Tu m'apprendras… ?
Une nouvelle dynamique s'installe petit à petit entre Brianna et Stephen. Celle-ci cherche toujours à exposer ses crimes au grand public, mais le lien qui se tisse entre eux, la confiance qui naît, pourraient faire douter notre héroïne et la rapprocher toujours plus de son mari… hihi
Au risque de me répéter, n'hésitez pas à commenter ce chapitre. C'est ce qui me motive à continuer cette histoire, semaine après semaine, et je lis et réponds à chacun de vos petits mots avec un grand plaisir !
En attendant, voici un petit chapitre placé sous le signe de la mignonitude. J'espère que vous l'apprécierez !
Merci à Wizzette et Macki pour leurs reviews !
Macki : ahahahah le loup qui se fait passer pour un agneau revient dans ce chapitre, toujours plus sournois, mais aussi toujours plus irrésistible… Pauvre Bree, il y a de quoi perdre la tête… ) Merci pour ta review !
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20. What's Done Is Done
Le retour à River Run s'était quasi-intégralement fait dans un silence tendu. Brianna n'avait cessé de s'interroger sur les raisons qui avaient poussé Josiah à ne rien révéler de sa petite mission d'espionnage, et bien qu'elle semble hors de danger, le moindre bruit suspect, le moindre convoi de soldats croisé en chemin lui faisait redouter le pire. A cela s'ajoutait la perspective d'un complot qui aboutirait certainement sur un massacre, sa cheville qui lui faisait un mal de chien, le regard inquiet de Stephen qui ne la quittait plus et le manuel de grammaire qui après inspection s'avérait être uniquement un manuel de grammaire – si bien qu'avant même d'avoir parcouru la moitié du trajet, elle avait rongé l'intégralité de ses ongles.
A mi-parcours, alors qu'ils s'arrêtaient pour abreuver les chevaux, Stephen avait plongé les bandages de Bree dans le ruisseau pour les rafraîchir, avant de les replacer – agréablement glacés – autour de son pied. Ses gestes lents et adroits ne suffisaient cependant pas à détourner l'esprit de la jeune femme de ses sombres pensées, et après avoir reposé délicatement son pied sur le plancher du carrosse, il s'assit sur la banquette à ses côtés. Et c'est finalement le contact de son pouce doux et chaud sur son menton qui ramena Brianna à la réalité.
« Tout va bien se passer, mon cœur… », murmura-t-il, tandis que les yeux de son épouse se remplissaient de larmes. « Les dés sont jetés et tu as fait tout ce que tu pouvais… le reste n'est plus sous ton contrôle. »
« Peut-être pourrait-on aller directement à Fraser's Ridge ? », supplia-t-elle en se tournant pour être face à lui.
« L'hôtel a fait partir son messager dans la nuit, ils ont des relais avec des chevaux frais et reposés à des points stratégiques partout dans la Colonie, tout comme les services postaux. Quoi qu'il arrive, nous arriverions plusieurs jours après lui et il serait trop tard. » Il avait dit tout cela d'une traite, d'une voix feutrée et apaisante, de la même façon qu'on murmure à l'oreille d'un cheval apeuré. « A moins que tu ne connaisses quelqu'un plus près de chez nous, que tu pourrais avertir ? »
Stressée comme elle l'était, Brianna ne comprit même pas l'utilité cachée de cette question. Elle réfléchit un instant, puis secoua la tête en signe de dénégation. « Non, personne… Comment sais-tu qu'il sera trop tard ? Tu ne m'as pas donné de date exacte… »
« La date du prochain assaut m'est inconnue car malgré mes accointances avec Lord Tryon, les informations militaires demeurent hors de ma portée… », souffla-t-il en caressant sa joue. Ça, au moins, ce n'était pas un mensonge. « Je sais seulement que c'est imminent. »
Brianna hocha la tête, les lèvres pincées et ne protesta même pas lorsque Stephen l'attira contre lui pour poser sa tête sur son épaule.
