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On retourne voir ce que devient Darovit ? Disons que pendant que sa cousine complote des attentats, il serait plutôt tourné vers du sabotage anodin... Deux salles, deux ambiances.
28 – Le guérisseur saboteur
Cycle I – Tome 3 : Dessel (#17)
Rattachée au chapitre n°90 : Sauvée par ses paroles
Sur Ruusan, l'hiver était encore un phénomène nouveau, et pas totalement bienvenu. À l'origine, la planète avait été du type tempéré, avec un climat modéré par les vastes forêts boréales qui dominaient à sa surface. Cependant, durant le conflit prolongé entre la Confrérie des Ténèbres et l'Armée de la Lumière, des millions d'hectares couverts d'arbres plus que centenaires avaient été dévastés, et une grande partie de l'hémisphère nord s'était transformée en un désert aride et désolé.
Pris isolément, ces changements dramatiques des caractéristiques géographiques de ce monde n'auraient pas suffi à provoquer un bouleversement climatique aussi prononcé, mais les dommages causés à l'environnement avaient rendu ce monde plus vulnérable à la terrible déflagration de la bombe psychique. Après l'explosion, un maelström invisible d'énergies puisées dans les Côtés Obscur et Lumineux s'était créé, capable d'altérer de façon permanente le climat de la planète.
Même dans les régions où les forêts avaient été épargnées, il en avait résulté des chutes de neige, qui se produisaient régulièrement chaque année. Ces hivers, sans précédent connu, ne duraient que quelques mois, mais leurs effets furent particulièrement brutaux sur un écosystème qui avait évolué dans un climat beaucoup plus doux. Une partie de la flore et de la faune de Ruusan, tout comme les humains qui habitaient toujours la planète, avaient appris à s'adapter. Les autres espèces s'étaient éteintes.
L'expérience avait enseigné à Darovit qu'il existait trois clés pour survivre dans des conditions aussi rudes. La première consistait à enfiler plusieurs couches de vêtements. Sa cape doublée était un cadeau d'un fermier qu'il avait guéri d'une mycose inquiétante. Le pull épais en-dessous lui avait été offert par un mineur, après qu'il eut soigné son pied blessé. En fait, chaque pièce de sa tenue – la chemise à manches longues, le pantalon épais, les bottes fourrées, le gant à sa main gauche et le manchon protégeant le moignon à son autre bras – lui avait été donnée par les habitants de la contrée qui étaient venus à sa maison isolée pour demander l'aide de « l'Ermite Guérisseur ».
La deuxième clé de la survie était de rester sec. Il avait appris à surveiller le ciel, et à s'abriter au moindre signe avant-coureur de précipitations. S'il laissait mouiller ses vêtements, l'hypothermie risquait d'avoir raison de lui avant qu'il ne puisse être secouru. C'était l'un des désavantages d'une existence de reclus au cœur de la forêt, mais il s'était trop bien habitué à cette vie de solitude pour y renoncer maintenant.
Durant les premières années, il avait été un vagabond qui explorait les régions sauvages de Ruusan, entre les poches de civilisation dispersées sur la surface de la planète – mais plus il apprenait à chasser et à se nourrir dans la nature, moins il trouvait de raisons de s'aventurer dans les villes et les villages qu'il rencontrait en chemin.
Ses errances avaient duré six ans. Lorsqu'il eut trouvé un endroit convenablement reculé dans la forêt, il y construisit une simple cabane avec des branches et de la boue, à l'abri des arbres. Ce logis précaire lui donna un sentiment de stabilité et de permanence, tout en le laissant libre de savourer la paix intérieure qu'il tirait de cet isolement librement consenti.
Il n'y avait pas d'autre humain installé à moins de dix kilomètres à la ronde, et même la colonie de bondissants la plus proche se trouvait à presque cinq kilomètres. Cela ne signifiait pourtant pas qu'il n'avait aucune visite. Grâce aux enseignements des bondissants et aux expériences vécues dans ses pérégrinations, il était devenu versé dans l'utilisation des herbes médicinales et la préparation de remèdes naturels. Trois à quatre fois par mois, quelqu'un venait l'implorer de traiter une quelconque maladie ou blessure. Darovit ne refusait jamais d'aider des gens, et en retour, il ne leur demandait que de respecter son besoin de solitude – mais souvent, ces patients le priaient d'accepter de petits présents, comme les vêtements qu'il portait maintenant, en signe de gratitude.
