque des Pirates qui lui paraît bien étroite, il met un moment à repérer la frange brune et la peau pâle. Assise par terre contre une des armoires en métal, Mei est entourée de quelques enfants et d'autres interlocuteurs avec qui elle discute doucement, la mine basse pendant que ses mains s'occupent en triturant sa longue natte. A l'instant où ses yeux tombent sur elle, les yeux bleu clair se relèvent dans sa direction, et il voit tout le corps de son amie sursauter. Mei se relève en une seconde, poussant sans ménagement les quelques silhouettes sur son passage, et le rejoint en quelques enjambées. Il ne s'attend pas tellement à la pichenette qui cogne douloureusement sur son front, ni à la voix pleine d'agacement qui suit son hoquet de surprise.

- Débile !

- Eh-

- Tu te rends compte un peu ?! T'aurais pu y passer !

- Mais j'ai pas fait-

- "Je vais pas m'endormir, Mei, je suis pas débile !" Tu parles ! Gros débile !

Une seconde pichenette atterris sur son front, et cette fois-ci Micro-Ice décide d'accepter la sentence. Ses mains viennent tout de même cacher la zone que semble privilégier son amie, massant doucement les points d'impacts pour dissiper la légère douleur. Accroupie juste à côte de lui, Mei a les sourcils et le nez froncés alors que sa bouche forme un arc peu commode. Ses yeux brillent de colère et Micro-Ice a soudainement envie de se faire tout petit.

- Désolé, j'm'en suis même pas rendu compte...

Son amie laisse échapper un long soupire et sa moue colérique se détend un peu. Elle est sur le point de parler à nouveau quand quelqu'un d'autre approche derrière elle à pas rapides, la faisant se retourner et lui faisant lever les yeux.

- Il s'est réveillé ?

Les cheveux courts et un air inquiet sur le visage, Micro-Ice reconnaît Sinedd plus grâce à sa timbre qu'à son facies, le laissant sans voix pendant un instant. Mei, elle, acquiesce sans hésitation, et se redresse quand Sanja approche à son tour. Il a à peine le temps de voir la mine pleine de soulagement de la petite rouquine qu'une tête surgit juste au-dessus de la sienne, dépassant du dossier du canapé.

- Oh bordel ! Ca va ? Tu vas bien ? Il va bien ?

Le visage de Thran se tourne vers lui, puis vers Mei, puis vers Dame Simbai en boucle pendant que des réponses vagues lui sont données, et Micro-Ice sent son cerveau bloquer, bégayer, disjoncter.

- Mais quand est-ce que-

- D'jok !

La voix de Mei tonne assez fort pour résonner un peu dans la planque faite de métal et de ciment, et sans surprise, un léger tumulte suit son appel. Derrière Dame Simbai quelques silhouettes se décalent brusquement en suivant le rythme de bruits de pas lourds qui tapent sur le sol, et bientôt une tête rousse apparaît. D'jok file droit vers Mei, avalant les mètres à pas pressés, puis bifurque violement dans sa direction. Micro-Ice voit les grands yeux verts le fixer un instant, puis un grand sourire explose sur son visage, accompagné d'un éclat de rire surprit. Son meilleur ami ne perd pas une seconde pour accourir vers lui, se jette presque pour descendre au niveau de l'assise du canapé et lui tombe littéralement dans les bras.

Les reproches de Dame Simbai sont tout juste couvertes par les rires qui sonnent à ses oreilles, rires que Micro-Ice est absolument forcé de réciproquer tant l'émotion est forte. Il sent les bras de son meilleur ami entre son dos et le canapé, ses mains le plaquant contre lui avec tellement d'enthousiasme qu'il sent à peine ses côtes le brûler. Une myriade de "ça va ?" et de mots impolis terriblement joyeux se mêlent aux éclats de rires. Ses mains se sont accrochées à la veste qui le surplombe lourdement, et Micro-Ice se contente d'hocher la tête dans l'épaule qui écrase son nez.

