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Retrouvons cette fois-ci Serra et son égoïsme démesuré.
38 – La Prison de Pierre
Cycle I – Tome 3 : Dessel (#27)
Rattachée au chapitre n°125 : Les dernières pièces du puzzle
Assise seule dans la petite pièce sans fenêtre, Serra s'efforçait de rassembler tout son courage. Le mobilier se réduisait à un bureau très simple et à la chaise qu'elle occupait. Les murs nus étaient d'un brun terne déprimant, leur surface en pierre rugueuse. Un petit coffre-fort était encastré dans l'un d'eux, et une unique porte ouvrait sur le couloir.
La princesse n'était pas naïve. Elle comprenait fort bien que cette pièce reflétait l'opinion que la plupart des étrangers se faisaient de Doan – ils voyaient la planète comme un trou perdu et très laid. Et elle savait que tous ceux vivant dans les mines à ciel ouvert, à la surface de ce monde, ressentaient la même chose, mais elle avait vu la vraie beauté de cette planète.
Édifiées sur les plateaux, au sommet des colonnes rocheuses qui s'élevaient loin au-dessus des nuages de poussière et de la pollution, les cités de la noblesse profitaient d'un ciel bleu presque tous les jours de l'année. Chaque matin, le soleil levant faisait briller les flèches polies des châteaux construits des centaines de kilomètres plus à l'est, les enflammant comme des bougies dans la grisaille précédant l'aube. Le soir venu, les tempêtes de sable qui roulaient à travers le désert semblaient danser sur l'horizon, animées de jaillissements intermittents colorés lorsque le soleil couchant illuminait les particules scintillantes soulevées dans leur course tourbillonnante.
Même après toutes ces années, ce spectacle lui coupait encore le souffle, tout comme la première fois qu'elle était venue sur Doan. Après avoir quitté le campement de son père sur Ambria, elle avait parcouru les mondes de la Bordure Extérieure, et s'était servie de ce que Caleb lui avait appris pour aider les moins chanceux qu'elle, se forgeant ainsi une réputation de guérisseuse hors pair. Lorsque le prince héritier avait contracté une mystérieuse maladie, le roi de Doan l'avait engagée pour soigner son fils.
Elle reconnut immédiatement les symptômes de la fièvre idolienne, une infection mortelle si elle n'était pas traitée. Trois mois durant, elle fut à son chevet, et lorsque Gerran guérit enfin, ils étaient amoureux.
Tu lui as sauvé la vie, à l'époque, mais tu n'avais pas le pouvoir de le sauver des terroristes. Si tu avais été plus forte, il serait peut-être encore là.
Serra secoua la tête, en proie à une confusion momentanée. La pensée avait été formulée avec sa propre voix, mais elle avait paru étrangère, comme si quelqu'un d'autre parlait à l'intérieur de son crâne.
Il n'y avait pourtant qu'elle dans cette pièce. La porte en était close, et avec le mobilier restreint, personne n'aurait pu se dissimuler dans un coin. Elle posa un regard méfiant sur la petite pyramide à quatre pans placée au bord du bureau.
Elle avait été découverte dans le petit sac marin que les mercenaires lui avaient rapporté. Le lien de Serra avec la Force était suffisamment net pour qu'elle sente le pouvoir contenu dans cet objet, enfermé sous la surface, n'attendant que de s'exprimer.
Pourquoi l'Iktotchi ne l'a-t-elle pas réclamé ? Elle a dû, elle aussi, sentir son pouvoir, même malgré le sac. Quelque chose d'autre a certainement retenu son attention.
Elle prit la pyramide et, la tenant à bout de bras, elle traversa la pièce jusqu'au coffre. Après avoir composé la combinaison, elle ouvrit celui-ci et plaça l'objet à l'intérieur, puis la referma. L'homme dans le donjon était un Seigneur Sith. Tout ce qu'il possédait pouvait être un instrument du Côté Obscur. Serra n'avait aucun désir d'explorer le pouvoir de la pyramide. Elle ne s'intéressait qu'au prisonnier.
Il était arrivé trois jours plus tôt, et pourtant, elle n'était pas encore allée lui parler. Suivant ses instructions, on avait continué de le droguer continuellement pour qu'il reste sans défense, mais elle ne pouvait plus retarder le moment d'affronter ses démons. Le visage fermé sur une expression déterminée, elle sortit du bureau et parcourut les couloirs sinueux de la tristement célèbre Prison de Pierre de Doan, en direction des cellules d'interrogatoire.