La troisième clé de la survie dans les hivers inhospitaliers de Ruusan était de ne jamais s'aventurer au-dehors en pleine nuit. Les températures très basses, le risque de s'égarer et de ne pas trouver d'abri, sans parler du danger éventuel d'une rencontre avec un prédateur, rendaient toute excursion dans les ténèbres pour le moins déraisonnable.
Et pourtant, Darovit marchait maintenant dans l'obscurité, et ses bottes crissaient dans la neige durcie. Il avait quitté la chaleur de sa cabane des heures auparavant, pour aller voir de ses propres yeux si les rumeurs colportées récemment par plusieurs de ses patients étaient fondées.
Darovit en colère ?
- Non, murmura-t-il à l'adresse du petit bondissant à fourrure verte qui planait au-dessus de lui. Juste curieux.
Pour des raisons qu'il ne comprenait toujours pas complètement, les bondissants avaient développé une fascination particulière pour sa personne. Pendant la journée, il y en avait toujours deux ou trois qui traînaient autour de sa cabane, et chaque fois qu'il quittait celle-ci, au moins l'un d'entre eux l'accompagnait.
Peut-être se sentaient-ils responsables de son bien-être, après lui avoir porté secours dans la caverne de la bombe psychique – à moins qu'ils ne fussent attirés par lui à cause de leurs vocations communes : les bondissants apaisaient les angoisses mentales de ceux qui souffraient, et Darovit avait choisi de partager ses talents de guérisseur avec quiconque venait solliciter son aide. Il était même possible qu'ils le trouvent simplement divertissant ou amusant, bien qu'à la vérité, Darovit ignorait si ces créatures avaient le sens de l'humour.
Il s'était très vite habitué à leur présence constante. C'étaient des compagnons agréables, et ils semblaient sentir lorsqu'il était d'humeur à discuter ou lorsqu'il désirait être laissé seul avec ses pensées. La plupart du temps, il trouvait leur compagnie rassurante, plus ou moins d'ailleurs selon les individus. Yuun, la jeune femelle qui l'escortait à présent, paraissait être plus bavarde que ses congénères.
Darovit cabane, maintenant.
- Pas encore, murmura-t-il.
Deux des Trois Lunes Sœurs de Ruusan étaient en phase ascendante cette nuit, et leur lumière se réfléchissait sur la couche argenté de givre et le tapis blanc de la neige accumulée pendant les dernières semaines. Darovit s'accroupit derrière un bouquet d'arbres. Appuyé sur son bâton de marche, il tendit son bras droit mutilé pour écarter les branchages, afin de voir sans être vu. À travers les petits nuages de vapeur de sa propre respiration, il étudia la scène qui confirmait les rumeurs : les Jedi étaient revenus sur Ruusan !
Il s'était esclaffé sans retenue la première fois qu'un patient avait affirmé que la République allait ériger un monument en hommage à tous ceux qui étaient tombés sur la planète. Le lancement d'un tel projet n'avait plus aucun sens maintenant, avait-il fait remarquer, dix ans après la bataille. Pourtant, il ne pouvait nier ce qu'il apercevait à présent depuis son poste d'observation.
On avait déneigé une vaste étendue de terrain en bordure de la forêt, révélant le sol recouvert de broussailles basses. Le périmètre avait été marqué avec des pieux et des chaînes d'arpenteur, et l'excavation avait commencé. Aux yeux de Darovit, les fossés profonds creusés par les droïdes de construction pour poser les fondations ressemblaient à une plaie ouverte sur la surface de la planète.
Plusieurs dizaines de pierres énormes étaient disséminées sur le site, chacune apportée sur Ruusan depuis le monde natal de l'un des Jedi morts que le monument devait honorer. Pour Darovit, ces blocs étrangers étaient aussi incongrus dans le paysage qu'un Wookiee dans une foule de Jawas – des intrus malvenus qui défiguraient le visage.
- Ils n'ont aucun droit d'être ici, souffla-t-il avec colère.
Blessent personne, suggéra Yuun.
- Cette terre commence tout juste à se remettre de leur maudite guerre, répliqua-t-il. Il a fallu dix ans aux gens d'ici pour tourner la page, et maintenant les Jedi veulent rouvrir de vieilles blessures.
Sénat d'accord. Pas Jedi.
- Je me fiche de ce que prétend la version officielle. Les Jedi sont derrière tout ça, je le sais. Ce sera une source d'ennuis.
Ennuis ?
