Chapitre 3

Troisième semaine de septembre


Avec l'étude des runes, l'étude des moldus était le seul cours que je n'avais pas en commun avec Alice. Peu de personnes suivaient cette option et moins encore la préparaient pour les A.S.P.I.C.S. Nous n'étions que six - dont trois Serpentards, James et Peter.

Depuis la rentrée, ce cours avait une signification assez particulière. Ce ne fut que lorsque notre nouveau professeur avait rendu hommage à Burbage – à sa façon, en nous parlant des rites funéraires et du deuil chez les moldus, que j'avais réalisé à quel point l'équipe pédagogique avait évolué. Des professeurs présents à Poudlard, il ne restaient que ceux qui avaient activement participé à la Bataille Finale. Les autres – s'ils n'avaient pas été congédiés par les Carrows, n'étaient pas revenus dans l'enceinte du château. Mais indépendamment de leur participation ou non à la Bataille Finale, la réalité était que très peu d'entre eux s'étaient opposés aux Carrows ; ils avaient été victimes du même système que nous. Et cette pensée m'avait glacé le sang. Eux, n'étaient pas des enfants ; comme mon père aimait à me le rappeler. Ils étaient des adultes pleinement fonctionnels et, pourtant, cela n'avait pas empêché les choses de se faire. Depuis cette réalisation, mettre les pieds dans cette salle de cours me laissait une sensation particulière.

Verpal tentait bien d'accaparer notre attention, pourtant. Il nous exposait les modes de communication moldus ainsi que la manière dont ceux-ci semblaient évoluer avec le temps, notamment avec l'Internet. Cela ne semblait pas intéresser grand monde.

- Peut-être pourrions-nous parler des conséquences de la Guerre sur les moldus ? demanda soudainement Harper.
- Il n'y a pas grand chose à en dire, coupa Parker sur un ton tout à fait inflexible. Le Ministère use de tellement d'oubliettes que les moldus ont des corps sans histoires et des crimes sans coupables. Ils doivent trouver une explication à la récente recrudescence de violence. Leur impression de criminalité et d'insécurité augmente. Certains politiciens en usent en poussant la société moldue vers plus de surveillance et de contrôle, rendant notre existence plus difficile à maintenir cachée.

Le sujet devait être important pour les Serpentards présents car jamais Harper ou Parker n'avaient interagit de cette manière en classe. D'habitude, elles restaient silencieuses et n'échangeaient leurs pensées qu'avec elles-mêmes.

- De fait, reprit Harper, il y a une probabilité non-négligeable que la Guerre provoque une réaction moldue. C'est toujours ce qu'il s'est passé. Il s'agit presque d'une loi naturelle à ce stade. C'est après tout pour cette exacte raison que nous avons le Code International du Secret Magique, non ? Chaque ingérence sorcière dans la société moldue a ses conséquences sur le monde sorcier : nous nous assurons donc de ne plus ingérer. En ce sens, nous ne pouvons pas continuer de prétendre que quelques oubliettes effacent réellement les morts. Nous devrions tenter de comprendre la manière dont les moldus vont réagir avant qu'il ne soit trop tard. À quoi sert de les étudier, sinon ?
- Peut-être aurait-il fallu y penser avant de laisser quelques lâches s'amuser auprès de Voldemort, rétorqua Parker.

Le mépris qui transparaissait chez la Serpentard pour ces « quelques lâches » était tel que j'eus un mouvement de recul en l'entendant prononcer ces mots. Le professeur semblait tout autant dépassé que nous par l'échange. À nouveau, Parker et Harper donnaient l'impression d'évoluer dans une toute autre réalité que la nôtre. Quelque chose semblait se jouer entre les deux et nous assistions à la scène sans pleinement la comprendre – et, d'une certaine façon, sans même vraiment être présents. C'était agaçant.

Surtout parce que cette pensée ne m'avait jamais traversé l'esprit. Cette réalisation était difficile à accepter. Je n'avais jamais ne serait-ce que penser aux conséquences de la Guerre sur les moldus – à part les morts, et j'aurai été encore moins capable de faire le lien avec la survie de la communauté magique. C'était déstabilisant ; ma mère avait vécu dans notre monde, s'était habituée à nos coutumes. Et, alors qu'une guerre avait eu lieu et que les moldus en avaient été tout autant victimes que les sorciers, je n'y avais jamais réellement pensé. Bien sûr, ma mère était partie bien avant que la Guerre ait lieu, mais ce n'était pas une excuse. Je devais n'avoir que très peu envisagé de faire partie de son monde pour ne pas avoir pensé à ce genre de choses ; la perspective me serra le ventre.

