Le gros des mercenaires de Jebag nar An'Jebag était alors prêt à se mettre en route pour le lieu d'échange prévu avec le flic de la Criminelle de Zakéra: tous étaient armés de pied en cap, et rassemblés en colonne par deux sur un ancien quai de chargement, dans une autre portion de l'usine désaffectée. En comptant leur chef Elam Berzhek, on dénombrait là une grosse douzaine de mercenaires en armures noires et blanches, essentiellement des Butariens, avec quelques Turiens. C'est en essayant de joindre leurs deux comparses restés au niveau carcéral – ceux dont l'Inspecteur avait personnellement réglé le sort –, de manière à ce qu'ils fassent remonter leur otage turienne, que les mercenaires avaient enfin pris conscience que leur planque venait d'être infiltrée. À l'issue d'une énième tentative infructueuse, l'Ingénieur turien chargé des communications tourna un visage penaud vers son patron butarien:

-–- Rubbius et Gradek ne répondent toujours pas, chef. Pas de signaux de brouillage, mais leurs deux communicateurs restent muets. Peut-être que...

-–- Peut-être, peut-être...! l'interrompit Berzhek avec colère. Peut-être qu'ils ont surement déjà été mis hors jeu, oui! Tués, assommés ou capturés, pour l'instant, c'est égal; on verra plus tard! Rallume tout, il faut que je parle aux gars...

Tandis que l'Ingénieur turien réactivait les éclairages secondaires dans l'ensemble des bâtiments depuis son Omnitech, Berzhek déclenchait depuis le sien un signal d'alarme qui commença à résonner en continu dans toute l'ancienne usine. Ce n'était là guère plus qu'un moyen psychologique de forger un sentiment d'urgence chez ses hommes, et peut-être aussi de tenter de faire paniquer les intrus.

-–- Écoutez-moi, vous autres, commença le Butarien d'une voix puissante, habituée à commander. Aucun de nos systèmes de détection passifs ne s'est déclenché; et pourtant, tout indique qu'on a été infiltré par des intrus qui auraient déjà atteint le niveau de la prison! Il peut s'agir d'une avant-garde furtive du SSC en prévision d'un assaut plus massif, envoyés par ce faux derche de flicard turien avec lequel on devait faire affaire. Ça pourrait aussi bien être une bande rivale qui se pointerait vraiment au plus mauvais moment; ou bien peut-être juste des trouducs de ferrailleurs quariens qui auraient fracturé la mauvaise porte, mais ça j'y crois pas trop. Alors quoi qu'il en soit, on lâche tout pour l'instant pour aller traquer et régler leur compte à ces touristes...

Aucun murmure ne s'éleva des rangs des mercenaires durant cette harangue: les hommes se contentaient d'armer leurs fusils en silence, en vue d'un contact à brève échéance. Il s'agissait clairement là de militaires chevronnés, habitués à changer d'objectif du tout au tout en plein milieu d'une mission. De son côté, Berzhek lançait toujours ses ordres:

-–- ...Formez des groupes de deux; chaque groupe remonte le chemin vers les principaux points d'accès de l'usine, scanners branchés, en tâchant de repérer toute trace des intrus. Nos adversaires ont peut-être de quoi brouiller localement nos communications; alors si vous êtes accrochés et privés de comm, tirez comme des fous! Le son porte bien dans cette grande baraque, on devrait vous localiser assez vite. Slavius restera avec moi...», précisa Berzhek en désignant l'Ingénieur turien qui se tenait à ses côtés, avant de pointer du doigt trois autres Butariens: «...Erjilim, toi, et toi, vous descendez à la prison pour voir ce qui est arrivé à Gradek et Rubbius, et pour vérifier si notre invitée turienne est toujours là. Même consigne pour vous: en cas d'opposition, tirez pour rallier du monde. Strom...

Le chef butarien se tourna vers la masse statique de neuf pieds de haut qui faisait écran entre lui et la principale source lumineuse du quai, le maintenant ainsi dans un cône d'ombre assez humiliant. La masse en question s'avança d'un pas, qui fit résonner le sol métallique: il s'agissait bien évidemment là du garde du corps krogan d'Elam Berzhek – Strom, comme l'avait nommé Gontar Mulon lors de son arrestation. Il fallait bien admettre que la description sommaire qu'en avait donné le trafiquant galarien n'était pas exagérée: le monstre de Tuchanka était d'une stature vraiment, vraiment très impressionnante! On pouvait également noter que l'armure lourde que portait le Krogan n'était pas noire et blanche comme celles des autres mercenaires, mais d'un rouge sang uniforme. Cette entorse aux règles strictes de l'unité, tolérée pour un membre particulièrement important du groupe, semblait suggérer une ancienne allégeance de sa part au très redouté gang mercenaire des Berserkers.

-–- ...Strom, poursuivait déjà Berzhek, comme d'habitude, tu formeras la principale force de réserve à toi tout seul. Pour l'instant, tu accompagnes le groupe d'Erjilim en bas. Mais si on t'appelle ou que tu entends tirer dans l'usine, tu radines au pas de charge! C'est clair pour tout le monde? Alors en piste!

-–- Bien pris, chef! clamèrent d'une seule voix les mercenaires.

