Mark retourna à plusieurs reprises au Between red and purple, dans le seul but de voir Daniel. Il n'essayait jamais de parler à d'autres personnes, ça ne l'intéressait pas vraiment. Parfois, il avait l'impression que Daniel était vraiment heureux de le voir mais la plupart du temps, il se disait que Daniel devait s'en moquer. Peut-être même que ça l'agaçait de voir Mark. Ce dernier, cependant, ne le forçait à rien. Il se contentait de s'asseoir au comptoir et de boire un verre. C'était toujours Daniel qui finissait par venir vers lui et lui parler.
Puisque Mark était dans son moment de congés, il pouvait venir en semaine et rester tard. C'étaient les moments qu'il préférait, parce qu'il y avait moins de monde et que Daniel était plus disponible pour discuter. Mark faisait attention à boire un peu moins, il ne voulait pas se donner en spectacle à chaque fois devant Daniel en pleurnichant comme un enfant. Il ne reparla plus de Harry et Daniel ne posa pas d'autres questions. Au lieu de ça, Mark raconta son enfance, avec son père et son grand frère, qui avaient une vision bien à eux de ce qu'un homme devait être. Une vision malheureusement partagée par trop de personnes. Mark en avait souffert. Maintenant qu'il y pensait, ça lui avait même gâché la vie. Daniel écoutait, compatissant et écœuré par les gens comme le père de Mark.
- Moi j'ai eu énormément de chance, avoua Daniel. Je l'ai dit très tôt à mes parents et ils ont toujours été là pour moi. Mon père n'a aucun problème avec le fait que je sois gay, il m'aime et il est fier de moi. C'est lui qui m'a aidé à acheter ce bar. Je sais bien que tout le monde n'a pas autant de chance que moi.
Mark était un peu envieux, il aurait adoré avoir un père comme ça. Daniel lui parla un peu de sa vie aussi. Ses parents étaient divorcés depuis longtemps mais ils avaient eu la décence de se tenir et Daniel n'en avait pas trop souffert. Ce qui l'avait fait le plus souffrir, peut-être, était de ne pas voir son père aussi souvent qu'il l'aurait voulu. Accaparé par son travail et ses enquêtes, son père ne pouvait pas beaucoup le prendre chez lui. Il était arrivé souvent que leurs weekends à deux soient interrompus par un appel du Ministère et que la mère de Daniel doive venir le chercher en urgence. Il n'en voulait pas vraiment à son père, il le voyait beaucoup plus depuis qu'il était adulte. Il lui en voulait quand même un peu. Quand il avait un copain, il le présentait à sa mère et elle l'accueillait toujours gentiment. Son père aussi mais ses copains avaient souvent peur de lui.
- Ah bon ? s'étonna Mark. Pourquoi ?
- Je ne sais pas, il en impose un peu.
La mère de Mark était morte quand il était petit. Elle travaillait comme assistante guérisseuse à Ste Mangouste et avait été blessée par un sortilège de guérison expérimental qui avait mal tourné. Daniel eut l'air désolé.
- Ma tante est morte comme ça aussi, quand ma cousine avait neuf ans. C'est horrible.
Au fil des soirées, Mark et Daniel se confiaient davantage de choses et étaient de plus en plus à l'aise l'un avec l'autre. Parfois, ils ne pouvaient pas trop parler, parce qu'il y avait du monde mais ça ne faisait rien, Mark aimait le regarder de loin et échanger avec lui un sourire de temps en temps. Parfois aussi, un homme venait s'asseoir à côté de Mark et essayait d'engager la conversation. Les premières fois, Mark fut terriblement gêné et inventa n'importe quel mensonge pour se débarrasser de l'homme. Puis il se détendit un peu et de temps en temps, il discutait réellement avec eux. Quand il le faisait, il sentait parfois le regard de Daniel qui se posait sur lui, à l'autre bout du comptoir et il faisait semblant de l'ignorer. Il déclinait toujours les propositions des hommes de rentrer avec eux.
C'était maintenant la sixième fois que Mark venait et il s'assit au comptoir, comme d'habitude. Daniel lui adressa un sourire enjoué, servit quelqu'un d'autre puis le rejoignit. Ils bavardèrent de tout et de rien, suffisamment à l'aise maintenant pour tenir des conversations anodines sans se sentir idiots. Mark se demandait s'il aurait un jour le courage de proposer à Daniel de se voir ailleurs, différemment, sans être à son travail. Il en doutait un peu toutefois, il aurait trop peur. Trop peur de ce qui arriverait ensuite, de ne pas être à la hauteur, de paniquer. Et puis s'il le faisait, il devrait vivre avec le fait qu'il avait eu un rendez-vous avec un homme et il n'y aurait plus de retour en arrière possible. Son père ne le lui pardonnerait jamais.
Daniel était allé débarrasser une table au fond du bar et revint au comptoir avec son plateau lévitant derrière lui. Il envoya tout ceci d'un coup de baguette par la petite porte qui donnait sur la cuisine où les verres seraient lavés. Au bout du comptoir, la serveuse semblait discuter un peu durement avec un client. Mark venait assez souvent pour savoir qu'ils étaient trois à travailler ici. Il y avait donc Daniel, son ami et copropriétaire du bar Alexander que tout le monde appelait Alex et la serveuse Nora. Nora s'éloigna du comptoir d'un geste brusque.
- Eh Achab ! appela-t-elle. Ce monsieur ne veut pas payer.
Mark tressaillit et regarda autour de lui, s'attendant à voir son chef débarquer. Cette pensée fut terriblement angoissante, il n'avait aucune envie que son chef le trouve ici. Mark se reprit toutefois rapidement en réalisant qu'il y avait peu de chance que Nora parle de lui. En fait, elle parlait à Daniel. Daniel se redressa et jeta un coup d'œil à Mark avant de s'éloigner pour rejoindre le client ivre qui ne voulait pas payer, sous prétexte qu'il n'avait plus une seule mornille. Daniel le força à donner son nom et le prévint qu'il avait intérêt à revenir payer le lendemain s'il ne voulait pas qu'on appelle la police. L'homme jura et s'en alla en titubant. Nora avait l'air excédée, tout comme Daniel. Il revint vers Mark qui l'attendait et posa ses mains sur le comptoir juste devant lui. Mark leva les yeux vers Daniel.
- Achab ? dit-il. Comme Nestor Achab ?
- C'est mon père, admit Daniel sans ciller. Mais j'étais sûr que tu paniquerais si je te le disais. Parce que c'est ton chef, bla bla bla, ce genre d'idiotie.
Mark le regarda, incrédule. Daniel ne ressemblait pas à son père, même si, maintenant qu'il le savait, Mark devinait quelque chose, au niveau de la mâchoire. Pour le reste, Daniel avait tout pris de sa mère, Lucilla Lovegood. Il comprenait maintenant pourquoi les copains de Daniel craignaient son père. C'était tout de même le chef des Aurors, ce qui lui conférait l'un des plus grands pouvoirs du pays. Mark avait du mal à y croire. Il repensa à Nestor Achab qui s'était énervé contre lui et l'avait puni en l'envoyant à l'accueil, parce qu'il avait insulté Harry. « Je n'aime pas ta façon de prononcer le mot pédé » avait dit Nestor, furieux. Mark se sentit mal et encore plus con. Bien sûr que Nestor n'aimait pas ça. C'était comme si Mark avait craché sur son fils. Son fils… Le jeune homme qui plaisait à Mark depuis des jours était le fils de Nestor Achab. Daniel trouvait peut-être que c'était une idiotie mais Mark paniquait bel et bien.
- Je vois, dit-il d'une voix crispée.
Il se demanda soudain si Daniel avait parlé de lui à son père. La honte serait terrible. Il eut envie de s'enfuir, il regrettait d'avoir raconté sa vie à Daniel. Et si Nestor Achab savait qu'il était amoureux de Harry ? Et s'il le disait à tout le monde pour le punir et l'humilier, comme Mark avait humilié Harry ?
- Tu n'as pas parlé de moi à ton père, n'est-ce pas ? demanda-t-il avec une angoisse évidente.
- Bien sûr que non, répondit fermement Daniel.
Mark se détendit un peu.
- Tant mieux. C'est quand même mon chef, je n'ai pas envie qu'il sache que…
- Je ne suis pas stupide.
Daniel eut envie de rajouter quelque chose mais il dut s'éloigner pour aller servir de nouveaux arrivants. Mark fut soulagé de le voir partir et termina son verre. Il envisageait de s'en aller quand un homme s'assit près de lui pour lui parler. Mark l'avait déjà vu, ils avaient déjà flirté ensemble. D'habitude, il ne savait jamais trop quoi faire quand on l'abordait mais ce soir, Mark en ressentit un certain soulagement. Il répondit à l'homme, lui rendit ses sourires et ses flatteries.
- Tu viens boire dehors ? proposa l'homme.
Mark hésita. En temps normal, il aurait refusé pour rester au comptoir près de Daniel mais en réalité, rien ne l'obligeait à faire ça. Il ne devait rien à Daniel, ils n'étaient rien l'un pour l'autre. Au mieux, il était un client que Daniel appréciait, au pire, un client comme un autre. C'était vrai que Daniel lui plaisait mais c'était le fils de Nestor Achab et cette information le refroidissait un peu. Mark sourit à l'homme.
- D'accord, allons-y.
Ils traversèrent le bar avec une bière à la main et sortirent dans la rue, dans la douceur du mois de juin. Daniel le regarda sortir, immobile au comptoir.
OoOoO
Dahlia confia Perseus à Harry qui était en congé et s'échappa avec Emily pour aller à l'opéra rejoindre Daphné. Jusqu'à présent, elle avait évité de se rendre sur le Chemin de Traverse et après le scandale, il aurait même été imprudent de le faire. Mais le scandale s'était largement essoufflé. Les journaux n'en parlaient plus ou presque plus et les lettres s'étaient arrêtées. Les gens s'étaient lassés et étaient passés à autre chose, après quasiment un mois de haine et de harcèlement. Dahlia estimait qu'elle pouvait donc enfin sortir, sans avoir besoin de se cacher qui plus est. C'était l'autre avantage de ce scandale. Au moins maintenant, les gens savaient et il n'y avait plus de secret. Si elle avait été seule, elle se serait sans doute sentie un peu oppressée sur le Chemin de Traverse, avec les regards scrutateurs sur elle mais elle était avec Emily.
L'opéra était impressionnant avec des colonnes de pierre et des statues de sorciers et de sorcières le long de sa façade. C'était beau et c'était exactement ce qui manquait à la communauté anglaise. Elles retrouvèrent Daphné qui les attendait à une porte périphérique, là où les artistes entraient. Elle venait de terminer son entrainement visiblement, car elle portait un débardeur et un collant blanc qui étaient clairement sa tenue de travail. Son chignon était un peu défait, elle avait les joues rouges et elle n'avait pas encore totalement retrouvé son souffle. Emily la trouva charmante.
Daphné les emmena le long des couloirs, dans la partie où les danseurs se formaient et s'entrainaient. Il y avait encore beaucoup de gens malgré l'heure tardive et elles ne s'arrêtaient pas longtemps pour ne pas les déranger. Les salles d'entrainement étaient vastes, recouvertes de parquet brillant et toutes ornées de grands miroirs qui permettaient aux danseurs et aux danseuses de contrôler leurs mouvements. C'était un monde que Dahlia et Emily ne connaissaient pas et qu'elles furent ravies de découvrir. Dahlia ne pouvaient s'empêcher de penser que ça devait être un travail très dur. Être attrapeuse demandait de la concentration, de l'habilité et une maitrise parfaite de son balai, certes. Mais cela consistait tout de même à rester assise sur un balai. Là, les artistes répétaient dix fois de suite des portés complexes, pliaient leurs corps un peu plus que la nature devait le permettre, dansaient pendant des heures. Cela devait être épuisant.
