[RàR]
Merci pour vos retours. J'espère que la réécriture vous plait pour le moment.
Chapitre 4
Octobre
Plus le semestre avançait, plus je me prenais d'une véritable passion pour les cours de potion. Je les attendais chaque semaine avec un certain empressement. Le silence m'était agréable et j'aimais la présence de Parker à mes côtés ; c'était comme si nous avions établi tout un système de communication malgré le peu de mots que nous échangions réellement.
Elle avait tendance à commencer par ce qui était le plus coûteux, le plus difficile à réaliser ou qui demandait le plus de finesse ; comme se débattre avec des plantes particulièrement difficiles, et semblait d'ailleurs considérer que les mandragores étaient particulièrement difficiles à gérer. Elle commençait toujours par cela dès qu'elles étaient nécessaires dans une potion. Parker me laissait les découpes les plus fines que je maîtrisais mieux – grâce à la passion pour la cuisine dont s'était pris mon père, et j'avais pris l'habitude de suivre son rythme ; je les réalisais en premier, avant de passer à des découpes plus faciles.
Les ingrédients étaient toujours disposés de sorte à ce que les premiers soient rapidement accessibles afin qu'aucune de nous n'ait à se coucher sur la table pour les récupérer s'il fallait que nous les ajoutions au chaudron. L'ordre des ingrédients sur la table était celui de leur ajout dans le chaudron. J'étais donc tout à fait en mesure d'anticiper les endroits où elle allait poser les ingrédients qu'elle était en train de couper et lui préparais le terrain quand la table n'était pas propre.
Pour les ingrédients liquides, j'avais la mauvaise habitude de ne jamais utiliser les fioles directement – trop dangereux, et versais toujours le nécessaire – plus une goutte supplémentaire, dans un récipient ; nous exaspérions Shadlakorn d'user d'autant de récipients. Chaque fois que Parker me voyait prendre une fiole, elle me glissait un bol ; elle avait elle-même pris l'habitude de fonctionner ainsi.
De manière générale, il nous suffisait de jeter un œil aux ingrédients et à la recette d'une potion pour connaître instantanément la manière dont nous nous répartirions le travail. Au bout de quelques semaines, ce fut comme si je n'avais même plus besoin de réfléchir lors de nos travaux pratiques. C'était confortable et agréable, un petit cocon au sein duquel le temps semblait passer différemment. Une petite pause bienvenue dans des semaines toujours plus chargées ; surtout depuis que nous avions commencé les entrainements de Quidditch - mon corps peu habitué au sport intensif peinait à tenir le rythme. Des moments où j'avais l'impression que nous partagions la même réalité et qu'elle était pleinement présente à mes côtés.
Le temps qui passait avait été moins clément avec le reste du château et mon pressentiment ne faisait que croître. Nous avions pris l'habitude avec James de nous retrouver au bord du lac ; il jouait avec le gravier, jetant de temps en temps une pierre dans l'eau, et, couchée dans l'herbe, je me laissais porter par les légers bruits de l'eau. Il faisait assez frais, aussi proche de l'eau, mais c'était apaisant.
- De toute façon, fit une voix plutôt jeune à côté de nous, Salazar Serpentard lui-même a foutu un basilic dans l'école pour tuer des élèves !
Je me relevai légèrement sur mes coudes pour regarder dans la direction du groupe qui marchait le long du lac. Des robes rouges et dorées. Probablement des Premières ou Deuxièmes Années ; ils étaient petits, en tout cas, et pas le moins du monde pubères.
- Ouais, enchérit une tête blonde, et nous on peut pas utiliser des Têtes Chercheuses de Traitres ? C'est n'importe quoi !
- Poudlard ferait honte à Godric Gryffondor !
- Pourquoi est-ce qu'ils ont le droit d'être ici ces foutus Serpentard alors que pleins de gens sont morts ! s'énerva à son tour la tête blonde.