Strom, lui, manifesta son assentiment par un grognement furieux, souligné par le claquement métallique retentissant qu'il émit en frappant son énorme fusil à pompe Claymore contre le poitrail blindé de son armure rouge. Les paires furent rapidement formés, et les objectifs assignés sans autre perte de temps; le groupe mercenaire ne tarda pas à se disperser au pas de course, dans un calme et un silence impressionnants. Pour un spectateur, l'ensemble de la manœuvre aurait renvoyé l'impression d'une machine de guerre parfaitement huilée.

L'Inspecteur Harrius Kallaghian n'était pas parvenu sur les lieux assez tôt pour pouvoir assister à ce dernier briefing. Mais il était bien placé dans un recoin sombre, et bien abrité derrière son écran d'invisibilité, pour voir passer le groupe qui descendait vers le niveau de la prison. Il s'en était fallu de peu qu'il ne les croisât dans les corridors étroits des niveaux inférieurs au moment où lui-même remontait: même sous camouflage optique, une rencontre dans de telles conditions n'aurait pas été à l'avantage du chasseur turien solitaire!

D'un côté, Kallaghian fut rassuré de ne voir descendre que quatre mercenaires vers le secteur où s'étaient retranchés l'officier Washington et le docteur Veltrin. En revanche, la présence parmi eux de la bête de guerre krogane dont avait parlé le trafiquant galarien Gontar Mulon inquiéta l'Inspecteur au plus haut point. Si ce véritable blindé bipède décidait d'ouvrir la route à un assaut frontal, les armes légères de ses deux compagnons auraient bien du mal à l'arrêter! Le Turien allait devoir mettre les bouchées doubles pour attirer un maximum de forces mercenaires contre lui-même et la menace insaisissable qu'il devrait représenter, comme cela avait été convenu avant qu'il ne quitte le niveau carcéral.

L'Inspecteur se mit donc en quête d'un bon site d'embuscade où accrocher une patrouille, en utilisant son module de camouflage pour se déplacer d'une position dissimulée vers l'autre, et en prenant toujours grand soin de demeurer hors du rayon de détection des scanners individuels qu'aurait pu porter l'un ou l'autre des mercenaires. L'ancien commando de la Garde Noire ne tarda heureusement pas à déboucher en position idéale sur les arrières de deux Turiens, dans l'un des corridors de service menant aux accès de l'ancienne usine. Les deux patrouilleurs se révélèrent cependant être des adversaires aguerris: l'Inspecteur ne put placer qu'un unique tir sur l'un des deux mercenaires, sans même parvenir à abattre totalement les barrières cinétiques de son armure noire et blanche, avant qu'ils ne se jettent tous deux à couvert derrière les renfoncements de murs les plus proches, chacun deux étant en mesure de couvrir un angle du couloir devant lui. Cette déconvenue n'avait finalement rien de bien surprenant: le pistolet lourd Carnifex est certes une arme puissante, mais l'un de ses défauts les plus notoires est sa cadence de tir trop réduite pour traiter plusieurs cibles à la fois.

Tandis que l'un des Turiens arrosait l'enfilade du couloir devant lui, le second tenta de contacter des renforts. Celui-là ne tarda cependant pas à pester rageusement:

-–- Merde, nos comms et nos scanners sont en rade! Rien ne passe...!

-–- Sacré matos de brouillage qu'il doit avoir en face, celui-là! supposa le premier Turien.

-–- Mais par les Esprits, c'est qui enfin, ce type tout seul?! Un commando de la Garde Noire, ou quoi?

Les mercenaires virent alors glisser au sol un petit objet circulaire, pile entre leurs deux postes de tir. L'effet de sidération qui les empêcha de détourner les yeux de cette menace immédiate leur fut fatal. Lorsque l'engin – une grenade Flash-bang! – éclata, les deux soldats se retrouvèrent aveuglés, assourdis, assommés, bref virtuellement mis hors de combat. L'Inspecteur Kallaghian se dirigea alors d'un pas résolu, Carnifex en main, droit vers la position de ses adversaires neutralisés, qu'il gratifia sans l'ombre d'une hésitation de quatre tirs successifs, tous parfaitement ajustés. Les deux premiers projectiles lourds, chargés d'une enveloppe phasique, suffirent à abattre ce qui restait des barrières cinétiques des deux Turiens; les deux suivants traversèrent leurs casques au niveau de la visière. L'Inspecteur poursuivit son chemin en enjambant nonchalamment les corps sans vie de ses deux congénères. C'est d'un ton sarcastique qu'il marmonna alors seulement la sommation d'usage qui tombait avec un temps de retard:

-–- SSC, lâchez vos armes...

Tout en marchant, Harrius renouvela la cartouche thermique de son pistolet lourd, en prévision des prochains combats à venir. Le temps de rechargement était en principe l'un des points faibles du gros M-6 Carnifex; mais l'Inspecteur avait équipé le sien d'un éjecteur automatique, qui réduisait ce délai de moitié lorsque l'accumulateur thermique de son arme de poing avait atteint les limites de son endurance.