« Je n'ose imaginer ta détresse en ce moment-même… et tu ne vas pas aimer ce que je vais dire, mais tout ce qu'il reste à faire, c'est attendre. »
Elle ne l'aurait pas avoué sous la torture, mais cette étreinte inhabituellement douce lui faisait du bien, réchauffant son cœur et son corps glacés. Il avait raison, de surcroît : elle n'aurait le temps de rien faire de plus que ce qu'elle avait déjà fait. A une autre époque, un appel téléphonique, un télégramme ou un fax auraient pu changer la donne mais ici, en 1774, il n'y avait aucune autre solution. L'envie soudaine d'agripper quelque chose lui fit inconsciemment lever la main et ses doigts se refermèrent sur un pan de la veste de Stephen, quelques centimètres en-dessous de son cœur. Y en avait-il seulement un, sous cette masse de muscles et d'os ? – et pour s'en assurer, Brianna fit glisser sa main un peu plus haut, presque soulagée de sentir l'organe battre régulièrement sous sa paume.
« Alors, Docteur, est-ce que tout fonctionne bien là-dedans ? », railla-t-il à mi-voix, la faisant sursauter. Elle voulut s'écarter de son torse, mais il tint bon, la maintenant serrée contre lui avec un rictus narquois. Peu à peu, le sarcasme laissa toutefois la place à un sourire bienveillant et il pencha la tête sur le côté pour mieux voir son visage. « Rassurée ? »
Brianna laissa échapper un rire nerveux, mais ne dit rien, laissant le bruit des sabots des chevaux répondre à sa place. Il fut un temps où elle aurait détesté qu'il lise en elle aussi facilement. Mais pas aujourd'hui. Et c'est lovée entre les bras de Stephen Bonnet qu'elle se laissa sombrer dans un sommeil agité jusqu'à la fin du voyage.
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Trois jours entiers s'écoulèrent dans l'angoisse la plus totale, tandis que Stephen faisait au contraire preuve d'une patience inébranlable. Le premier matin, alors qu'ils prenaient leur petit-déjeuner avec Jeremiah, Hennessy avait apporté la gazette locale à l'Irlandais comme à son habitude. Ses faibles compétences de lecture ne lui permettaient pas de la lire intégralement. En général, il se contentait de déchiffrer les titres, puis de sélectionner les articles qui l'intéressaient réellement. Brianna avait donc longuement trépigné sur sa chaise jusqu'à ce qu'il lui abandonne le journal avec un signe de tête négatif. Elle ne doutait pas qu'une telle offensive contre les Régulateurs ferait les gros titres en cas de victoire, si bien que chaque exemplaire déposé, chaque messager passant les portes de River Run, la rendaient un peu plus fébrile. Les seuls instants de calme étant ceux qu'elle passait la nuit dans leur lit récemment remis à neuf, emmaillotée entre les bras massifs du pirate comme un nourrisson terrifié dans sa couverture.
Le troisième matin, alors que Stephen tendait la main vers la gazette, Brianna fut plus rapide et la subtilisa, faisant ensuite le tour de la pièce tout en parcourant les articles des yeux.
« Laisse-moi au moins une page ou deux, pour patienter… », grommela Stephen, tandis que Hennessy suivait Brianna des yeux et remplissait sa tasse de tisane apaisante. Deux grandes feuilles furent aussitôt jetées à son visage, atterrissant mollement sur son assiette de scones à la confiture. Avec un long soupir, il les étendit devant lui, tombant sur les avis de décès. « Fabuleux… », grogna-t-il en retournant la sinistre rubrique pour passer cette fois à la publication des bans.
Brianna venait de repasser une nouvelle fois derrière son dos, boîtant toujours du côté de sa cheville foulée – grommelant à chaque page qui parlait de Tryon et soupirant de soulagement lorsqu'elle ne voyait ni mention de celui-ci ni des Régulateurs.
