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Un approfondissement des pensées de Lucia...


39 – Frères d'armes

Cycle I – Tome 3 : Dessel (#28)
Rattachée au chapitre n°126 : L'homme de leurs souvenirs


Lorsque la princesse quitta la cellule, Lucia résista à l'impulsion de la suivre. Les paroles de Dess l'avaient blessée, elle le savait, et en temps normal, elle aurait rejoint Serra pour la réconforter – mais tout avait changé dès l'instant où elle était entrée ici et avait reconnu l'homme enchaîné au mur.

La Chasseuse la regardait fixement, un sourire aux lèvres. L'Iktotchi était un être maléfique, à l'esprit tordu. Elle avait apprécié de voir Serra torturer sa victime. Elle s'était délectée des souffrances de l'homme, et Lucia la soupçonnait de prendre également plaisir à sentir le tourment émotionnel de la princesse.

Elle rendit son regard à la tueuse, mais refusa de parler. Cet affrontement muet dura un moment, puis l'Iktotchi rompit le contact d'un air indifférent, comme si Lucia n'était pas digne de son attention. La garde du corps continua d'observer la Chasseuse qui lui tournait le dos et sortait à son tour de la cellule. Elle était désormais seule avec le prisonnier.

Au début, une partie d'elle-même s'était demandée si Dess méritait ce qu'on lui faisait. Après tout, il était devenu un Seigneur Sith. Durant la guerre, elle avait combattu au côté des Sith, mais elle n'était alors qu'un soldat. Tout comme elle, nombre de ses compagnons d'armes s'étaient enrôlés parce qu'ils ne voyaient aucune autre échappatoire aux souffrances d'une existence écrasée par le désespoir. Pour ces mêmes raisons, ils s'étaient retournés contre la République, mais ils n'en étaient pas moins des hommes et des femmes toujours respectables.

Les Seigneurs Sith, en revanche, étaient des monstres. Cruels, sans pitié, ils ne se souciaient absolument pas des soldats qui les suivaient. Parfois, on avait même l'impression qu'ils savouraient la mort et la douleur infligées aux troupes sous leurs ordres. Leur seule présence inspirait la terreur dans les rangs de l'armée, et la nuit venue, les soldats échangeaient des histoires sur les atrocités qu'ils faisaient subir à leurs ennemis – ou même à leurs alliés, lorsque ceux-ci les avaient déçus.

Lucia n'avait jamais imaginé qu'elle pourrait éprouver de la pitié pour un Seigneur Sith – mais elle n'avait jamais imaginé que Dess deviendrait l'un des leurs.

S'il avait effectivement assassiné Caleb, raisonna-t-elle, alors il s'était lui-même mis dans cette situation. Mais, durant l'interrogatoire, il avait insisté sur le fait qu'il n'était pas le meurtrier du guérisseur, et elle était convaincue qu'il disait la vérité. La tueuse Iktotchi elle-même avait semblé le croire, mais en dépit de toutes les preuves – les rapports des Jedi, la mention de la Chasseuse concernant une mystérieuse jeune femme blonde présente sur les lieux, et les dénégations de Dess en personne –, Serra n'avait pas voulu en démordre. Elle avait refusé de prendre en considération les faits ou la raison. Sa haine la rendait aveugle à tout le reste.

Elle était sortie furieuse de la cellule, et Lucia savait que ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne revienne et ne recommence à torturer Dess. Elle avait lu la folie dans les yeux de la princesse. Serra brûlait du désir de se venger.

Lucia connaissait bien ce regard. Elle l'avait vu chez ses camarades, lorsque la police militaire avait emmené Dess menotté. Qu'il fût ou non coupable du crime n'avait aucun poids dans la balance, et Serra allait le faire souffrir pour la mort de son père. Personne ne pourrait la convaincre de ne pas agir de la sorte.

Et même s'il n'a pas tué Caleb, c'est toujours un monstre. Il mérite très certainement la mort.

Durant l'interrogatoire, elle avait écouté avec un sentiment croissant d'horreur les propos du prisonnier. Il était clair que Dess avait accepté les enseignements du Côté Obscur à un point qu'elle n'aurait jamais imaginé. Il n'était plus l'homme dont elle gardait le souvenir, et la camaraderie de la Marche Obscure ne signifiait plus rien pour la créature qu'il était devenu.

Mais elle signifie toujours quelque chose pour moi.

Elle croyait toujours aux idéaux qui avaient soudé ensemble les membres de l'unité de la Marche Obscure. Ils se protégeaient mutuellement, et pouvaient compter les uns sur les autres pour survivre. Il y avait de l'honneur dans leur code, symbolisé par le salut secret réservé aux seuls autres membres de l'unité : un poing fermé avec lequel on tapotait la poitrine de l'autre, juste au-dessus du cœur.