Dame Simbai est forcée d'hausser le ton pour que D'jok accepte de le lâcher et de le laisser à nouveau reposer sur les coussins du canapé. Son meilleur ami râle ouvertement qu'ils n'aient pas le droit à un peu plus de temps pour se retrouver, mais Micro-Ice est déjà tourné vers les visages qui sont apparus autour du canapé pendant que D'jok l'enlaçait. Tia et Rocket lui offrent de grands sourires depuis le pied du meuble, Mark lui adresse un signe de main, sur la pointe des pieds derrière Ahito qui a rejoint son frère sur le dossier. Le gardien dors déjà à point fermé mais rien que le revoir lui fait un bien fou.

Une joyeuse cacophonie prend subitement place autour de lui, les plaintes de D'jok ayant disparues quand il s'est rendu compte que Dame Simbai ne lâcherait pas l'affaire. Son meilleur ami est maintenant agenouillé sur le bord du canapé et lui parle à une vitesse incroyable, ses phrases se mêlant les unes aux autres à cause de l'excitation, et Micro-Ice tente d'en déchiffrer au moins une partie. Thran parle avec intérêt à la guérisseuse, ses mains triturant le scanner bleu qui flotte toujours au-dessus de lui. Rocket et Tia ont étés rejoints par Artie avec qui ils discutent calmement, tandis que Mei et Sinedd sont penchés sur Sanja qui leur raconte quelque chose à grands renforts de gestes de mains et de bras.

A sa grande surprise, des cris brisent soudainement l'échange plein de bonne humeur, et Micro-Ice sent son corps entier se crisper. Son premier réflexe est de se tourner vers Mei qu'il voit tourner sur elle même puis, une seconde plus tard, la silhouette pourtant imposante de son meilleur ami est brusquement tirée en arrière pour laisser la voie libre à de nouveaux arrivants.

Leroy et Ican lui tombent dessus à grands renforts de larmes et de lèvres tremblantes, chacun bafouillant des phrases absolument incompréhensibles auxquelles il essaye de répondre tant bien que mal. Molly, Adri et Haan choisissent de passer leurs têtes par dessus le dossier du canapé, tandis que Kylian et Driss apparaissent du côté de l'accoudoir collé à sa tête. Il est très vite assaillit de questions et de commentaires qu'il entend difficilement à travers les pleurs bruyants des deux garçons qui s'accrochent à sa veste, alors Micro-Ice tente de rassurer tout le monde à la fois en ignorant les rires amusés de ses amis.

Si Sanja est encore à l'écart, il s'assure de lui adresser un sourire rien qu'a elle, et éclate de rire quand l'adolescente sursaute, puis sautille pour les rejoindre à son tour.


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Épilogue : Trois jours plus tard

Micro-Ice est réveillé par l'éclairage automatique qui lui brûle les yeux.

Un de ses bras se lève immédiatement pour venir lui protéger le visage pendant qu'il grogne d'inconfort. Le sommeil se dissipe doucement et il se laisse bercer pendant quelques instants le temps de réellement accepter que sa nuit est finie. Il se surprend à tendre l'oreille, cherchant les râles des enfants qui doivent-être tout aussi mécontents que lui de se faire réveiller.

Il met un moment à réaliser que s'il entend un moteur, et que la surface sur laquelle il est allongé est moelleuse, c'est parce qu'ils ne sont plus là-bas. Et donc que la majorité des kids ne sont plus avec eux non plus.

Tirant son bras de son visage avec un soupir, Micro-Ice penche la tête et se tourne vers la banquette qui fait face à la sienne. Les sièges de la navette ont beau être particulièrement spacieux, Mei est assise en boule dans un coin de la sienne, à moitié cachée sous un plaid et tournée vers la grande vitre qui se découpe juste derrière sa couchette improvisée. A travers la fenêtre en verre trempé, Micro-Ice devine un ciel gris au travers duquel plus aucune étoile ne se découpe, l'horizon galactique qui les a accompagnés jusqu'ici à présent bien cachée derrière les nuages. Comprenant qu'ils sont arrivés à leur destination, Micro-Ice se redresse doucement, serrant les dents quand ses côtes le brûlent et se penche vers sa propre fenêtre pour admirer la vue.