- C'est fatigant, c'est sûr, admit Daphné. Et parfois, on a vraiment mal quand on rentre chez nous. Mais c'est comme ça. Si on n'est pas prêts à souffrir un peu, on ne peut pas devenir danseur de ballet.
Dahlia était un peu sceptique, elle se demandait si ça en valait la peine. Sans doute, puisque tous ces gens passionnés le faisaient mais ce n'était pas pour elle. Elle n'aurait jamais eu assez de courage et d'abnégation pour faire ça. Emily, elle, comprenait parfaitement. La souffrance et les sacrifices pour réussir ses missions, elle connaissait.
Daphné les conduisit dans les loges mais elles ne s'y attardèrent pas. La troupe française avait terminé son entrainement de la journée et se préparait maintenant à la représentation du soir, qui commencerait dans une heure. C'était le moment des costumes et du maquillage. Elles longèrent les couloirs, remontèrent vers la scène. Il y avait du monde, pour vérifier les installations, les décors et la lumière. Elles se faufilèrent sur le côté et observèrent les préparatifs du spectacle avec curiosité. C'était étrange de voir les choses de ce côté-là. Elles furent obligées de s'en aller pour ne pas déranger et Daphné les entraina dans un autre couloir où elles firent le tour de l'opéra pour entrer cette fois-ci dans la salle du côté spectateur. Elles purent contempler la scène différemment, admirer le plafond, les lustres, les rideaux, les sièges rouges et les loges des spectateurs. Elles avaient acheté des places pour voir la représentation de ce soir et elles avaient hâte d'y être. Daphné était ravie de les voir aussi enthousiastes. Elle leur donnait des tas d'explications, heureuse de montrer son travail et son univers. Comme tous les passionnés, elle aimait parler de sa passion.
Quand elle s'enflammait un peu trop et qu'elle craignait de les perdre, son regard finissait toujours par croiser celui d'Emily. C'était à la fois perturbant et excitant. Daphné prit machinalement le bras de Dahlia et contempla la salle de spectacle avec émotion.
- Et voilà… Evidemment, mon père est un homme intègre qui a le sens des priorités mais je sais que la construction de cet opéra est un cadeau qu'il m'a fait. L'art a toujours été important pour lui et c'était dans ses objectifs, avec ou sans moi, mais…
- Il faut bien que la position de nos parents nous apporte quelque chose, plaisanta Dahlia. Et même si au fond, il a fait construire cet opéra pour toi, c'est un acte d'utilité publique.
- C'est vrai.
Elles retournèrent dans la partie des danseurs pour que Daphné puisse se changer. Dahlia et Emily attendirent dans les vestiaires pendant que Daphné prenait une douche, assises sur l'un des bancs. Quand elle eut terminé, elle les rejoignit, à nouveau fraiche et élégamment habillée. Elles allèrent attendre l'heure de la représentation dans des loges, là où Daphné et ses collègues se reposaient, mangeaient, prenaient un café. Elles bavardèrent un moment, du ballet de ce soir, de la tournée de Daphné qui passerait à New York – et son regard croisa à nouveau celui d'Emily quand elle le dit –, de Dahlia qui allait mieux maintenant que les gens avaient arrêté de s'en prendre à elle. La femme qui lui avait lancé une pierre avait eu une amende assez élevée. Ginny aussi, mais un peu moins…
Enfin, quand ce fut l'heure, elles gagnèrent le hall de l'opéra pour retrouver Harry qui devait les rejoindre pour la représentation. Il arriva en souriant, heureux d'être là. Ça lui rappelait le concert qu'il était allé voir avec Dahlia. Ils devraient vraiment faire ce genre de sortie plus souvent.
- Perseus a bien mangé ? Il s'est endormi ? demanda Dahlia presque machinalement.
- Oui, assura-t-il.
- Je commence à me sentir coupable de le confier aussi souvent à Molly. Il va falloir trouver une autre solution.
Daphné et Emily restèrent un peu à l'écart, peu concernées par ces débats domestiques. Très heureuses de ne pas l'être.
- Ma solution, c'est de ne jamais en faire, murmura Daphné.
- Moi aussi, répondit Emily.
Elles échangèrent un regard amusé. Harry prit tendrement la main de Dahlia et ils suivirent la foule pour entrer dans la salle de spectacle. Spontanément, Daphné et Emily restèrent derrière. Ils avaient eu des places à la dernière minute, parce que Daphné travaillait à l'opéra et qu'il en restait toujours pour les danseurs et leurs familles. Ils étaient donc plutôt bien placés et voyaient parfaitement la scène. Harry et Dahlia s'assirent à côté puis Daphné et Emily. Ils attendirent un moment, le temps que tout le monde s'installe. Dahlia racontait à Harry ce qu'elles avaient visité un peu plus tôt.
- La troupe sorcière de Paris est incroyable, disait Daphné à Emily. C'est l'une des meilleures du monde, notamment parce qu'ils ont une école de danse, une vraie. Les élèves suivent des cours à Beauxbâtons et à l'école de danse. Forcément, quand on se forme depuis qu'on est enfant, on est plus facilement excellent adulte.
- C'est l'une des meilleures du monde, qui sont les autres ?
- Il y en a trois qui dominent le monde de la danse classique : la troupe de Paris, celle de New York et celle de Moscou. Elles ont chacune leur style, je ne saurais dire laquelle est la meilleure, ça dépend ce que l'on cherche.
- Il va donc falloir que j'aille voir celle de New York, c'est une honte que je ne l'aie jamais fait.
- Oui, répondit Daphné en souriant. Tu verras, ça vaut le coup.
Elles se turent quand les lumières s'éteignirent. Dahlia et Harry contemplèrent le spectacle, fascinés. Harry en grande partie parce qu'il n'avait pas fait grand-chose de sa vie et qu'il était toujours heureux de découvrir de nouvelles choses. Dahlia, parce qu'elle avait du goût et qu'elle aimait voir les danseurs évoluer sur la scène, criant leurs sentiments à travers leurs gestes. La musique était magnifique et émouvante, les costumes étaient splendides. Emily aussi trouvait cela beau, elle comprenait que l'on puisse consacrer sa vie à quelque chose comme ça. Elle se pencha vers Daphné, suffisamment près pour couvrir la musique.
- Et donc toi, tu danserais à quelle place si tu faisais ce ballet ? Demanda-t-elle.
Daphné sentit le parfum d'Emily et son souffle sur sa joue quand elle posa la question. Ça lui donna un peu chaud. Elle tendit la main vers la droite de la scène.
- Comme la danseuse avec le ruban violet. Elle danse avec les autres mais parfois, elle se détache avec son partenaire pour faire des solos.
- D'accord, je comprends mieux.
Emily voulut s'éloigner de Daphné mais elle se tourna une dernière fois vers elle.
- Ça me plairait beaucoup de te voir danser, toi.
Daphné rougit dans l'obscurité et se tourna vers Emily aussi.
- Ça me plairait beaucoup que tu viennes me voir, répondit-elle.
- Très bien, dit doucement Emily. Je viendrai dans ce cas.
Elle se rassit convenablement et suivit le reste du spectacle, satisfaite. Elle pouvait encore sentir le parfum des cheveux de Daphné qu'elle avait respiré en se penchant vers elle, c'était une odeur suave et délicate, un peu entêtante, qui lui plaisait.
OoOoO
Dahlia se rendit aux Etats-Unis pour jouer son dernier match de la saison et sans doute de sa vie professionnelle. Les Corbeaux devaient affronter une équipe moyenne qu'ils battirent sans difficulté. Quand la main de Dahlia se referma sur le vif d'or pour la dernière fois, elle ressentit beaucoup d'émotions contradictoires. Une fierté brûlante qui la faisait sourire malgré elle, de la joie qui faisait battre son cœur, un peu de nostalgie et peut-être même, pendant quelques secondes, un peu de regret. Mais elle savait qu'elle serait plus heureuse en arrêtant le Quidditch. Elle resta à New York pour faire la fête avec son équipe, jusqu'au petit matin. Ils finissaient deuxièmes du championnat et ils étaient hystériques. La récompense qu'ils gagneraient seraient largement à la hauteur des espérances de Dahlia. Avec ça, Harry et elle pourraient déménager et s'acheter une maison digne de ce nom à New York. Ils auraient même pu en acheter plusieurs. Après la fête, Dahlia rentra dans leur appartement pour dormir avant de rentrer à Londres, trop saoule et fatiguée pour prendre un Portoloin, n'ayant aucune envie d'arriver en Angleterre alors qu'il faisait déjà jour et que la journée était déjà bien commencée pour eux.
Cela lui fit drôle de retrouver son appartement. Il semblait abandonné. Elle fut incapable de dire si elle avait envie de revenir vivre ici ou si elle préférait la vie à Londres. Il y avait du bon dans les deux cas. Son appartement lui manquait tout de même un peu et elle fut contente de s'allonger dans son lit, de retrouver les bruits caractéristiques de New York, le balcon pour boire son thé matinal. Elle rentra tard à Londres et fut accueillie par Perseus qui courut vers elle et s'accrocha à sa jambe en criant. Elle le prit dans ses bras, embrassa ses joues encore un peu potelées et rejoignit Harry dans le salon. Elle fut étonnée d'y trouver Daphné qui discutait avec Emily.
- Il parait que tu as gagné, bravo ! s'écria Daphné. Pas trop triste d'arrêter ?
Dahlia raconta son match, la fête et la grasse matinée à New York. Quand elle parla de l'appartement, Harry lui jeta un regard incertain mais ne dit rien. Il désigna Daphné du menton et sourit.
- Elle est venue voir si Emily ne s'ennuyait pas trop à garder Perseus toute l'après-midi.
- Oh, dit Daphné en rougissant un peu. Je me suis simplement dit qu'elle serait heureuse d'avoir un peu de compagnie. Mais puisque tu es rentrée, je vais y aller.
Dahlia ne la retint pas, elle avait envie d'être seule avec Harry et son fils. Emily se tourna vers Daphné.
- Je repars après-demain, dit-elle. Si tu n'as rien de prévu ce soir, nous pourrions aller dîner en ville ? Je suis sûre que Harry et Dahlia seront ravis d'être tous les deux.
Les joues de Daphné rougirent davantage quand elle sourit à la proposition. Dahlia échangea un regard avec Harry, retint une remarque et regarda sa meilleure amie disparaitre avec Daphné. Harry se laissa retomber sur le canapé en soupirant et en riant un peu.
- Eh bien… On dirait qu'Emily n'est pas venue à Londres pour rien.
- Tu crois que c'est une bonne idée qu'elle sorte avec Daphné ? demanda Dahlia, un peu hésitante.
- Et pourquoi pas ? s'étonna Harry.
- Parce que Daphné est tout de même la fille du ministre de la Magie britannique et qu'Emily est une espionne. Tu ne trouves pas ça bizarre ?
