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Autre intrigue secondaire du tome 3 originel, qui n'est finalement pas très éloignée de la précédente.
33 – Serra d'Ambria
Cycle I – Tome 3 : Dessel (#22)
Rattachée au chapitre n°110 : L'avenir de l'Ordre
Pour être familier, le cauchemar n'en était pas moins toujours aussi terrifiant.
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Elle a huit ans, de nouveau, ce n'est qu'une fillette recroquevillée dans un coin de la petite cabane qu'elle partage avec son père. Au-dehors, par-delà le rideau effiloché qui sert de porte, son père est assis devant le feu et il remue tranquillement le contenu d'une marmite.
Il lui a ordonné de rester à l'intérieur, hors de vue, jusqu'à ce que le visiteur soit reparti. Elle aperçoit l'homme par les trous du rideau, qui domine leur campement. Il est très grand, plus grand et plus fort que son père. Il a le crâne rasé, ses vêtements et son armure sont de couleur noire. Elle sait que c'est l'un des Sith, et elle voit bien qu'il est en train de mourir.
C'est pour cette raison qu'il est venu. Caleb est un guérisseur renommé. Il pourrait sauver cet homme... et pourtant, il s'y refuse.
L'autre ne parle pas. Il ne le peut pas. Le poison a démesurément fait gonfler sa langue, mais ce qu'il veut est évident.
- Je sais qui vous êtes, lui dit Caleb. Je ne vous aiderai pas.
La main de l'homme s'abaisse sur la poignée de son sabre-laser, et il fait un demi-pas en avant.
- Je n'ai pas peur de mourir, continua Caleb. Vous pouvez me torturer, si vous voulez.
Sans prévenir, son père plonge une main dans la marmite bouillonnante au-dessus du feu. Impassible, il laisse sa peau se cloquer et cuire, avant de l'ôter.
- La douleur ne signifie rien pour moi.
Elle voit que le Sith est ébranlé. C'est une brute qui utilise la violence et l'intimidation pour obtenir ce qu'il désire. Ces méthodes n'auront aucun effet sur son père.
L'homme tourne lentement la tête vers elle. Terrifiée, elle sent que son cœur s'emballe. Elle ferme les yeux, bloque sa respiration.
Ses yeux se rouvrent brusquement lorsque ses pieds sont arrachés du sol par une force terrible. Elle est soulevée dans les airs et transportée à l'extérieur. Tête à l'envers, elle est suspendue par une main invisible au-dessus de la marmite. Impuissante, tremblante, elle sent les volutes de vapeur brûlante qui viennent caresser ses joues.
- Papa, gémit-elle. Au secours...
Ce qu'elle lit dans les yeux de Caleb, elle ne l'y avait encore jamais vu : la peur.
- D'accord, marmonne-t-il, vaincue. Vous avez gagné. Vous aurez votre remède.
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Serra s'éveilla en sursaut, et essuya les larmes qui avaient coulé sur ses joues. Maintenant encore, vingt ans plus tard, le rêve l'emplissait de terreur – mais ses larmes n'étaient pas dues à la peur.
Les premiers rayons du soleil filtraient à travers les fenêtres du palais. Consciente qu'elle ne retrouverait plus le sommeil, la jeune femme repoussa les draps de soie et se leva.
Le souvenir de l'affrontement l'emplissait toujours de la honte de l'humiliation. Son père avait été un homme fort, à la volonté et au courage indomptables. C'était elle qui était faible. Sans elle, il aurait pu défier l'homme sombre qui était venu à eux.
Si elle avait été plus forte, il n'aurait pas été obligé de l'envoyer au loin.
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- L'homme sombre reviendra un jour, avait prévenu son père le jour de ses seize ans. Il ne doit pas te trouver. Tu dois partir. Quitter cet endroit. Changer de nom, d'identité, et ne plus jamais penser à moi.
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C'était impossible, bien sûr. Caleb avait représenté son univers. Tout ce qu'elle connaissait des arts de la guérison – sur les maladies, les poisons et les remèdes –, elle l'avait appris auprès de lui.
