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Chronique tirée du tome 2 originel, comme beaucoup d'autres qui vont suivre une intrigue parallèle qui finira par rejoindre la trame principale à la fin de la troisième partie.
22 – Un trio séparé par la guerre
Cycle I – Tome 3 : Dessel (#11)
Rattachée au chapitre n°70 : Apprendre à se connaître
Darovit progressait d'un pas chancelant entre les cadavres qui jonchaient le champ de bataille, et son esprit était anesthésié par la peine et l'horreur. Il reconnaissait un certain nombre de ces morts – certains servaient le Côté Lumineux de la Force et étaient alliés des Jedi, d'autres étaient des laquais des Sith et avaient épousé la cause du Côté Obscur –, et même dans son présent état de stupeur, Darovit ne pouvait s'empêcher de se demander à quel camp il appartenait.
Quelques mois plus tôt, il répondait encore à son nom de jeunesse, Tomcat. À cette époque, il n'était qu'un gamin de treize ans, brun et mince, qui vivait avec ses cousins Rain et Bug sur le petit monde de Somov Rit. Ils avaient entendu de vagues échos concernant la guerre sans fin opposant les Jedi et les Sith, mais jamais ils n'auraient pensé qu'elle finirait par influencer leur paisible et ordinaire existence... jusqu'à ce que l'éclaireur Jedi entre en contact avec Root, leur gardien attitré.
Le Général Hoth, chef de l'Armée de la Lumière, recherchait désespérément de nouveaux candidats Jedi, leur avait expliqué l'éclaireur, et les enfants confiés aux bons soins de Root avaient montré une affinité certaine avec la Force.
Tout d'abord, Root avait refusé net. Il avait fait valoir que ses élèves étaient bien trop jeunes pour participer à un tel conflit, mais l'éclaireur avait insisté. Finalement, parce qu'il s'était rendu compte que si les enfants ne rejoignaient pas les Jedi, les Sith risqueraient fort de venir les enlever pour les enrôler de force dans leur camp, Root s'était laissé fléchir. Ce fut donc en compagnie de l'émissaire Jedi que Darovit et ses cousins avaient quitté Somov Rit, à destination de Ruusan. Sur le moment, ils avaient cru que c'était là le commencement d'une grande aventure.
Aujourd'hui, Darovit avait sérieusement révisé ce jugement.
Trop d'événements s'étaient produits depuis leur arrivée sur Ruusan. Tout avait changé, et le jeune homme – car il avait traversé trop d'épreuves au cours des dernières semaines pour être encore qualifié d'enfant – n'y comprenait rien.
Lorsqu'il avait débarqué sur cette planète, il était plein d'espoirs et d'ambition. Il rêvait de se couvrir de gloire en aidant le Général Hoth et son Armée de la Lumière à vaincre les Sith qui servaient la Confrérie des Ténèbres du Seigneur Kaan, mais il n'y avait eu aucune gloire à glaner sur Ruusan – du moins, pas pour lui, ni pour ses cousins.
Rain était morte avant que leur vaisseau ne touche le sol de la planète. Ils étaient tombés dans une embuscade tendue par une escadrille de Buzzards Sith, juste après être entrés dans l'atmosphère, et la queue de leur appareil avait été pulvérisée dans l'attaque. Pétrifié d'horreur, Darovit avait vu Rain être balayée par l'explosion, littéralement arrachée de ses bras, avant de plonger vers une mort certaine, des centaines de mètres plus bas.
Son cousin Bug avait péri quelques minutes plus tôt, victime de la bombe psychique, son esprit consumé par le terrible pouvoir de l'arme ultime et suicidaire du Seigneur Kaan. À présent, il n'était plus, à l'instar de tous les Jedi et de tous les Sith. La bombe psychique avait détruit tout être vivant suffisamment fort pour manier le pouvoir de la Force. Tous, à l'exception de Darovit – et cela, il ne parvenait pas à le comprendre.