Harry haussa les épaules, l'air de dire que ça n'avait aucune importance. Dahlia laissa tomber, elle n'avait pas envie de se prendre la tête pour ça. Elle se tourna vers Perseus qui grimpait sur le canapé pour rejoindre son père et elle l'attrapa au vol. Perseus éclata de rire.
- On va prendre le bain ! Dit-elle.
- Non ! cria Perseus.
- Si mon bébé, on y va.
- Non, mama, non !
- Quel enfant impertinent, dit Dahlia en échangeant un sourire avec Harry.
Elle disparut avec Perseus et Harry resta assis sur le canapé. Ses pensées revinrent vers leur appartement de New York et il se mit à jouer avec ses ongles sans s'en rendre compte. Ils étaient à Londres depuis plusieurs mois maintenant, ils allaient devoir parler de l'avenir et de ce qu'ils comptaient faire, décider de rester ici ou de retourner à New York. Harry devinait que ce serait une discussion triste et qu'ils y perdraient forcément quelque chose, lui et elle, quel que soit leur choix. Il faudrait parler du nouveau travail de Dahlia aussi, qui allait rejoindre Clara dans sa maison d'édition. Harry savait donc qu'une discussion s'imposait mais il retardait un peu l'échéance, peut-être par peur de la décision qui en découlerait.
Le lendemain était un samedi et Harry ne travaillait pas. Dahlia non plus et elle profitait de ses quelques jours de vacances pour se remettre de la fatigue du championnat avant de commencer son nouveau métier. Ils n'avaient donc rien à faire à part se promener à Regent's Park en s'approchant du lac pour que Perseus voie les cygnes, le tenant par la main pour qu'il ne tombe pas en allant trop vite. Rien d'autre à faire que de jouer avec lui, de faire trainer tout ce qu'ils devaient faire et de s'asseoir l'un contre l'autre sur le canapé quand Perseus s'endormit pour sa sieste. Emily était rentrée tard de sa soirée avec Daphné et elle était retournée se coucher elle aussi, sous le regard amusé de Dahlia.
- Alors, tu as couché avec elle ? avait-elle demandé.
- Non, avait assuré Emily.
Puis, après une légère pause :
- Pas encore.
- Mais tu rentres demain…
- Elle vient danser à New York, avait rétorqué Emily. Je la reverrai.
Dahlia n'avait pas insisté et l'avait laissée tranquille. Elle était plutôt contente de voir Emily s'intéresser à quelqu'un. Depuis qu'elle la connaissait, Emily n'avait jamais réussi à avoir la moindre relation sérieuse avec une femme et Dahlia savait que c'était une souffrance pour elle. La blessure de son divorce ne se refermait pas, la perte d'Abigail non plus. Dahlia n'avait jamais jugé cela. Perdre l'amour de sa vie, c'était sans doute quelque chose d'affreux à vivre. Néanmoins, Dahlia sentait bien que les choses avaient changé. Emily ne parlait plus jamais d'Abigail et Dahlia espérait que c'était enfin la fin de leur histoire. Elle serait heureuse de voir Emily amoureuse à nouveau.
Dahlia en était là de ses réflexions, à moitié allongée contre Harry sur le canapé, quand on sonna à la porte. Harry y alla, c'était toujours lui qui ouvrait la porte, par crainte que ce soient des gens malveillants qui agressent sa femme. Heureusement, ce n'était pas le cas. Harry revint dans le salon en compagnie de quatre personnes qui sourirent aimablement à Dahlia. Ils se présentèrent comme étant les dirigeants de l'association sorcière des personnes transgenres. Dahlia leur serra la main avec un peu plus d'empressement en l'apprenant et se sentit coupable.
- Désolée, vous m'aviez envoyé une gentille lettre pour m'inviter à passer vous voir mais…
- Aucun problème, dit quelqu'un en souriant. Nous nous doutons bien que vous deviez avoir la tête ailleurs…
Harry alla faire du thé et ils s'assirent dans le salon, se présentant l'un après l'autre. Il y avait un jeune homme d'environ trente-cinq ans, Maxime Adamson. C'est lui qui avait écrit à Dahlia. A côté de lui, son copain Alex, un jeune homme transgenre également, patron du bar Between red and purple. Il y avait aussi Laura qui semblait un peu plus jeune qu'eux et Elisabeth. Elisabeth avait une cinquantaine d'années et était la seule à ne pas être trans.
- Mais mon fils de quatorze ans l'est et je veux me battre pour qu'il ait la vie la plus heureuse possible, assura-t-elle.
Dahlia eut une pensée pour sa mère qui n'aurait sans doute jamais fini à la tête d'une association pour la défendre. Quoique, peut-être que si au fond, qui sait ? Harry revint avec le thé et ils le regardèrent tous avec un peu de curiosité et de timidité. C'était quand même Harry Potter qui leur servait le thé. Passé ce choc, ils se tournèrent vers Dahlia. Ils avaient plusieurs choses à lui dire. Déjà, ils compatissaient pleinement à ce qu'elle avait vécu, ils étaient écœurés et en colère. Ensuite, ils voulaient la remercier pour l'interview qu'elle avait donnée à la Gazette. C'était la première fois qu'une personne transgenre faisait la une, parlait librement de ce qu'elle était. L'article leur avait donné de la visibilité et avait insufflé un courage nouveau dans leur communauté.
- Vous êtes une icône maintenant, j'espère que vous le savez, dit Maxime en souriant.
Dahlia rougit un peu, touchée et heureuse d'avoir pu leur rendre service. Elle ne l'avait pas fait pour la communauté trans d'Angleterre mais elle comprenait bien en quoi son interview avait pu les aider. Alex reposa sa tasse de thé sur ses genoux et la regarda dans les yeux avec une certaine gravité.
- Nous sommes venus parce que nous aimerions vous demander quelque chose, expliqua-t-il. Cela fait des années que nous réclamons les mêmes choses mais tout le monde s'en fout et personne ne nous écoute. Vous, en revanche, c'est différent. C'est pour ça que vous devez nous aider.
- Vous aider à faire quoi ? demanda Dahlia, un peu nerveuse.
- A changer la loi, Mrs Potter. Qu'ils acceptent de nous laisser changer notre genre et notre prénom sur les documents officiels. Juste ça.
- Je ne suis pas sûre d'avoir le pouvoir de faire ça…
- Bien sûr que si, affirma Maxime avec ferveur. Vous êtes célèbre maintenant, vous êtes Dahlia Potter ! Bien sûr que votre voix compte et beaucoup plus que la nôtre. Pas que la vôtre d'ailleurs…
Maxime osa un regard vers Harry qui écoutait attentivement sans intervenir.
- Si votre femme change de genre sur les documents officiels, ça validera votre mariage. Vous avez tout à y gagner aussi. Vous avez le pouvoir de faire pression.
Harry savait que Maxime avait plus ou moins raison. Il était évident que si Harry Potter soutenait publiquement la demande pour que Dahlia puisse devenir officiellement sa femme, cela aurait un impact bien différent. Dahlia le savait aussi. Elle promit d'y réfléchir et d'essayer de trouver un moyen pour qu'on l'écoute. Elle doutait de pouvoir simplement demander gentiment au Ministre. Même Harry n'aurait pas osé faire une chose pareille. Les quatre membres de l'association remercièrent et s'en allèrent en la laissant méditer. Au fond, elle était heureuse et fière qu'ils soient venus la trouver. Cette mission lui plaisait, c'était peu de le dire. Bien sûr qu'elle désirait elle aussi voir son prénom changer sur les registres et se voir désigner comme une femme. C'était tout ce qu'elle avait toujours voulu.
Elle y pensa plusieurs jours et finit par se rendre chez ses parents pour en discuter avec son père. Lucius avait suffisamment fréquenté le Ministère pour savoir comment agir dans un cas comme celui-ci. Il écouta la requête de Dahlia, eut l'air un petit peu mal à l'aise quand il comprit qu'elle voulait effacer définitivement Drago pour qu'il n'existe plus que Dahlia mais il ne dit rien. De toute façon, ça n'avait maintenant plus aucun sens de vouloir encore l'appeler Drago.
- Une pétition, répondit Lucius. C'est la seule chose que tu peux réellement faire. Même si le Ministre est progressiste et plutôt favorable, il ne décide pas seul. Il faut convaincre tous les autres. Harry a des amis puissants et importants. Leur signature sur une pétition pourrait faire pencher la balance. Si ça ne fonctionne pas, nous aviserons mais tu devrais commencer par là. Le seul problème, c'est de rendre cette pétition visible pour tout le monde. Il faut en parler, faire du bruit, expliquer ce que vous réclamez. Ça veut dire retourner à la Gazette et tout recommencer. Je ne sais pas cependant si la Gazette acceptera de parler de la pétition aussi ouvertement. Le journal soutien le gouvernement et la pétition veut changer la loi…
Dahlia n'en était pas entièrement sûre non plus. Elle doutait que la Gazette accepte de faire un article pour encourager les gens à signer sa pétition. Elle en parla d'abord à Maxime Adamson et aux autres qui validèrent l'idée. Ensemble, ils rédigèrent le texte de la pétition, réclamant pacifiquement le droit d'être ceux qu'ils étaient. Quand le texte fut terminé, ils le fixèrent avec détermination.
- Maintenant, il faut que la Gazette accepte de le publier, dit Alex.
- Ce n'est pas gagné… murmura Laura.
- Ne baisse pas les bras si vite, renchérit Elisabeth. Dahlia a une idée.
Elle en avait une, oui. Dahlia se rendit aux bureaux de la Gazette, peu enthousiasmée d'être là. Elle ignora les regards scrutateurs et se dirigea vers le secrétariat qui gérait les courriers et les relations avec les lecteurs. Elle demanda à voir Dan Rivers et on lui indiqua de mauvaise grâce où le trouver. Dahlia traversa la salle et arriva dans une autre pièce, pleines de bureaux elle aussi. Elle repéra Dan Rivers, en fut soulagée et se dirigea droit vers lui. Il était en train de relire un de ses écrits sans doute et mâchonnait sa plume d'un geste distrait. Il sursauta quand elle arriva.
- Mrs Potter ! Que puis-je pour vous ?
Elle lui expliqua sa requête. Elle voulait que la pétition soit publiée dans la Gazette, avec un article plutôt soutenant et l'indication claire du sortilège qui permettrait de la signer. Dan eut l'air embarrassé.
- Vous savez, je ne m'occupe pas de ce genre de chose, je suis plutôt dans la politique…
- C'est de la politique, rétorqua Dahlia.
- Non, c'est plutôt du social.
- Ne jouez pas sur les mots.
- Le directeur de la Gazette ne me laissera pas publier ça.
Dahlia s'en doutait mais elle ne perdit pas espoir tout de suite.
- J'avais pensé que… Vous êtes venu me prévenir, vous aviez l'air de mon côté.
- Je trouvais ça dégoûtant de publier cet article sans vous en parler, oui, mais ça ne veut pas dire que…
Il se tut et la fixa, gêné. Ça ne voulait pas dire qu'il voulait se mouiller et risquer les foudres de son chef pour la défendre ou même défendre la cause trans. Elle le sentit, elle était habituée. Elle reprit la pétition qu'elle avait posée devant lui, déçue.
- D'accord, tant pis, dit-elle en baissant la tête.
Dan cilla et lui attrapa le poignet pour l'empêcher de ranger la feuille.
- Très bien, donnez-moi ça, dit-il brusquement. Je sais qui va accepter de publier ça.
- Vraiment ? demanda Dahlia, pleine d'espoir.