Elle traversa la chambre jusqu'à la penderie et passa en revue sa vaste collection de tenues, en cherchant laquelle aurait sa préférence aujourd'hui. Toute son enfance, elle avait porté des vêtements simples et fonctionnels, dont elle ne se séparait que lorsqu'ils étaient trop élimés pour être encore rapiécés. À présent, elle pouvait passer un mois entier sans porter les mêmes plus d'un jour.
Elle ne rêvait pas de l'homme sombre toutes les nuits. Pendant une certaine période, la première année de son mariage, elle n'avait presque jamais fait ce cauchemar. Mais, depuis quelques mois, le rêve redevenait plus fréquent – et avec lui, le désir toujours plus intense de découvrir ce qu'il était advenu de son père.
Caleb l'avait envoyée loin de lui par amour, Serra le comprenait très bien. Elle savait que son père avait seulement voulu ce qu'il pouvait y avoir de mieux pour elle, et c'était pourquoi elle avait respecté sa parole et n'était jamais allée le revoir. Mais il lui manquait, comme lui manquait le contact de ses mains calleuses et puissantes lorsqu'il lui ébouriffait les cheveux, le son de sa voix calme mais ferme récitant les bases de son art, ou l'odeur douceâtre des herbes curatives qui imprégnait toujours sa chemise lorsqu'il la serrait contre lui.
Et ce qui lui manquait plus que tout, c'était ce sentiment de sécurité qu'elle éprouvait en sa présence. Maintenant plus que jamais, elle avait besoin de l'entendre dire que tout irait bien – mais c'était impossible. Elle ne pouvait que se raccrocher au souvenir des dernières paroles qu'il avait eues pour elle.
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- C'est une chose terrible, quand un père ne peut être là pour son enfant. Pour cela, je suis désolé. Mais il n'y a pas d'autre solution. Je t'en prie, sache que je t'aimerai toujours, et que, quoi qu'il se passe, tu seras toujours ma fille.
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Je suis la fille de Caleb, songea-t-elle, en continuant de faire défiler d'une main nonchalante les tenues suspendues dans la penderie. Je suis forte, exactement comme mon père.
Elle finit par opter pour un pantalon noir et un haut bleu frappé du blason de la famille royale de Doan – un cadeau de son époux. Lui aussi lui manquait, même si le sentiment d'absence était différent de celui attaché à son père. Caleb l'avait envoyée au loin, alors que Gerran lui avait été ravi par les rebelles.
Tout en s'habillant, elle s'efforça de ne pas penser au prince héritier. La douleur était trop vive, son assassinat trop récent. Les mineurs responsables de cet attentat étaient toujours dans la nature... mais plus pour très longtemps, elle l'espérait.
On frappa doucement à la porte.
- Entre, fit-elle, sachant qu'une seule personne pouvait se trouver à l'entrée de ses appartements privés à une heure aussi matinale.
Lucia, sa garde du corps personnelle, pénétra dans la pièce. Au premier regard, on reconnaissait une professionnelle sans rien de remarquable : une femme athlétique, d'une quarantaine d'années, à la peau sombre, et aux cheveux noirs bouclés coupés court. Mais, sous le tissu de son uniforme de la Garde Royale, on pouvait sentir les muscles endurcis et bien dessinés, et son regard intense prouvait qu'il ne fallait pas la prendre à la légère.
Serra savait que Lucia avait combattu pendant les Nouvelles Guerres Sith, vingt ans plus tôt. Sniper dans la célèbre unité de la Marche Obscure, elle avait servi dans les rangs de la Confrérie des Ténèbres, l'armée qui avait combattu la République – mais, comme Caleb le lui avait expliqué à plusieurs reprises, les soldats ayant participé à ce conflit étaient très différents de leurs Maîtres Sith.
Sith et Jedi se menaient une guerre sans fin, sur la base d'idéaux philosophiques opposés, et son père n'avait pas voulu prendre part à ce conflit. Pour les soldats qui composaient le gros des armées, cependant, la guerre concernait autre chose. Ceux qui avaient rallié la cause Sith – des hommes et des femmes semblables à Lucia – l'avaient fait parce qu'ils pensaient que la République les avait délaissés. Déchus de leurs droits civiques par le Sénat Galactique, ils avaient combattu pour se libérer de ce qu'ils voyaient comme la tyrannie de la République.