L'aile du vaisseau qui se dresse juste sous la vitre remue le vent avec force, créant des bourrasques où de de très fins flocons dessinent des lignes blanches. Plus bas, une vallée cerclée de plusieurs montagnes se découpe au milieu d'un océan de blanc, et il devine facilement les nombreuses habitations aux toits plus sombres. Un peu plus haut sur le col montagneux, le rectangle vert du stade contraste très fortement avec les tons plus froids qui l'entourent, et ce malgré la distance.

Micro-Ice regarde la neige tomber sur le paysage et se dit qu'il sera sûrement plus ému en le voyant depuis la terre ferme.

Se tournant à nouveau vers Mei, il voit que sa coéquipière est toujours absorbée par son observation alors il décide de la laisser tranquille. Pas très loin, sur une des banquettes plus proches du cockpit, Sanja a le nez plongé dans son téléphone, son visage plus éclairé par l'écran que par le plafonnier nouvellement allumé. La jeune fille lève les yeux quand il se tourne vers elle et lui offre un petit signe de main ainsi qu'un sourire avant de replonger dans son écran. La voir ainsi pousse Micro-Ice à passer une main dans la poche de sa veste pour en sortir son propre appareil, et s'il plisse les yeux quand l'écran s'allume avec une forte luminosité, il s'empresse de l'éteindre quand une bulle lui apprend qu'il a plus de trois cent notifications en attente.

Parce que oui, si la joie de retrouver leurs amis, le staff des Snow Kids et les Pirates a été intense, leurs retrouvailles ont été de très courte durée. Ce n'est pas qu'ils se sont fait expulser du Genèse Stadium, pas en ces termes en tout cas, mais la direction a préféré leur demander poliment de rentrer sur Akilian le temps que tout soit tiré au clair. Qu'ils aient été attaqués par les robots de sécurité à tort ou non. Il n'a pas tellement eu d'informations sur les détails, mais il sait que Sonny est déjà en train de démêler le vrai du faux auprès du Cercle des Fluides avec l'appui de la Technoïde et de Brim Simbra, et s'il n'est pas sûr que le chef des Pirates ait déjà retrouvé l'endroit d'où ils se sont échappés, il est persuadé que ça ne devrait pas tarder.

Par conséquent, les enfants qui vivaient sur le Genèse ont été rendus à leurs parents respectifs, et eux trois ont gentiment été renvoyés sur la planète glacée. Pas qu'il ne soit pas content de revoir sa planète natale et d'y retrouver sa mère, mais être forcé de quitter à nouveau ses amis après les avoirs retrouvés il y a si peu de temps lui laisse tout de même un goût amer.

Sans parler du fait qu'il a quelques inquiétudes à l'idée de revoir sa mère. Tout comme Mei d'ailleurs.

Ils n'ont parlé de leurs doutes à personne, et à vrai dire ils n'ont pas tellement eu le temps, tout comme ils n'ont pas eu le temps de dire au revoir aux enfants qui les accompagnaient ces cinq dernières années, ni passer un appel à leurs parents respectifs. Ils auraient pu en parler sur une des nombreuses conversations de groupe créées sur diverses applications, mais là encore, les Snow Kids, le Staff, les Pirates... Tous sont tellement contents de les revoir et de résoudre le mystère d'où ils étaient passés, et à cause de qui, que leurs annoncer les quelques angoisses et soucis qu'ils ont développé au cours des dernières années n'est pas tellement évident.

Et puis, Mei n'a rien dit, alors il n'a rien dit non plus.

Un bruit de moteur plus intense gronde dans l'habitacle, et Micro-Ice jette un regard vers la fenêtre pour constater que la navette qui les transporte a déjà atteint le niveau des montages. Devant lui, Sanja sort le nez de son téléphone et saute vers la fenêtre avec une exclamation de joie, et Mei et lui échangent un regard tendu.