« Oh, chérie, regarde ça… Miss Elizabeth Swann s'apprête à épouser un certain William Turner… Tu les connais ? » Pas de réponse. « Moi non plus. Mais félicitations à eux, je suppose… même si clairement, ils ne savent pas dans quoi ils s'engagent. »
Son sarcasme fut totalement ignoré et il en fut un peu déçu. Brianna continua de faire les cent pas quelques minutes, puis souffla bruyamment tout en essayant de refermer le journal correctement. Mais les encombrantes pages ne se laissaient pas dompter aussi facilement et elle finit par chiffonner le tout pour le déposer – ou plutôt l'écraser – près du couvert de Stephen.
« Rien », assena-t-elle, tandis que son mari fixait le journal effeuillé comme on regarde une bête agonisante sur le bord d'une route. Retenant un soupir, il tendit le bras pour remettre les pages en ordre pendant que Brianna se laissait tomber sur sa chaise, sous le regard interloqué de Jeremiah, et portait sa tasse à ses lèvres. Avant de grimacer. « Pouah… Encore cette tisane imbuvable ? Bon sang, mais qui faut-il culbuter dans cette maison pour avoir un foutu thé ? »
De l'autre côté de la table, Stephen haussa les sourcils et dodelina de la tête, comme si à ses yeux la réponse était évidente, mais Brianna ne le vit même pas.
« Mamaaaaan, ça veut dire quoi 'culbuter' ? », fit une petite voix sur sa droite.
Un gloussement lui parvint du côté de Stephen, qui disparut derrière son journal. « Quelque chose que Papa aimerait beaucoup que Maman fasse plus souvent. »
« Je n'ai pas dit, 'culbuter', Jem, j'ai dit 'buter' qui est un synonyme du verbe 'tuer' », déclara fièrement Brianna tandis que le haut du journal retombait légèrement, dévoilant deux yeux verts mi-furieux, mi-amusés par ce trait d'humour qu'il n'avait pas vu venir. Jeremiah quant à lui, semblait soudain troublé par la dernière phrase de son père.
« Papa, pourquoi tu veux que Maman te tue souvent ? »
« Bonne chance pour répondre à celle-là », marmonna Brianna en dissimulant son sourire dans sa tasse. Il n'eut cependant pas à le faire. Lloyd venait de se présenter à la porte de la salle à manger et faisait signe à Hennessy. Brianna tendit aussitôt le cou pour voir ce que le jeune homme lui glissait entre les mains et se leva de sa chaise lorsque Hennessy remit le message à Stephen.
« Qu'est-ce que c'est ? »
Stephen brisa le sceau de cire et déplia la lettre, fronçant les sourcils pour en déchiffrer les trois uniques mots qu'elle contenait, à savoir la date du jour. Derrière son épaule, il entendit Brianna retenir son souffle et lui jeta un regard en coin.
« Qui t'a envoyé ça ? », demanda-t-elle d'une voix blanche.
« Un de mes hommes qui s'est enrôlé dans la garde de Tryon… Je surveille toujours les gens avec qui je travaille, mon cœur. » La voyant pâlir et se tordre les doigts nerveusement, il jeta le message sur le journal et se leva pour l'attirer contre lui. « Je vais rester avec toi, aujourd'hui. Nous attendrons d'en savoir plus ensemble… »
Brianna leva les yeux vers les siens, à la recherche d'une quelconque trace de malice ou de mensonge mais encore une fois ne trouva rien. Rien d'autre que de l'inquiétude, de la douceur et elle sentit son cœur s'emballer. Avait-il vraiment retenu la leçon après Roger ? Renonçait-il pour de bon à lui faire du mal, même par inadvertance ? En tous cas, c'est ce qu'elle avait envie de croire lorsqu'il déposa un chaste baiser sur ses lèvres entrouvertes, sans chercher à aller plus loin.
