Chapitre 1
Première semaine de septembre
Les premiers jours au château avaient été assez calmes. Il y avait toujours une ambiance particulière, pesante, et quelque peu anxiogène – comme si nous avions peur de tomber sur un détail, un mot, ou une personne qui nous rappellerait brutalement ce qui s'était passé ici ; mais les petits moments innocents reprenaient de temps en temps leur cours – des sourires, des rires, quelques amitiés qui s'affirmaient entre les couloirs et les salles de classe.
L'année passée n'était d'ailleurs pas évoquée. En tout cas, pas publiquement. Peut-être entre deux portes, mais aucun élève ou professeur n'avait – depuis le long discours de la Directrice, évoqué quoique ce soit à ce sujet. Cela rajoutait une drôle impression d'intemporalité, comme s'il devenait difficile de situer quand nous étions. Je n'avais jamais ressenti ce genre choses. D'une certaine façon, j'imagine, ce silence était la preuve de ce qui s'était déroulé. Peut-être que nous en parlerions plus ouvertement si tout – les Carrows, la Guerre, les tragédies, n'avait pas été aussi grave.
Nous venions tout juste d'arriver dans les cachots avec Alice et Emily lorsque les cris avaient commencé. La voix de Clyde résonnait très distinctement dans le silence des cachots. Notre nouvelle professeure de potion – récemment recrutée, ne semblait pas encore présente et l'ensemble des élèves patientaient en-dehors de la salle. Le Serpentard s'acharnait visiblement sur un Poufsouffle que je connaissais vaguement – nous partagions une même option et avions quelques fois travailler ensemble sur des projets à rendre.
C'était une vieille habitude de Clyde ; l'année dernière, il avait pris goût à toute forme de défoulement sur d'autres que lui entre deux séances de cours (gagnant quelques points auprès des Carrows au passage). La possibilité qu'il puisse se comporter de la même manière cette année ne me réjouissait pas particulièrement ; loin de là.
- Allez sérieusement James, c'est quoi cette photo que tu trimballes partout !?
- Sérieusement Clyde ? répondit James. Fous-moi la paix. Ca ne te regarde pas.
- Allez ! Donne-moi ça ! rétorqua Clyde, arrachant la photographie en question des mains du Poufsouffle qui tentait de la rentrer dans sa poche.
Il se retourna tout sourire vers quelques-uns de ses sbires – décidément bien plus calmes que lui, et peut-être même… gênés ? Je ne saurai trop dire. En tout cas, ils ne riaient pas bêtement comme Clyde.
- Alors alors, voyons ça…
Son visage se décomposa soudainement tandis qu'il regardait la photographie. J'en profitai pour m'avancer vers lui et la lui reprendre, non sans y jeter un coup d'œil rapide. Vu l'âge des personnes qui y étaient représentées, il s'agissait probablement des parents de James. Ils avaient été tués peu avant la Bataille finale. Clyde ne pouvait sincèrement pas avoir oublié la manière dont le frère Carrow s'était félicité devant James des « traitres à leur sang » tombés ce jour-là.
- Tu es vraiment pitoyable, dis-je.
- Je ne pouvais pas le rêver… couina Clyde.
- Arrêtes de te foutre de la gueule du monde, intimai-je. Le harcèlement pour attirer l'attention, ça suffit. Gères ce que tu as fait l'année dernière comme tes autres camarades : dans le silence et la honte.
Je regrettai instantanément. Il était évident que mettre les récents évènements sur la table n'allait pas permettre la désescalade ; et était quelque peu injuste de surcroît. Comme mon père me l'avait maintes fois répété cet été, nous n'avions été que des enfants dans des situations particulièrement difficiles et il n'était pas possible d'attendre de nous que l'on réagisse comme des adultes. Juger à posteriori était facile, disait-il. Je ne savais pas trop si j'y croyais réellement, mais je ne pouvais non plus nier totalement ce que mon père affirmait. Je soupirai, être préfète aurait été plus simple cette année s'il s'agissait juste de sermonner les élèves qui s'échappaient de leur dortoir la nuit.