Le reste de la descente est faite en à peine quelques minutes, et leur vaisseau se pose dans la neige avec un dernier vrombissement. La carlingue bouge à peine pendant l'atterrissage, témoignant du niveau technologique de l'appareil, et presque immédiatement la porte latérale s'ouvre pour les laisser descendre vers l'astroport d'Akilian. Sanja sort la première, bondissant vers la sortie avec un immense sourire tandis que sa coéquipière et lui ne bougent pas d'un pouce.

Des cris de joie résonnent à l'extérieur, et Micro-Ice s'interdit de jeter un regard par la fenêtre dans son dos, préférant plutôt se tourner vers Mei et entreprendre de se lever doucement. La grande brune l'imite et vient le tirer par le bras pour l'aider, le prenant comme excuse pour traîner un peu avant de mettre le nez dehors.

Finalement, les retrouvailles ne sont pas si terribles.

Sa mère lui saute dessus pour l'embrasser, passant du rire aux larmes toutes les deux phrases pendant que ses mains ébouriffent ses cheveux et que sa bouche parle toute seule. Il essaye de rendre l'enthousiasme autant qu'il peut, mais il ne peut s'empêcher d'attendre les réflexions sur son changement physique et sa ressemblance avec son père. Pourtant, sa mère parle sans s'arrêter pendant de longues minutes, et les commentaires ne viennent jamais. En jetant un coup d'œil sur le côté, il voit Sanja en pleine discussion avec ses parents, l'adolescente sautillant sur place pendant que son père lui tient la main et que sa mère l'écoute avec un sourire ému. De l'autre côté, Mei aussi est en pleine discussion avec sa mère, mais la grande brune sourit doucement en tenant sa mère dans ses bras, alors il estime qu'elle aussi ne voit pas ses peurs se réaliser.

Après ça, à nouveau, ils sont entraînés dans leurs familles respectives sans qu'on ne leur demande tellement leurs avis. La petite rouquine disparaît au détour d'une rue et oublie de se retourner pour leur faire un signe d'au revoir, et Mei suit ses parents vers la voiture qui les attend pour les mener jusqu'à leur maison en ville. Elle lui offre un dernier sourire crispé avant de disparaître dans le véhicule, et Micro-Ice sert un peu les dents en suivant sa mère sur la route du Planet Akilian.

Quelques clients sont présents dans le grand pub quand ils arrivent, et Micro-Ice a le droit à quelques accolades et quelques félicitations avant d'être tiré vers l'étage supérieur pour rejoindre l'appartement de sa mère. Là haut, elle lui raconte mille et unes histoires en même temps que de lui préparer tous les plats qu'il aimait tant quand il était petit. Sa génitrice parle pendant des heures, très peu perturbée par son manque de réponses, et visiblement très motivée à lui faire rattraper absolument tout ce qu'il a raté depuis sa disparition. Micro-Ice, lui, essaye de faire passer la boule de stress qui lui comprime la gorge, essaye de profiter des bons petits plats qui devraient lui apporter tant de bonheur, d'apprécier ce moment de retrouvailles qu'il a attendu et redouté depuis si longtemps, de se détendre enfin maintenant qu'il est de nouveau dans un cadre familier. Pourtant, il ne parvient qu'à afficher quelques sourires, relancer la conversation un minimum et manger ses assiettes avec autant de bonne volonté qu'il réussit à réunir.

La nuit tombe sans que sa mère ne fasse une seule réflexion sur sa ressemblance avec son père. Alors quand elle part se coucher, le laissant dans sa chambre d'ado pour qu'il y passe la nuit, il décide de ne pas aller dormir tout de suite. Il fouille son placard, ressort les vieux vêtements qui y sont encore et qu'il aimait tant, met le pantalon de ski mais garde sa nouvelle veste. Son collier orné de trois dents est posé sur le bureau, alors il l'enfile aussi, soupirant quand l'ivoire froid tombe sur son torse d'une manière qui lui paraît si réconfortante. Marchant doucement à travers l'appartement, il file vers la porte d'entrée en prenant garde à ne faire grincer aucune latte sous son poids. La décoration a très peu changée, mais il remarque tout de même que de nombreuses photos de lui se sont ajoutées au décors. D'ailleurs, juste en face de la porte qui s'ouvre sur l'escalier redescendant vers le Planet Akilian, il trouve plusieurs cadres où sa photo est côte à côte avec d'autres. Il redécouvre le visage de ses grands parents, la maison de famille qu'ils avaient avant la glaciation, sa mère jeune, son père comme il était juste avant qu'il ne disparaisse. Micro-Ice fixe la photo un long moment, puis sert les dents, ferme la porte derrière lui et descend les escaliers.