Immanquablement, l'écho des combats avait attiré l'attention d'une autre paire de mercenaires qui patrouillaient dans le coin. Kallaghian dut s'esquiver à nouveau de toute la vitesse de ses grandes pattes élancées, lorsque les rafales bien groupées de deux Butariens arrivés sur les lieux commencèrent à ponctuer les murs autour de lui. En remontant au galop le lacis étroit des couloirs de service qu'il avait pris le temps d'explorer, l'ancien commando turien mena ses poursuivants exactement là où il le souhaitait – vers l'un des pièges qu'il avait pris soin de préparer! Au détour d'un couloir, l'Inspecteur se jeta vivement à l'abri d'un renfoncement obscur dans l'un des murs, où son camouflage optique et son brouillage des détections empêcheraient ses poursuivants de le repérer.

Les deux Butariens lancés au pas de course dépassèrent effectivement sa position sans le voir... et se jetèrent droit dans le périmètre de détection de la mine de proximité que l'Inspecteur avait placée en travers du corridor! Pris dans le rayon de l'explosion dont l'espace confiné démultiplia l'effet de souffle, les deux mercenaires furent projetés au sol, sérieusement sonnés, avec leurs barrières cinétiques à plat. L'Inspecteur quitta alors tranquillement sa cachette, le temps pour son Carnifex d'aboyer encore à deux reprises, et pour les Butariens à terre de cesser définitivement de remuer. À aucun moment les mandibules du Turien n'avaient seulement frémi. Son travail de nettoyage terminé ici, le justicier revint sur ses pas en tapotant avec satisfaction la musette d'explosifs sanglée contre sa cuissarde d'armure.

Méthodiquement, les frappes ponctuelles de Kallaghian continuaient à amoindir les rangs du gang mercenaire. Un peu plus loin, deux autres Butariens en armure noire et blanche patrouillaient au niveau d'une des anciennes chaînes de montage de l'usine, où s'alignaient encore de manière macabre, dans une semi-pénombre, les squelettes de mécas à demi assemblés lorsque la production avait été brutalement stoppée. À un moment donné, l'un des soldats réalisa brusquement que son binôme, parti explorer l'arrière des conteneurs d'expédition qui jalonnaient les bords de cette longue allée, n'était toujours pas reparu. En se rapprochant, le Butarien s'aperçut également que l'aire de brouillage dans laquelle il venait de pénétrer l'empêchait de lire quoi que ce soit sur son scanner de détection. L'intrus était vraisemblablement tout proche! En s'efforçant d'éviter de paniquer, le mercenaire arrosa donc au jugé l'espace suspect entre deux des conteneurs, de manière également à faire un maximum de pétard et à rameuter du monde, tout comme Berzhek en avait donné l'ordre.

Lorsque la cartouche thermique de son fusil Mattock se retrouva saturée, le Butarien replaça rapidement celui-ci sur le dos de son armure, en dégainant dans la foulée son pistolet Prédateur qu'il pointa droit devant lui. Puis sans attendre l'arrivée des renforts, il s'avança avec audace en direction de l'espace sombre où avait disparu son camarade. Son pas se fit cependant plus circonspect, sa posture plus tendue, et sa respiration plus haletante, à mesure qu'il se rapprochait du danger. Le mercenaire activa son module de vision nocturne, avant de tendre prudemment le cou pour inspecter la zone d'ombre derrière les conteneurs. L'infortuné eut à peine le temps de sentir la lame acérée d'une griffe de combat turienne glisser furtivement sous sa gorge, que déjà son sang se déversait généreusement sur ses bottes blindées!

Le bruit de la fusillade avait cependant rallié un adversaire autrement plus redoutable: Strom, le gigantesque mercenaire krogan en armure rouge, armé de son énorme fusil à pompe Claymore. Une fois parvenu sur les lieux, le Krogan examina rapidement le terrain, tous ses sens en alerte. Il découvrit bien derrière les conteneurs le corps du mercenaire butarien égorgé, encore secoué de quelques ultimes convulsions, mais aucune trace du collègue qui aurait dû patrouiller avec lui, ni surtout de leur agresseur. Même dans un espace aussi sombre, Strom repéra cependant assez vite une piste encourageante: une suite d'empreintes de pas didactyles, caractéristiques des grands piafs gris de Palaven! Les traces étaient teintées de rouge, comme si le Turien à qui elles appartenaient avait marché dans le sang du Butarien qu'il venait de trucider. Une erreur plutôt grossière, pour un assassin furtif digne de ce nom! Le Krogan se mit donc en devoir de suivre la piste providentielle, tout en prenant bien sûr en compte l'éventualité que tout cela ne puisse être qu'un piège. Son regard rougeoyant, brutal et inquiétant, explorait donc tous les endroits où ce vicelard de surineur turien aurait pu placer une mine de proximité, tandis qu'il empruntait l'escalier étroit descendant vers les anciens systèmes de motorisation de la chaîne de production.

Après avoir remonté une succession de petits locaux de supervision déserts, Strom eut soudain la surprise de voir clignoter sur son scanner de poignet un écho correspondant à une présence organique. L'origine de cet écho semblait être localisée derrière le gros conteneur d'hydrogène qui emplissait presque tout le volume de la pièce voisine, et qui devait autrefois alimenter le fonctionnement de toute la chaîne de montage à l'étage supérieur. Le seul fait que le Turien n'ait pas pris la précaution élémentaire de brouiller sa signature, confirmait à Strom que son adversaire cherchait sans doute à l'attirer dans un piège – par exemple, en l'attirant sur un terrain où il n'oserait pas faire usage de son arme à feu, comme ici au voisinage d'une citerne d'hydrogène hautement inflammable, et vraisemblablement non-purgée! Le Krogan replia donc son gros fusil à pompe Claymore, puis le remisa rapidement sur le dos de son armure. L'instant suivant, son Omnitech déployait une Omni-lame flamboyante en carbure de silicium, qui vint compléter la longueur de son avant-bras.