- Parce que tu es si innocente, pas vrai, Jonsson ? reprit Clyde. Je ne me souviens pas t'avoir entendu objecter quoique ce soit l'année dernière…
- Je n'ai pas jeté d'endoloris sur qui que ce soit, en tout cas, ne pus-je m'empêcher de répondre, piquée.
Pour qui se prenait-il ? Mes tares n'arrivaient très certainement pas à la hauteur des siennes. Certes, les Carrows et l'école entière semblaient alors attendre de nous que nous nous comportions comme des animaux ; la terreur avait été telle, si bien organisée et si bien administrée, qu'elle avait détruit – au début, tout collectif et toute impression de faire partie un tout. Chacun s'était retrouvé seul ; sans possibilité de se défendre, aider l'autre ou se faire aider était inimaginable car l'autre n'existait plus. Nous n'existions plus. Je l'avais compris grâce à mon père ; la tyrannie était efficace car, en anéantissant le collectif, elle se protégeait de toute révolte. En nous montant les uns contre les autres et instaurant un climat de paranoïa généralisé, en nous projetant constamment de la violence, aussi petite était-elle, une violence habituelle, constante, presque anodine, en dénaturant nos relations sociales et ce qui nous unissait les uns aux autres ; ils avaient détruit tout sens d'humanité. Nous n'étions plus un tout ; les élèves, mais des individualités qui étaient écrasées par le poids des Carrows et du système qu'ils avaient mis en place. Alors oui, peut-être qu'à ce moment-là, quand les Clyde et confrères s'étaient pliés aux attentes institutionnelles des Carrows entre deux couloirs, je ne m'étais pas interposée car je n'avais plus l'impression que quoique ce soit me concernait. Comme tous les autres. Jusqu'à ce que l'on arrive tant bien que mal à retisser des liens et retrouver un collectif ; à résister. Mais en quoi cela avait-il avoir avec quoique ce soit ?
- Non, reprit Clyde, plein d'amerture, vous avez préféré fuir dans la Salle sur Demande dès que les choses se compliquaient. On a dû faire tout le sale boulot !
- Fuir !? gronda un élève de Gryffondor qui se détacha subitement de ses collègues. Tu crois vraiment que se prendre l'endoloris que l'on a refusé de jeter, c'est fuir !?
La situation était clairement en train de m'échapper et je me maudis. J'aurais dû me taire. Si personne ne discutait réellement de l'année passée, ce n'était pas pour rien. Pourquoi fallait-il qu'une fois sur deux ma bouche s'agite avant que mon cerveau ne travaille ? C'était insupportable. McGonagall n'aurait jamais dû m'envoyer ce foutu badge.
Les Serpentards - pourtant calmes il y a quelques minutes, se regroupèrent autour de Clyde presque aussi vite que les Gryffondors s'étaient relevés. Seule Parker, adossée contre le mur, n'avait pas esquissé le moindre geste.
Calme et sereine, la Serpentard observait la scène sans – paradoxalement, sembler y prêter une réelle attention. Elle était là sans être là ; présente sans vraiment être avec nous. Parker avait toujours été en retrait - c'était d'ailleurs quelque chose qu'elle partageait avec quelques autres Serpentards que nous connaissions, en réalité, très peu - pas comme les Clyde qu'il était difficile d'ignorer. Mais cette fois-ci j'avais la légère impression qu'elle était en réalité ennuyée. Il y avait définitivement quelque chose d'intriguant chez elle ; ou d'énervant, je n'étais pas bien sûre. Peut-être plutôt d'énervant, quand même. Cette façon dont son détachement lui donnait l'air de se croire au-dessus de tout ça ; de nous.
Clyde ou Griffin - je n'avais franchement pas prêté attention et ils avaient le malheur de partager la même voix colérique atrocement douloureuse à écouter, émit une sorte de cri étrange. Je détournai les yeux de la Serpentard et recentrai mon attention sur le conflit face à moi.
- Eh ! Stop, m'interposai-je sans réellement prendre le temps de comprendre ce dans quoi je me lançais. C'est précisément ce que souhaitaient ces enfoirés, nous monter les uns contre les autres. Arrêtons cette discussion ici. Clyde, soupirai-je en me retournant vers lui, je n'aurai pas dû amener ce sujet sur la table, je te présente mes excuses, mais je suis sérieuse : arrêtes de te comporter comme ça. Y'en a marre de tes petits jeux débiles. Ce n'est drôle pour personne.