En bas, la salle grande salle du pub est vide et uniquement éclairée par les lampadaires qui brillent à l'extérieur, leur lumière filtrée par les baies vitrées. La porte d'entrée de l'établissement est fermée, et comme il ne trouve la clef ni sous le paillasson, ni sous le comptoir, il décide de passer par une des fenêtres de la cuisine, ignorant ses côtes quand elles se plaignent de ses cabrioles. Pourtant, il atterrit dans la neige à l'extérieur sans trop d'encombres, bien qu'avec très peu de grâce. Dehors, le froid mordant passe légèrement à travers sa veste et il se félicite d'avoir changé de pantalon quand il voit la poudreuse y adhérer avec facilité.

Après ça, il ne part pas bien loin. Micro-Ice fait quelques pas jusqu'à atteindre le haut des marches menant au Planet Akilian, s'assied sur la plus haute et laisse ses jambes reposer sur les marches inférieures. Sous la lumière jaunâtre du lampadaire, il prend le temps de respirer l'air glacé qui lui gèle les sinus et la gorge, et profite du calme reposant tout en savourant le fait qu'il soit là où il a décidé d'être.

La nuit noire autour de lui est à la fois familière et terriblement étrangère, alors au bout de quelques minutes d'observations en silence, il ne se surprend à sortir son téléphone de sa veste. Le message est envoyé dans la foulée, après quoi il attend tranquillement en observant les alentours. Il a vu ce décor des centaines de fois dans sa vie, pourtant tout le surprend un peu. Le ciel gris, les flocons gelés qui forment des glaçons contre les pierres. Les cris des rares animaux nocturnes. La buée qui sort de sa bouche. Son nez qui rougit de plus en plus fort. Dans les rues étroites d'Akilian qu'il surplombe depuis son perchoir, rien ne bouge. De rares flocons passent sous la lumière des éclairages, et le vent pousse la poudreuse contre les murs à certains endroits, mais l'endroit est désert, silencieux, calme.

Une ombre finit par passer sur une des bâtisses, et Micro-Ice se redresse pour suivre sa progression du regard, esquissant un sourire en reconnaissant la silhouette qu'il connaît bien. Mei traverse les rues à pas rapides, bifurque à plusieurs endroits et finit par apparaître en bas des escaliers qui montent jusqu'au Planet Akilian. Emmitouflée dans un gros manteau qui descend jusqu'à ses chevilles, elle monte les escaliers en laissant sa frange être balayée par le vent, tout comme sa longue natte qui vole dans son dos. Micro-Ice se décale, se collant contre la rambarde de droite pour laisser de la place à son amie pour qu'elle le rejoigne. Mei lui adresse un grand sourire dès qu'ils sont assez proches pour se distinguer à la lumière des lampadaires et vient directement s'asseoir à ses côtés, ne portant aucune attention à son manteau qui risque d'être ruiné par la pierre et la neige.

Ils passent quelques minutes sans rien dire. Leurs épaules collées l'une à l'autre pendant que le vent souffle doucement autour d'eux. Mei observe la ville à son tour, se redressant pour tourner la tête vers un endroit ou un autre, alors Micro-Ice l'imite pour l'accompagner. Quand il finit par parler, sa voix sort un peu douloureusement et est légèrement éraillée par le froid.

- Alors ? Bien passé ?

A ses côtés, Mei soupire, créant un grand nuage blanc en face d'elle. Ses épaules s'affaissent un peu, et pendant un instant Micro-Ice s'attend au pire, mais il se ravise en la voyant hocher la tête.