En fait, rien sur Ruusan n'avait de sens pour lui, rien ! Il était arrivé en croyant voir la légendaire Armée de la Lumière dont il avait tant entendu parler dans les histoires et les poèmes, ces Jedi héroïques qui défendaient la galaxie contre le Côté Obscur de la Force. Au lieu de quoi, il avait découvert des hommes, des femmes et d'autres créatures qui combattaient et mourraient comme de simples soldats, dans la boue et le sang du champ de bataille.
Il s'était senti trompé, trahi. Tout ce qu'il avait entendu sur les Jedi n'était qu'un tissu de mensonges. Ce n'étaient pas des héros resplendissants. Leurs vêtements étaient crasseux, et sur leur campement, planait l'odeur de la sueur et de la peur. Et ils perdaient ! Ceux qu'il avait rencontrés sur Ruusan étaient abattus et découragés, épuisés après la succession apparemment sans fin d'affrontements contre les Sith du Seigneur Kaan, et ils s'entêtaient à refuser toute reddition, alors même que leur défaite apparaissait inévitable. Tout le pouvoir de la Force n'en ferait jamais ces icônes éblouissantes que, dans sa naïveté, il avait imaginées.
Il détecta un mouvement à l'autre bout du champ de bataille. Plissant les yeux pour mieux voir sous l'éclat cru du soleil, Darovit aperçut une demi-douzaine de silhouettes qui avançaient lentement sur les lieux du carnage. Elles ramassaient les corps tombés là, amis comme ennemis. Il n'était pas seul, d'autres avaient survécu à l'explosion !
Il s'élança vers eux, mais son excitation se tarit dès qu'il fut assez proche pour les distinguer plus clairement. Il reconnut des volontaires de l'Armée de la Lumière.
Ce n'étaient pas des Jedi, seulement des hommes et des femmes ordinaires qui avaient juré allégeance au Général Hoth. L'arme psychique n'avait emporté que ceux doués d'une puissance suffisante pour toucher la Force. Les êtres tels que ceux-ci, qui n'utilisaient pas la Force, avaient été épargnés, mais Darovit n'était pas comme eux. Il avait un don. Certains de ses premiers souvenirs étaient en relation avec son usage de la Force pour faire léviter de petits objets, dans le seul but d'amuser sa cousine Rain, alors qu'il n'étaient tous deux que de jeunes enfants. Ces gens avaient survécu parce qu'ils étaient simples – ils n'étaient pas spéciaux comme lui. La survie de Darovit demeurait pour lui un mystère total, et ce n'était qu'un élément de tout ce qu'il ne comprenait pas.
À son approche, l'une des silhouettes s'assit sur un rocher, sans doute harassée par la tâche d'avoir à rassembler les cadavres. C'était un homme plus âgé, certainement aux abords de la cinquantaine. Il avait les traits tirés, l'air hagard, comme si ce labeur sinistre avait sapé ses réserves mentales autant que physiques. Darovit le reconnut. Il l'avait croisé lors de ses premières semaines dans le camp Jedi, même s'il n'avait jamais pris la peine de lui demander son nom.
Une idée traversa soudain l'esprit du jeune homme, qui se figea sur place. S'il était en mesure de reconnaître cet homme, la réciproque était très probable. L'autre risquait de savoir qu'il avait trahi.
La vérité sur les Jedi avait dégoûté Darovit, au plus haut point. Ses illusions et ses rêves s'étaient retrouvés anéantis par la dure réalité, et il s'était conduit tel un enfant gâté, pour finalement se retourner contre les Jedi. Séduit par les promesses du Côté Obscur, il avait changé de camp pendant la guerre et épousé la cause de la Confrérie. C'était seulement maintenant qu'il comprenait à quel point il avait été dans l'erreur.
Cette révélation lui était venue lorsqu'il avait été témoin de la mort de Bug, mort dont il était en partie responsable. Il avait appris le prix très lourd à payer du Côté Obscur, mais trop tard. Trop tard, il avait compris que, par la bombe psychique, la folie du Seigneur Kaan avait fait s'abattre la dévastation sur eux tous.