Yuun était trop jeune pour se souvenir de la guerre qui avait ravagé son monde. Elle n'avait pas été témoin de ces morts absurdes, ni de la souffrance qui avait précipité dans la folie des centaines de colonies de bondissants. Bouleversés au-delà de tout espoir de salut, les bondissants avaient projeté des pensées de douleur et de tourment, attaquant et allant même jusqu'à tuer d'autres créatures vivantes, jusqu'à ce qu'ils soient massacrés par les équipes de Jedi envoyés pour les anéantir.
- Les Jedi et leur guerre ont failli détruire Ruusan, lui dit Darovit. Des milliers et des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants ont péri. Des forêts entières ont brûlé, et ton espèce a été traquée à si grande échelle qu'elle a manqué de disparaître.
Sith responsables guerre.
- Les Sith ne pouvaient pas faire la guerre seuls. Il leur fallait quelqu'un à combattre, et Hoth a été très heureux de lancer ses troupes Jedi contre eux, argumenta Darovit en se demandant ce que les bondissants, Yuun en particulier, connaissaient du passé. Les deux camps sont à blâmer.
Darovit culpabilise.
C'était une constatation, plutôt qu'une interrogation.
- Peut-être, admit le jeune homme en s'appuyant sur son bâton, mais les ennuis semblent suivre les Jedi où qu'ils aillent, et je ne vais pas rester assis à les regarder détruire ce monde une seconde fois.
Si l'on exceptait les droïdes de construction, le site était désert. Les équipes d'êtres vivants ne travaillaient que pendant la journée. Avançant à croupetons, sa canne tenue parallèle à lui au ras du sol, Darovit se risqua hors de l'abri des arbres.
Paix. Calme, lui envoya mentalement Yuun pour tenter d'apaiser sa colère, mais elle n'était pas assez intrépide pour le suivre à découvert, et il ignora ses appels jusqu'à ce qu'il ait dépassé la portée de sa communication télépathique.
Darovit n'était pas très doué dans la Force. C'était l'une des raisons qui l'avaient empêché de rejoindre les rangs des Jedi, tout comme ceux des Sith. Il n'en possédait pas moins une affinité mineure avec elle, suffisante en tous cas pour lui permettre de se glisser sur le chantier sans être remarqué par les droïdes de construction à l'intelligence réduite.
Les droïdes n'étaient employés qu'à des tâches simples. La plus grosse partie du travail serait effectuée par des équipes d'ouvriers se servant de lourdes machines et de traîneaux à répulsion. Sans perdre de temps, Darovit s'approcha du premier de ces traîneaux et se dissimula derrière lui.
Il avait soigneusement préparé cette expédition. Les poches de sa cape étaient bourrées de poudre de racine de tass et de poignées de pétales écrasés pris aux fleurs de scintil. Individuellement, ces deux composants étaient inoffensifs mais, mélangés et humectés, ils offraient une réaction étonnante.
De sa main valide, il ouvrit le panneau de maintenance du traîneau, situé sous le boîtier de contrôle, puis il fourra quatre pétals de scintil dans les bobines du répulseur. Ensuite, il les saupoudra de tass. En guise de touche finale, il ramassa un peu de neige et la laissa fondre au creux de son gant. Elle se mit à goutter sur le mélange.
Il y eut un sifflement doux et une vive odeur alcaline lorsque les éléments se combinèrent, pour former une pâte hautement corrosive qui attaqua aussitôt les bobines du répulseur. Darovit referma le panneau de maintenance. De minces fumerolles brun-vert s'en échappaient déjà.
Darovit passa l'heure suivante à aller de traîneau en traîneau. Il se figeait chaque fois qu'un droïde de construction passait non loin de lui, selon ses tâches préprogrammées, inconscient de la présence du saboteur. Lorsqu'il revint à l'endroit où Yuun l'attendait toujours, tous les traîneaux à répulsion étaient hors d'état.
Solution temporaire. Répareront.
- Les bobines de répulseur sont coûteuses, fit Darovit, et elles sont toujours très demandées. Cette petite mésaventure devrait les retarder d'au moins une semaine.
Ensuite ?
- J'ai encore en réserve quelques petits tours à jouer à nos amis Jedi, affirma-t-il au petit bondissant. Ce n'était qu'un début.
Aube bientôt. Retour cabane, maintenant ?
Darovit leva les yeux, et aperçut les premières lueurs de l'un des soleils jumeaux de Ruusan qui apparaissaient à l'horizon.
- On retourne à la cabane, oui.