Le silence me surprit. Je n'avais strictement aucun pouvoir de coercition et pourtant Clyde ne me testait pas. Est-ce que j'avais loupé quelque chose ? Je lançais un regard autour de moi pour comprendre ce qui avait bien pu m'échapper lorsque le regard de Parker croisa le mien. Je n'avais pas le souvenir d'avoir un jour existé à ses yeux – à part quelques mots rapidement échangés, et m'y retrouver soudainement plongée me déstabilisa quelque peu. Pendant une fraction de seconde, elle sembla – d'une certaine façon, s'enraciner dans la même réalité que nous autres.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? fit une voix derrière moi. Pourquoi êtes-vous tous dehors ? Allez, rentrez dans la salle. Nous sommes déjà suffisamment en retard !
Nous nous exécutions, non sans échanger un dernier regard. Alice grimaça en entrant dans la salle de cours, elle ne s'y était jamais sentie à l'aise mais n'avait jamais réussi à m'expliquer pourquoi.
- Bonjour à tous, je suis le professeur Shadlakorn. Avant de commencer quoique ce soit, merci de vous répartir individuellement.
Visiblement, elle n'avait pas eu le temps de repérer les lieux. Elle semblait chercher quelque chose parmi les nombreuses étagères de la salle pendant que nous nous installions aux tables. C'était long et fastidieux ; nous maintenions un silence religieux pendant que les flacons étaient déplacés d'une armoire à l'autre.
- Cette année sera bien différente des précédentes, dit-elle en continuant son manège – elle semblait avoir trouvé l'une des fioles qui lui fallait et l'avait mise de côté. Il ne s'agit plus de bêtement lire et exécuter quelques enchaînements d'instructions mais d'analyser, de comprendre, et d'anticiper. Avant de commencer le programme, oui vous pouvez ranger votre livre, ajouta-t-elle en se mettant sur la pointe des pieds pour attraper un chaudron en hauteur, je vais vous donner un travail à accomplir.
Shadlakorn s'affairait au-dessus du chaudron de cuivre ; des feuilles de livèche et quelques fleurs, probablement de l'achillée sternutatoire.
- Quelqu'un peut-il me dire ce que je suis en train de faire ?
James leva la main, et elle lui donna la parole d'un coup de menton alors qu'elle ajoutait à présent une troisième fleur que je n'arrivais pas à identifier.
- Un philtre de confusion ?
- Qu'est-ce qui vous fait penser qu'il ne s'agit pas d'un philtre d'embrouille ? demanda-t-elle sans lever les yeux de son chaudron.
- Vous avez mis les feuilles de livèches entières. Le philtre d'embrouille nécessite de les écraser d'abord.
- 5 points pour... peu importe votre maison jeune homme, répondit-elle toujours accaparée par sa concoction.
J'avais presque oublié la réelle vocation des points et de la coupe des quatre maisons. L'année dernière, ils n'étaient qu'un instrument de maintien du pouvoir, pour nous monter les uns contre les autres à l'intérieur même de notre propre maison ; et voilà que l'un faisait perdre des points à Poufsouffle, condamnant l'ensemble des élèves de la maison jaune à subir une énième punition dénuée de tout sens. Clyde s'indigna sans discrétion et je me retournai vers lui. Visiblement les Carrows ne lui avaient pas fait perdre de vue la coupe des quatre maisons ; à lui.
- Sérieusement ? J'aurai pu répondre à ça, moi aussi !
- Mais vous ne l'avez pas fait, n'est-ce pas ? reprit Shadlakorn.
L'espace d'un instant, j'aurai juré voir un léger sourire sur les lèvres de Parker. C'était étrange de la voir réagir à un évènement extérieur aussi insignifiant, elle qui était d'habitude si impassible.
- Revenons-en cours si vous le voulez bien, et Mr. –
- Clyde
- Mr. Clyde, c'est ça, je vous prierai de bien vouloir garder vos commentaires pour vous
La professeure récupéra la fiole qu'elle avait mise de côté et y versa une louche du liquide bleuâtre qu'elle venait de concocter.