Il n'était plus partisan des Sith. Il n'avait plus aucun désir d'apprendre les secrets du Côté Obscur, mais comment ce vieil homme, un partisan du Général Hoth, aurait-il pu le savoir ? S'il se souvenait de Darovit, c'était comme d'un ennemi.
Une seconde, il songea à fuir. Il lui suffisait de tourner les talons et de courir, et l'homme harassé serait incapable de l'arrêter – mais c'était le genre de réaction qu'il avait eu bien souvent, et pendant trop longtemps. Aujourd'hui, tout était différent. Que ce soit sous l'effet de la culpabilité, d'une maturité nouvelle ou d'un simple désir de mettre un terme à tout cela, il ne prit pas la fuite.
Quel que soit le destin qui l'attendait, il décida de rester et de l'affronter.
À pas lents mais déterminés, il avança vers le rocher sur lequel l'homme se reposait, apparemment perdu dans ses pensées. Darovit n'était plus qu'à quelques mètres de lui, lorsque l'autre finit par lever les yeux sur lui.
Il n'y eut aucune lueur de reconnaissance dans ses prunelles, seulement un regard vide, hanté.
- Tous, marmonna-t-il, sans qu'on sache trop s'il s'adressait au nouveau venu ou s'il se parlait à lui-même. Tous les Jedi et tous les Sith... Tous partis.
Il tourna la tête, et son attention se fixa sur l'entrée sombre d'une grotte non loin de là. Un frisson parcourut Darovit lorsqu'il saisit l'allusion. Par là, on pouvait s'aventurer dans le monde souterrain par des tunnels tortueux, et atteindre la caverne située très loin sous le niveau du sol, là où Kaan et ses partisans s'étaient rassemblés pour déchaîner la fureur de la bombe psychique.
Avec un grognement bas, l'homme secoua la tête, comme pour chasser l'état d'hébétude dans lequel il avait glissé. Il gratifia Darovit d'un petit hochement de tête, puis sembla l'oublier et se remit à rouler les cadavres dans des toiles pour mieux les ramasser et leur donner une sépulture décente.
Darovit se tourna vers la caverne. De nouveau, une partie de lui eut envie de fuir, mais une autre était attirée par la gueule ténébreuse du tunnel. Des réponses l'attendaient peut-être à l'intérieur, quelque chose qui donnerait un sens à toutes ces morts, toute cette violence aveugle, et qui l'aiderait à voir les véritables raisons cachées par une guerre interminable. Et s'il découvrait quelque chose qui lui permettrait de voir un schéma cohérent derrière ce qui était arrivé ici ?
La température baissait progressivement, à mesure qu'il descendait sous terre. Il sentait une sorte de fourmillement au creux du ventre, celui qui naît de l'attente mêlée à un sombre pressentiment. Il ignorait ce qu'il trouverait dans la grotte à l'extrémité du tunnel. D'autres cadavres, peut-être, mais il était déterminé à aller jusqu'au bout.
Dans l'obscurité qui l'enveloppait, il se maudit de ne pas avoir apporté un bâtonnet éclairant. Un sabre-laser était accroché à sa ceinture. La possession de l'une de ces armes légendaires était l'une des tentations qui l'avaient attiré vers les Sith – mais même s'il avait trahi les Jedi pour en avoir un, dans l'obscurité du tunnel, il n'éprouvait aucun désir d'allumer son arme pour se guider. La dernière fois qu'il l'avait tirée, cela avait entraîné la mort de Bug, et ce souvenir entachait la valeur de l'objet pour lequel il avait tout sacrifié.
S'il faisait demi-tour maintenant, il le savait, il risquait de ne jamais rassembler assez de courage pour s'aventurer de nouveau dans ces boyaux. Aussi allongea-t-il le pas, malgré le manque de visibilité. Il se déplaçait au ralenti, en sondant l'espace devant lui avec son esprit, puisant dans la Force pour se diriger dans le tunnel sombre. Même ainsi, il trébuchait souvent sur le sol inégal. Il finit par préférer suivre la paroi d'une main.