C'étaient des gens ordinaires, devenus les victimes de forces qu'ils ne maîtrisaient pas, des pions pouvant être sacrifiés et massacrés dans les batailles que menaient ceux qui se croyaient grands et puissants.
- Comment avez-vous dormi ? s'enquit Lucia en refermant la porte derrière elle.
- Pas très bien, reconnut Serra.
Il aurait été vain de mentir à une femme qui était à ses côtés presque constamment depuis sept ans. Lucia aurait immédiatement décelé le mensonge.
- Les cauchemars, de nouveau ?
La princesse répondit d'un simple hochement de tête. Elle n'avait jamais révélé à Lucia le contenu de ses cauchemars – pas plus que sa véritable identité –, et sa garde du corps la respectait suffisamment pour ne pas la questionner sur ce sujet. Toutes deux avaient connu des périodes sombres dont elles préféraient ne pas parler, et c'était l'une des choses qui les rapprochaient.
- Le roi souhaite vous parler, l'informa Lucia.
Pour qu'il la fasse appeler aussi tôt, les nouvelles devaient être d'importance.
- Que veut-il ?
La garde du corps prit un voile noir au tissu délicat sur son support, dans un coin de la chambre.
- Je pense que c'est en rapport avec les terroristes qui ont tué votre époux.
Le cœur de Serra s'affola, et ses doigts glissèrent sur le dernier bouton de son haut. Puis, elle reprit le contrôle de ses émotions, et se tint parfaitement immobile tandis que l'autre femme la coiffait du voile. Selon les coutumes en vigueur sur Doan, la veuve devait porter le deuil pendant toute l'année suivant le décès de son mari – ou jusqu'à ce que son bien-aimé soit vengé.
Lucia agissait avec des gestes précis et rapides, rassemblant la longue chevelure noire de Serra et l'épinglant en place sous le voile. La femme soldat étant de taille moyenne, dont un peu plus petite que sa maîtresse, celle-ci se courba légèrement pour lui faciliter la tâche.
- Vous êtes une princesse, feignit de la réprimander Lucia. Vous devez vous tenir droite.
Serra ne put s'empêcher de sourire. Ces sept dernières années, Lucia avait peu à peu comblé la place de la mère qu'elle n'avait jamais eue – en admettant bien sûr que sa mère ait servi dans la Marche Obscure durant les Guerres Sith.
Lucia finit d'ajuster son voile et recula pour permettre une dernière inspection.
- Superbe, comme toujours, décréta-t-elle.
Escortée de sa garde du corps, la princesse s'en alla par le palais pour rejoindre la salle du trône, où les attendait le roi.
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Devant l'entrée de la salle, on exigea de Lucia qu'elle se déleste de son blaster. La coutume voulait qu'en présence du souverain, seule la garde personnelle du roi soit armée. Elle obéit sans protester, bien qu'elle se sentait toujours mal à l'aise lorsqu'elle n'avait pas d'arme à portée de main.
Elle avait accompagné la princesse à un nombre suffisant de ces audiences pour être habituée aux magnifiques décorations bleues et or de la salle du trône. Mais ce matin, les lieux semblaient quelque peu différents, comme s'ils étaient plus vastes, plus imposants. La foule rituelle des courtisans, serviteurs, dignitaires et invités d'honneur était absente. À l'exception du beau-père de Serra et de ses quatre gardes personnels, la salle était déserte, ce qui en disait beaucoup sur la confidentialité de ce qui allait suivre.
Si cette ambiance étrange inquiétait Serra, elle n'en laissa rien paraître en s'avançant vers l'estrade où le roi était assis sur son trône. Lucia suivait à trois pas en arrière, par marque de respect.
Physiquement, le souverain aurait pu être une version plus âgée de son défunt fils : grand et large d'épaules, avec des traits énergiques, une chevelure dorée frôlant les épaules, et une barbe courte d'un ton plus sombre. Mais si Lucia avait appris à mieux connaître Gerran pendant le temps de son mariage avec Serra, elle en savait très peu sur la personnalité de son père. Elle ne le voyait que de loin, lors d'occasions officielles, et dans ces situations, il s'était toujours montré réservé, voire distant.