Prêt à se jeter dans un combat sans merci au corps-à-corps, Strom contourna rapidement la grosse citerne d'hydrogène. Mais tout ce qu'il trouva en face de lui fut le corps d'un mercenaire butarien inerte, adossé contre la paroi du conteneur. Le soldat était inconscient, vraisemblablement assommé par l'un de ces puissants Chocs neuraux que l'Inspecteur savait tirer de son Omnitech; mais ses fonctions vitales étaient toujours suffisamment actives pour faire réagir le détecteur de signatures organiques du Krogan. Juste au-dessus du Butarien, Strom reconnut un petit disque épais et segmenté collé contre la paroi de la citerne, qu'il identifia immédiatement comme une charge de démolition! Un bip frénétique retentit soudain, confirmant que le détecteur de proximité couplé au dispositif avait été réglé pour ne réagir qu'à la masse imposante du Krogan...

-–- ENFOIR...!

Strom n'eut même pas le temps d'achever son ultime rugissement de colère, que déjà la charge explosait. Le conteneur d'hydrogène, le géant krogan, le Butarien inconscient, tout disparut instantanément dans l'ouragan de flammes qui ravagea tout le volume de l'étage technique. Depuis le niveau supérieur qu'il avait déjà rejoint, Kallaghian sentit vibrer le plancher d'acier sous ses pieds.

-–- Boum, conclut simplement le Turien, sans véritable triomphalisme dans la voix.

Kallaghian était plutôt content de lui: il avait mis hors de combat l'essentiel des effectifs des mercenaires, y compris la plus "grosse" menace; il ne devait donc plus rester en face de lui que Berzhek lui-même, et les quelques types qui bloquaient encore le niveau carcéral. L'Inspecteur pouvait donc légitimement se montrer optimiste pour ce qui concernait la suite des opérations prévues. Son exaltation le conduisit même sur la voie dangereuse de la négligence, car il omit de réactiver son camouflage optique au moment de traverser le prochain passage exposé – une galerie de circulation ouverte dominant une nouvelle chaîne d'assemblage automatisée à l'arrêt.

Ce n'est que trop tard qu'il aperçut les deux mercenaires qui passaient à ce moment juste en-dessous de lui: Elam Berzhek en personne, flanqué de son Ingénieur turien, celui qu'il avait appelé Slavius. La silhouette de ce dernier flamboyait d'une surcouche de plaques holographiques dessinée autour des points vitaux de son armure, indiquant que l'Ingénieur avait activé son Technoblindage. Il fut d'ailleurs le premier à apercevoir l'Inspecteur sur la galerie supérieure, et à envoyer une paire de rafales dans sa direction. Le Butarien eut quant à lui une réaction bien plus surprenante: le poing nu qu'il braqua vers la menace armée émit un flux d'énergie, une sorte de comète d'un bleu rayonnant, qui s'éleva au-dessus de la passerelle pour changer de direction et replonger droit vers la position de Kallaghian! Ce dernier ne parvint à échapper à cette attaque démoniaque qu'en se lançant dans une roulade avant désespérée. Le vieux chariot à roulettes que vint frapper le flux d'énergie derrière l'Inspecteur se retrouva nimbé d'une lueur bleutée, et commença à se craqueler et à se rétracter sur lui-même: les effets caractéristiques d'une frappe biotique de type Déchirure! Ce Berzhek était un putain de biotique! Voilà qui allait singulièrement compliquer la suite des opérations...

De leur côté, Berzhek et Slavius se précipitèrent vers l'escalier menant aux étages supérieurs, chacun prenant bien sûr soin de couvrir l'autre durant leur progression par bonds alternés. Le fusil Vindicator avec lequel l'Ingénieur turien tenait en joue la galerie supérieure, paraissait d'un coup bien moins menaçant que le poing crépitant d'éclairs bleus que brandissait le biotique butarien lorsque c'était au tour de Slavius de faire mouvement. Le duo de combattants aguerris atteignit bientôt l'accès à l'escalier. Mais au moment où Berzhek allait se jeter en avant, Slavius lança un «Stop!» au ton assez paniqué pour faire piler net le Butarien dans son élan. L'Ingénieur invita du geste Berzhek à se décaler, de manière à ce que son chef puisse réaliser la présence d'un dispositif suspect collé dans un angle du mur, sur le chemin qu'allait emprunter Berzhek – hors de vue de celui-ci, mais tout juste visible depuis l'endroit où se tenait Slavius.

-–- Tu l'as échappé belle, soupira ce dernier tandis qu'il se rapprochait, Omnitech activé pour désarmer l'engin. Quel sale bâtard de flic de...!