Depuis la guerre, la mort avait quelque chose de commun pour la plupart des élèves ; des mères, des pères, des frères ou des sœurs, des petits amis ou des cousines, des voisins ou des tantes, seuls ceux qui avaient eu la chance de ne pas la connaître pouvaient encore s'en indigner aussi naïvement. Les autres tentaient de faire leur deuil à leur façon. Mais peut-être que le problème que couvait Poudlard se trouvait juste là : encore fallait-il faire son deuil. Si la plupart des élèves essayaient comme ils le pouvaient, dans le silence et la prudence qui avaient caractérisé les premières semaines de vie collective au sein du château, il suffisait de quelques personnes pour mettre la pagaille.
Et ces gamins n'y étaient clairement pas. Il y avait définitivement quelque chose dans l'air qui commençait à être inquiétant. Ca commençait par des « blagues », une colère chaude et des bouc-émissaires, continuait par une impossibilité de communiquer et finissait par des catastrophes humaines. C'est de cette manière que ça avait commencé pour nous ; l'année dernière.
James se tourna légèrement vers moi. Il me montra d'un geste de la tête un second groupe de Gryffondors qui traînaient quelques mètres derrière les plus jeunes. Ils étaient bien plus âgés ; Griffin était parmi eux, j'imaginais donc des sixièmes années.
- Elle ne dit jamais rien, dit James.
- Qui ça ? demandai-je, surprise.
- Tala. Carter, ajouta-t-il pour que je puisse l'identifier dans le second groupe. Je sens bien qu'il se passe quelque chose dans leur Salle Commune, elle est… étrange, depuis quelques semaines. Je ne m'attendais pas à ce que des premières années soient… impliqués par contre.
- Ils ont l'air sacrément remontés. Ca fait un peu… peur ? Je ne sais pas, leur discussion sonnait vraiment étrange.
- Je pense qu'ils se montent la tête entre eux mais je n'ai jamais réussi à lui faire dire quoique ce soit à ce sujet. Elle se referme tout de suite.
Je réalisai enfin ce qu'il avait avoué entre les lignes.
- Attends… Toi et Carter ?
- Depuis l'été. Mais je la connais depuis… eh bien, que nous sommes gosses.
- C'est à cause d'elle que l'autre fois…
- C'est plus compliqué que ça, Eyrin. Je la connais depuis tellement de temps et maintenant qu'on est ensemble, elle ne me parle plus de la même façon. C'est étrange, non ? demanda-t-il plus pour lui-même que pour moi. J'étais son confident, et maintenant elle n'ose pas me parler de ce genre de choses. Et puis j'ai l'impression… qu'elle se cache ? Elle n'a jamais été très démonstrative mais… Je ne sais pas, soupira-t-il. J'ai essayé de lui en parler, mais on s'est disputés. Et je n'aime vraiment pas me disputer, ni les cris ni la colère ni les larmes. C'est toujours… juste trop. Je n'aime vraiment pas ça.
J'acquiesçai. C'était beaucoup d'informations et je n'étais pas sûre de comprendre tous les enjeux qu'il soulevait.
- Peut-être qu'il faut lui laisser le temps de comprendre ce qu'il se passe ? essayai-je malgré tout. Elle a peut-être besoin de poser les choses dans sa tête pour pouvoir t'en parler, Matt.
- Peut-être, mais peu importe. Où sont les filles ? Elles ne devaient pas nous rejoindre ?
Les entrainements de Quidditch étaient particulièrement bénéfiques pour mon sommeil. Tyler passait son temps à me faire subir toutes sortes d'exercices souaffle à la main et je jouais pour le moment assez peu avec le reste de l'équipe. L'avantage, c'était que mon sommeil était profond après les entrainements. Cette nuit, pourtant, je me réveillai dans un sursaut.
- Eh, c'est moi ! cria la voix d'Emily.
Je me relevai tant bien que mal, Emily n'était pas dans son lit. Qu'est-ce qu'il se passait ? Emily ne criait jamais.
- Anna, c'est moi, Emily. Regardes-moi.
Sur ma gauche, Alice était déjà debout, elle récupérait un pull. La voir ainsi dans l'action acheva de me réveiller. J'attrapai ma baguette qui gisait sur la table de nuit et suivis la blonde dans l'escalier de la tour.
- Il n'y a personne, ok ? fit la voix d'Emily dans les escaliers. La guerre est finie.