Serra fit halte au pied des marches recouvertes d'un tapis bleu, mit un genou au sol et baissa la tête. Lucia se figea au garde-à-vous derrière elle.
- Vous m'avez fait mander, Votre Majesté ?
- Les terroristes qui ont orchestré l'attaque de l'airspeeder de mon fils ont été tués la nuit dernière.
- En êtes-vous certain ? demanda-t-elle en levant les yeux vers le roi qui la dominait depuis son trône.
- Une patrouille de sécurité est allée vérifier un renseignement anonyme, et a trouvé leurs cadavres ce matin, dans une vieille caverne qu'ils utilisaient comme quartier général.
- Voilà d'excellentes nouvelles ! s'exclama Serra.
Rayonnante, elle se remit debout. Elle avança d'un pas, peut-être pour embrasser le roi, mais son beau-père demeura immobile sur son siège. Déconcertée, Serra recula sous le regard soupçonneux des quatre gardes.
En voyant la réaction du souverain envers la princesse, Lucia sentit son ventre se nouer. Elle espérait que personne ne sentait sa propre inquiétude.
- Y a-t-il quelque chose que vous ne me dites pas, Sire ? demanda la princesse. Quelque chose ne va pas ? Ils sont bien sûrs qu'il s'agit de Gelba ?
- Ils ont formellement identifié son corps. Deux de ses gardes du corps et trois de ses lieutenants les plus proches ont aussi été tués... ainsi qu'un Céréen nommé Medd Tandar.
- Un Céréen ?
- C'était un Jedi.
Serra secoua la tête. Elle ne comprenait pas cette dernière révélation.
- Que faisait un Jedi sur Doan ?
- Un membre du Conseil m'a contacté et m'a demandé d'autoriser un des leurs à entrer en contact avec les rebelles, expliqua le roi. J'ai accédé à leur requête.
La princesse ne put cacher sa surprise. Toujours au garde-à-vous, Lucia demeura impassible en apparence, mais elle était aussi stupéfaite que sa maîtresse.
- Nous nous sommes toujours efforcés de faire en sorte que le Sénat et les Jedi restent en-dehors des affaires de Doan, protesta Serra.
- La politique menée sur notre planète est menacée, dit le roi. Le soutien aux rebelles grandit dans la communauté galactique. Nous avons besoin d'alliés, si nous voulons préserver la façon de vivre propre à notre monde. En acceptant de travailler avec les Jedi, nous les rendrons, ainsi que le Sénat, moins désireux d'agir contre nous.
- Pourquoi était-il venu ici ? demanda la princesse avec froideur.
Le souverain se renfrogna, et Lucia comprit qu'il n'appréciait guère d'être interrogé de la sorte dans sa propre salle du trône. Mais, sans doute par respect pour son fils disparu, il ne réprimanda pas la princesse.
- Les Jedi ont appris que les rebelles avaient peut-être découvert une cache contenant d'anciens talismans, des objets imprégnés du pouvoir du Côté Obscur. Ils ont envoyé le Céréen enquêter sur la véracité de ces rumeurs et ramener les talismans au Temple Jedi de Coruscant, où ils auraient été neutralisés.
Lucia comprenait la logique qui avait poussé le roi à accepter la mission du Jedi sur Doan. La dernière chose que souhaitait la noblesse était que leurs ennemis entrent en possession d'armes potentiellement dévastatrices. Si les rapports recevaient confirmation, le meilleur moyen de contrer la menace était de laisser les Jedi s'en occuper. Malheureusement, la mort du Céréen n'entrait pas dans ce plan.
- Vous pensez que les Jedi vous en voudront pour la mort de Medd Tandar, remarqua la princesse, qui était suffisamment vive d'esprit pour parvenir à cette conclusion. Vous saviez qu'il entrerait en contact avec les rebelles. On pensera que vous avez embauché un assassin pour le suivre jusqu'à leur repaire.
L'air grave, le roi hocha la tête.
- La mort de Gelba a porté un coup très rude à nos ennemis, mais d'autres prendront très certainement sa succession. Les terroristes se multiplient comme des insectes, et notre guerre contre eux est loin d'être terminée. Jusqu'à maintenant, le Sénat n'a pas interféré avec nos efforts pour débarrasser notre monde de ces criminels, mais s'ils pensent que je me suis servi du Jedi pour accomplir mon désir de vengeance, ils ne resteront pas les bras croisés.
