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Suite des aventures de Darovit sur Ruusan :)
29 – Persuasion
Cycle I – Tome 3 : Dessel (#18)
Rattachée au chapitre n°91 : Diviser pour mieux gagner
Un vent glacial soufflait à travers la forêt, et la température était tombée bien en-dessous de zéro, mais Johun puisait dans la Force pour se réchauffer et combattre le froid.
Le Chevalier Jedi était très irrité. Ces dernières semaines, l'édification du monument sur Ruusan avait très peu progressé, car le projet était la cible d'une campagne de vandalisme et de sabotage.
Tout avait commencé par la destruction des traîneaux, lorsqu'on avait répandu une sorte d'acide sur les bobines de leurs répulseurs. Quatre jours avaient été nécessaires pour l'acheminement d'un chargement, et le remplacement des bobines.
Lors du deuxième incident, tout l'équipement lourd avait été enduit d'une sève épaisse et collante, qui s'était révélée être un adhésif surpuissant. Gants, bottes et vêtements des ouvriers s'y accrochaient au moindre contact. Par chance, personne ne toucha cette substance de sa peau nue. Il avait fallu des heures pour trouver des solvants chimiques efficaces, et deux jours pleins pour nettoyer complètement le matériel.
Johun avait envisagé de poster certains des membres de ses équipes en sentinelles pour la nuit, mais le site du mémorial était tellement isolé que, chaque matin, les travailleurs y étaient déposés par navettes aériennes. Quiconque serait assigné à la surveillance des lieux se retrouverait complètement seul, et si les saboteurs inconnus étaient armés, il y aurait risque de blessure ou même de mort. C'était une chose que le Jedi ne voulait pas risquer.
Durant les quelques nuits après le deuxième incident, il avait loué les services d'une compagnie privée de sécurité pour patrouiller aux alentours, dans l'espoir de surprendre le ou les responsables. Ces nuits s'étaient passées dans le calme le plus total. Le saboteur avait sans doute eu peur de ce déploiement de forces, mais le financement du projet était serré, et Johun avait déjà dépassé les prévisions à cause des frais engagés pour pallier à ces dégradations passées. Il avait fini par suspendre le contrat avec les patrouilles de surveillance... et deux nuits plus tard, les vandales avaient frappé de nouveau.
Les équipes étaient arrivées à l'aube, et avaient découvert qu'on avait répandu un pollen très odorant sur tout le site. Dès que le soleil était apparu, un grand vol de petits oiseaux piailleurs s'était abattu sur le chantier. Ils arrivaient en si grand nombre que, par moments, ils masquaient les soleils jumeaux lorsqu'il descendaient vers cet endroit. Même après la disparition du pollen, son parfum subsista encore deux jours, attirant les volatiles par milliers et rendant tout travail impossible.
Johun avait décidé de s'occuper personnellement du problème. La personne qui était derrière ces actes de malveillance faisait preuve d'une grande prudence, et les rondes d'une équipe de sécurité étaient trop visibles pour le dissuader de continuer. Aussi, depuis trois nuits et après l'embarquement des ouvriers dans la navette pour retrouver le confort de leurs lits, il était resté au sol, déterminé à prendre le coupable sur le fait et à le déférer ensuite devant la justice.
Un Jedi était capable de passer plusieurs jours d'affilée sans dormir. Il compensait le manque de sommeil par des transes de méditation, légères mais reposantes, durant lesquelles il restait conscient de son environnement – et même si le mystérieux saboteur se révélait être armé et même hostile, Johun avait la certitude qu'il saurait gérer la situation sans courir de réel danger.
Il s'était dissimulé derrière un panneau de camouflage caché dans les arbres entourant le site de construction. Posté sur une petite élévation qui dominait le reste de l'endroit, et armé de jumelles de vision nocturne, il profitait d'une vue parfaitement dégagées de toute la zone. Ses deux premières nuits de guet s'étaient écoulées sans incident, et Johun avait commencé à craindre que la personne derrière ces actes répréhensibles ne soit au courant de sa présence. Si rien ne se produisait cette nuit, il faudrait qu'il trouve autre chose.
Près de deux heures plus tard, sa patience fut enfin récompensée lorsque, avec ses jumelles, il repéra une silhouette qui sortait furtivement d'entre les arbres, à moins de cent mètres de sa propre position. Il tenait à la main un objet long et fin, arme ou bâton de marche, peut-être les deux.