Le Turien n'eut pas le temps de finir de livrer le fond de sa pensée. Les barrières cinétiques suralimentées de son armure d'Ingénieur étaient assez puissantes pour survivre à un tir nourri de projectiles hypersoniques; mais elle ne purent en rien amortir le choc du Tir percussif venu de derrière lui, qui le projeta dans les cordes – ou plus exactement, pile dans le rayon de détection de la mine de proximité! Le souffle de l'explosion produisit une surpression qui aurait suffit en elle-même pour broyer le Turien à l'intérieur de son armure, sans même que la grêle de fragments métalliques ait eu besoin de s'en charger. Un peu plus éloigné de l'onde de choc, et partiellement protégé par le corps de son Ingénieur, Berzhek s'en tira un peu mieux de son côté. Il était à terre, légèrement choqué, et ses barrières cinétiques avaient été annihilées par la décharge d'éclats qu'elles avaient subie; mais il n'en était pas moins indemne.

Le Butarien eut tout juste le temps de se remettre sur ses pieds, encore un peu sonné, pour voir sa némésis turienne sauter du haut de la galerie supérieure, et se recevoir au sol à seulement quinze mètres de lui avec la grâce d'un commando surentraîné. Berzhek n'avait pas d'arme en main ni à sa portée; mais avec l'aiguillon de la colère et du danger, concentrer une puissante charge d'énergie biotique dans son poing droit lui prit moins de deux secondes. Il fallut très exactement le même laps de temps à l'Inspecteur Kallaghian pour mettre le chef mercenaire en joue, Carnifex prêt à faire feu.

Les deux adversaires se retrouvaient donc mutuellement bloqués en situation armée. Une idée commençait cependant à naître sous le crâne surélevée du Butarien; mais c'est pourtant bien Kallaghian qui la formalisa verbalement, en apostrophant avec morgue le chef du gang esclavagiste:

-–- Je sais ce que tu es en train de te dire, Biot-man: est-ce que j'ai tiré mes six coups, ou bien seulement cinq? Je t'avouerais que dans le feu de l'action, j'ai pas trop compté moi non plus...Là, maintenant, tu dois te poser qu'une seule question: «Est-ce que je tente ma chance?» Alors, pourriture, tu la tentes, ou pas?

Six coups représentaient l'endurance théorique de la cartouche thermique du pistolet lourd Carnifex que brandissait l'Inspecteur. Le dernier Tir percussif qu'avait fourni son arme avait d'ailleurs dû consommer une grande partie de cette capacité. C'est en tout cas ce que Berzhek était en train de se dire, lorsqu'il lança brusquement son bras vers l'avant pour libérer toute l'énergie noire que son organisme y avait accumulée. Le Butarien n'eut cependant jamais le temps d'achever sa combo d'activation biotique, stoppé en plein mouvement par le tir qui le frappa très exactement à la jonction de ses quatre yeux. Ceux-ci louchèrent vers la plaie mortelle, comme s'ils tentaient de suivre la trajectoire qu'avait emprunté le projectile hypersonique; mais celui-ci était déjà ressorti depuis bien longtemps par l'arrière du crâne du chef mercenaire. Berzhek finit par s'effondrer sur le dos, les bras en croix, dans une posture à peine moins ridicule que la grimace stupide qui ornait définitivement son visage.

Harrius Kallaghian se rapprocha à pas lents, tout en gardant un œil prudent sur les environs, de manière à s'assurer de la mise hors d'état de nuire de son adversaire. C'est en éjectant dans claquement sec la cartouche fumante de son Carnifex, qu'il laissa tomber avec mépris:

-–- Vous autres, les espèces à cinq doigts, on dirait que vous avez vraiment du mal à compter jusqu'à six...

En vérité, l'Inspecteur avait bel et bien tiré l'équivalent de six coups, au moment où il s'était jeté du haut de la galerie pour faire face à Berzhek. Mais le dissipateur thermique qu'il avait bricolé sur son arme fétiche évacuait assez de chaleur pour lui offrir une marge d'un ou deux tirs supplémentaires avant saturation de sa cartouche d'accumulation. Le petit bijou d'efficacité mortelle qu'était ce Carnifex suréquipé valait décidément bien tout l'amour que lui portait l'Inspecteur...

Harrius considéra froidement le corps du truand butarien étendu au sol. Il envisagea bien un moment d'honorer la promesse qu'il lui avait faite sous le coup de la colère, lorsqu'il avait appris l'enlèvement du docteur Veltrin: celle d'employer ses quatre cavités orbitales évidées en tant que latrines! Mais la situation ne s'y prêtait guère... Et puis, l'Inspecteur avait déjà eu à plusieurs reprises auparavant de sérieuses prises de bec avec la médecine légale du SSC, pour l'état indigne dans lequel celle-ci avait récupéré les cadavres de certains des criminels les plus abjects que le Turien ait définitivement neutralisés. Ce n'était pas vraiment la peine d'en rajouter...

Si tout se déroulait comme prévu, les forces du SSC de Zakéra n'allaient plus tarder à donner l'assaut sur l'ancienne usine. Il allait falloir rapidement finir de pacifier le terrain pour clarifier la situation, si l'on voulait s'épargner le préjudice d'éventuels échanges de tirs amis! Kallaghian se dirigea donc vers les niveaux inférieurs, à la rescousse du docteur Veltrin et de l'officier Washington qu'il avait laissés se défendre seuls. Il prit toutefois soin cette fois-ci de faire des haltes régulières pour scanner le terrain: plus question de se jeter encore dans un nouveau guêpier! C'est cependant sans avoir fait de mauvaise rencontre que l'Inspecteur rejoignit le niveau carcéral qu'il avait quitté moins d'une demi-heure plus tôt. Le bruit croissant des échanges de tirs qui se poursuivaient là en bas le guida mieux encore que sa connaissance des lieux. Une fois arrivé sur place, une belle surprise l'attendait...

