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44 – Une réalisation trop tardive

Cycle I – Tome 3 : Dessel (#33)
Rattachée au chapitre n°133 : Volatilisé


Le module de secours de la Prison de Pierre était de petite taille et n'offrait pas le confort du vaisseau personnel de la princesse, mais il bénéficiait d'un hyperpropulseur de classe 5 et était bien approvisionné pour un voyage interstellaire. En théorie, s'il devenait un jour nécessaire d'activer la séquence d'autodestruction du complexe carcéral, il y avait aussi de grandes chances que des membres-clés de la famille royale ou leur entourage soient obligés de fuir Doan.

Dans le cas de Serra, c'était la triste réalité. Elle ne pouvait qu'imaginer les retombées politiques de ses actes. Le père du roi avait fermé la Prison de Pierre. Officiellement, elle était donc plongée dans une inactivité intégrale. Sa destruction entraînerait une avalanche de questions quant à ce qu'il se passait réellement dans ce complexe situé sous la propriété de la famille royale. Les enquêtes ne donneraient rien, bien sûr : les charges explosives avaient été calculées avec soin pour infliger un maximum de dégâts à toute la structure. Toute opération de remise en état reviendrait beaucoup trop cher, sans parler des obstacles pratiques à surmonter. Quels que soient les secrets enfouis dans ses décombres, ils y resteraient encore longtemps.

Cela n'empêcherait pas les rumeurs et les spéculations, bien entendu. Les mineurs se méfiaient déjà de la noblesse. L'annonce que cet établissement de sinistre réputation avait été rouvert, même temporairement, réveillerait de vieilles blessures. La sympathie pour les rebelles irait crescendo, ainsi que le nombre de leurs recrues.

La propre disparition de la princesse ajouterait à la confusion, mais à long terme, ce serait mieux pour elle ainsi. Elle avait fait serment de loyauté envers la Maison de Doan, qu'elle avait trahie, ce qui créerait bien des problèmes aux parents de Gerran. Si le roi et tous les autres la croyaient morte, avec son cadavre à jamais enseveli sous dix mille tonnes de roc, il leur serait plus facile de gérer la situation catastrophique qu'elle avait laissée derrière elle.

Puisqu'il lui était impossible de retourner chez elle, sur cette planète, elle avait choisi l'itinéraire pour rejoindre le seul autre endroit de la galaxie où elle avait connu le bonheur. Et pourtant, alors qu'elle s'apprêtait à poser la navette en bordure du campement de son père, sur Ambria, ce ne fut pas de la joie qu'elle ressentit.

En l'espace de seulement deux mois, il lui semblait avoir tout perdu. Maintenant qu'elle était seule et rongée par la culpabilité, elle était venue ici dans l'espoir de trouver la paix – pour elle-même, mais aussi pour son amie.

C'était le crépuscule, et les derniers feux du jour se dissipaient à l'horizon lorsqu'elle déchargea le corps de Lucia. Après avoir déposé son amie sur le sol, elle retourna à bord et trouva une petite pelle dans le matériel embarqué.

Le sol sableux était mou, ce qui rendit son labeur plus aisé que sur la plupart des autres mondes. Même dans ces conditions, il lui fallut plus d'une heure pour terminer de creuser la tombe. Elle plaça du mieux qu'elle le put la dépouille de Lucia dans la fosse, puis elle reprit la pelle et entreprit d'enterrer son amie.

La chaleur du désert s'était dissipée rapidement avec le coucher du soleil, et dès qu'elle cessa de s'activer, elle frissonna de froid – mais cette dépense d'énergie avait agi comme une catharsis. L'engourdissement qui embrumait ses pensées et ses émotions s'était évanoui.

Une brise légère se leva, et elle frémit. Au lieu de retourner dans la navette, cependant, elle traversa le campement et alla s'abriter dans la vieille cabane abandonnée.