- Oui, maugréa Dan, regrettant déjà ce qu'il venait de faire.
Dahlia remercia et s'en alla, soulagée. Dan resta un moment immobile à son bureau puis se leva. Il n'y avait qu'une seule personne dans toute l'équipe de la Gazette qui risquerait son poste pour publier ce genre de chose. Dan marcha jusqu'au bureau de son collègue et posa la pétition sur le bordel qui y régnait.
- Tiens, regarde ça. Il faudrait écrire un article dessus.
Le collègue ne leva pas les yeux de son carnet de notes.
- Oh fuck, Dan, je suis déjà débordé !
- Regarde donc ce que c'est… C'est Dahlia Potter qui vient de me l'apporter.
Le journaliste lâcha son carnet et parcourut la pétition. Un sourire satisfait se dessina sur ses lèvres, exactement comme Dan le pressentait.
- Je retire ce que j'ai dit, je ne suis pas débordé, je vais bien évidemment publier ça.
- Je m'en doutais, soupira Dan en retournant à son poste.
Le journaliste relut la pétition et attrapa l'élastique qui trainait sur son bureau. Il s'attacha distraitement les cheveux en un chignon négligé et se mit au travail. Il avait toujours le temps pour réclamer justice.
OoOoO
Mark était retourné au Between red and purple mais pas pour voir Daniel. Il avait décidé qu'il était temps pour lui d'essayer de rencontrer vraiment quelqu'un. Et il n'y arriverait jamais en passant son temps à discuter avec le barman. Il aurait pu trouver un autre moyen mais c'était le seul bar gay sorcier qu'il connaissait et d'après Daniel, c'était de toute façon le seul. Quand il entrait, il saluait Daniel d'un sourire aimable, échangeait deux mots avec lui puis s'intéressait aux hommes qui se trouvaient là. Sans doute son attitude plus ouverte et entreprenante l'aida-t-elle à attirer plus de personnes. On venait plus facilement le draguer, il retrouvait même parfois un homme avec qui il avait déjà discuté et allait s'asseoir avec lui.
Quand il était avec un homme et bavardait avec lui, Mark ne pouvait s'empêcher de jeter régulièrement des coups d'œil à Daniel qui restait au comptoir à servir. La plupart du temps, Mark croisait le regard de Daniel qui détournait rapidement la tête. Ce petit jeu se répéta plusieurs soirs et Mark n'arrivait pas à ignorer complètement Daniel. Il ne savait pas non plus ce que l'autre pensait ou ressentait. Mark avait peur de se faire des idées, peur d'imaginer des choses qui n'existaient pas. Peut-être Daniel n'en avait-il absolument rien à faire de lui, c'était peut-être le hasard s'il regardait dans sa direction quand Mark se retournait.
Mark finit par partir avec l'un des hommes qui lui plaisaient le plus, un soir, enfin décidé à sauter le pas. Il se laissa entrainer dans la ruelle voisine proche du bar où les couples allaient souvent s'embrasser. L'homme embrassa Mark qui lui rendit son baiser, le cœur battant, terriblement excité de faire ça. Dans un état second, Mark sentit les mains de l'homme sur lui, dans son dos, sur ses fesses, ouvrant son pantalon. Il gémit quand l'homme le suça dans la ruelle, c'était la première fois que ça lui arrivait. C'était bon, c'était terrifiant, mais c'était ce qu'il désirait vraiment et il l'obtenait enfin. Mark rentra chez lui un peu choqué de ce qu'il venait de faire, troublé, heureux et triste en même temps. Il aurait aimé parler de ses sentiments à quelqu'un mais il n'avait personne à qui les confier. Il se demandait ce que Harry dirait s'il apprenait que Mark s'était fait sucer par un mec dans une ruelle sombre de Londres en sortant d'un bar.
Mark mit quelques jours avant de retourner au bar. Quand il le fit, Daniel le regarda entrer en le saluant à peine et Mark en ressentit une amertume qui le déprima. Il alla s'asseoir au comptoir et c'est Alex qui vint le servir. Mark regarda autour de lui, ne vit aucun homme qui lui plaisait. Et ce soir, il n'avait finalement pas spécialement envie d'aller aborder quelqu'un. Il était arrivé tard et il faisait déjà nuit, il n'aurait pas dû venir. Mark traina un peu, termina son verre puis se leva pour partir. Il se sentait triste et abattu, il ne savait même pas pourquoi. Il quitta le bar et fit un pas sur le trottoir, prêt à transplaner. Il s'arrêta en entendant quelqu'un arriver derrière lui.
- Mark ! appela Daniel pour le retenir.
Mark se retourna pour le regarder, un peu surpris. Ils se rejoignirent sur le trottoir et Mark attendit, perplexe. Daniel avait l'air nerveux et mal à l'aise, comme s'il regrettait d'être sorti.
- Euh… bredouilla Daniel. Je… Tu t'es trouvé quelqu'un alors ?
- Non, dit Mark. C'était juste… Enfin, je ne sais pas vraiment.
Daniel baissa la tête et eut un sourire un peu fragile. Pour la première fois, Mark se sentit plus fort que lui, plus âgé et plus assuré.
- Quand tu venais au bar, j'avais l'impression que tu venais pour moi. Mais depuis quelques temps… C'est parce que mon père est le chef des Aurors ?
Mark rougit un peu.
- Non, pas vraiment. Mais c'est vrai que c'est quand même un peu bizarre que tu sois le fils du chef.
- Qu'est-ce que ça change ? demanda vivement Daniel en retrouvant confiance en lui. Mon père et moi, ce sont deux choses différentes !
- Je sais, c'est juste…
- Ça me fait chier de te voir partir avec d'autres mecs, s'écria Daniel.
Mark eut l'air surpris et fit une grimace sceptique.
- Vraiment ? Tu discutes avec tous tes autres clients comme avec moi, non ? Tu es jaloux de tous les autres aussi ?
- Non, dit froidement Daniel. Je ne parle pas avec tous les autres autant qu'avec toi. Toi, c'est différent, tu me plais. Te voir venir au bar et m'ignorer, ça me déprime et ça me fait mal.
Mark resta immobile, un peu perdu. Il sentait son cœur cogner contre sa poitrine et quelque chose grandir au creux de son ventre, quelque chose d'insupportablement agréable.
- Je croyais que je te plaisais aussi, continua Daniel. Mais si tu…
Il se tut quand Mark se pencha brusquement vers lui pour l'embrasser. Mark n'avait jamais embrassé un homme de sa propre initiative mais avec Daniel, il en avait envie. Il en mourait d'envie, même. Ce fut délicieux d'avoir les lèvres de Daniel sur les siennes, délicieux d'avoir son goût dans sa bouche et sa langue contre la sienne. Les doigts de Mark s'agrippèrent aux cheveux blonds de Daniel, l'attirèrent encore davantage contre lui. Cela avait été excitant d'être touché par l'homme l'autre soir, mais ça l'était bien plus avec Daniel. Mark eut brutalement envie de beaucoup plus que ça, de déshabiller Daniel, de voir ce que ça ferait que de regarder le corps nu d'un autre homme sous le sien.
Daniel se détacha doucement de Mark et le regarda de la même manière. Il reprit contenance, les joues un peu rouges mais un grand sourire aux lèvres.
- Je te plais aussi alors, conclut-il.
- Oui, avoua Mark. Je ne venais que pour te voir.
- Je sais, dit Daniel en souriant. Je finis dans deux heures, tu veux bien m'attendre ? Je vais demander à Alex si je peux m'échapper plus tôt.
Ils retournèrent dans le bar et Mark s'assit au comptoir. Il passa deux heures là, Alex ne pouvait pas laisser Daniel partir et faire la fermeture tout seul, c'était un peu risqué dans un bar, on ne pouvait jamais deviner les réactions des clients saouls qu'il fallait faire partir. Mark s'en foutait, il était heureux d'être là. Il était heureux tout court, sa vie n'avait jamais été aussi belle. Daniel s'approchait de lui dès qu'il le pouvait, restait appuyé au comptoir devant lui en le dévorant des yeux, ravi que Mark lui soit revenu. Après un temps qui parut à la fois trop court et interminable, Daniel et Alex virèrent les derniers clients et fermèrent le bar. Daniel proposa à Mark de venir chez lui et transplana en lui prenant le bras.
Dès qu'ils entrèrent chez Daniel, dans son bel et grand appartement, ils s'embrassèrent à nouveau. Mark se laissa entrainer dans la chambre et déshabilla Daniel, impatient de le toucher, de sentir sa peau nue contre la sienne. Il avait raison d'être impatient car la sensation le fit frissonner. Il n'avait jamais connu ça. Il avait envie de la peau de Daniel sur lui, de ses mains, de son sexe, de son torse, de tout son corps. Il ressentit une frustration anxieuse quand Daniel s'écarta de lui en souriant.
- Tu as couché avec l'autre homme ? Demanda-t-il.
- Pas vraiment, assura Mark. Enfin, un peu, juste… des fellations.
- D'accord donc on va peut-être faire pareil et y aller doucement, si tu veux.
- Non ! s'écria Mark, haletant et excité. Non, je veux tout faire, je veux…
Daniel sourit encore davantage et se serra contre lui, son ventre contre le sien, sa bouche contre la sienne.
- Très bien… Puisque c'est ta première fois, c'est plutôt toi qui vas me pénétrer, ce sera plus simple.
Mark regarda Daniel, ses yeux bleus, ses cheveux blonds, son nez et ses lèvres. Il eut une pensée pour Harry, sans pouvoir s'en empêcher. Ils ne se ressemblaient pas du tout. Il repensa à toutes les méchancetés qu'il lui avait dites et qu'il regretterait toute sa vie. Il secoua doucement la tête, honteux de le dire mais en même infiniment soulagé de le dire enfin.
- Non, je voudrais que ce soit toi qui me le fasses, avoua Mark. J'ai toujours voulu… ça et voir ce que ça faisait.
- D'accord, répondit Daniel.
Ils allèrent prendre une douche ensemble puis revinrent dans la chambre. Cette fois-ci, Mark y était enfin, à cette chose qui l'avait terrifié et attiré toute sa vie. Rien ne serait jamais plus comme avant après ça mais ça n'avait plus d'importance. Mark ne voulait justement plus que sa vie soit comme avant.
Dans le lit de Daniel Achab, Mark découvrit les réponses à toutes ses questions et même à celles qu'il ne croyait pas se poser. Il fit courir sa bouche sur le corps de l'autre, goûtant sa peau, son odeur. Il y fit glisser ses mains, éprouva le plaisir indicible de sentir un autre homme durcir sous ses doigts et sous sa langue. Il laissa Daniel le toucher aussi, soupirant à chaque fois que l'autre le caressait, se demandant comment il avait pu se priver de ça aussi longtemps. Plus jamais, songea-t-il. Mark ferma les yeux quand Daniel le pénétra enfin et se glissa en lui. Ça aussi, c'était indicible, de sentir le corps de l'autre, pesant entre ses jambes, entre ses fesses, au plus profond de son corps. Mark embrassa Daniel, gémissant au rythme de ses hanches sur lui, de leurs peaux moites qui se confondaient, de leurs doigts qui s'entrelaçaient. Maintenant, songea Mark en refermant ses jambes sur Daniel, il ne pourrait plus jamais se mentir à lui-même et essayer d'être quelqu'un d'autre. Il serait obligé d'être lui-même et c'était terrifiant. Mais pas aussi terrifiant que l'idée d'une vie fausse sans Daniel.