Jordan Washington et Tanyd Veltrin avaient fait bien mieux que simplement se défendre contre les trois mercenaires butariens que Berzhek avaient envoyés reprendre la prison du gang. En fait, ils ne faisaient plus face qu'à un seul d'entre eux, blessé et clairement débordé par une situation qui lui échappait. Les deux autres gisaient face contre terre, et vu l'état des murs de ce corridor, ils donnaient l'air d'avoir été soufflés par une puissante explosion en espace confiné. Washington avait dû mettre en œuvre l'idée qu'il avait exposée un peu plus tôt: désactiver temporairement à l'aide de son Omnitech l'une des grenades qui lui avaient été envoyées, puis la rebalancer à l'expéditeur... Ce coup-là, les mercenaires ne l'avaient certainement pas vu venir!

Le Butarien survivant tournait le dos à l'Inspecteur Kallaghian. Celui-ci activa une dernière fois son camouflage optique pour se rapprocher de sa proie, inconsciente qu'elle vivait ses derniers instants. Il aurait été facile pour l'ancien commando turien d'utiliser sa griffe de combat; mais il préféra cette fois-ci mettre à contribution ses vieilles techniques d'élimination silencieuse en combat rapproché. Quelques pas furtifs pour se rapprocher de sa cible par l'arrière, une serre brusquement plaquée sur le front, l'autre sous le menton, une torsion rapide, le craquement sec des vertèbres... Le vétéran de la Garde Noire fut satisfait de constater qu'il n'avait décidément rien perdu de ses talents! Une fois cette dernière menace neutralisée, l'Inspecteur héla vers le bas des marches:

-–- Ohé, docteur Veltrin? Officier Washington? La voie est libre, vous pouvez remonter.

-–- Qu'est-ce qui nous prouve que c'est bien vous, Monsieur? demanda une voix humaine soupçonneuse depuis le fond de la cave.

-–- Chimpo, soupira Harrius d'un ton las, sors-moi vite ton petit cul de folle tordue de ce trou pourri, avant je descende te le botter! Putain de végétarien de mes deux...

-–- Pas d'erreur, officier Washington, confirma d'un ton posé la voix docte d'une Turienne. Je crois qu'il s'agit bien de notre inimitable Inspecteur Kallaghian...

-–- Ouais, pour le meilleur ou pour le pire! soupira l'Humain avec accablement.

Le jeune flic puis la doctoresse turienne émergèrent bientôt de l'étroit escalier; un bref sifflement s'échappa des lèvres de l'Humain, lorsqu'il constata les dégâts qu'avait faite sa relance de grenade. Le bruit encore lointain de vitres brisées et d'explosions contrôlées éventrant murs ou portes commença alors à se faire entendre. L'assaut des forces du SSC avait dû être enfin lancé contre l'ancienne usine. Comme l'avait suggéré l'officier Washington un peu plus tôt, les deux agents et l'otage libérée allaient devoir se faire rapidement connaître, s'ils souhaitaient s'épargner les conséquences fâcheuses d'une possible bavure policière! Quant aux deux prisonnières du gang mercenaire fraîchement dissous, elles seraient pour l'heure plus à l'abri en restant dans leur cage au tout dernier niveau.

Tandis que le petit groupe remontaient vers des niveaux moins exigus, il était visible que l'Inspecteur Kallaghian, qui s'était montré si calme et froid pendant l'action, frétillait maintenant d'excitation rétrospective:

-–- Par les putains d'Esprits! Je ne m'étais pas éclaté comme ça depuis la Guerre! Il n'en faudrait pas beaucoup pour que je rempile dans la Garde Noire, tiens!

-–- J'en conclus que vous êtes bien sûr d'avoir éliminé tous les mercenaires? s'enquit le docteur Veltrin

-–- S'ils sont pas morts, ben alors ils savent rudement bien faire semblant! jubila Harrius avec délectation.

La doctoresse turienne tourna un moment le visage de manière à observer la mine extatique de son congénère masculin, avant de demander d'une voix neutre:

-–- Vous avez déjà pensé à consulter un psy, Inspecteur?

Harrius allait répondre au moment où le petit groupe franchissait la porte qui débouchait sur le niveau principal, lorsque Tanyd fut brusquement soulevée de terre! Elle eut à peine le temps de pousser un cri de surprise, que déjà elle se retrouvait pendue au bout du bras monstrueux d'une apparition non moins monstrueuse. Une réapparition aurait en fait sonné plus juste, car ce dernier adversaire imprévu n'était autre que Strom, le géant krogan ressuscité d'entre les morts – ou plus exactement, revenu à un état de conscience douloureux après que ses organes vitaux secondaires aient pris le relais de ceux qui avaient été endommagés.