Johun scruta la forêt alentour, pour vérifier que l'inconnu était bien seul. Son seul compagnon visible était une petite boule verte, qui oscillait dans l'air à l'abri des branches. Johun identifia l'un de ces bondissants caractéristiques de Ruusan, et il réprima un frisson en se rappelant la terreur que cette espèce avait inspirée chez les Jedi après qu'un rituel Sith eut détruit leurs forêts et les eut rendus fous.
Il n'aurait pas été illogique que ces bondissants soient derrière ces sabotages. Aux derniers jours de la guerre, pour protéger ses troupes, Johun avait donné pour consigne de tirer à vue sur ces créatures, et des centaines d'entre elles avaient péri des mains des Jedi. Bien que les représentants survivants de l'espèce soient retournés à leurs moeurs paisibles, on pouvait imaginer qu'ils gardaient rancune contre l'Ordre pour ce qui était arrivé – mais cela n'expliquait pas la présence de cette silhouette humanoïde qui avançait lentement vers le site.
Johun abandonna sa cachette. Il savait que le bondissant fuirait à son approche, et irait se réfugier dans les branches hautes de la forêt, d'où le Jedi n'aurait aucun moyen de le faire descendre, sauf en le tuant, ce qu'il n'envisageait pas une seconde. Le compagnon bipède du bondissant devrait, quant à lui, fuir à pied, et Johun était certain de pouvoir courir plus vite que tout humain non Jedi.
Il fonça vers sa proie et l'autre se retourna, sans doute alerté par le crissement des bottes sur la neige. Johun aperçut assez du visage sous la capuche pour avoir qu'il pourchassait un homme jeune. Celui-ci laissa tomber son bâton de marche, et s'élança vers la lisière de la forêt. Les pans de ses vêtements amples, qui le protégeaient du froid, flottaient derrière lui.
Johun avait cinquante mètres à regagner. Avec le pouvoir de la Force dans ses membres, il avait pensé réduire l'écart en quelques secondes, mais son adversaire se déplaçait à une vitesse surprenante, et le Jedi ne tarda pas à comprendre que l'inconnu profitait au moins un peu des bienfaits de la Force, lui aussi.
En terrain découvert, Johun était tout de même plus rapide, mais il avait encore dix bons mètres de retard lorsque l'homme atteignit l'orée de la forêt et plongea dans les broussailles. Il suivit un chemin qui aurait dissuadé n'importe quel poursuivant ordinaire : il contournait les troncs, se glissait sous les branches basses, bondissait par-dessus les buissons et esquivait les racines à une vitesse ahurissante. Johun dut solliciter un peu plus encore la Force pour ne pas se laisser distancer.
Ils filèrent dans la forêt sur plusieurs kilomètres, sans que l'écart entre eux ne se réduise. La chasse prit fin lorsqu'ils débouchèrent subitement dans une petite clairière, au centre de laquelle se dressait une petite cabane. Le Jedi comprit alors que, dans son affolement, sa proie était instinctivement retournée à l'endroit où elle vivait.
L'homme fonça vers la porte, comme s'il espérait échapper à son poursuivant en s'enfermant à l'intérieur. Puis, il se rendit compte de son erreur, et s'arrêta. Ses épaules se voûtèrent, et il se retourna devant l'entrée de son misérable logis, sans plus tenter de fuir. Johun s'avança prudemment.
- Je n'aurais jamais cru que quelqu'un pouvait aller aussi vite que moi dans la forêt, dit-il avec résignation, et il ouvrit la porte de la cabane. Inutile que vous restiez dans le froid, autant que vous entriez.
L'intérieur de la masure était simple mais propre, et juste assez grand pour que les deux hommes n'aient pas l'impression de s'y trouver à l'étroit. Le mobilier se réduisait à un matelas jeté dans un coin. Les braises rougeoyantes, dans le trou creusé au milieu de la pièce, dispensaient assez de chaleur pour que Johun ôte son lourd manteau d'hiver et le poser à côté de lui lorsqu'il s'assit à même la terre battue.