Lorsqu'elle avait appris l'existence du vaste donjon creusé dans le roc, plusieurs kilomètres sous le château, elle avait été horrifiée. Historiquement, la noblesse avait utilisé la Prison de Pierre pour faire disparaître ses opposants politiques. Enfermés au cœur de la colonne rocheuse, à plusieurs kilomètres d'altitude et dans un complexe de plusieurs centaines de mètres de diamètre, les détenus n'échappaient qu'à une chose : leur détection par des scanners. Dans ce labyrinthe, une personne pouvait disparaître à jamais, passer le restant de sa vie enchaînée et torturée pour obtenir des informations ou par pur plaisir sadique, sans aucun espoir de salut.
Dans l'éventualité d'une tentative de sauvetage, l'ensemble était miné, de sorte qu'il pouvait s'effondrer sur lui-même, tuant non seulement les prisonniers mais aussi leurs prétendus sauveteurs. Des charges soigneusement dosées exploseraient selon un ordre très précis, qui détruirait le donjon salle après salle, tout en laissant suffisamment de temps aux gardiens pour en sortir. La Résidence Royale et les autres bâtiments à la surface, quelques milliers de mètres plus haut, ne souffriraient que de quelques secousses très légères – mais caractéristiques –, tandis que le complexe tout entier était réduit à l'état de décombres.
Gerran était encore vivant lorsque Serra avait appris tout cela. Il lui avait expliqué que la Prison de Pierre n'était plus utilisée depuis des siècles, et que c'était simplement une relique d'une ère plus brutale et répressive. En réponse à la pression publique sur le Sénat, la prison avait été fermée. Plus personne n'y était en poste. Sur l'insistance de sa promise, Gerran avait juré qu'une fois roi, il la ferait définitivement sceller, dans un geste symbolisant les nouvelles relations qu'il entendait instaurer entre les nobles et les mineurs.
Mais Gerran était mort, à présent, comme l'était le père de Serra, et c'était elle qui avait engagée des mercenaires pour capturer son ennemi et l'enterrer dans une cellule froide et sombre de la Prison de Pierre. Elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce que les disparus auraient pensé de son initiative. Qu'auraient-ils dit, s'ils étaient encore là ?
Elle chassa cette pensée de son esprit. Ils n'étaient plus. Son père et son mari lui avaient été enlevés pour l'éternité, et elle se retrouvait seule face au Seigneur Sith.
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Il lui fallut près de dix minutes depuis le bureau pour traverser le dédale de passages et de pièces, et arriver là où le prisonnier était détenu. Bien que les couloirs qu'elle parcourut étaient éclairés par de pâles lumières au plafond, nombre de ceux, perpendiculaires, devant lesquels elle passa, se noyaient très vite dans les ténèbres, car ses mercenaires n'avaient rouvert qu'une petite partie de l'établissement. Le reste était toujours désert.
L'homme qu'elle allait voir se trouvait dans l'une des cellules de haute sécurité, accessible uniquement par un escalier fermé à ses deux extrémités par une épaisse porte en duracier. Les mercenaires de garde, en haut des marches, déverrouillèrent celle-ci lorsqu'elle arriva, puis elle descendit rapidement l'escalier.
La même manœuvre se répéta au bas des marches, et elle pénétra dans le poste de garde, une pièce de dix mètres sur dix. Dans le mur du fond, une autre porte en duracier menait à la cellule du prisonnier. Il y avait deux tables dans le poste de garde, la plus grande placée à côté de la porte par laquelle Serra venait d'entrer. La plus petite était équipée de roulettes, et mesurait un mètre sur cinquante centimètres. On l'avait poussée contre le mur de la cellule.
Six des soldats qu'elle avait envoyés appréhender le Sith étaient présents, de même que Lucia et la Chasseuse. Les gardes étaient assis sur des chaises autour de la grande table, et jouaient aux cartes. Les deux femmes se trouvaient aux deux extrémités de la pièce, aussi loin l'une de l'autre que des gardes. Lucia était adossée contre le mur, l'Iktotchi assise en tailleur sur le sol, mains sur les genoux, yeux clos. Peut-être méditait-elle.
À l'entrée de la princesse, les gardes se levèrent précipitamment et se mirent au garde-à-vous, comme Lucia. La Chasseuse ouvrit les yeux, qu'elle braqua sur l'arrivante, mais ne bougea pas. Serra ignorait pourquoi la tueuse était encore là. On l'avait payée, mais pour une raison obscure, elle avait choisi de rester, comme si elle portait un intérêt personnel à la suite des événements.
Mais la princesse avait des préoccupations plus importantes que les motivations de l'Iktotchi.
- Le prisonnier est toujours sous sédation ? s'enquit-elle.
- Oui, m'dame, répondit l'un des gardes. On lui a administré une autre dose il y a une heure.