Quoique lente, sa progression était régulière. Le passage s'inclinait de plus en plus. Après une demie-heure, il remarqua une faible lueur loin devant lui, une lumière très douce qui provenait de l'extrémité du tunnel. Il voulut se hâter, et son pied buta contre une excroissance rocheuse du sol. Il bascula en avant avec un cri de surprise, et roula sur la pente jusqu'à s'immobiliser, meurtri et essoufflé, au bout du tunnel.
Celui-ci débouchait sur une vaste chambre au plafond très haut. Ici, le halo pâle qui l'avait attiré se réfléchissait et se démultipliait sur d'innombrables éclats de cristal incrustés dans les parois, baignant l'endroit dans une lumière suffisante pour tout voir très clairement. Quelques stalactites pendaient encore à la voûte, loin au-dessus de sa tête. Des centaines d'autres jonchaient le sol, là où elles s'étaient écrasées lorsque Kaan avait déclenché la bombe psychique.
Cette dernière – ou du moins, ce qu'il en restait – était suspendue dans l'air à un mètre de hauteur, au centre exact de la grotte, et c'était elle la source de lumière. Au premier regard, elle ressemblait à une sphère légèrement allongée, en métal, de quatre mètres de longueur et de près de trois mètres dans sa plus grande largeur. Sa surface argentée, lisse et mate, dégageait un rayonnement pâle tout en absorbant la lumière réfléchie par les cristaux alentour.
Darovit se remit sur pied en frissonnant. Un froid surprenant l'avait saisi. La sphère semblait avaler toute chaleur dans l'air. Il fit un pas en avant. La poussière et les débris de stalactites crissèrent sous son pied avec un bruit creux, comme si la bombe dévorait aussi les sons.
Il s'immobilisa et se concentra sur ce silence anormal. S'il n'entendait rien, il éprouvait indiscutablement quelque chose. Une vibration faible et régulière qui se propageait dans le sol et remontait dans son corps au rythme des pulsations émanant de la sphère.
Sans même s'en rendre compte, il retint son souffle et avança prudemment d'un pas. Rien ne se produisit, et il vida ses poumons en un long soupir bas. Rassemblant tout son courage, il poursuivit son approche méfiante et tendit la main, sans jamais quitter la sphère des yeux.
Il était maintenant assez près pour discerner des bandes ombreuses qui se tordaient et tournoyaient sous la surface, comme des volutes de fumée emprisonnées au fond de l'engin. Deux pas de plus, et il pouvait toucher la sphère. Sa main tremblait quelque peu lorsqu'il se pencha et appliqua la paume à plat sur la surface.
Son esprit explosa dans un déluge de gémissements d'angoisse pure, une cacophonie atroce de voix torturées qui s'élevaient de la sphère. Toutes les victimes de la bombe psychique hurlaient sous des tourments indescriptibles.
Darovit ôta sa main d'une saccade et recula en vacillant, avant de tomber à genoux.
Ils étaient toujours vivants ! Les corps des Jedi et des Sith avaient été consumés par la bombe, réduits en cendres et en poussière, mais leurs esprits avaient survécu, et le vortex né au cœur de l'explosion les avait avalés, pour les garder emprisonnés là, à jamais.
Il n'avait touché la surface de l'engin que pendant un instant, mais les lamentations des esprits l'avaient presque fait basculer dans la démence. Pris au piège de cette prison imprenable, ils étaient condamnés à une éternité de souffrances, un sort tellement horrible que l'esprit de Darovit refusait d'en accepter toutes les implications.
Toujours prostré sur le sol, il se saisit la tête entre les mains, dans un geste d'impuissance. Il était venu ici pour trouver des réponses et des explications. Il n'avait découvert qu'une abomination contraire à la nature elle-même, contre laquelle chaque parcelle de son corps se révoltait.
- Je ne comprends pas... Je ne comprends pas... Je ne comprends pas...
Il répéta ces mots encore et encore, en se balançant lentement sur place, les mains toujours plaquées sur son visage.
