Chère Lyla,


Les nobles de toute l'Angleterre qui s'étaient rassemblés dans ce château au bord de la mer étaient, pour une fois, des gens bons vivants et énergiques. Un peu trop, mais Gilles n'allait pas se plaindre de trouver une accalmie au milieu des regards ouvertement désapprobateurs, chuchotements et autres rictus condescendants qu'on lui adressait en cas d'impair.

Ces seigneurs-là étaient assez jeunes. Un peu plus vieux que lui, un peu moins âgés que Robin, et le roi Richard appréciait ces chevaliers pour leur fraîcheur. Ils organisaient toutes sortes d'activités inédites dans le château de leur souverain, comme ce pique-nique improvisé à minuit sur la plage.

« Retire tes chausses, lança Robin à son frère. »

-Tu es sûr ? demanda le jeune homme, accroché au bras de son aîné. »

Il se souvenait encore de la brûlure du sable sous ses pieds.

« Oui, la nuit a refroidi le sol, expliqua son frère. »

Il se pencha pour donner l'exemple et attendit lorsque Gilles l'imita. Les deux frères traversèrent la plage et, presque par réflexe, le cadet remua ses orteils dans le sable doux et soyeux. Il rougit lorsque son frère lui sourit.

Les autres nobles les attendaient et les domestiques avaient déballé les provisions pour le pique-nique : du poisson et des fruits de mer, que Gilles n'avait jamais eu l'occasion de goûter, ainsi que du vin blanc. Il n'était pas sûr de trop aimer la saveur de ces aliments nouveaux et riches, mais il s'efforça de leur faire honneur. Quand il s'agit d'ouvrir les coquillages les plus réfractaires à l'aide d'un couteau, il fit forte impression en maniant sa lame comme personne, décoinçant la coquille des huîtres et autres bernacles presque sans réfléchir.

Bien sûr, ces jeunes seigneurs avaient beau être affables, ils restaient des aristocrates puissants et sûrs d'eux. Quand on lança l'idée d'une baignade dans la mer, le refus de Gilles passa pour de la couardise.

« Il n'y a pas de sirènes si près du rivage, se moqua l'un d'eux. Il en faudrait, pourtant, de telles demoiselles pour venir vous insuffler un peu plus de folie.

-Dieu merci, il m'a été épargné d'avoir un frère qui se soucie davantage de ce que pensent ses pairs plutôt que ce que lui souffle son instinct, rétorqua Robin. Autrement, il se serait mis, lui aussi, dans de beaux pétrins. Amusez-vous donc bien tous ensemble, si vous le souhaitez. Gilles et moi, nous allons nous promener un peu. »

Il entraîna son cadet jusqu'à une autre partie de la plage et, lorsque celui-ci lui demanda :

« Mais pourquoi ? Je suis sûr que tu aimes t'amuser dans les vagues. », il répondit :

« Tu n'es pas encore assez à l'aise pour rester seul pendant ces fêtes nobiliaires. Mais ça viendra. »

Le reste de la soirée, Gilles la passa donc à le suivre pendant qu'il lui ramassait de superbes conques blanches et roses et à apprendre, avec lui, à faire la planche dans les vagues les plus douces.


Bisous,

Daisy.