Le mercenaire de Tuchanka était aussi effrayant à voir que s'il s'était échappé d'un four en plein milieu d'une crémation! Il était à demi-nu; plusieurs plaques de son armure rouge s'étaient détachées, ou s'étaient au contraire soudées à son cuir épais, couvert par endroits de profondes brûlures. Le Krogan avait perdu plusieurs dents, l'un de ses yeux du semblait avoir eu les paupières soudées par le feu, et sa respiration sifflante suggérait que ses poumons principaux devaient avoir été brûlés en profondeur. Mais même s'il semblait décidé à obtenir sa vengeance, Strom n'était pour autant pas encore entré dans cet état de Rage du sang qui ravalait si souvent ses congénères au rang de simples animaux déchaînés. La position du docteur Veltrin n'en était cependant pas moins inconfortable et périlleuse: le géant maintenait son long cou entre deux de ses trois doigts, et il ne lui suffirait que d'une légère torsion du poignet pour briser net les vertèbres de la pauvre Turienne.

Washington et Kallaghian mirent aussitôt le Krogan en joue, le premier en activant son Omnitech autour de son avant-bras, le second en pointant résolument son Carnifex prêt à faire feu. Strom toisa d'abord avec mépris les nabots des deux espèces inférieures qui osaient le menacer, avant de faire le lien avec le Turien aux empreintes de pas sanglantes qui était parvenu à le piéger. C'est donc dans un grondement de colère chuintante qu'il interpella finalement l'Inspecteur:

-–- Bordel! Mais t'es qui, toi, enfin?!

La réponse de l'Inspecteur fut simple et lapidaire:

-–- Ton pire cauchemar, enfoiré!

Les yeux du monstre cuirassé s'élargirent d'amusement, juste avant qu'il n'éclate d'un rire sonore, et passablement désobligeant. La grimace de dégoût qui tordit les mandibules du docteur Veltrin, suggérait que l'haleine du Krogan était loin d'être pure et fraiche!

-–- Sérieux?! rugit Strom. T'as vraiment pas mieux que ça en caisse, Turien? Si je devais compter tous les abrutis qui m'ont sorti cette réplique moisie en cinq siècles de castagne! La plupart sont morts juste après, d'ailleurs: des promesses, toujours des promesses, et rien que du vent...

De bonne foi, l'Inspecteur dut admettre que la brute n'avait pas tort: il était temps de développer un peu ses répliques, et de leur inspirer davantage de panache. Le Turien se fendit donc de son grondement de basse le plus menaçant, lorsqu'il déclama la tirade la plus théâtrale et la plus déconcertante qui lui vint alors à l'esprit:

-–- Je suis l'Inspecteur Harrius Kallaghian, Division Criminelle du SSC. Tu peux me considérer au choix comme le doigt justicier d'un dieu vengeur, ou comme un Moissonneur revenu de l'abîme pour venir faucher à sa guise dans son misérable troupeau. J'ai la Loi derrière moi; j'ai la colère des Esprits dans mon cœur; et surtout, j'ai en main la puissance de feu d'un putain de cuirassé amiral asari... Et à cette distance, je pourrais diviser par quatre ton petit carré de burnes les yeux fermés!

Le trouble que suscita la réponse imagée de l'Inspecteur parvenait à se lire sur les traits brutaux du Krogan, qui inclina même son énorme cou sur le côté. L'officier Washington tira intelligemment parti de ce moment de flottement, en envoyant une Surcharge à l'aide de son Omnitech. L'attaque techno grilla le peu d'équipements encore actifs sue ce qui restait de l'armure de Strom, mais surtout, le choc électrique en retour fit tressaillir le Krogan, qui relâcha son étreinte sur le cou du docteur Veltrin. Washington se jeta en avant pour dégager totalement la doctoresse turienne, également secouée par la décharge électrique, et pour l'écarter vivement avant que Strom ne récupère de sa surprise. Tanyd Veltrin parvint à se mettre hors de portée des grosses pattes du monstre en plongeant dans une longue roulade avant, un réflexe de combat révélateur de son passé militaire mouvementé. Mais Jordan Washington n'eut pas la même chance: le Krogan parvint in extremis à le saisir par le cou, ainsi qu'il l'avait fait du docteur Veltrin, juste avant que l'Humain héroïque n'ait eu l'occasion de s'écarter suffisamment.

Strom était visiblement furieux de s'être fait dérober son meilleur otage pour une prise de second ordre. Mais c'est l'Inspecteur Kallaghian qui fut la cible de sa colère:

-–- T'as tout gâché, Turien! s'énerva le Krogan en secouant sans douceur le malheureux Washington. Si je restais avec Berzhek, c'était juste le temps de bien capter ses affaires, ses réseaux, ses fournisseurs, sa clientèle... J'aurais fini par me débarrasser de ce crétin de Butarien pour prendre la tête du gang et récupérer tout le trafic. Sympa d'avoir buté Berzhek pour moi, mais il a fallu que tu élimines tous les autres connards avec, enfoiré!

-–- Un Krogan avec le sens des affaires?! s'amusa Harrius. Hah, bonne blague! Pourquoi pas un Volus avec la Rage du sang?

À l'extérieur, le vacarme des ordres aboyés et du martèlement des bottes blindées lancées au pas de course se faisait de plus en plus proche. Les forces d'intervention du SSC ne tarderaient plus à débouler en force dans cette section de l'usine désaffectée.

-–- T'entends ce bruit là dehors, Krog'? lança Kallaghian d'un ton sinistre. C'est ton Destin qui s'apprête à te dégringoler droit sur le coin de ta sale gueule mal cuite! Alors lève tes grosses pattes et fous-toi à genoux, maintenant, et il est envisageable que tu sois le seul membre du gang de Berzhek auquel j'aurai permis de sortir d'ici en vie...