L'homme se débarrassa lui aussi de ses vêtements les plus épais, qu'il avait enfilés les uns sur les autres, avant de s'agenouiller en face de ce visiteur dont il ne désirait certainement pas la visite. Ses cheveux et sa barbe de couleur noire étaient longs et emmêlés. Une lueur sauvage dansait dans ses yeux, mais c'est seulement à la vue de sa main amputée que le Jedi sut à qui il avait affaire : le célèbre Ermite Guérisseur de Ruusan.
- Savez-vous qui je suis ? demanda Johun.
- Je sais que vous êtes un Jedi, répondit l'ermite. C'est pourquoi je n'ai pas pu vous semer.
- Je m'appelle Johun Othone. Je suis chargé d'assurer le bon déroulement de la construction du monument dédié à ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie ici, sur Ruusan.
Il se tut, en l'attente d'une réponse ou d'une réaction quelconque, mais l'ermite resta silencieux, le regard fixé sur le sol devant lui, sa main restante posée sur ses cuisses et serrant le moignon qui terminait son bras droit.
- Pourquoi avez-vous saccagé notre équipement sur le chantier ?
L'autre aurait pu tenter de nier. Après tout, Johun ne l'avait pas pris sur le fait. Mais, au contraire, il reconnut librement sa culpabilité.
- Je voulais vous arrêter. Je me suis dit que si je vous faisais perdre assez de temps et de crédits, vous renonceriez à votre projet et que vous rentreriez chez vous.
- Pourquoi ? fit Johun, déconcerté par le ton venimeux de l'ermite.
- Nous ne voulons pas de vous sur Ruusan, cracha le jeune homme. Vous n'avez aucun droit à venir ici !
- J'ai servi sous les ordres du Général Hoth, dans l'Armée de la Lumière, répondit le Jedi en se forçant au calme, malgré l'indignation qu'il sentait monter en lui. J'ai vu mes amis mourir. Je les ai vus donner leur vie pour sauver la galaxie des Sith.
- Je sais tout des Sith, ricana l'ermite. Des Jedi aussi. J'ai vu la guerre de mes propres yeux. Je sais ce qu'il s'est passé. Regardez ce qu'elle a fait à ce monde, votre guerre ! s'écria-t-il, accusateur. Chaque année, la neige tombe en abondance, et à chaque hiver, les animaux sont plus nombreux à mourir de froid. Dix ans après votre prétendue victoire, des espèces entières sont encore menacées d'extinction à cause de ce que vous avez fait !
- Je suis désolé pour les souffrances que cette planète a endurées, dit Johun, mais les Jedi ne peuvent être tenus responsables de tout. Les plus grands dommages infligés à Ruusan l'ont été par les Sith.
- Jedi, Sith, vous êtes tous pareils, rétorqua l'ermite. Vous étiez tellement aveuglés par votre haine pour l'autre camp que vous ne pouviez pas voir les conséquences de vos actes, et finalement, votre Général a investi les cavernes pour affronter les partisans de Kaan, en sachant pertinemment qu'il répandrait la dévastation sur ce monde avec sa bombe psychique.
- Hoth s'est sacrifié pour que les autres puissent être sauvés, protesta Johun.
- La bombe psychique était une abomination ! Hoth aurait dû faire tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher Kaan de la déclencher. Au lieu de quoi, il lui a intentionnellement forcé la main.
- Il n'y avait pas d'autre solution, répondit Johun qui tenait à défendre son ancien Maître. L'explosion a anéanti la Confrérie, et débarrassé à jamais la galaxie des Sith.
L'ermite eut un rire sonore et sans joie, puis il secoua la tête d'un air navré.
- C'est ce que vous croyez ? Que les Sith ont disparu ? Pauvre petit Jedi, tu te berces d'illusions...
Johun sentit une main glacée lui tordre le ventre.
- Qu'est-ce que vous insinuez ? Vous ne croyez pas que les Sith ont été anéantis ?
- Je sais qu'ils n'ont pas été anéantis. L'un de leurs Seigneurs Noirs a survécu, et il a même pris ma cousine comme disciple.
Johun eut un mouvement de recul, comme s'il venait d'être giflé.
- Votre cousine ?
Tout cela paraissait fou, totalement improbable – mais en dépit de l'éclat dans son regard, l'ermite ne lui paraissait pas du tout atteint de folie.
- Comment le savez-vous ?
- Après l'explosion de la bombe, je suis descendu dans les tunnels pour voir ce qu'il en restait, murmura le jeune homme, les traits assombris par ces souvenirs douloureux. Je les ai trouvés là, ma cousine et le Seigneur Bane...