Le roi se leva de son trône, se dressant de toute sa taille au-dessus de Serra, toujours immobile en bas de l'estrade.
- Mais cet assassin n'a pas agi sous mes ordres ! dit-il d'une voix qui résonna dans la grande salle. Cette tuerie s'est produite sans que je ne le sache, à plus forte raison sans que je n'y ai consenti... C'est une violation évidente de la loi de Doan, qui risque de tout nous coûter !
- Est-ce la raison de ma présence ici, Sire ? demanda Serra, qui refusait de se laisser impressionner par cet éclat. M'accuseriez-vous de vous avoir trahi ?
Il y eut un long silence, durant lequel ils s'affrontèrent du regard, avant que le souverain ne reprenne la parole :
- Quand mon fils m'a fait part de son intention de t'épouser, je me suis opposé à cette union.
Il avait dit cela d'un ton calme, comme s'ils bavardaient durant un repas, mais Lucia vit que son regard scrutait toujours le visage de la princesse.
- Oui, Sire, répondit celle-ci sans émotion perceptible dans la voix. C'est ce qu'il m'a dit.
- Tu as des secrets, poursuivit le roi. Tous mes efforts pour me renseigner sur tes parents ou ta famille sont restés vains. Ton passé est bien caché.
- Mon passé n'a aucune importance, Sire. Votre fils avait accepté cela.
- Je t'ai bien observée ces trois dernières années, admit le souverain. J'ai constaté que tu aimais réellement mon fils, et j'ai vu que tu étais anéantie par sa mort.
Serra ne dit rien, mais ses yeux s'embuèrent à l'évocation de son mari.
- Avec le temps, j'ai fini par apprécier les qualités que mon fils avait vues en toi. Ta force, ton intelligence, ta loyauté envers notre Maison. Mais maintenant que mon fils est mort, je ne puis m'empêcher de me demander vers qui va réellement ta loyauté.
- J'ai fait le serment de servir la Couronne, lorsque j'ai épousé Gerran, déclara Serra d'un ton ferme, malgré les larmes dans ses yeux. Et quand bien même mon bien-aimé n'est plus, je ne déshonorerai pas son souvenir en oubliant mes devoirs.
- Je te crois, fit le roi après quelques secondes, d'une voix soudain lasse. Et je ne sais toujours pas qui est derrière ce massacre.
En silence, Lucia expulsa l'air qu'elle avait gardé dans ses poumons sans s'en rendre compte.
Le roi se rassit sur le trône, avec sur le visage une expression troublée et attristée. Serra s'avança et s'agenouilla face à son beau-père, assez près pour poser une main sur son bras, ignorant les gardes menaçants qui s'approchaient d'un pas.
- Votre fils était aimé de tous les nobles de Doan, dit-elle, et les rebelles sont universellement méprisés. N'importe qui aurait pu engager l'assassin, sans savoir que le Jedi serait présent. La mort du Céréen est un accident malheureux, et non le résultat de quelque sinistre complot.
- Je crains que les Jedi ne s'en convainquent pas aussi facilement, commenta amèrement le roi.
- Alors, laissez-moi leur parler, proposa sa belle-fille. Envoyez-moi sur Coruscant. Je leur ferai comprendre que vous n'avez rien à voir avec ce drame.
- Je t'ai vue dans les couloirs ces derniers mois, et je sais quel chagrin te cause la disparition de mon fils. Je ne peux te demander cela, alors que tu portes toujours le deuil de sa mort.
- C'est justement pourquoi c'est à moi de me charger de cette tâche, répliqua-t-elle. Les Jedi seront plus enclins à montrer de la compassion à une femme endeuillée. Laissez-moi accomplir cette mission pour vous, Sire. C'est ce que Gerran aurait voulu.
Le souverain ne réfléchit que quelques secondes à cette offre, avant de l'accepter d'un signe de tête.
Serra se releva et prit congé d'une révérence. Lucia la suivit alors qu'elle quittait la salle du trône, ne faisant halte que pour récupérer son armement à la porte.
