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43 – L'événement déclencheur

Cycle I – Tome 3 : Dessel (#32)
Rattachée au chapitre n°130 : Un fantôme du passé


Serra était comme paralysée, le doigt suspendu au-dessus de la touche qui confirmerait la séquence d'autodestruction de la Prison de Pierre, et initierait la fin du complexe et de tous ceux qui s'y trouvaient.

Elle se tenait dans cette même position depuis plusieurs minutes déjà, et elle était toujours incapable d'appuyer sur cette touche.

Fais-le ! Qui se soucie de Lucia ? Elle t'a trahie ! Fais-le !

La princesse prit une lente inspiration et abaissa la main, mais, au lieu de la touche « CONFIRMATION », ce fut la touche « ANNULATION » qu'elle enfonça. Il y eut un bip discret, et l'éclairage du clavier s'éteignit.

Elle ne pouvait pas le faire. Malgré son désir de ne pas laisser s'échapper le prisonnier, elle ne pouvait tout simplement pas accepter l'idée qu'elle allait condamner Lucia à mort. Cette femme avait été plus que sa garde du corps, elle était devenue sa confidente, son amie la plus intime. Quoi qu'elle ait fait, il existait certainement une bonne raison, et la princesse estimait qu'elle devait au moins à son amie d'apprendre quelle était cette raison.

Abandonnant la salle de contrôle, Serra retourna dans le couloir. Le vacarme de la sirène rendait inutile toute crainte qu'on la repère au son de ses pas. Elle se lança dans un trot nerveux en direction des cellules où le prisonnier avait été détenu. Elle voulait retrouver Lucia.

Il est à ta recherche, et il n'aura pas besoin d'entendre tes pas pour te localiser. Tu penses vraiment pouvoir trouver Lucia avant que lui ne te trouve ?

Elle était consciente du risque, mais elle avait déjà perdu un mari et un père, et elle n'avait pas l'intention de perdre aussi sa meilleure amie, même si cela impliquait d'affronter le monstre de ses cauchemars une fois de plus.

Elle progressait dans les couloirs du complexe en direction de l'endroit où l'Iktotchi lui avait révélé la trahison de la garde du corps, mais avant d'y arriver, elle aperçut un corps effondré sur le sol, loin devant elle, là où le couloir bifurquait.

- Non ! souffla-t-elle en se précipitant. Non !

Elle reconnut Lucia longtemps avant de s'agenouiller auprès d'elle. Ses bras et ses jambes étaient tordus selon des angles bizarres, et ses os brisés avaient percé sa peau – mais ces blessures n'étaient rien en comparaison de ce que le visage et le crâne avaient subi.

Penchée sur le cadavre de son amie, Serra ne versa pourtant pas une larme. Au lieu du chagrin, un engourdissement singulier s'était abattu sur son esprit.

C'est de ta faute. Si tu n'avais pas voulu la vengeance à tout prix, si tu n'avais pas amené le prisonnier ici, rien de tout cela ne serait arrivé. Lucia serait encore en vie.

La voix qui murmurait dans sa tête disait vrai, mais Serra ne ressentait toujours rien, comme si ses émotions, déjà tellement touchées par les morts de Gerran et de Caleb, s'étaient définitivement éteintes.

Puis, elle prit conscience d'un bourdonnement étrange sous la stridence des sirènes. Ce n'était pas le son des sabres-lasers qu'elle avait déjà pu entendre, mais cela ne le rendait pas moins inquiétant. Elle se leva et marcha plus avant dans le couloir, vers la source du bruit, laissant derrière elle le corps brisé de Lucia.

Alors qu'elle se rapprochait, elle commença à percevoir d'autres sons : des grognements de fatigue, de brèves exclamations de colère et de douleur, le martèlement sourd des pieds sur le sol de pierre. Elle reconnut la mélodie du combat.

Mais il n'y a pas de blasters.

Lorsqu'elle arriva à l'intersection de deux couloirs, elle vit du coin de l'œil un mouvement. Elle pivota vers la gauche et découvrit les deux silhouettes qui se faisaient face, à vingt mètres de là. Elle identifia instantanément le prisonnier. Elle n'avait encore jamais vue son adversaire, mais elle savait de qui il s'agissait.

La femme blonde dont la Chasseuse a parlé.

Ils étaient engagés dans un duel intense. Le prisonnier était presque deux fois plus massif que son ennemie, et pourtant c'était manifestement elle, l'agresseur. Elle maniait un sabre-laser à double-lame, alors que l'homme n'avait pas d'arme, pour autant que Serra pût en juger. Il recula prudemment, sans quitter des yeux la femme qui avançait vers lui. Elle réduisait lentement la distance entre eux et cherchait à l'acculer dans un coin pour lui couper toute retraite.

Juste avant qu'elle ne frappe, un éclair de lumière violette jaillit de la paume de l'homme. Elle riposta en interposant l'une de ses lames, laquelle absorba l'énergie dans ce bourdonnement particulier que Serra avait entendu plus tôt.

Les deux combattants étaient tellement concentrés qu'ils ne remarquèrent pas la présence de la princesse. Celle-ci aurait dû être terrifiée, elle aurait dû faire demi-tour et s'enfuir, mais elle n'éprouvait que ce calme nébuleux qui s'était appesanti sur elle lorsqu'elle avait découvert le corps de Lucia.

Sans aucune impression d'urgence, elle rebroussa chemin pour revenir auprès de son amie. Elle s'accroupit, saisit le corps par les poignets et le traîna dans le couloir en grognant sous l'effort.

Elle retourna laborieusement dans la salle de contrôle. Les muscles de sa nuque, de ses épaules et du bas de son dos étaient en feu, mais pourtant, elle ne s'arrêta pas. La sensation était étouffée, aussi distante que son sentiment de tristesse.

Enfin, elle pénétra dans la pièce, mais elle ne fit pas halte devant la console commandant l'autodestruction. Elle tira Lucia par la porte arrière et, non sans difficulté, la hissa dans la soute de la petite navette de secours. Puis, elle revint devant le pavé numérique et composa le code. Cette fois, elle n'eut aucune hésitation et elle appuya sur la touche « CONFIRMATION ».

La tonalité de la sirène changea aussitôt, pour se muer en un long gémissement modulé.

Serra savait qu'elle ne disposerait que de quelques minutes avant la première série d'explosions, mais elle ne pouvait pas partir – pas encore.

Le temps parut suspendre son cours, alors qu'elle se tenait devant la console, à attendre. Il lui sembla que des heures s'écoulaient, alors qu'en réalité, quelques minutes seulement passèrent. Enfin, elle sentit une légère vibration sous ses pieds – l'onde de choc de la première déflagration, aux niveaux inférieurs du complexe carcéral. Quelques secondes plus tard, le phénomène se reproduisit, puis encore, puis encore...

Satisfaite, elle regagna la navette de secours. La destruction de la Prison de Pierre avait commencé.