« Que dirais-tu d'aller nous promener tous les trois à Cross Creek… ? Cela nous changera les idées et il faut que tu refasses marcher cette cheville », proposa-t-il avec un sourire enjôleur. Brianna ouvrit la bouche pour refuser, mais il saisit son menton à deux doigts. « … Et pas en tournant simplement en rond dans notre salon. »
« Oh oui, Maman ! Je veux aller voir le monsieur qui a les poules à C'oss C'eek ! », renchérit Jeremiah en quittant la table pour sautiller sur place à ses pieds. « Steuplait, steuplait, steuplait ! »
Brianna baissa les yeux sur son fils, qui la suppliait les mains jointes sous son petit menton, puis les dirigea vers un Stephen au sourire triomphant. Il savait qu'il avait déjà gagné et elle ne pouvait pas nier qu'un peu de temps hors de ces quatre murs lui ferait le plus grand bien. Comme il l'avait dit quelques jours plus tôt, les dés étaient jetés…
« D'accord », soupira-t-elle tandis que Jeremiah sautait en l'air comme un fou et que Blue se mettait à japper pour partager l'excitation de son jeune maître.
Après une petite heure de trajet en carrosse avec un Jeremiah survolté, Brianna s'extirpa de l'habitacle – immédiatement saisie par la taille par Stephen qui refusait toujours qu'elle saute de trop haut. Avec une facilité déconcertante, il la déposa à terre comme si elle ne pesait pas plus lourd que leur fils, puis lui offrit galamment son bras. Le soleil brillait déjà haut dans le ciel sans nuages et Brianna prit une longue inspiration, appréciant la caresse du vent printanier sur son visage et sentant ses angoisses s'amenuiser un peu plus à chaque pas. Elle était sur le point de se laisser aller à sourire lorsqu'un « Bonjour, Mr. Bonnet ! » tonitruant retentit sur leur passage. Stephen leva une main en guise de salut avant de capter le regard interrogateur de Brianna.
« Oh, c'est un des fermiers à qui j'ai vendu une parcelle de River Run », lâcha-t-il distraitement tout en admirant le forgeron local en train de réaliser ce qui ressemblait à un long poignard, à grand coups de marteau. Brianna hochait la tête d'un air entendu lorsque ce fut le tour du vendeur de légumes, installé dans la maison voisine du forgeron, de les saluer chaleureusement.
« Bonne journée à vous, Mr. Bonnet ! »
Encore une fois, Stephen se fendit d'un sourire et esquissa un signe de la main, ignorant superbement les sourcils de Brianna qui se fronçaient progressivement.
« Tu lui as vendu des terres à lui aussi ? », demanda-t-elle, sarcastique.
« Non. Mais figure-toi que ta tante faisait venir la quasi-totalité de sa nourriture de Virginie… En ce qui me concerne, je préfère de loin me fournir chez les bonnes gens de la région. Ils sont bien moins onéreux et… ça crée des liens. Je te présente donc le fournisseur officiel de fruits et légumes de River Run. »
Bien entendu, le manège ne s'arrêta pas là. Ils furent salués tour à tour par le cordonnier, l'éleveur de porc qui passait par là faire quelques emplettes et le joaillier, qui avait déjà quelques parures de Brianna à son actif. Quant à Stephen, son sourire s'agrandissait à chaque salut et elle finit par lui demander, la voix dégoulinant de sarcasme :
« C'était donc ça, le but de cette visite ? Que je voie à quel point tu prends soin de l'économie locale ? »
Stephen s'esclaffa discrètement et jeta un regard tout autour de lui avant de se tourner de nouveau vers sa femme. « Absolument rien de tout ceci n'était prévu, crois-moi, mon cœur. Mais je suis plutôt satisfait de cette petite balade… »
« Je n'en doute pas… », soupira Brianna alors qu'un « Monsieur Bonnet ! » retentissait de nouveau dans son dos. « Allons bon, qui est-ce cette fois ? »
Alors qu'elle se retournait en direction de l'homme qui venait de parler, le bâtiment qui lui faisait face lui sembla étrangement familier, tout en étant différent. Le rez-de-chaussée avait été entièrement réaménagé pour y installer des étals, lesquels regorgeaient de pains et pâtisseries en tous genres. Elle mit plusieurs longues secondes à se rappeler pourquoi elle avait la sensation d'être déjà venue et c'est le regard en coin de Stephen qui lui rafraîchit la mémoire. Forbes… C'était l'étude de Maître Forbes… Avec un frisson, l'image de Stephen arrivant sans prévenir dans la salle d'attente et la jaugeant avec son air perfide et libidineux s'imposa dans son esprit. Oui, c'était bien ici qu'elle avait tenté de solliciter l'aide de l'avocat, avant de réaliser qu'il représentait déjà son opposant. Mais l'étude (à l'instar de son propriétaire) avait disparu, remplacée aujourd'hui par une boulangerie.