OoOoO
Dahlia fut stupéfaite de découvrir l'article sur sa pétition dans la Gazette, trois jours après être allée voir Dan Rivers. Elle ne doutait pas qu'il l'aiderait mais elle ne s'attendait pas à ce que ce soit aussi efficace. L'article était clairement en faveur de la pétition. Le journaliste qui l'avait rédigé disait haut et fort ce qu'il pensait, à savoir qu'il était temps que la communauté sorcière évolue avec son temps et donne davantage de droits aux minorités. Il écrivait noir sur blanc qu'il était stupide, violent et injuste de forcer les personnes transgenres à conserver leur ancien genre et leur ancien prénom sur les documents officiels. Cela ne pouvait que créer des situations désagréables et humiliantes pour eux. Laissons-les donc être ce qu'ils étaient. Par ailleurs, le journaliste racontait comment il avait lui-même changé de nom de famille quand il avait eu dix-sept ans, pour rejeter définitivement le nom de son père qui l'avait abandonné et prendre celui de sa mère. S'il avait pu changer de nom aussi facilement, pourquoi les personnes transgenres ne pourraient-elles pas changer de prénom ? Et puisqu'on y était, n'était-il pas aberrant d'empêcher les personnes homosexuelles, transgenres – et même Harry Potter ! – de se marier ?
Dahlia fut véritablement scandalisée par la teneur de l'article, le journaliste avait dû le glisser discrètement dans la maquette sans qu'il soit validé. Il avait dû se faire engueuler, peut-être même se ferait-il virer.
- J'en doute, dit Maxime Adamson quand ils se rencontrèrent pour discuter de l'article. Il est le fils de la directrice du WIS, je ne pense pas que quiconque oserait le virer.
Dahlia trouva cela rassurant. En tout cas, ce cousin éloigné avait fait le travail correctement, bien mieux même que tout ce qu'elle avait pu rêver. Evidemment, cela relança un scandale. La Gazette reçut des lettres incendiaires de lecteurs qui n'appréciaient pas du tout le ton de l'article. Le directeur de la Gazette décida de garder sa position, déclarant qu'ils avaient parfaitement le droit d'avertir la population de l'existence d'une pétition de ce genre. En réponse, la Gazette invita Maxime et Alex ainsi que Laura et Elisabeth qui expliquèrent dans une interview qui ils étaient et ce qu'ils voulaient. Le témoignage émouvant d'Alex qui devait perpétuellement justifier de qui il était quand il rencontrait les notaires, les avocats et les partenaires pour le bar était parfait. Celui d'Elisabeth aussi, la mère se battant pour son fils. Ils se firent cracher dessus par une bonne partie de la population mais à ce stade, ils n'avaient pas le choix. Dahlia échappa un peu au scandale, on n'osait plus lui envoyer de lettres assassines depuis que Harry Potter avait explicitement menacé de poursuivre ceux qui le feraient.
Après ça, la Gazette interrogea une personne farouchement opposée à la loi qui insulta les personnes trans pendant toute l'interview. Question d'équité, dit la Gazette. C'était affligeant à lire et ça donnait à Dahlia, Laura, Maxime et les autres l'envie de hurler mais au moins, on parlait d'eux et de leur combat. Cette attaque pouvait même leur être bénéfique si les gens se mettaient à penser que c'était choquant de les traiter de cette manière. Et c'était en partie le cas car le nombre de signatures ne cessait d'augmenter.
Evidemment, toutes les personnes transgenres d'Angleterre la signèrent. Une bonne partie de la population homosexuelle aussi, celle qui n'était pas transphobe. Ils voyaient bien que le combat allait finir par les concerner un jour ou l'autre. Les familles et les proches des personnes trans signèrent, ceux qui ne les avaient pas rejetés. Les mères, les pères, les enfants, les frères, les sœurs, les amis, les collègues. Tous ceux qui voulaient soutenir Harry Potter. Tous ceux qui estimaient normal de permettre aux autres d'être libres et respectés. Parmi les signataires, il y avait des noms célèbres qu'on ne pouvait ignorer : la directrice de Poudlard, Minerva McGonagall ainsi que la majorité des professeurs de l'école, des membres éminents de l'Ordre du Phénix ou de la Résistance, Agatha, Daphné et Astoria Greengrass, qui montraient clairement quelle était la position du ministre, Serena Black, directrice du WIS, Nestor Achab, chef des Aurors, Hermione Granger, Ron Weasley, la directrice du département des transports, Harry lui-même, évidemment. Et même Lucius et Narcissa Malefoy, ce qui ne manqua pas de troubler un peu. Si même d'anciens Mangemorts soutenaient leur enfant et la cause…
Pour finir, Harry donna une interview à la Gazette dans laquelle il expliqua qu'il voulait que Dahlia soit en paix avec elle-même, qu'il la soutenait complètement dans son combat ainsi que toutes les autres personnes transgenres et qu'il espérait que la loi permettrait à son mariage d'être valide dans son pays natal. « Dahlia est une femme, ma femme, que la loi l'autorise ou non. Et nous serions tous mille fois plus heureux si la loi l'autorisait. » Cela eut pour effet d'augmenter encore les signatures. Certaines personnes, beaucoup même, se foutaient complètement de la cause trans mais si ça pouvait faire plaisir à Harry Potter d'épouser Dahlia Malefoy, il n'avait qu'à le faire.
Finalement, la pétition obtint plus de cinq cents signatures ce qui, au regard de la population sorcière anglaise majeure, était déjà énorme. Elisabeth, Laura, Maxime et Alex étaient aux anges et incrédules. Ils avaient espéré que passer par Dahlia aurait plus d'impact mais ils n'avaient pas espéré que ça en aurait autant. Bien sûr, c'était en grande partie grâce à Harry, qui restait malheureusement un homme blanc, hétérosexuel et cisgenre mais ils devraient supporter cette concession pour obtenir leurs droits. Cela restait terriblement frustrant quand même.
Et donc, un beau matin de juillet, Elliott Greengrass s'assit dans la vaste salle de réunion et mit la pétition à l'ordre du jour. Il fallait se pencher sur la question. Le directeur de la Coopération magique internationale poussa un soupir bougon.
- Et pourquoi devrait-on parler de ça ? demanda-t-il. Il y a d'autres points plus importants à traiter.
- Il y a quand même eu 513 signatures, commenta la directrice du département de la justice magique.
- Et alors ? Si 513 illuminés voulaient permettre aux animaux de s'inscrire à Poudlard, devrait-on aussi se pencher sur la question ?
Blaise Zabini échangea un regard avec Hermione Granger. Serena Black se tourna lentement vers le directeur de la Coopération magique internationale et le fixa froidement, avec un sourire méprisant sur les lèvres.
- Est-ce que vous venez de comparer les personnes trans à des animaux, Lee ? Demanda-t-elle.
- Non, pas du tout, c'était juste une comparaison au hasard, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
- C'était une comparaison douteuse, vous devriez la fermer.
Lee lui lança un regard heurté mais tout le monde savait qu'ils se détestaient et que Serena Black avait tendance à parler durement quand on la contrariait. Nestor Achab pianota sur la table avec impatience.
- Sachez que je fais partie des 513 illuminés qui ont signé la pétition, Lee. Comme à peu près les deux tiers de cette salle.
- Je continue de penser que ce n'est pas le plus important à ce jour…
- Bien, coupa Elliott Greengrass. Merci pour votre avis, Lee, mais si on attendait que les questions sociales soient les plus importantes, elles ne le seraient bizarrement jamais. Je n'ai pas signé la pétition parce que je suis ministre et que je n'en ai pas le droit mais soyez assuré que je la soutiens complètement. Agnes, dit-il en se tournant vers la directrice du département de la justice. Je vous confie ça, préparez-moi un projet de loi qui tienne la route.
Agnes se tourna légèrement vers Hermione Granger qui était assise à côté d'elle et Hermione sourit imperceptiblement. La directrice allait lui confier ce travail, elle le savait. Et elle allait se faire un plaisir de préparer ce projet de loi.
- Ecrire le projet de loi, carrément ? demanda le président du Mangenmagot. Vous avez donc l'intention de donner gain de cause à cette pétition ?
- Nous voterons le projet de loi, évidemment, mais oui, bien sûr que je vais permettre aux personnes transgenres de changer leur prénom et leur genre !
- Bien sûr ? Pourquoi bien sûr ?
- Mais parce qu'il n'y a aucune raison de leur refuser ça, pour l'amour du ciel ! Qu'est-ce que ça peut vous foutre qu'elle s'appelle Dahlia ou Drago ? Laissons-les donc vivre leur vie bon sang, ça ne vous concerne même pas.
Le président du Magenmagot ne trouva rien à répondre à ça et laissa tomber. Il n'avait aucune envie de se battre pour un sujet dont il se fichait globalement.
- Je suis complètement d'accord avec vous, Elliott, assura Serena Black d'un ton calme.
- Moi aussi, dit Nestor Achab.
- Pas la peine de me draguer Nestor.
- Je ne vous drague pas Serena.
Serena Black et Nestor Achab se sourirent à travers la pièce, sous le regard amusé ou exaspéré de leurs collègues. Quand la réunion prit fin, Hermione s'empressa d'écrire un mot à Dahlia pour la prévenir que le Ministre avait demandé la rédaction d'un projet de loi et comptait bien la faire voter. Blaise fit la même chose et Dahlia se retrouva donc avec deux courriers lui apprenant la bonne nouvelle.
Dahlia, de son côté, avait commencé son travail d'éditrice depuis quelques jours. Elle partait à peu près à la même heure que pour se rendre à ses entrainements de Quidditch mais rentrait plus tard. Clara avait laissé sous-entendre qu'elles pourraient s'arranger pour les horaires si Dahlia restait vivre à Londres, elle pourrait arriver plus tôt et repartir plus tôt. Après tout, son travail consistait essentiellement en lectures, corrections, relectures et rencontre avec les auteurs. Dahlia pouvait donc parfaitement lire et corriger à cinq heures du matin si cela lui chantait. Cela plaisait beaucoup à Dahlia de se replonger dans le monde du livre. Elle aimait les réunions avec Clara pour déterminer quel genre d'ouvrages elles comptaient publier, quel type de textes, d'albums et de romans. Ces décisions à prendre lui convenaient mieux que ses entrainements de Quidditch. Elle était finalement plus faite pour être une femme d'affaires qu'une sportive professionnelle, sans trop de surprise.
Elle fut très heureuse de recevoir les mots d'Hermione et Blaise, elle était contente d'avoir accompli son travail de ce côté-là aussi. Elle avait le sentiment qu'elle avait fait ce qu'elle pouvait en Angleterre, qu'elle avait dit ce qu'elle avait à dire. Elle commençait à avoir envie de rentrer à New York, finalement. Plus les jours passaient, plus elle se rendait compte que l'Angleterre n'était plus réellement son pays. Elle se doutait que cela décevrait Harry, lui qui espérait qu'ils s'installeraient ici. Elle n'avait toutefois pas encore pris sa décision, elle n'était pas sûre d'elle. Si elle restait ici, elle aurait ses parents, elle aurait Fleur et Daphné, elle aurait sa tante et Molly. Maintenant qu'elle avait rencontré Maxime, Alex et Laura, elle se disait qu'elle pourrait se faire d'autres amis trans et s'épanouir aussi en combattant pour leurs droits comme elle avait commencé à le faire. Perseus grandirait avec Rose et Louis Weasley, il serait entouré et aimé. Non, objectivement, vivre à Londres ne serait pas non plus un supplice pour elle. Elle devait encore y réfléchir.