Anna était assise sur les escaliers, elle gémissait - ou pleurait. Il était difficile de comprendre ce qu'il se passait. Son corps entier tremblait. Ce ne fut que lorsque nous arrivions à leur hauteur que j'aperçus les yeux de la septième année ; apeurés, fuyants, ils semblaient ne jamais pouvoir se poser sur un endroit en particulier. Elle murmurait ou parlait à Emily, mais il était difficile d'entendre clairement quoique ce soit.
- Anna ? s'inquiéta Alice.
Le corps de la septième année se tendit ; elle se releva brusquement et Alice se retrouva nez-à-nez avec sa baguette. Mon sang ne fit qu'un tour. Que se passait-il à la fin ?
Emily fut bien plus rapide que moi. Elle s'interposa entre Alice et la baguette.
- Il n'y a pas de mangemorts, enchérit Emily, d'une voix bien trop posée pour la situation. Il n'y a plus de mangemorts à Poudlard.
Je désarmai enfin Anna d'un expelliarmus et sa baguette glissa le long de l'escalier en colimaçon. La septième année eut soudainement l'air terrorisé et se rassit sur les marches, la tête entre les mains. Rassurée pour Alice mais inquiète pur Anna, j'échangeais un regard avec la blonde qui avait l'air tout aussi dépassée que moi par la situation. Emily s'assit à la hauteur d'Anna et la pris dans ses bras jusqu'à ce que d'autres pas se firent entendre dans les escaliers. Les septièmes années descendaient à leur tour de leurs dortoirs.
- Hey, Anna, fit Lewis alors qu'Emily se reculait pour lui laisser la place, c'est rien, c'est juste un cauchemar. On en a déjà parlé, tu te souviens ? C'est juste un cauchemar.
Une colère sourde monta en moi tandis que je réalisais peu à peu ce qu'il se passait. Qu'est-ce qui leur avait pris de laisser des adolescents se battre ? De les laisser, ensuite, revenir ici ; comme ça ? Les septièmes années n'avaient rien à faire ici. Ils devaient tous être auprès de leur famille.
- Ce n'est pas juste un cauchemar, fit Emily alors que Lewis remontait avec la septième année dans leurs dortoirs. Théo m'avait parlé de ce genre de choses.
- Comment ça ? demandai-je.
- Les moldus étudient les dommages psychologiques de la guerre. Je ne sais plus comment ils appellent ça, mais il y a parfois des conséquences à long-terme. Comme une maladie.
- Une maladie ? répéta Alice. Tu veux dire, comme une maladie dans la tête ?
- Ouais, répondit la brune. Comme si le cerveau restait coincé dans les souvenirs. En tout cas, c'est ce que Théo m'a dit. Ils ont même des médicomages spéciaux pour ça.
- Et Théo, il sait comment guérir de cette maladie ?
- Non, je ne crois pas. Son père l'a mais c'est difficile d'en guérir chez les moldus. Quand je lui ai dit pour l'année dernière… Il a eu peur que je l'attrape moi aussi. On dirait vraiment que ça ne s'attrape pas tout de suite mais plutôt… après coup.
- Mais ça s'attrape comment exactement ? demanda Alice.
- J'en sais rien. Je lui ai pas demandé. Je peux toujours envoyer un hibou à mes parents pour qu'ils lui transmettent une lettre.
L'idée d'une « maladie dans la tête » m'était étrangement terrifiante. Si elle était dans la tête, est-ce que nous avions connaissance de l'avoir attrapé ; d'être malade ? Et est-ce qu'une potion ou un sortilège pouvait la guérir ? Après tout, nous avions bien des potions qui permettaient une meilleure mémoire, alors peut-être qu'il était tout à fait possible de guérir de ce genre de maladies ; même si les moldus n'y arrivaient pas. Mais le simple fait que nous n'avions jamais entendu parler de l'existence de ce genre de maladies m'énervait. Si cette maladie existait, les septièmes n'auraient-ils pas dû aller à Sainte-Mangouste avant de revenir au château ? C'était injuste et complètement irresponsable de les laisser ici sans soins s'ils étaient malades. Comme ça avait été injuste et complètement irresponsable de les laisser combattre durant la Bataille Finale.