À l'intérieur, elle se pelotonna dans un coin et ferma les yeux. Elle sentait toujours la présence de son père en ce lieu. Même s'il n'était plus, le simple fait de se trouver ici aidait à évoquer les souvenirs de son visage, de sa voix. Elle en tira un peu de réconfort, comme si la force tranquille et la sagesse de Caleb se transmettaient de cet endroit où il avait passé presque toute sa vie.

Ce fut seulement alors qu'elle prit conscience de l'étendue de son erreur. Caleb l'avait toujours mise en garde contre le Mal qui imprégnait tous les aspects du Côté Obscur, pourtant, au moment crucial, elle avait ignoré ses conseils. Et tout ce qui était allé de travers – tout le sang qu'elle avait désormais sur les mains – prenait sa source dans sa haine et son désir de vengeance.

Cela avait commencé avec la mort de Gerran. Au lieu de pleurer sa disparition et de continuer à vivre, elle s'était accrochée à son chagrin, jusqu'à le transformer en une colère amère qui avait empoisonné ses journées. Désespérée de la voir ainsi, Lucia avait engagé une tueuse pour la venger, en pensant que peut-être cela sauverait son amie des ténèbres qui l'enveloppaient. Et sans le vouloir, elle avait mis en branle le mécanisme qui avait abouti à la chute de Serra.

La Chasseuse avait massacré le Jedi Medd Tandar, et ce meurtre avait engendré l'implication du Conseil et celle du roi. Lorsque Lucia lui avait avoué son initiative, Serra aurait dû être horrifiée – son père l'aurait été, lui.

Elle aurait dû parler au roi de l'assassin, en ne mentionnant pas Lucia afin de la laisser en-dehors de cette triste affaire. Par ce simple geste d'honnêteté, elle aurait pu éviter toutes les souffrances survenues ultérieurement – mais elle avait choisi de tromper le souverain de Doan, elle avait tu son secret et s'était réjouie du crime terrible perpétré en son nom.

Ce mensonge avait eu pour conséquence son voyage sur Coruscant, où elle avait découvert la vérité sur la fin de son père. À la réflexion, elle n'en doutait pas, Caleb avait donné sa vie plutôt que se soumettre à la volonté du Côté Obscur – mais, au lieu d'honorer sa mémoire en suivant son exemple, elle avait laissé sa peine pervertir son sens de la justice. Une fois encore, elle avait permis que la colère et la haine commandent ses actes, et elle avait envoyé Lucia engager la Chasseuse pour un second contrat.

Lorsque l'homme sombre de ses cauchemars avait été capturé, Serra avait pourtant eu une autre opportunité de s'éloigner de l'abîme. Il lui aurait suffi de le livrer aux autorités, mais elle avait préféré le jeter en prison pour le torturer.

À ce stade, elle avait plongé si profondément dans le puits des ténèbres que Lucia elle-même avait senti la corruption qui la rongeait. Et son amie avait tenté de la mettre en garde, parce qu'elle voyait ce qui arrivait à la princesse - mais aujourd'hui, Lucia était morte, elle aussi.

Colère, vengeance, tromperie, cruauté, haine - c'étaient les attributs du Côté Obscur. Depuis la mort de Gerran, Serra leur avait permis de dominer son existence. C'était seulement maintenant, alors qu'elle était recroquevillée, seule, dans le coin d'une cabane au cœur du désert, qu'elle comprenait le prix réel à payer.

Le Côté Obscur détruit. Il ne peut apporter la paix, il ne permet jamais de tourner la page. Il n'est porteur que de malheur et de mort.

Caleb avait su cette vérité. Il avait essayé de la lui transmettre, mais elle avait déçu ses espoirs, et elle avait tout perdu.

- Je suis désolée, père, murmura-t-elle en essuyant d'une main ses larmes. Je comprends, à présent.

Ce qui avait été fait ne pouvait être changé. Elle devrait vivre avec le poids de ses crimes, mais elle ne se laisserait plus séduire par le Côté Obscur. Quel que soit le destin qui l'attendait, quels que soient les conséquences ou le châtiment de ses actes, elle les accepterait avec un calme stoïque et une force paisible.

Je suis toujours la fille de mon père.