Dahlia lisait une histoire à Perseus, une histoire dans laquelle les animaux faisaient du bruit dès qu'elle prononçait leur nom. Perseus adorait ça, il essayait de refaire les cris des animaux, à sa manière. Dahlia l'écoutait en riant, toujours surprise et émue quand il faisait quoi que ce soit de nouveau et d'adorable. Elle devait partir bientôt et elle voulait finir le livre avant mais elle fut interrompue par la sonnerie de la porte d'entrée. Elle alla ouvrir, suivie de près par Perseus qui s'accrocha à sa jupe et leva les yeux vers l'homme qui se tenait sur le seuil de la porte. Il avait l'air nerveux, sombre et excité en même temps.
- Bonjour, je ne sais pas si vous vous souvenez de moi mais…
- Bien sûr que je me souviens de toi, Mark, dit froidement Dahlia.
Elle ne risquait pas d'oublier le collègue de Harry qui l'avait agressée quand elle était venue au Ministère. Elle remarqua immédiatement que sa façon de parler était beaucoup plus respectueuse que la dernière fois et que son regard ne la détestait plus.
- Harry n'est pas là, ajouta-t-elle.
- Euh, je sais bien, je travaille avec lui… C'est vous que je suis venu voir.
Elle aurait pu le faire entrer mais elle n'en avait pas envie. Il l'avait traitée de tordue et avait décrété que Harry n'avait rien à faire avec elle. Il pouvait rester sur le trottoir et aller se faire foutre. Elle devinait pourquoi il était là mais elle ne comptait pas lui faciliter la tâche.
- Je suis venu pour m'excuser, dit-il sans surprise.
- Tiens donc.
- Je n'aurais jamais dû vous parler comme ça et vous dire tout ça.
- Non, en effet.
Mark hésita, mal à l'aise. Elle lui faisait presque peur avec ses yeux froid et son visage fermé. Il ne pouvait pas le lui reprocher cependant. Perseus essaya de sortir de la maison et Dahlia le prit dans ses bras, lançant un regard interrogateur à Mark. Il sourit à l'enfant, machinalement.
- C'est tout ? demanda-t-elle sèchement.
- Non. Vous avez collé un prospectus sur mon bureau.
- Je ne t'aiderai pas à le décoller.
- Pas besoin, il s'est décollé, je suis allé dans ce bar.
Dahlia le regarda plus attentivement, un peu étonnée tout de même par la déclaration. Elle regretta soudain d'avoir fait ça, elle espérait qu'il n'avait insulté personne là-bas et eut une pensée pour Alex.
- Tu y es allé ? demanda-t-elle finalement, trop curieuse pour s'en empêcher.
- Oui… J'ai… euh… rencontré quelqu'un là-bas. J'ai un copain maintenant.
Il avait l'air d'avoir beaucoup de difficulté à le dire et elle eut un peu pitié de lui. C'était dur à dire mais Mark releva quand même la tête pour la regarder dans les yeux.
- Vous saviez, n'est-ce pas ? Quand vous avez collé ce prospectus, vous vous en doutiez.
- Que tu étais gay ? Par Merlin, non ! Mais je me doutais bien que tu n'étais pas très au clair avec toi-même. C'est souvent comme ça.
- Eh bien vous aviez raison, je…
Il s'étrangla un instant avec le mot avant de réussir à le sortir.
- Je suis gay. Et je voulais vous dire… Merci. Et encore une fois, je suis désolé.
Dahlia se détendit un peu et perdit de sa froideur. Elle savait comme la souffrance pouvait rendre les gens méchants, elle l'avait été elle-même. Mais Emily avait raison aussi, ce n'était pas une excuse à tout le mal qu'on pouvait faire. Surtout que Mark était adulte et conscient de ce qu'il faisait.
- Je suis ravie que tu aies trouvé tes réponses et que tu te sois trouvé un copain. Mais ce n'était pas une raison pour me traiter comme ça. Que je sois trans ou pas, ça n'a rien à voir avec tes histoires.
- Je me fiche complètement que vous soyez trans, avoua Mark. D'ailleurs, j'ai signé la pétition.
- J'ai vu. C'était quoi le problème alors ?
Mark rougit un peu et détourna le regard. Il observa Perseus un instant. Le petit garçon l'observait aussi, avec ses grands yeux verts qui étaient les mêmes que Harry. Mark en eut un pincement au cœur.
- Ce que je n'aimais pas, c'était que Harry soit avec vous.
- Ça ne te regarde pas.
- Non, je sais…
Il mit ses mains dans ses poches, donna un léger coup dans le petit caillou qui se trouvait sur le trottoir, hésita. Il hésita encore, sous le regard perplexe de Dahlia puis il la regarda avec un mélange de haine, de jalousie et de désespoir.
- Vous avez de la chance d'être aimée par lui, vous le savez n'est-ce pas ?
Dahlia le fixa un instant, silencieuse. Ils s'affrontèrent du regard quelques secondes, mais il n'y avait pas de vrai combat. En haut des marches du perron, Dahlia avait gagné depuis longtemps. Elle eut envie de faire une remarque condescendante mais elle la retint, ce serait cruel et inutile.
- Je le sais.
- Très bien… Je vous laisse maintenant.
Dahlia ne le retint pas. Elle était contente qu'il soit venu s'excuser et elle avait un peu pitié de lui. Elle ne pouvait que le comprendre. Elle n'avait cependant pas envie de lui pardonner plus que ça ou d'être plus aimable et compréhensive. Ce n'était pas son style, il ne fallait pas exagérer.
Dahlia ne parla pas de la visite de Mark à Harry parce qu'elle ne lui avait pas dit qu'elle s'était disputée avec lui au Ministère. Elle estimait que Harry n'avait pas besoin de le savoir et que ça ne servirait qu'à lui faire encore plus de peine. Elle garda donc cela pour elle et la vie continua. Ce serait bientôt l'anniversaire de Harry, ils iraient sans doute le fêter au Terrier. Le samedi, Dahlia allait parfois voir Fleur. Parfois, c'était Daphné qui venait la voir. En semaine, elle se rendait à New York pour retrouver Clara à la maison d'édition. Elle rentrait souvent après que Perseus était couché, parfois juste avant. Elle n'aimait pas trop ça et elle réfléchissait à ramener du travail chez elle pour rentrer plus tôt et voir davantage son fils. C'était affolant de se dire que cinq heures de sa journée s'envolaient littéralement. Cela la dérangeait aussi de plus en plus de laisser Perseus à Molly. Quand c'était Andromeda et Teddy, ça allait encore, parce qu'Andromeda était sa tante et il y avait un aspect familial à la chose. Mais Molly n'était pas leur mère et elle avait sans doute mieux à faire que de garder leur enfant. Dahlia envisageait sérieusement de lui proposer de la payer, comme elle le ferait avec une nourrice.
Au milieu de ça, Dahlia voyait bien que Harry était soucieux et un peu déprimé. En fait, il l'était depuis que le scandale avait éclaté. Même si les gens s'étaient désormais détournés d'eux et que plus personne ne harcelait Dahlia, Harry n'avait pas retrouvé sa joie de vivre d'avant. Au début de leur séjour à Londres, ça crevait les yeux qu'il était heureux mais plus maintenant. Elle ne savait pas quoi faire pour lui remonter le moral et il ne semblait pas avoir très envie de parler. Elle n'avait pas l'impression qu'il parlait beaucoup à Ron ou à Hermione non plus.
Un soir, alors que Perseus était couché et que la nuit commençait à tomber, Dahlia vint s'asseoir sur le canapé à côté de Harry. Il faisait trop chaud pour un thé et ils burent un jus de citrouille à la place. Harry était silencieux et perdu dans ses pensées, comme bien souvent. Il avait l'air loin d'elle et Dahlia ne le supportait plus. Elle voulait le retrouver et qu'ils soient heureux comme avant.
- Harry, dit-elle doucement. Il y a quelque chose qui ne va pas, je pense que nous devrions parler.
Il resta immobile sur le canapé.
- Oui, nous devrions parler, acquiesça-t-il. Je voudrais que nous parlions du fait de vivre à Londres ou à New York.
Il leva enfin les yeux vers elle et elle se rendit compte qu'il était bien là, avec elle. Son visage était sombre mais étrangement déterminé. Elle se crispa un peu, pas toujours certaine de ce qu'elle voulait et préférait. Une partie de sa vie était à New York, une partie de sa vie était à Londres. Elle ne savait pas laquelle choisir.
- D'accord, dit-elle prudemment. J'avoue que j'aime assez vivre à Londres et nous avons des amis ici mais je ne sais pas trop si je veux rester… Il y a mon travail d'abord, c'est difficile de rentrer aussi tard. Et puis il y a eu le scandale. C'était dur et…
Ce n'était pas ce qu'il voulait entendre, elle s'en doutait bien. Harry la regarda dans les yeux une seconde, semblant assimiler ce qu'elle venait de dire. Quand il ouvrit la bouche, ce ne fut pas du tout pour dire ce qu'elle imaginait.
- Je voudrais que nous rentrions à New York, dit-il d'un ton un peu dur. Et que nous y rentrions définitivement.
- Ah bon ?
- Oui. Je vais démissionner, je trouverai du travail là-bas.
Elle écarquilla les yeux, stupéfaite.
- Tu es sûr ? Tu aimes être Auror, je ne veux pas que tu fasses ça sur un coup de tête ou…
- Parce que tu crois que j'ai encore envie de travailler avec eux ? demanda sèchement Harry. Tu as vu comment ils m'ont traité ? Non, tu n'as pas vu, je sais bien mais je veux dire… Il y a Mark, bien sûr mais pas seulement lui. Les autres n'ont pas osé mais j'ai bien vu ce qu'ils pensaient. Il y en a plein qui étaient d'accord avec lui, plein qui m'ont regardé avec mépris et qui devaient se foutre de ma gueule derrière mon dos. Je voulais aider les gens, protéger mon pays des menaces et des mages noirs. Mais quand je vois comment mon pays t'a traitée…
Il eut un petit rire amer et haineux.
- Qu'ils aillent au diable. Eux, leurs lettres, leurs pierres et tout le reste. Je n'ai plus envie de vivre ici.
Dahlia avait envie de pleurer, elle ne savait même pas pourquoi. Au fond, elle ressentait la même chose, même si elle avait essayé de lutter contre pour ne pas décevoir Harry. Et finalement, c'était lui qui le disait. Elle devait avoir l'air triste et au bord des larmes car Harry se radoucit un peu. Il posa une main sur la sienne et la serra tendrement.
- Je ne veux pas que Perseus grandisse ici, dit Harry. Je ne veux pas qu'il aille à Poudlard, que les autres enfants fassent des remarques sur sa mère, se moquent de lui, lui disent des choses affreuses sur toi. Je ne veux pas qu'ils lisent les horreurs que les journaux ont écrites sur toi. Je ne veux pas de ça. Parce que même si le scandale s'est apaisé, on sait bien comment ça va se passer.
- Je sais, admit Dahlia. Je serai toujours Dahlia Malefoy, la femme trans de Harry Potter.