Serra exprima sa satisfaction d'un hochement de tête, et s'approcha de la table à roulettes. Sur celle-ci étaient disposées près de trois douzaines de seringues hypodermiques, dont les étiquettes de couleur correspondaient à un code précis. Serra les avait toutes préparées elle-même. Celles marquées en vert contenaient du senflax. Les autres – rouges, noires et jaunes – étaient remplies de mélanges variés dont elle aurait besoin pendant l'interrogatoire.
Du coin de l'œil, elle vit Lucia qui venait vers elle. Dans un murmure si bas que seule la princesse put l'entendre, son amie lui dit :
- Cela ne vous ressemble pas. Pourquoi le faites-vous ?
- Tu ne comprendrais pas, répondit Serra sur le même ton.
- Engager cette tueuse, c'était une chose, poursuivit la garde du corps d'une voix qui s'éleva à peine sous l'effet d'une émotion aussitôt maîtrisée. Mais prendre ces mercenaires pour rouvrir la Prison de Pierre en secret ? Et si le roi le découvrait ?
- Cela n'arrivera pas. Tout cela n'a aucun rapport avec Gerran, ou avec Doan.
- Détenir quelqu'un pour le torturer et l'interroger ? insista l'ancienne chasseuse de primes. Ce n'est pas juste, et vous le savez.
- C'est un Sith. Pas un soldat comme tu l'as été, mais un Seigneur Noir. Il ne mérite pas ta pitié, ni la mienne.
Lucia se détourna, mais pas avant que la princesse ne lise la déception sur ses traits.
- Ouvrez la porte, ordonna Serra aux gardiens. Je veux parler avec le prisonnier. Seule.
À ces mots, la Chasseuse bondit sur ses pieds, ce qui poussa Lucia à s'interposer.
- Je veux venir avec vous, expliqua l'Iktotchi.
- Pourquoi ? répliqua la princesse, soudain soupçonneuse.
- Qui d'autre aurait pu le capturer pour vous ? éluda la tueuse. Je n'ai pas gagné ce droit ?
- Si elle entre, j'entre aussi, déclara Lucia en croisant les bras.
La princesse aurait pu opposer une fin de non-recevoir aux deux, mais au fond d'elle-même, elle ne voulait pas affronter seule le monstre de son passé. Et quel mal y aurait-il si elles apprenaient son secret maintenant ? Elle avait dissimulé sa véritable identité toutes ces années seulement parce que son père craignait que cet homme ne se venge sur elle. Puisqu'il était à présent son prisonnier, elle n'avait plus aucune raison de se cacher.
- Toutes les trois, alors, concéda-t-elle.
Saisissant les bords de la petite table, elle la plaça devant elle.
- Verrouillez la porte derrière nous, ordonna-t-elle aux gardes.
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Lucia s'inquiétait pour la princesse. Depuis leur visite au Temple Jedi, elle avait senti que quelque chose avait changé chez son amie, mais jamais elle ne l'aurait imaginée capable de telles extrémités. Elle avait ignoré l'embauche de mercenaires pour rouvrir la Prison de Pierre. Si elle avait été tenue au courant, elle aurait tenté de dissuader Serra de se lancer dans un plan aussi insensé et dangereux. La princesse avait sans doute senti qu'elle s'y opposerait, et c'était pourquoi elle n'avait rien dit à sa garde du corps avant que le prisonnier ne soit enfermé dans sa cellule.
Elle connaissait l'existence de cette prison, bien sûr. En tant que responsable personnelle de la sécurité de la princesse, elle avait besoin de mémoriser toutes les issues existantes du château. Trois jours plus tôt, néanmoins, elle avait seulement vu les plans de cet endroit, et c'était une expérience totalement différente que d'y pénétrer.
Lorsqu'elle était sortie du turbo-ascenseur, elle avait senti l'atmosphère négative des lieux. Dans l'air confiné flottait la puanteur de la mort. Trop d'actes indicibles avaient été perpétrés ici au cours des siècles.
Depuis cet instant, elle avait surveillé de près son amie. Elle voyait bien que quelque chose la rongeait, et elle craignait que l'ambiance sinistre de la Prison de Pierre ne fasse qu'aggraver cela. La princesse était obsédée par l'homme dans le donjon, et pourtant, dans le même temps, elle était incapable de lui faire face. Lucia savait que cette attitude avait un lien direct avec son passé, mais lorsqu'elle avait tenté d'aborder le sujet, Serra avait refusé d'en discuter.
Elle n'avait d'autre solution que d'attendre que la princesse agisse. Maintenant qu'elle allait affronter le prisonnier pour la première fois, Lucia était déterminée à se tenir auprès d'elle. La garde du corps ne comprendrait peut-être pas ce que son amie vivait, et elle serait peut-être en désaccord avec ses actes, mais elle tenait à être là, au cas où la princesse aurait besoin d'elle.