Quoi que Dess soit devenu, elle lui devait toujours la vie. Il l'avait sauvée, ainsi que toute l'unité, trop de fois pour être obligée de s'en souvenir. Et pourtant, lorsque la police militaire l'avait emmené, elle avait été incapable de le secourir. Aujourd'hui, le destin lui offrait une autre chance de payer sa dette.

Une petite flaque de sang s'était formée sur le sol aux pieds du prisonnier.

Tu ne le fais pas seulement pour Dess, se dit Lucia.

Elle examina les seringues de différentes couleurs encore pleines sur la table roulante.

La haine de Serra ne pourrait que grandir. Elle se montrerait de plus en plus sadique chaque fois qu'elle reviendrait pour faire souffrir sa victime sans défense. La perte de son mari l'avait menée au bord de la folie, et ces séances allaient l'y faire basculer.

Sa garde du corps avait regardé la princesse lorsque celle-ci administrait les diverses drogues à Dess. Elle ne comprenait pas complètement le processus, mais elle en avait vu assez pour saisir les effets de chacune.

Les seringues noires provoquaient les spasmes, et Serra s'en était servie pour torturer le prisonnier. Les jaunes stoppaient les convulsions. Les vertes semblaient replonger Dess dans un état d'hébétement. Quant aux rouges, comme celle que sa maîtresse avait injectée à Dess au début de l'interrogatoire, elles paraissaient le réveiller. Elles devaient contenir une sorte de stimulant ou d'antidote, un produit qui annulait les effets paralysants des autres.

Après avoir regardé par-dessus son épaule pour s'assurer que personne, dans la salle de garde, ne pouvait l'apercevoir par la porte ouverte, elle prit l'une des seringues rouges.

Les mercenaires étaient trop nombreux pour qu'elle puisse espérer se frayer un chemin en combattant, et tenter de redonner sa liberté à Dess de cette manière aurait pour seul résultat leur mort à tous les deux – mais elle n'avait pas besoin de le détacher pour le sauver. Il avait toujours été capable de se débrouiller seul, y compris avant d'acquérir les pouvoirs mystiques d'un Seigneur Sith. Elle le savait tout à fait à même de s'échapper par ses propres moyens, si elle lui donnait juste un coup de pouce.

Elle enfonça lentement l'aiguille dans la cuisse du prisonnier, en espérant que la drogue se diffuserait dans son organisme plus lentement et moins violemment que lorsque Serra l'avait injectée dans son cou. Il n'était évidemment pas impossible qu'elle lui donne une surdose mais, même s'il mourrait, cela vaudrait mieux que de le laisser se faire torturer encore et encore.

Elle replaça la seringue vide sur la table et sortit prestement de la cellule. Elle n'avait pas le temps d'attendre pour voir les effets. Il lui fallait trouver la princesse. Si la drogue agissait comme elle le pensait, il recouvrerait rapidement ses facultés – et dès qu'il serait en mesure d'en appeler au terrible pouvoir du Côté Obscur, aucune cellule de la galaxie ne pourrait le conserver prisonnier.

Dans la salle de garde, les mercenaires avaient repris leur partie de cartes sans se douter de ce que Lucia venait de faire. Serra et la Chasseuse n'étaient pas là.

- Où est allée la princesse ? demanda-t-elle.

Il y eut un long silence, avant que l'un des gardes ne lève à regret les yeux de son jeu pour répondre :

- Elle ne l'a pas dit. Elle est partie, c'est tout.

- Et vous l'avez laissée aller ? questionna Lucia avec colère.

- L'Iktotchi l'accompagnait, alors on s'est dit...

Elle se rappela que ce n'étaient que des hommes de main. Ils ne se souciaient que des crédits qu'on leur avait promis.

- Verrouillez la porte de la cellule, cracha-t-elle. Si quoi que ce soit se passe mal, déclenchez l'alarme.

Ce qui devrait me laisser le temps de faire sortir la princesse d'ici.

Sans enthousiasme, deux des gardes se levèrent pour exécuter son ordre. Lucia s'engageait déjà dans l'escalier.

Peu lui importait qu'une fois libéré de ses chaînes, Dess massacre ces hommes et ces femmes. Ce n'étaient ni ses amis ni ses compagnons d'armes. Elle savait qu'ils l'auraient tuée sans se poser de question si on leur avait proposé un prix acceptable. Ce n'étaient que des mercenaires, et leur vie ne signifiait rien pour elle.

Mais elle se souciait toujours de Serra. Malgré ce que sa maîtresse avait fait, la garde du corps lui était toujours loyale. Elle avait juré de protéger sa vie. Dès qu'il serait libéré, Dess se lancerait à la poursuite de la princesse. Lorsque l'alarme retentirait, Lucia voulait être auprès de Serra pour l'aider à se mettre en sécurité, loin d'ici.

Et s'il nous rattrape avant que nous n'ayons pu fuir, se dit-elle pour se rassurer, peut-être qu'il se souviendra de moi. Peut-être que je réussirais à le convaincre d'épargner la vie de Serra.

Mais avant tout, elle devait la retrouver.