« Oh vous avez amené votre épouse ? », s'exclama le boulanger avec un sourire radieux avant de se pencher vers Jeremiah. « Je vois maintenant d'où ce petit bonhomme tient ses jolis yeux bleus… »
« Je peux avoir une part de tarte, comme la dernière fois, Monsieur ? », demanda Jeremiah avec un grand sourire.
« S'il-vous-plaît », corrigea Stephen, mais le boulanger se fichait pas mal de la politesse, tant qu'il pouvait gâter le garçonnet avec l'une de ses réalisations. Jeremiah répéta néanmoins la formule d'un air contrit.
« À quoi tu la veux, cette part de tarte ? Aujourd'hui, j'ai citron, pommes, poires et myrtilles », demanda l'artisan en se penchant vers l'enfant.
Un doigt dans sa bouche, Jeremiah réfléchit longuement en se dandinant. « Hmmm… Pommes ! Non, myrtilles ! »
« C'est ton dernier mot ? »
Jem hocha vigoureusement la tête, sautillant sur place lorsque l'homme découpa une part de gâteau et la lui tendit.
« Merci, Monsieur, merci ! », s'écria-t-il avant de mordre dedans sans la moindre hésitation. Derrière Jemmy, Brianna ne put s'empêcher de se sentir légèrement mal à l'aise. C'était donc là que Stephen avait emmené Jeremiah lorsqu'elle était 'souffrante' ? Tissant des liens avec la population et jouant les pères modèles ? Elle devait avouer qu'il avait fichtrement bien réussi son coup…
« Puis-je offrir quelque chose à votre dame ? », demanda le boulanger à l'Irlandais, qui se tourna vers Bree, les yeux légèrement plissés. Il sentait son inconfort à des kilomètres à la ronde et Brianna dut se secouer pour répondre normalement.
« C'est très gentil à vous, mais vous n'êtes pas obligé… », protesta poliment la jeune femme, mais l'homme balaya son refus d'un revers de la main.
« J'insiste, ça me fait plaisir… »
« Alors, je vais goûter ceci… » Elle désigna du doigt un petit gâteau en forme de coque de bateau, légèrement renflé sur le dessus.
« Ah, les madeleines… Elles sont très populaires en France, à la cour du Roi Louis XV. Tenez… », fit-il en déposant une madeleine dans le creux de sa main et elle le remercia d'un signe de tête, rougissante.
« Merci… »
Elle attendit que Stephen ait choisi lui-même une part de tarte, guerroyé quelques minutes avec le boulanger qui refusait de le faire payer, et se soit éloigné de l'étal pour hausser un sourcil inquisiteur.
« C'est moi qui lui ai vendu le local », répondit le pirate avant même qu'elle ait eu le temps de poser la question.
« Le 'local'… tu veux dire l'ancienne maison de Neil Forbes ? »
Stephen lui jeta un regard agacé tout en mordant dans sa tarte. « Les gens du coin n'en voulaient pas. Je lui ai fait un bon prix, il avait besoin d'un endroit spacieux pour installer sa boulangerie. »
« Et toi tu avais besoin d'un gros four pour faire disparaître ses dossiers… », railla-t-elle du tac-au-tac. Elle avait dit ça pour plaisanter mais au rictus qu'il esquissa soudain, elle réalisa qu'elle ne devait pas être très loin de la vérité.