- Ça a été. Ma mère a passé l'après-midi à me parler de tout ce qui s'est passé dans ma famille ces cinq dernières années, mais mon père a bien aidé à rendre ça un minimum chaleureux...

- Pas de réflexions sur ta tenue ou tes cheveux alors ?

- Hmm. Nan, pas aujourd'hui en tout cas. Je crois qu'elle a faillit à plusieurs reprises, mais mon père lui a coupé la parole à chaque fois.

- Ça a l'air d'être quelqu'un d'avisé, ton père.

Mei ricane avec un sourire, le léger mouvement faisant tomber une mèche de cheveux coincée derrière son oreille.

- Avisé je sais pas, mais lucide, oui ! Il m'a vu partir de la maison tout à l'heure et il m'a mais signe de me dépêcher de filer avant que ma mère s'en rende compte...

C'est au tour de Micro-Ice de laisser échapper un éclat de rire en imaginant la scène.

- Un papa qualitatif !

- Le meilleur !

Micro-Ice hoche la tête et se tourne vers son amie, observant l'expression plus douce qu'à pris le visage de Mei en parlant du soutien de son père. Mei aussi se tourne vers lui, affichant un sourire avant de pencher la tête. Sa joue se coince dans le col de son manteau mais elle ne se dégage pas, continuant de le regarder en lui retournant la question.

- Et toi ? Ca s'est passé comment ?

- Bien ? Ma mère a parlé pendant au moins trois heures sans faire de pauses. J'ai rattrapé tous les potins du Planet Akilian et tous les détails des recherches qu'ils ont mené de leurs côtés. Un vrai moulin à parole, je sais de qui je tiens...

Mei sourit en soufflant du nez, laissant échapper un petit rire.

- Vous devez faire une sacré équipe tous les deux, j'avoue... Et sinon, des commentaires ?

- Des commentaires ?

- Sur ta ressemblance avec ton père ?

Micro-Ice laisse échapper un rire et baisse la tête, quittant le visage de Mei pour aller fixer ses chaussures couvertes de glace. Il repense un instant au cadre dans l'entrée de l'appartement et à toutes les fois qu'il a croisé son fichu reflet dans un miroir, et il laisse un autre rire passer ses lèvres. A ses côtés, Mei se penche un peu sur lui, mettant du poids sur leurs épaules qui se touchent.

- C'était si terrible que ça...?

Il y a de l'inquiétude dans le ton qui se veut doux, alors Micro-Ice secoue la tête, mordant sa joue pendant qu'il lui adresse un sourire.

- Elle m'en a pas parlé.

- Nan ?

- Non. Elle n'avait pas tellement de raison de le faire, au final.

- ... Comment ça ?

Il inspire un grand coup, laissant l'air glacé lui brûler les sinus, et souffle doucement pour faire blanchir le vent face à lui. Il répond d'un ton détaché, même s'il sait que la feinte ne fonctionnera pas avec Mei.

- Je lui ressemble pas tellement, en fin de compte.

- A ton père ?

- Ouais, j'ai revu une photo tout à l'heure, on est assez différents je crois.

Mei hoche la tête doucement et s'appuie sur lui davantage, tentant de lui transmettre un peu de réconfort à travers le contact.

- C'est drôle... Faut croire que c'était plus simple pour toi de phaser là-dessus que sur tout le reste...

- Je sais pas si c'est très "drôle", mais ouais, faut croire...

Mei éclate de rire et secoue vigoureusement la tête, son ton devenant bien plus rieur d'un seul coup.

- Mice ! On rentre après cinq ans, et au lieu d'être contents, toi t'as peur que ta mère te dise que tu ressembles à ton père et moi j'ai peur que ma mère me fasse une réflexion sur mes cheveux !

- Si t'es en train de dire qu'on est ridicules j'étais au courant, merci !

- Non mais sérieusement ! On devrait être contents !

Micro-Ice inspire un grand coup, et soupire avec un rire. Il sait qu'elle a raison. Il sait qu'ils devraient ignorer tout ça, se réjouir d'avoir réussi. Tout du moins, ils se doivent d'essayer.