- Si c'est quelque chose qui vous intéresse, reprit Verpal, vous pouvons tout à fait envisager d'en discuter. Mais j'aimerais que nous restions mesurés dans nos propos, Miss Parker, ajouta le professeur. Les choses ne sont pas aussi simples.

C'était en réalité trop tard ; Parker avait déjà repris son détachement habituel et ce qui se passerait dorénavant en classe ne la regardait plus.

Après le cours d'étude des moldus pour le moins surprenant que nous venions de connaître, nous nous échappions avec James vers le lac. Nous avions un trou dans notre emploi du temps et je commençais à apprécier sa présence. Il ne prétendait pas qu'il ne s'était rien passé depuis la fois dernière – ou même qu'il allait bien, mais était très clair sur le fait qu'il ne souhaitait pas en parler ; sans pour autant laisser peser une ambiance particulière dans nos échanges. Après des journées entières passées avec Alice, ce genre de simplicité était plutôt rafraichissante.

- En gros, fit James, Internet, c'est des hiboux invisibles qui peuvent transplaner directement de boite en boite.
- Ou leurs ordinateurs sont des portoloins à hiboux.

Nous riions en nous installant dans l'herbe.

- Ca m'a manqué, dit-il, de me balader comme ça l'année dernière…
- Ouais, moi aussi…

Des rires montèrent soudainement dernière nous. A première vue, il fut difficile de comprendre ce qu'il se passait. Les élèves étaient dispersés, il y avait quelques attroupements ici et là le long des murs de pierre mais rien d'anormal. Les rires, cependant, étaient étranges, rappelant plutôt quelques moqueries, et semblaient se propager parmi la foule plutôt que de se calmer. Je me levai pour tenter d'appréhender ce qu'il se passait.

Le spectacle fut des plus étranges. De petites boules noires semblaient suivre – voire harceler, certains élèves. Lorsqu'elles réussissaient à leur monter dessus, ils s'écroulaient de rire ; elles les chatouillaient. A voir les corps se tendre, il était évident que ces boules noires n'étaient pas tout à fait innocentes. Les élèves avaient l'air de souffrir.

- Arrêtez ça tout de suite, intimai-je en lançant un finite incantatem sur les petites choses. Et pourquoi est-ce qu'elles donnent l'impression de ne suivre que certains élèves ?
- Ce sont des Têtes Chercheuses de Traitres, sourit Gray – un Gryffondor.
- Des quoi ? répétai-je, ahurie.
- Des Têtes Chercheuses de Traitres, elles repèrent les baguettes qui ont lancé un endoloris et s'en prennent à leurs propriétaires pour les faire mourir… de rire. Plutôt bien pensé, non ? Ils se plient de rire comme leurs victimes se sont pliées de douleur.

Si ces conneries étaient vraies, cela voulait dire que Clyde, Smith et Lewis avaient tous lancé au moins un endoloris avec leur baguette. Je secouai la tête ; ce n'était pas la question. Les trois élèves se relevèrent tant bien que mal avant de prendre la direction du château.

- Où est-ce que vous avez trouvé ça ? demandai-je.
- Chez le frère Weasley, répondit Gray. Je ne vois pas où est le problème, Jonsson. Qu'est-ce que tu viens nous emmerder, avec tes grands airs ? On ne fait rien de mal. On s'amuse juste un peu entre deux cours !
- Premièrement, vous n'avez pas à avoir ce genre d'objets en votre possession. La Directrice a été claire à ce sujet. Et deuxièmement, la préfète avec ses grands airs te demande ce que c'est que cette histoire de traitres.
- Je pense qu'ils ont prouvé à tous qu'ils étaient des traitres, enchérit Gray. Il n'y a que des sorciers pourris jusqu'à la moelle qui sont capables de jeter ce sortilège. Il te faut quoi d'autre comme preuve, Jonsson ?
- Ne confondez pas tout.
- Arrêtes de prendre leur défense, à la fin !
- Je ne prends la défense de personne. Est-ce qu'il t'ait déjà venu à l'esprit qu'ils ont été capables de lancer l'endoloris justement parce que les Carrows les avaient cassés ? Parce qu'ils nous ont tous cassés ? ajoutai-je. Non, bien sûr que non, parce que dans la tête des si courageux Gryffondors, il n'y a rien d'autre que de la fierté mal placée !

Le commentaire m'avait échappé mais je n'eus pas le temps de regretter quoique ce soit. A ma plus grande surprise, ce ne fut pas sur ce point que Gray rebondit.