Ce fut seulement lorsqu'elles eurent regagné l'intimité des appartements privés de la princesse, avec la porte soigneusement fermée derrière elles, qu'elles osèrent se parler.
- Emporte ça et brûle-le, cracha Serra en arrachant le voile de sa tête et en le jetant au sol. Je ne veux plus jamais le voir.
- J'ai un aveu à vous faire, dit Lucia en ramassant le carré de tissu.
Sa maîtresse se tourna vers elle. La garde du corps ne put décrypter son expression.
- C'est moi qui ai engagé l'assassin responsable de la mort de Gelba, lâcha Lucia.
Elle avait tellement plus à expliquer, entre autres, qu'elle n'avait rien su de la présence du Jedi sur Doan. Elle avait besoin que la princesse comprenne qu'elle n'avait agi de la sorte que pour elle.
Lucia avait toujours senti une ombre sur l'esprit de la guérisseuse. Avec la mort de Gerran, cette ombre s'était accentuée. Elle avait vu son amie glisser dans un désespoir sans fond, à mesure que s'écoulaient mois et semaines, et que la princesse vêtue de noir errait dans le palais tel un fantôme tourmenté.
Elle ne voulait qu'une chose : amoindrir les souffrances de sa maîtresse. Elle avait pensé que, peut-être, si les responsables de la mort de Gerran payaient pour ce crime, Serra pourrait enfin faire son deuil et sortir de cette ombre où elle était tombée.
Elle aurait voulu dire tout cela, mais elle en était incapable. Elle n'était qu'un soldat, et les mots n'étaient pas son point fort.
Serra s'approche et l'entoura de ses bras, dans une longue étreinte amicale.
- Quand le roi a parlé d'engager un assassin pour venger la mort de Gerran, j'ai pensé qu'il pourrait s'agir de toi, murmura-t-elle. Merci.
Et Lucia comprit qu'il était inutile qu'elle dise à la princesse toutes ces choses - son amie savait déjà.
- Je pense que vous devriez l'annoncer au roi, déclara l'ancienne chasseuse de primes lorsque sa maîtresse rompit enfin le contact.
- Non. Il te ferait arrêter, ou il te relèverait de ta charge. Je ne puis le permettre. J'aurai besoin de toi à mes côtés sur Coruscant.
- Vous avez toujours pour projet d'aller parler aux Jedi ? demanda Lucia, quelque peu surprise. Qu'allez-vous leur dire ?
- Que la mort de Medd est un accident. Que le roi n'a rien à y voir. C'est tout ce qu'ils ont besoin de savoir.
Lucia en doutait un peu, mais elle connaissait suffisamment bien son amie pour comprendre qu'aborder ce point serait une perte de temps. Serra n'avait pas l'intention de la dénoncer au roi ou aux Jedi. Néanmoins, la garde du corps ne pouvait se satisfaire de cette situation.
- Je n'ai jamais voulu vous causer de problème, ni au roi. Je suis désolée.
- Ne t'excuse plus jamais de cela ! répliqua Serra. Gelba et ses partisans ont eu exactement ce qu'ils méritaient. Mon seul regret est de ne pas avoir été présente pour assister à leur châtiment.
Le venin dans ces paroles – la colère brute et la haine – prit Lucia au dépourvu. Instinctivement, elle recula d'un pas, mais Serra lui sourit, et ce moment d'embarras prit fin.
- Nous devons partir au plus tôt, remarqua la princesse. Il ne conviendrait pas de faire attendre le Conseil.
- Je vais m'occuper des préparatifs, dit Lucia, consciente qu'il s'écoulerait plusieurs jours avant leur départ.
En effet, en sa qualité de princesse, Serra ne pouvait quitter Doan aussi simplement. Il y avait des protocoles diplomatiques et des procédures bureaucratiques à suivre.
- Tout va bien se passer, affirma Serra en posant une main sur le bras de la garde du corps pour la rassurer. Gelba est morte, mon mari est vengé. Une rencontre rapide avec l'un des Maîtres Jedi, et tout cet incident sera derrière nous.
Lucia acquiesça, mais elle savait que ce ne serait pas aussi simple à régler. La mort du Jedi avait mis en branle un enchaînement d'événements qui laissaient présager que cela se terminerait mal pour elles deux.