- Oui. A New York, nous serons anonymes, personne ne saura, personne ne dira rien à Perseus. Il pourra grandir sans souci, aller à l'école, se faire des amis, sans que personne n'insulte sa mère ou ne lui dise qu'il n'aurait pas dû naitre.
Et bien sûr, cela lui coûtait de renoncer à ses amis et à sa famille. Bien sûr qu'il ne verrait plus beaucoup Ron et Hermione ou la famille Weasley s'il partait vivre et travailler à New York, définitivement. Mais Harry était prêt à payer ce prix-là, parce qu'il y avait des enjeux plus grands. Son fils, par exemple.
Dahlia resta silencieuse un moment, un peu choquée par ce que Harry venait de dire. Choquée parce qu'elle ne pensait pas qu'il choisirait la vie à New York. Mais bien sûr, elle était d'accord avec lui sur tout et elle était infiniment soulagée qu'il pense de cette façon. Elle sourit à Harry, heureuse et rassurée, libérée d'un poids important. Elle voulait rentrer à New York elle aussi, retrouver ses amis, son travail, marcher dans la rue sans subir le regard curieux des passants. Elle voulait vivre dans un pays qui ne lui avait pas craché dessus et qui ne lui avait pas jeté de pierre.
- Très bien Harry, dit-elle en souriant enfin. Rentrons chez nous.
Maintenant qu'ils avaient pris leur décision, ils purent en discuter plus calmement. Harry avoua qu'il ne digérait pas la façon dont les sorciers anglais avaient réagi. Certes, si on y regardait bien, il n'y avait qu'une minorité qui s'en était pris à Dahlia mais c'était déjà trop. Les journaux avaient été odieux et répugnants, faisant tout pour nourrir le scandale. Personne ne s'était dressé pour défendre Dahlia ou la communauté trans, pour la bonne raison qu'il n'y avait aucun journal progressiste un peu tourné vers le social, aucun journal indépendant non plus. La seule personne à avoir soutenu Dahlia était donc le journaliste qui avait parlé de la pétition et il avait eu besoin de dissimuler son article pour le faire. On avait osé reparler du passé de Dahlia chez les Mangemorts et encore une fois, Harry était écœuré de voir comme les gens s'en prenaient facilement aux enfants dans leur société, au lieu d'admettre que Voldemort avait pris le pouvoir parce que la majorité des sorciers détestait les Moldus autant que lui. Pour toutes ces raisons, Harry était déprimé et déçu, profondément. Il s'était battu pour son pays, il avait même sacrifié sa vie pour délivrer l'Angleterre de Voldemort et voilà comment on le remerciait. Il l'avait presque vécu comme une insulte personnelle et il n'arrivait pas à pardonner. Il voulait donc partir, il en était certain.
Et puis bien sûr, il y avait Perseus. Et Harry pouvait deviner sans aucun problème le genre de remarques auxquelles son fils aurait droit s'il allait à Poudlard et grandissait avec les enfants sorciers d'Angleterre. Ce serait invivable, on se moquerait de lui, on le regarderait bizarrement, on insulterait Dahlia devant lui. Car tous ces gens qui avaient envoyé des lettres haineuses à Dahlia, qui lui avaient lancé des pierres et qui lui avaient crié des insultes, ces gens-là avaient surement des enfants. Et on pouvait imaginer sans mal ce que ces enfants deviendraient en grandissant. Dahlia avoua qu'elle n'avait pas pensé aussi loin que ça, sans doute parce qu'elle n'avait jamais été harcelée comme Harry quand elle était enfant mais maintenant qu'il le lui avait dit, elle avait bien conscience que rester à Londres reviendrait à gâcher la vie de Perseus. Il n'y avait donc plus aucune hésitation à avoir.
Harry et Dahlia l'annoncèrent à leurs proches et personne ne fut réellement surpris de leur décision. Arthur et Molly sourirent gentiment en hochant la tête, estimant que c'était le bon choix. Ron et Hermione eurent l'air un peu tristes mais ils haussèrent les épaules avec fatalisme.
- On s'en doutait un peu, admit Ron. A votre place, on partirait aussi.
Fleur fut clairement peinée d'apprendre que Dahlia allait repartir mais elle décréta que ce serait de parfaites excuses pour prendre des vacances et aller les voir. Harry assura qu'ils reviendraient aussi de temps en temps. Maintenant que tout le monde savait et qu'il n'y avait plus de secret, rien ne les empêcherait de venir pour Noël, de revenir pendant l'été comme l'année précédente. Ce serait comme avant mais en plus facile.
Daphné aussi sembla un peu déçue que Dahlia reparte, elle était heureuse de s'être fait une si bonne amie. Depuis qu'elle avait perdu Pansy et qu'elle travaillait sans relâche à l'opéra, elle n'avait plus tant d'amis que ça. Elles s'écriraient, elles feraient le voyage de temps en temps pour se voir. Quand elles le dirent, Daphné se rendit compte qu'elle pourrait donc se rendre régulièrement à New York pour voir Dahlia et qu'à New York, il y avait Emily. Ce n'était donc finalement pas si mal.
Ceux qui furent les plus attristés par leur décision furent assurément Lucius et Narcissa. Ils avaient eu l'espoir que leur fille resterait en Angleterre près d'eux et qu'ils pourraient continuer à la voir souvent, ainsi que leur petit-fils. Si Dahlia et Harry repartaient, ils auraient beaucoup plus de mal à les voir. Puisqu'ils étaient des criminels, on ne leur accorderait pas des visa toutes les deux semaines. Contrairement à ce qu'elle avait craint, Dahlia ne ressentit pas énormément de peine à l'idée de s'éloigner d'eux. Surtout quand ils essayèrent de la faire changer d'avis.
- Perseus est encore petit, tout le monde aura oublié quand il aura l'âge d'entrer à Poudlard ! Ce ne sera certainement pas si difficile que ça.
Dahlia avait regardé ses parents, agacée et déçue. Elle s'était rendu compte qu'ils n'auraient jamais fait ce genre de chose pour elle, ils ne seraient jamais partis pour la protéger. Ils ne l'avaient d'ailleurs jamais fait. Ils avaient sacrifié son bonheur, tout comme ils seraient prêts à sacrifier celui de Perseus pour leur confort personnel. Elle ne le leur reprocha pas, elle ne dit rien en ce sens mais elle s'en alla sans regret. Elle n'était pas comme sa mère, songea-t-elle avec une fierté presque sauvage. Elle ne laisserait pas son enfant souffrir simplement pour s'éviter des contrariétés. Elle allait tout faire pour que Perseus soit heureux et épanoui, et Harry en ferait tout autant. C'était d'un réconfort inestimable.
Une fois que tous leurs proches furent au courant, Harry rédigea sa lettre de démission. Il le fit un soir, assis à la table de la cuisine. Il avait décidé qu'il n'y aurait pas de préavis, rien de la sorte. Il donnerait sa lettre et partirait le jour même. Il avait commencé à se battre pour son pays alors qu'il était enfant, il avait tué Voldemort, il avait failli mourir en Pologne, il avait assez donné. Il estimait qu'il avait le droit de partir quand ça lui chanterait. Harry et Dahlia avaient annoncé aux propriétaires la fin de leur location et avaient réservé leurs places dans le bateau qui les ramèneraient à New York. La veille de leur départ, Harry donnerait sa lettre de démission, dirait au revoir aux rares collègues qui l'avaient soutenu et s'en irait sans regret lui non plus.
Dahlia le regarda écrire sa lettre avec hésitation, jouant avec sa tasse de thé.
- Tu devrais peut-être parler à Mark avant de partir, dit-elle finalement.
Harry leva les yeux vers elle, étonné.
- Lui parler de quoi ?
- Lui dire au revoir.
- Je lui dirai au revoir en même temps que les autres. De toute façon, vu ce qu'il pense de moi, je suppose qu'il se moquera bien de savoir que je pars.
Dahlia hésita à nouveau puis soupira avec résignation. Rien ne l'obligeait à faire ça mais finalement, elle avait envie que Harry sache. Et une petite partie d'elle se sentait solidaire du désespoir de Mark. Elle avait vécu le même.
- Il ne pensait pas un mot de tout ce qu'il t'a dit. Ce n'est pas toi qu'il insultait.
- Alors pourquoi me le dire ? Et s'il ne m'insultait pas moi, il insultait qui ?
- Il l'a dit parce qu'il souffre. Ce n'est pas une excuse, je sais, mais… C'est lui qu'il insultait, ne vois-tu pas ?
- Quoi ? demanda Harry sans comprendre. Il souffre de quoi ? De toi tu parles ?
- Parce qu'il t'aime, Harry. Et qu'il est gay et qu'il ne le supporte pas.
Harry fixa Dahlia, ahuri, l'air de se demander comment une idée pareille avait pu lui traverser l'esprit. Devant son air abasourdi, Dahlia soupira et lui raconta l'échange qu'elle avait eu avec Mark au Ministère, le prospectus, puis la visite de Mark pour s'excuser.
- Il n'a pas dit explicitement qu'il m'aimait, fit remarquer Harry, mal à l'aise. Il a simplement dit que tu avais de la chance d'être aimée par moi.
- Harry, pour l'amour du ciel !
Harry baissa la tête, sachant pertinemment qu'il jouait sur les mots. Mark ne l'avait pas dit explicitement mais c'était évident. Sinon pourquoi ? Harry repensa à toutes ces années avec Mark, à sa joie manifeste quand il restait dormir chez lui durant les enquêtes, à sa manie de rester avec Harry aux entrainements pour lui tenir compagnie, aux déclarations qu'il faisait parfois, quand il était ivre. Il n'avait rien vu mais maintenant, il décelait quelques détails qui prenaient des sens différents. Il se souvint aussi de toutes les remarques dures et méprisantes que Mark avaient faites sur les homosexuels et il eut pitié de lui. Une pitié teintée de mépris tout de même, parce que Harry ne lui pardonnait pas de l'avoir traité de cette manière.
Harry ressassa cette découverte pendant plusieurs jours, se sentant triste sans trop savoir pourquoi. Il s'en voulait d'avoir fait souffrir Mark sans le savoir, même s'il n'y était pour rien. Et il en voulait à Mark. Il aurait peut-être préféré que Mark le déteste, ça aurait été plus simple. Maintenant, Harry ne savait plus très bien ce qu'il devait faire ou ressentir. Et il ne pouvait plus détester Mark. C'était six années d'amitié gâchées en cinq minutes d'insultes. Ce n'était pas juste.
Fêter son anniversaire lui changea les idées. Harry avait décidé de rester en Angleterre jusqu'à la fête puis de partir après. Ils se retrouvèrent chez les Weasley, comme c'était arrivé bien souvent. Cette année, Hagrid était là, ainsi qu'Andromeda et Teddy. Teddy était triste, ça se voyait clairement. Il aimait venir garder Perseus et voir Harry plus souvent. Il fut étonnamment silencieux lors de la fête, même Victoire n'arriva pas à le faire rire. Harry le rejoignit avec Perseus et posa doucement son fils dans l'herbe près de Teddy. Il tendit la main, caressa les cheveux du petit garçon et le regarda avec sérieux.
- Tu sais Teddy, nous allons rentrer à New York et nous allons acheter une nouvelle maison, Dahlia et moi. Nous en choisirons une grande pour que tu puisses avoir ta chambre. Et tu viendras souvent nous voir. D'accord ?
Teddy s'alluma un peu et il tourna vers Harry un visage plein d'espoir.