Il leva le moignon devant son visage.
- Et ils m'ont fait ce cadeau.
L'esprit de Johun vacillait. Il se remémorait ces mercenaires rencontrés après la bataille, et ce qu'ils avaient raconté au sujet d'un Maître Sith qui aurait massacré leurs compagnons. Il avait certes révisé sa position et négligé leurs affirmations, lorsqu'il s'était trouvé face à la logique irréfutable de Farfalla, mais une part de lui-même avait toujours cru en leurs dires.
Sans preuve ni indice, il avait cessé de chercher à convaincre qu'un Seigneur Sith avait réussi à s'échapper vivant de Ruusan – et à présent, dans cette petite cabane en torchis, il tombait par le plus grand des hasards sur la preuve qui lui avait fait défaut, dix ans plus tôt.
- Vous avez vu un Sith du nom de Seigneur Bane ? insista-t-il. Comment avez-vous su qui il était ?
- Pendant un temps, j'ai appartenu à l'armée de Kaan, fit l'ermite à mi-voix. Nous savions tous qui il était.
Johun en avait oublié le monument et les circonstances qui l'avaient amené ici.
- C'est... c'est incroyable ! balbutia-t-il. Il faut que nous en informions le Conseil Jedi ! Nous devons nous rendre sur Coruscant dès que possible !
- Non.
Le refus avait été prononcé d'un ton calme, mais tellement définitif que Johun se figea.
- Mais... les Sith sont toujours là, quelque part. Le Conseil doit en être averti.
L'autre haussa les épaules.
- Alors, allez l'avertir. Ma place est ici, sur Ruusan.
- Ils ne me croiront pas, avoua le Jedi. Ils voudront vous interroger eux-mêmes.
- J'ai vu ce qu'il se passe lorsque les Jedi et les Sith se font la guerre. Pas question que j'y reprenne part. Je n'irai pas sur Coruscant.
Johun décida de jouer l'intimidation :
- Vous avez vandalisé les biens de la République. Je pourrais vous arrêter et vous amener là-bas pour y être jugé.
L'ermite s'esclaffa de nouveau.
- Et que ferez-vous ensuite, Jedi ? Vous me torturerez jusqu'à ce que je confesse ce que j'ai vu ? Vous vous servirez de vos pouvoirs pour me triturer l'esprit et m'obliger à prononcer les paroles que vous souhaitez entendre ? Je suis sûr que le Conseil vous croira.
Johun se rembrunit. L'autre avait raison : la seule façon d'être cru du Conseil, c'était que cet homme vienne devant lui et témoigne librement. Le Jedi décida de changer de tactique.
- Vous ne voyez donc pas ce qui est en jeu ? Vous savez ce qu'il se passe lorsque les Sith lèvent une armée et partent en guerre. Si vous venez avec moi maintenant, le Conseil vous écoutera. Nous pourrons alors traquer ce Seigneur Bane et le stopper avant qu'il n'en rallie d'autres à sa cause.
Tout en parlant, il toucha l'esprit de l'ermite à l'aide de la Force. Il ne le contraignit pas à accéder à sa demande – cela n'aurait pas servi ses buts. La persuasion par la Force était temporaire, et le temps qu'ils arrivent sur Coruscant, ses effets se seraient dissipés et l'ermite comprendrait qu'il avait été manipulé, ce qui le rendrait certainement encore plus intraitable. Johun préféra simplement essayer de rendre l'homme plus sensible à la raison, et il déploya un voile de calme et de sérénité sur ses pensées. Il écarta en douceur son amertume et son ressentiment, pour le laisser soupeser la logique de ses arguments sans la distorsion de la passion et de l'émotion.
- Bane est parti se terrer quelque part, continua-t-il. Si nous ne le retrouvons pas, il ne se révélera à nous que lorsqu'il aura reformé les armées Sith, et la galaxie plongera une fois encore dans la guerre, mais si vous acceptez de nous accompagner maintenant, nous pouvons convaincre le Conseil qu'il faut le débusquer au plus vite. Aidez-moi à le stopper, et nous éviterons une autre guerre.
L'ermite le regarda dans les yeux pendant un très long moment, avant de finalement acquiescer.
- Si cela peut éviter une autre guerre, alors je viendrai avec vous sur Coruscant.