- Tu veux que je te rase la tête ? Au moins t'es sûre que ta mère fera pas de réflexion dessus !

- On s'entre rase alors, histoire de marquer le coup ! Et toi, je t'emmène à un palais des glaces, ou- Non ! Dans un showroom de mode ! Je te jure que je vais te la faire apprécier ton apparence d'adulte ! Tu pourras plus jamais éviter de te regarder dans un miroir !

- Deal ! Mais j'ai mon mot à dire sur les fringues !

- Hors de question, laisse faire les gens qui s'y connaissent ! Et puis- Oh ! J'ai promis à Adri et Kylian de leur montrer les plateaux de publicité aussi ! On se fera une virée tous ensemble.

- Hmm... Faut que j'emmène Sanja s'acheter une peluche... Tu penses que Leroy ou Molly en voudront aussi ?

- Y a des chances. Et Ican et Haan voulaient aller voir le parc d'attraction du Génèse, non ?

- Ah, c'est vrai... On peut y trouver un palais des glaces tu crois ? Qu'on joigne l'utile et l'agréable ?

- Oh, on a qu'à tout combiner alors ! On te trouve tes nouvelles fringues là-bas, les peluches aussi, épreuves de miroirs pour tout le monde et montagnes Russes !

- Hmmm... Faut qu'on embarque Luur avec nous alors, Driss rêve de le rencontrer...

Mei éclate de rire, emmenant ses mains à son visage pour essuyer les quelques larmes qui font briller ses yeux. Pourtant, elle n'a pas l'air triste. Elle paraît même terriblement soulagée, lumineuse malgré le froid et la nuit noire, et son sourire est d'une sincérité qui lui transperce le cœur. Micro-Ice ne s'en rend pas compte, mais il est exactement dans le même état qu'elle.

- On continue, alors...? On fait toujours équipe ?

Son amie se tourne vers lui, sa joue et ses mèches sont poussées par le col de son manteau, mais les yeux humides le regardent avec affection.

- Qu'on soit ici ou là-bas... C'est pas parce qu'on s'en est sorti que tout est fini... J'ai pas envie de tout affronter toute seule, et je veux pas te voir le faire non plus.

- Pareil. On est d'accord, alors ? Deal ?

- Deal.

Micro-Ice tend une main et celle de Mei vient la serrer immédiatement, scellant leur pacte sans la moindre hésitation. La poignée de main est secouée bien plus vigoureusement que nécessaire, les faisant rire à nouveau. Ils ne rangent leurs mains dans leurs vestes respectives que lorsque le froid commence à les mordre, pourtant ils ne bougent pas davantage. Un silence confortable retombe entre eux, et Micro-Ice est convaincu qu'ils vont sûrement passer la nuit à observer la ville en discutant doucement quand sa voisine se redresse d'un coup, se penchant sur lui en lui attrapant le bras.

- Et au cas où c'était pas clair, je plaisantais quand j'ai dis que j'étais d'accord pour que tu rases mes cheveux, hein ? Tu le fais, je te jure que je te tue !

Ils passent les vingt minutes suivantes à se chamailler énergiquement, chacun remettant en cause l'inclusion de cette promesse dans le pacte qu'ils viennent de passer. Les surenchères s'accumulent jusqu'à ce qu'ils en rient aux larmes, et Micro-Ice commence à se dire que tant qu'ils seront là pour se serrer les coudes, tout ira bien pour eux.


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Pfiou.

C'était un sacré morceau... Sachez que j'ai mis du temps à l'écrire parce que j'avais plusieurs scénario de fin possible, et que j'ai eu du mal à trancher sur ce qui fonctionnerait le mieux... Et puis écrire le chapitre m'a pris un mois. Littéralement.

En tout cas j'espère que ça vous a plu ! Le dénouement tout autant que les relations entre les personnages !

Bref, des bisous, pensez à laisser une petite review si ce travail vous a plu, et on se dit à la prochaine ! :D

Wolf.