- Ce n'est pas une excuse !
- Je n'ai jamais dit que ça les excusait. Ne te trompe pas de cible, Gray. J'étais là avec vous dans la Salle sur Demande. Je vous assure que si je vois encore une seule de ces… choses, O'Connell est averti. Je n'ai pas le temps pour vos conneries. Et ce n'est pas drôle, putain, ajoutai-je en direction des élèves qui s'étaient précédemment attroupés pour rire autour des trois victimes. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez vous !?

Les Gryffondors échangèrent un regard avec Griffin ; me laissant perplexe. Je n'avais pas remarqué sa présence tout à l'heure, mais qu'avait-il à voir là-dedans ? Il acquiesça juste avant que Gray et ses camarades ne ramassent les boules noires qui traînaient toujours au sol, inanimées. Lui répondaient-ils ? S'il avait quoique ce soit à voir là-dedans, c'était inadmissible.

A l'exception d'Alice, le reste de la journée fut plus calme. Nous étions mercredi et les essais de Quidditch étaient prévus à 15h. Elle n'avait fait que parler de cela toute l'après-midi, à une vitesse impressionnante, et son excitation avait été contagieuse ; j'attendais à mon tour la fin de la journée avec impatience. Au fond, Alice souhaitait probablement juste avoir quelqu'un à encourager – je le comprenais maintenant, et la perspective que je puisse faire partie de l'équipe de Quidditch semblait réellement la rendre heureuse. Elle m'avait transmis l'envie de faire partie de l'équipe et je n'avais pas pu m'empêcher de rire une bonne dizaine de fois devant son excitation ; surtout lorsque O'Connell s'était surpris du peu de concentration qu'Alice fournissait en cours. Elle avait transformé le bois en une vieille fenêtre au lieu d'un vase avant de crier quand la vitre s'était effondrée sur sa table - elle qui d'habitude excellait en métamorphose avait fini par sérieusement inquiéter notre professeur.

Ce fut plutôt lors des essais que l'excitation s'épuisa. J'eus du mal à me concentrer. Peut-être était-ce le fait qu'il nous avait été demandé de nous changer pour enfiler une tenue d'entraînement aux couleurs de notre maison qui m'avait fait repenser aux évènements de la matinée, mais il fut dès lors difficile de penser à quoique ce soit d'autre. Alors que jusqu'à présent, les élèves avaient été relativement prudents dans leurs rapports sociaux, les tours de passe-passe et les moqueries semblaient être sur le point de reprendre. Peut-être que tout cela n'était que l'histoire d'une fois ; peut-être qu'ils allaient se calmer et que nous n'aurions plus de problèmes. Mais je n'y croyais pas et je ne saurais comprendre pourquoi cela m'inquiétait autant. J'avais juste un pressentiment.

Les nouveaux candidats à l'équipe de Serdaigle postulaient dans les mêmes conditions que moi ; à l'exception d'un candidat au poste de poursuiveur qui avait l'habitude de jouer régulièrement au Quidditch, nous étions tous plutôt novices en la matière. Nous avions tous échangé quelques souaffles entre amis de temps en temps pendant les vacances - évidemment, mais sans avoir joué un match de Quidditch dans son entièreté. C'était plutôt rassurant. Les essais, par contre, furent bien plus difficiles que ce à quoi je m'étais attendu. Tyler ne plaisantait pas. Pour les gardiens, nous avions eu le droit à différents exercices ; maniabilité et stabilité en vol sans souaffle, prise en main du souaffle et réflexes sans balais, mouvements et positionnement en jeu.

Au bout de deux heures, je dus bien admettre qu'il y avait quelque chose de satisfaisant à sentir mon corps faire autre chose que s'asseoir dans une bibliothèque pour réviser toute la journée.

Alors que les essais prirent fin et que nous atterrissions tous sur l'herbe complètement épuisés, Tyler vérifia ses notes. Avec Lewis – qui n'osait plus me regarder depuis les évènements de la matinée, ils discutèrent un long moment. Nous attendions patiemment autour d'eux ; j'avais vraiment envie de prendre une douche.

- Jonsson ! fit soudainement Tyler. Je pense que tu as vraiment la meilleure marge de progression à ce poste. Tu as un très bon positionnement, tu es plutôt stable en vol et tes réflexes sont vraiment pas mal. Tu as une bonne vision du jeu et ça t'aide à anticiper. Il faudra que l'on travaille ta préhension du souaffle, tu le relâches un peu trop souvent et ça peut vite déboucher en une occasion pour le camp adverse, et également ta relance qui est… hésitante et quelque peu dangereuse pour les poursuiveurs, mais ce sont des choses qui se travaillent. Je te l'avais dit ! ajouta-t-il tout sourire.