Alors qu'Emily et Alice retournèrent se coucher, je montai chercher un manteau. La colère ne m'avait pas quittée – elle s'était même sacrément empirée, je sentais mon pouls battre dans mes tempes, et j'avais vraiment besoin de parler de tout cela à mon père. Peu importait l'heure – il y avait bien quelques avantages à être préfète, je pris la direction de la volière avec un bout de parchemin et une plume autoencreuse. Une fois les marches douloureusement gravies – mon corps ne se remettait toujours pas des nombreuses courbatures, je m'installai tranquillement à l'abris du vent pour écrire.
« Papa,
Ce soir, une élève de septième année a eu des cauchemars tellement réalistes qu'elle a failli attaquer Alice. Heureusement qu'Emily était là. Je ne sais pas ce que nous sommes censés faire dans ce genre de cas. L'envoyer à l'infirmerie ? Elle n'a aucune blessure. Ca n'a pas de sens. Pourtant, elle a besoin d'aide. Ca se voit. Emily a parlé d'une maladie dans la tête que les moldus ont découvert après les guerres. Peut-être que c'était ça ?
Je repense beaucoup à ce que tu m'as dit cet été. Mais je ne comprends pas. Si nous sommes juste des enfants, pourquoi est-ce que c'est à nous de faire tout ça ? Pourquoi est-ce qu'il n'y a personne pour nous aider ? Pourquoi les professeurs sont si absents ? C'est comme s'ils agissaient tous comme si de rien était en nous demandant dans le même temps de veiller à ce que les rapports sociaux se passent bien. Ca n'a pas de sens. Je suis vraiment en colère contre McGonagall. Qu'est-ce qu'elle imagine ? Aucun de nous ne sait quoi faire et tout le monde est perdu. Je ne trouve pas ça juste que ce soit à nous d'essayer d'arranger les choses. Et Flitwick, pour nous engueuler parce qu'on rigole en cours, il est là. Mais quand ses étudiantes s'effondrent en larmes en plein milieu de la nuit, il n'y a plus personne !
Et puis pourquoi est-ce qu'ils ont laissé des enfants combattre ? Ca n'a pas de sens, papa. Je sais qu'on en a déjà parlé et je sais qu'ils étaient majeurs et que la situation était exceptionnelle et qu'il fallait défendre l'école et que la guerre ne se choisit pas mais je ne comprends pas. Tu devrais voir les septièmes années. Ils sont tous… cassés à leur façon. Il y en a qui ont toujours les yeux dans le vide, d'autres qui sont capables de passer du rire au pleurs en quelques secondes, certains qui ne dorment plus. Et ils veulent laisser d'autres enfants récupérer les pots cassés ? Ils ont laissé les élèves résister sans rien faire, papa, et après c'est encore à nous d'essayer d'arranger les choses ? Franchement, ce sont tous des lâches.
Plus le temps passe et plus je me demande à quoi on sert. Je veux dire… quelle est la différence entre les préfets et la brigade inquisitrice ? En troisième année, elle aussi devait faire en sorte que tout se passe bien. Le « bien » était juste pas le même. En quoi sommes-nous différents ? Si McGonagall demandait soudainement à ce que l'on punisse les Serpentards, est-ce qu'on le ferait ? Juste parce qu'on est préfets ? Ils laissent toujours les élèves se démerder entre eux. Pourquoi est-ce qu'il y a des préfets ? Parce que les élèves obéissent plus quand l'un des leurs leur dit quelque chose ? Je ne comprends pas. Je sens bien que quelque chose se passe ici, que quelque chose a changé. J'ai peur de ce qui va arriver et je suis vraiment en colère. Ils nous ont abandonné l'année dernière et ils nous abandonnent encore cette année.
J'espère que Libellule ne t'aura pas effrayé, elle me regarde bizarrement, je pense que je l'ai réveillée donc elle ne sera peut-être pas très sympathique, désolée,
Tu me manques et j'ai hâte que l'on soit aux vacances !
Eyrin. »