La lippe de Strom s'écarta en un rictus cruel, tandis qu'il agitait sans ménagement l'Humain pendu au bout de son bras:

-–- T'oublies pas quelque chose, héros? C'est un putain d'argument de négociation que je tiens là en main... Alors ou je sors d'ici vivant et libre, ou je pète le cou de ton pote – Snap! juste comme ça! J'ai rien à perdre...

Le craquement de mâchoire par lequel rétorqua l'Inspecteur devait s'apparenter à un reniflement de mépris chez les Humains. Mais le Turien développa plus verbalement sa réponse, de manière à ne laisser planer aucune ambigüité sur sa résolution:

-–- Ce chimpanzé-là n'est personne pour moi... Vas-y, casse-le en deux: mes chefs m'en trouveront un autre tout frais dans la semaine qui suivra! Et moi, à ce moment-là, j'aurai déjà fini depuis longtemps de rédiger toute la paperasse légale pour t'avoir troué la tête; parce que crois-moi, c'est exactement ce qui se va passer, là, dans la seconde même où ce pantin organique que tu tiens dans ta grosse paluche aura cessé de remuer. Alors dis-moi, le brutosaure... Tu veux vraiment jouer à ce petit jeu-là?

Le Turien et le Krogan continuèrent à s'affronter du regard durant un moment qui parut interminable, l'un brandissant toujours son otage et l'autre son Carnifex. Le visage du pauvre Washington, lui, n'exprimait que la douleur et le désir que son martyre s'achève enfin, d'une manière ou d'une autre. Kallaghian finit par se décider à souligner la situation désespérée de son vis-à-vis par une dernière mise au défi:

-–- Vas-y, Krog'... Fais-moi plaisir!

Un sourire mauvais étira les traits grossiers du saurien, juste avant qu'un craquement sec ne résonne de manière sinistre. Jordan Washington n'eut même pas droit à un dernier soupir, avant que son corps inerte ne se mette à pendre au bout du poing du géant de Tuchanka, bras et jambes aussi flasques que ceux d'une marionnette dont on aurait coupé les fils! Le docteur Veltrin étouffa un hurlement d'épouvante, serres plaquées sur la bouche. Harrius, lui, se contenta de soupirer en hochant la tête:

-–- Oh le con! Il l'a fait...

Le rictus de cruauté satisfaite sur le visage calciné de Strom semblait narguer les réactions atterrées des deux Turiens qui lui faisaient face. Au moins le mercenaire ne profita-t-il guère longtemps de cette ultime victoire mesquine... Le bras armé de Kallaghian ne dévia pas du point qu'il visait depuis un long moment déjà, lorsque le Turien délivra son unique tir, un modèle de précision mortelle dans son genre. L'orifice d'entrée, situé juste sous la plaque crânienne du Krogan, était à peine visible; mais ce n'était pas le cas du flot de matière ocre qui avait instantanément retapissé le mur placé derrière lui! Avec la majeure partie de son cerveau vaporisée, aucune chance cette fois-ci que la brute de Tuchanka ne se relève à nouveau...

Strom demeura un moment debout, la face figée sur son sourire d'enfoiré, avant de finir par basculer comme une masse vers l'avant. Il y eut un grand "Splash!" humide, lorsque le corps sans vie de l'officier Washington se retrouva écrasé sous plus de quatre quintaux de barbaque krogane et d'armure lourde! Les thanatopracteurs allaient avoir beaucoup de travail pour parvenir à rendre présentable la dépouille du malheureux...

Harrius Kallaghian hocha la tête d'un air sincèrement désolé, en considérant l'ampleur du désastre. L'oraison funèbre dont il gratifia son malheureux équipier sembla quitter son bec sans même qu'il en eût réellement conscience. À ce moment-là, peut-être songeait-il d'ailleurs aussi à son collègue humain précédent, prématurément rayé des cadres pour s'être trouvé coincé sur le chemin d'un Elcor paniqué, et qui avait fini à peu près dans le même état!

-–- Ça a toujours été ça, votre problème, à vous autres Humains: trop de viande, et pas assez d'os... Forcément, faut toujours que ça finisse en bouillie! Adieu, officier-Jordan-Washington-de-la-Police-de-San-Francisco-sur-Terre: t'étais quand même sacrément burné, pour un pédé de chimpanzé... Respect!

Tanyd Veltrin semblait en état de choc, ce qui pouvait paraître surprenant de la part d'une guerrière turienne si endurcie. D'un autre côté, la malheureuse doctoresse ne pouvait que se montrer émue par le terrible sacrifice de ce jeune Humain, qui venait de faire véritablement honneur à sa vocation de flic en jouant sa vie pour protéger celle d'une civile turienne qu'il connaissait à peine. Tanyd vint bientôt chercher le réconfort contre l'épaule de son congénère, en y enfouissant son visage pour commencer à sangloter doucement. Le vieux flic turien la pressa contre lui, mais ne paraissait guère tenté par ailleurs de profiter de la situation. Son visage pourtant inexpressif laissait même deviner une réelle tristesse, lorsqu'il soupira sur un ton profondément las:

-–- Par les putains d'Esprits... Je deviens vraiment trop vieux pour ces conneries!

.

[ À suivre... ]