« Disons… qu'il s'agit là d'un échange de bons procédés. »
Sous ses yeux sidérés, il engloutit sa tarte avec un air goulu et Brianna secoua la tête en soupirant. « Eh bien, je suppose qu'on a gagné au change : Forbes n'aurait jamais su faire des madeleines aussi délicieuses… »
Cette fois, c'est un rire authentique qui s'échappa de la bouche pleine de son mari et elle se demanda un instant si c'était bien chrétien de plaisanter ainsi de la mort d'un homme, aussi haïssable qu'il fut. D'autant plus lorsqu'elle était celle qui l'avait gravement blessé et que Stephen était celui qui l'avait probablement achevé. Leurs regards se croisèrent un instant et l'éclair de complicité qui brillait dans ses iris verts amena un étrange sentiment de sécurité dans le cœur de Brianna. Comme s'il lui assurait de la protéger en toutes circonstances, même lorsqu'elle défonçait la mâchoire d'un notable à coups de marteau. Gênée, elle se détourna, feignant de chercher Jeremiah pour s'assurer qu'il ne s'éloignait pas trop.
La journée s'écoula comme dans un rêve, presque trop parfaite pour être réelle et Brianna ne pouvait s'empêcher de redouter le retour à la réalité. Non pas la réalité de son mariage avec Stephen – cela, elle s'y était habituée – mais une réalité dans laquelle sa lettre n'avait jamais atteint sa destination et où les Régulateurs étaient en train de mourir les uns après les autres en ce moment même. A plusieurs reprises, Stephen avait dû sentir son désarroi, car il avait lâché son bras pour s'emparer de sa main et caresser celle-ci de son pouce avec la plus grande douceur, au point parfois de faire monter les larmes dans ses yeux. Elle ne savait pas s'il était sincère ou s'il profitait juste de sa vulnérabilité pour gagner du terrain dans son cœur, mais le constat était sans appel : sans lui et ses gentilles attentions pour détourner son esprit du drame qui se jouait sur un champ de bataille à des dizaines de kilomètres de là, elle aurait probablement sombré dans l'hystérie.
À la nuit tombée, alors qu'elle venait de se glisser dans leur lit, Brianna avait soudain pris conscience que la réponse à toutes ses questions serait probablement à la une du journal du lendemain. Et bien qu'elle ait passé trois jours entiers à piaffer d'impatience, savoir l'échéance proche faisait naître une terreur sourde au fond de son cœur. Elle aurait tout donné pour un instant de répit – oublier l'attente, oublier l'angoisse – si bien que lorsque Stephen vint quémander un instant de tendresse, elle se jeta à corps perdu entre ses bras en espérant ainsi s'épargner quelques dizaines de minutes de torture mentale. Le sexe fut à l'image de cette journée : doux et rassurant, presque thérapeutique – au point qu'elle renonçât même à se flageller intérieurement d'en avoir apprécié chaque instant.
Le lendemain matin, alors qu'elle émergeait doucement du sommeil, son premier réflexe fut de faire glisser sa main sur le matelas, cherchant le corps chaud de Stephen pour s'y blottir une dernière fois avant le moment de vérité. Mais ses doigts ne rencontrèrent que les draps froids et vides. La mort dans l'âme, elle s'extirpa doucement du lit et se prépara pour descendre prendre son petit-déjeuner. Arrivée en haut de l'escalier, elle vit Stephen de dos dans le hall d'entrée, aux côtés de Hennessy qui avait l'air encore plus grincheux que d'habitude.
« Comment je suis censé lui annoncer ça… », entendit-elle Stephen gronder à voix basse.
Le sang de Bree ne fit qu'un tour et d'une voix forte, elle signala sa présence dans l'escalier. « M'annoncer quoi ? »
Les deux hommes sursautèrent et se retournèrent en parfaite synchronisation. Stephen n'avait pas vraiment besoin de parler, à vrai dire. Tout dans son regard fuyant et inquiet, sa mâchoire serrée et le journal qu'il tenait entre ses doigts crispés suffisait à Brianna pour comprendre que leur plan avait échoué. En contrebas, Stephen replia machinalement le journal et la gravure imprimée sur la première page acheva de répondre aux derniers questionnements de la jeune femme. Le portrait de Murtagh – aisément identifiable puisqu'il s'agissait de la même illustration que sur son avis de recherche placardé aux quatre coins de la Colonie – s'étalait à la une et ses yeux se brouillèrent immédiatement de larmes.