- D'accord ! Mais… l'année prochaine, j'irai à Poudlard et on ne pourra plus se voir.
La phrase fit un choc à Harry, il ne s'y attendait pas. Il n'y avait jamais pensé. Il jeta malgré lui un regard à Perseus qui jouait dans l'herbe avec les fleurs qu'il arrachait et ressentit une angoisse douloureuse. C'était atroce d'arracher les enfants à leurs parents de cette manière quand ils avaient onze ans, quelle horreur. Harry, lui, n'y avait vu que du positif puisqu'il détestait les Dursley mais les autres…
- Nous nous verrons pendant les vacances, assura Harry. Tu m'écriras des lettres pour me raconter.
Teddy hocha la tête et Harry s'éloigna pour retrouver Dahlia qui discutait avec Fleur et Hermione. Il agrippa le bras de sa femme et la regarda avec un visage alarmé qui l'inquiéta.
- C'est un pensionnat, Ilvermorny ? demanda-t-il précipitamment.
- Oui, dit Dahlia en fronçant les sourcils.
- Y a-t-il la possibilité de ne pas être pensionnaire ?
- Je n'en sais rien moi ! Il faudra demander à Emily ou aux autres. Pourquoi ?
Harry ne répondit pas, il lui en parlerait plus tard. De toute façon, Perseus n'avait qu'un an, c'était encore loin. Il chassa cette idée de son esprit pour le moment, profita de la fête. Il savait que ces moments avec les Weasley lui manqueraient mais il savait aussi qu'il le supporterait. Il le supporterait parce que sa femme et son fils seraient bien plus heureux à New York et, finalement, lui aussi.
Au moment de repartir, ils se dirent tous au revoir, en prenant leur temps. Ça ressemblait étrangement à un adieu alors que ce n'en était pas un mais tout le monde savait que c'était la fin de quelque chose. Avec une maison, un travail et un bébé à New York, il était évident que Harry n'aurait plus beaucoup l'occasion de revenir. C'était la vie et c'était comme ça. Harry serra Ron et Hermione dans ses bras, promit d'écrire, reçut leurs promesses en retour. Il n'était pas inquiet, il savait que leur amitié était de celles qui duraient toute une vie, même s'ils étaient loin les uns des autres.
Le lendemain, Harry se rendit au Ministère et entra dans le bureau de son chef pour lui remettre sa lettre. Nestor Achab n'eut pas l'air vraiment surpris non plus, il ne fit aucune remarque, n'essaya pas de l'en dissuader. Sans doute comprenait-il parfaitement la décision de Harry, lui aussi. Harry précisa qu'il resterait encore aujourd'hui puis qu'il partirait. Nestor eut l'air un peu contrarié, c'était rapide, son équipe devrait fonctionner à quatre pendant un moment. Harry haussa les épaules.
- Je suis sûr que vous survivrez bien sans moi, dit-il d'un ton indifférent.
Achab n'insista pas. Peut-être avait-il conscience, lui aussi, que Harry avait suffisamment servi le pays comme ça et qu'il serait injuste de lui en demander encore plus. Nestor Achab serra la main de Harry, se rappela que Harry l'avait sauvé en Pologne, lui souhaita bonne chance. C'étaient des vœux sincères et c'était cela que Harry aimait chez son chef. C'était un homme qu'il respectait et sous les ordres de qui il avait aimé travailler. Il fut tout de même un peu ému de quitter le bureau et de revenir dans la salle des Aurors. Il rejoignit son équipe, sourit à Jane, fit un signe à Mark. Il leur annonça son départ définitif pour New York. Ses collègues purent sentir au son de sa voix qu'il y avait une colère dans sa décision et ils savaient d'où venait cette colère. Harry jeta un coup d'œil à Mark pour constater que ce dernier le fixait, choqué par la nouvelle. Il y avait de la détresse sur son visage, c'était évident. Ce fut sans doute cela qui décida Harry à lui dire au revoir, comme Dahlia l'avait suggéré. Il passa sa dernière journée avec ses collègues, boucla quelques dossiers en suspens qu'il n'avait pas fini de rédiger puis, en fin d'après-midi, il prit ses affaires et serra Jane dans ses bras pour lui dire au revoir. Avec elle, c'était bien un adieu. Il se tourna ensuite vers Mark et le regarda, un peu mal à l'aise.
- On va prendre un verre ? Proposa-t-il.
Jane, Francis et Daisy eurent l'air un peu surpris de l'invitation, vu que Harry et Mark se parlaient à peine depuis le scandale. Mark aussi et il rougit, nerveux, avant d'acquiescer. Il savait bien que Dahlia Potter avait compris qu'il aimait Harry et il s'était attendu à ce qu'elle le lui dise. Malgré cela, Harry n'avait pas eu l'air au courant et ne lui en avait jamais parlé. Mark s'était détendu, même s'il était quand même un peu déçu, au fond, que Harry ne sache pas ou ne réagisse pas. Ce soir-là cependant, quand Harry lui proposa d'aller prendre un verre, Mark fut persuadé que Harry savait. Il le suivit, silencieux, l'esprit envahi de peur, de honte, de tristesse, s'imaginant ce que ça donnerait de venir travailler tous les jours sans retrouver Harry.
Ils n'allèrent pas loin, dans un pub qu'ils fréquentaient régulièrement quand ils allaient boire un verre après le travail. Ils prirent une bière et s'assirent face à face, tout aussi embarrassé l'un que l'autre. Harry ne savait pas exactement ce qu'il voulait lui dire.
- Nous nous connaissons depuis longtemps, dit Harry. Je ne voulais pas partir sans avoir une dernière conversation.
Mark hocha la tête, positivement terrifié par ce que Harry allait dire.
- J'aurais aimé que ça se termine autrement, avoua Harry.
- Je suis désolé, souffla Mark.
- Je sais, admit Harry. Mais je t'en veux quand même. Et en même temps, je sais pourquoi tu as réagi comme ça.
Mark rougit et Harry détourna le regard, gêné. Ils burent un peu de bière, pour se donner du courage.
- Je n'avais jamais remarqué que tu… ressentais ça pour moi.
- Je n'avais pas spécialement envie que tu le remarques, répondit Mark, le regard fixé sur sa bière. Nous ne sommes pas obligés d'en parler, ça ne sert à rien de toute façon.
Harry hésita un peu. Il n'avait pas vraiment envie d'en parler non plus. C'était flatteur, au fond, de se dire que Mark l'avait aimé toutes ces années mais ce n'était pas réciproque et Harry n'avait rien de réconfortant à lui dire.
- J'imagine comme ça a dû être dur pour toi d'être homosexuel et d'avoir de telles opinions mais ce n'était pas…
- Non Harry, coupa doucement Mark en relevant la tête. Non, tu n'imagines pas, tu n'en as pas la moindre idée et tu ne sauras jamais.
Harry regarda Mark avec étonnement. C'était la première fois que l'autre lui parlait aussi doucement. Mark eut un faible sourire et haussa les épaules.
- Ce sont les opinions dans lesquelles j'ai grandi et que mon père a essayé de me faire entrer dans le crâne. Ça a été dur, oui, et je sais que ça n'excuse pas ce que j'ai fait. Mais maintenant, c'est fini, j'en ai assez d'essayer d'être ce que je ne suis pas.
Harry hocha la tête, un peu choqué par le discours de Mark. Il se rendit compte qu'il ne lui en voulait plus autant qu'avant.
- Tant mieux pour toi alors, dit-il gentiment en lui souriant.
Il y eut un silence embarrassé. Harry aurait pu lui faire des reproches pour avoir mal parlé à Dahlia mais il n'en avait plus envie. Il avait la certitude que Mark se détestait déjà suffisamment comme ça et qu'il était inutile d'en rajouter.
- Il parait que tu as un copain…
- Oui, dit Mark.
Il laissa échapper un sourire que Harry ne lui connaissait pas. Mark joua un peu avec sa chope de bière puis leva les yeux vers Harry, incertain.
- Ça t'embête si je t'en parle ?
- Non, assura Harry.
- Il s'appelle Daniel, c'est le propriétaire du Between red and purple. Tu connais le bar je suppose, c'est l'autre propriétaire qui a écrit la pétition avec ta femme.
- En effet, oui, Alex.
- Tu veux que je te dise quelque chose de drôle et de terrifiant à la fois sur mon copain ?
Mark eut l'air désabusé par sa propre question et Harry sourit à son tour, surpris.
- Quoi donc ?
- C'est le fils du chef. Daniel Achab… Je sors avec le fils du chef.
Harry fixa Mark, abasourdi. Ce dernier haussa les épaules et se mordit un peu la lèvre.
- Parfois, je m'imagine lui avouer que je sors avec Daniel et je finis toujours par me dire qu'il me jetterait un sort. Mais le pire c'est de le croiser tous les jours. Il est froid avec moi depuis notre dispute, il me déteste. Ça ne lui plairait pas du tout.
- Il serait capable de comprendre, assura Harry en retrouvant l'usage de la parole.
- Tu crois ? Je n'arrête pas de penser à la tête qu'il ferait s'il apprenait que je couche avec son fils.
Harry éclata de rire, choqué d'avoir une telle discussion avec Mark, amusé aussi par la scène. Il doutait que Nestor Achab soit méchant, il savait que c'était un homme subtil et généreux. Mais il avait presque envie d'assister à la scène. Mark rit aussi, mieux valait le prendre avec humour, même si cette idée l'angoissait quand même réellement.
Harry écouta Mark parler un peu de Daniel et de leur rencontre. Mark n'était plus tout à fait le même, il parlait un peu différemment, comme s'il pouvait enfin dire ce qu'il voulait sans faire attention à ses mots. Il souriait différemment aussi, avec une sincérité agréable. Cela se voyait qu'il était en train de tomber amoureux de Daniel et Harry se sentit soulagé. Il aurait aimé que Mark soit comme ça dès le début, soit moins jugeant dans ses propos, moins faux et perdu. Il aurait été une personne plus intéressante et aimable. Ce n'était pas grave cependant, il n'était jamais trop tard.
Quand ils se séparèrent, une heure plus tard, Harry ne se sentait plus autant envahi de rancune qu'avant. Il savait bien que les insultes de Mark avaient brisé leur amitié mais il en souffrait moins. S'il n'y avait pas eu cette dispute, Harry aurait certainement gardé contact avec lui, lui aurait écrit, serait venu prendre un verre avec lui de temps en temps. Il savait qu'il ne le ferait pas et que c'était un adieu, pour lui aussi. Harry lui fit une brève accolade devant le pub que l'autre lui rendit maladroitement. Mark avait conscience aussi que c'était un adieu. Ça lui faisait mal et ça lui donnait envie de pleurer mais finalement moins qu'il l'avait craint.
- Tu sais Harry, au fond, je suis un peu soulagé que tu t'en ailles. Je vais pouvoir passer à autre chose maintenant.
- Tant mieux alors, répondit Harry sans se vexer. Prends soin de toi Mark.
Et Harry s'en alla sans regret, un peu plus heureux qu'avant. Il remercia intérieurement Dahlia de lui avoir conseillé de parler avec Mark. Il se doutait qu'il aurait mal vécu le fait de partir sans qu'ils se soient au moins un peu réconciliés ou expliqués. Maintenant, le chapitre était clos et il pouvait s'en aller en sachant le pourquoi du comment et en souhaitant sincèrement à Mark d'être heureux à son tour. C'était bien plus réconfortant.