- Comme je le disais, dit-elle en levant enfin ses yeux vers nous, il s'agit à partir de cette année d'analyser, de comprendre, et d'anticiper. Vous avez deux heures pour réussir à concocter un antidote à ce philtre de confusion. Il a… une touche personnelle particulière, ceux d'entre vous qui ont été attentifs sauront trouver le problème. Je ramasserai à la fin du cours vos antidotes individuels. N'oubliez pas de mettre votre nom sur votre fiole. Et parce que j'imagine que les étudiants n'ont pas perdu leur habitude de courir en-dehors de la salle dès l'heure finie, ajouta-t-elle comme si nous l'ennuyions déjà, pour la séance prochaine vous me ferez un parchemin de 30 cm sur les élixirs éternels.
Le reste de la journée se déroula heureusement sans incident ; la matinée avait calmé les ardeurs de la plupart des protagonistes impliqués – y compris moi-même. Je n'étais pas prête de si tôt à remettre les évènements de l'année passée sur la table. Tout s'était dégradé bien trop vite.
Nous nous dirigions tranquillement vers la Grande Salle afin de prendre notre déjeuner avec Alice et Emily quand mon nom fut littéralement crié à travers la salle. Mickael Tyler arrivait vers nous à bout de souffle.
- Salut ! fit-il en essayant de reprendre ses esprits. Je voulais savoir.. est-ce que… tu as pu réfléchir… à la proposition de l'année… dernière…enfin je veux dire de l'année d'avant ? se reprit-il.
Il me fallut une petite minute pour comprendre à quoi il faisait allusion. J'avais complètement oublié notre conversation en quatrième année. À l'époque, nous avions un bon gardien dans l'équipe de Serdaigle, mais il était en septième année. Tyler était persuadé que je ferai une bonne remplaçante. Il m'avait vu un jour attraper une pomme qu'un Poufsouffle - très énervé - avait jeté contre un Gryffondor (je crois même qu'il s'agissait de Griffin, mais cela remontait à loin). Le Poufsouffle ne savait pas viser et la trajectoire de la pomme aurait fini tout droit dans le crâne d'Emily si je ne l'avais pas intercepté en plein vol. Depuis ce jour, Tyler évoluait dans une autre réalité où j'étais gardienne de l'équipe de Serdaigle – et dans laquelle, visiblement, nous gagnions le championnat de quidditch. Il avait même souhaité que l'ancien gardien me forme lors de sa dernière année pour que je puisse prendre le relais en cinquième année ; je n'avais jamais vraiment répondu et… la cinquième année avait été celle qu'elle avait été.
- Tu veux dire que…
- Je suis capitaine, oui ! dit-il avec un grand sourire.
- Oh, félicitations !
- Merci, alors dis… Tu as réfléchi ?
- Pour être honnête… Pas du tout. Et je suis pas sûre d'être vraiment… faite pour ça, ajoutai-je. Ce n'est pas parce que j'ai un jour eu de la chance que je saurai arrêter un souaffle sur un balais à je ne sais combien de mètres de hauteur.
Il parut déçu.
- Allez, insista-t-il, on a déjà une bonne ossature. Pour une fois que l'équipe de Serdaigle pourrait exploiter son potentiel ! Tout ce que je te demande, c'est de venir aux essais…
- Eyrin, ça te coûte quoi ? fit Alice à ma gauche. Dans le pire des cas, tu prouves juste à Mickael qu'une pomme et un souaffle, ça n'a rien à voir. Et puis ça doit te manquer, non ? De voler ? Ca te fera prendre l'air !
Pourquoi souhaitait-elle soudainement que je m'essaye au Quidditch ? J'avais beau la connaître depuis que nous étions gamines, il y avait des fois où j'étais incapable de comprendre cette fille. Ses yeux de chien battu, en revanche, étaient difficiles à ignorer. J'hochai malgré moi la tête et Tyler étira un grand sourire, visiblement excité.
- Super ! Alors les essais se feront dans deux semaines, ce sera le mercredi. Je t'inscris sur la liste, ajouta-t-il en partant d'un pas léger qui fit rire Alice.