« Brianna… », fit la voix de Stephen tandis qu'elle secouait la tête et fermait les paupières.
Deux larmes chaudes s'en détachèrent pour rouler sur ses joues, les premières d'une longue série. Murtagh… Elle n'osait imaginer la peine qui devait en ce moment même endeuiller Fraser's Ridge. Elle pensa à Jamie, qui venait de perdre son parrain et ami. À Jocasta, qui perdait un amant et probablement le seul homme qu'elle ait jamais vraiment aimé, elle qui ne se mariait toujours que par convenance. Aux Régulateurs, dont les rangs devaient être fortement décimés et dont la capitulation était certainement proche, comme elle l'avait appris dans ses livres d'Histoire. Sa mère l'avait prévenue à de nombreuses reprises. On ne pouvait pas changer le passé. Sauver le destin d'une ou deux personnes, pourquoi pas… Mais les grands événements de l'Histoire étaient inéluctables, quels que soient les efforts déployés pour les empêcher.
Elle fit volte-face, bien décidée à remonter dans leur chambre pour laisser libre cours à ses larmes et peut-être évacuer sa colère et son sentiment d'impuissance sur le mobilier. Mais les bottes de Stephen retentirent bientôt derrière elle et elle pressa le pas pour lui échapper.
« Brianna ! »
La jeune femme s'apprêtait à claquer la porte de leur chambre lorsque la main de Stephen se glissa entre le panneau et le chambranle, grognant une juron en gaélique lorsque le bois écrasa ses phalanges.
« Laisse-moi… », supplia-t-elle en enfouissant son visage dans ses deux mains. Elle ne voulait pas créer un énième drame, une énième dispute tout ce dont elle avait besoin en cet instant était de calme et de solitude pour faire son deuil. Accepter de n'avoir rien pu empêcher. Les bras de Stephen l'enveloppèrent et elle leva ses yeux rougis vers les siens. L'Irlandais la dévisageait avec inquiétude et tristesse, les sourcils légèrement froncés. Mais cela ne suffisait pas… Brianna avait besoin de lui demander une dernière fois. Elle devait en être sûre…
« Tu l'as envoyée, n'est-ce pas ? La lettre… », murmura-t-elle, tandis que les larmes continuaient de couler sur ses joues. « Tu me jures que tu l'as envoyée ? »
Les secondes qui suivirent lui parurent interminables. Lentement, Stephen glissa une main sur sa joue gauche, essuyant ses larmes de son pouce. Aucune trace de culpabilité dans son regard, il n'essayait ni de se soustraire à ses questions, ni de détourner son attention. Et pour la première fois depuis qu'ils étaient mariés, Brianna eut l'intime conviction qu'il ne lui mentirait pas.
« Je te le jure. »
À travers ses larmes, Brianna esquissa un sourire douloureux et hocha la tête, avant de la poser contre le torse réconfortant de son mari et de laisser libre cours à son chagrin.
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Je sais ce que vous allez dire… Comment peut-elle lui faire confiance après tout ce qu'il lui a fait subir ? La réponse est simple : sa vulnérabilité est au maximum et Stephen a su inconsciemment quand se transformer en mari irréprochable pour en tirer le meilleur parti. Certes, il s'enlise dans son mensonge mais en attendant, Brianna le croit et se repose de plus en plus sur lui pour retrouver une certaine stabilité mentale et émotionnelle… Et cela pourrait bien faire pencher la balance en faveur de Stephen.
Comment avez-vous trouvé ce chapitre ? Les petits moments en famille, les piques que Stephen et Brianna s'envoient de plus en plus, la balade à Cross Creek et le comportement du pirate ?
Une surprise vous attend dans le prochain chapitre ! En effet, nous nous approcherons du mois de mai et les lecteurs attentifs devineront peut-être le(s) événement(s) à venir…. Hihi
Il sera publié le 18 décembre, soit peu avant Noël et ce sera aussi le dernier chapitre de l'année 2022 ! D'ici là, j'ai hâte de lire vos commentaires et je vous souhaite un bon mois de décembre !
Xérès
