Chapitre 6
Première semaine de novembre
Le double cours de potions arriva particulièrement doucement. Pour une quelconque raison, je n'avais pu me résoudre à déranger Parker en plein diner dans la Grande Salle ; il m'avait donc fallu attendre que nous soyons réunies autour d'un chaudron pour avoir l'occasion de lui parler. Elle était concentrée sur sa lecture des instructions pour la Goutte du Mort-Vivant, mémorisant les étapes à l'avance comme elle le faisait toujours. Mais le silence d'ordinaire apaisant et agréable était cette fois-ci lourd et pesant.
- Je voulais te remercier après le cours de Défense contre les Forces du Mal, commençai-je quelque peu nerveuse, mais tu es vite partie… Je ne sais pas comment tu as fait mais mer-
- Ce n'était pas prémédité, coupa-t-elle sans lever les yeux de son manuel, et ce qu'il s'est passé n'a rien à voir avec toi. Il n'y a vraiment aucune raison de me remercier.
Son ton était tellement détaché que quelqu'un d'extérieur aurait difficilement pu se douter qu'une personne à côté d'elle essayait d'avoir une discussion. À nouveau, j'évoluais dans un autre monde qu'elle. C'était vraiment désagréable. Et puis ce n'était pas comme si elle avait désarmé Carter en éternuant par accident.
- Merci Parker, insistai-je malgré tout. Tu aurais très bien pu ne rien faire. Comment est-ce que tu as su qu'elle n'allait pas se contenter de me désarmer ?
Il était évident que je l'agaçais. J'eus soudainement chaud et l'étrange impression que mon ventre se crispait.
- Tu me fais regretter d'être intervenue, Jonsson.
J'acquiesçai, le message était bien reçu. Cette ambivalence devenait insupportable ; un moment, j'avais l'impression de faire partie de son monde et l'instant d'après, elle reprenait ses distances. J'essayais simplement de la remercier mais il fallait qu'elle complexifie toute cette situation. C'était plus qu'agaçant, c'était blessant. Mon cœur s'écrasait si violemment contre ma poitrine que j'avais du mal à me concentrer sur quoique ce soit d'autre. J'avais la sensation que mon corps entier était en train de battre.
Sans un regard, Parker me fit glisser le manuel grand ouvert sur la table et je secouai la tête, définitivement énervée. Madame souhaitait visiblement que je me mette au travail. Je jetai un œil aux différentes étapes de réalisation de la potion et décidai de commencer par préparer les ingrédients les plus simples.
Le silence ne redevînt pas agréable et je ne sus pas contre qui j'étais réellement en colère ; Parker ou Carter. Sans la jalousie mal placée de la Gryffondor, le cours de potion n'aurait pas perdu son caractère agréable et je n'aurai pas le sentiment que l'on m'avait retiré quelque chose. Cette dernière semblait d'ailleurs toute aussi ambivalente que la Serpentard. Lorsque le Poufsouffle était avec Carter, c'était en tant qu'ami. Il était difficile d'apercevoir qu'il y avait quoique ce soit de plus entre les deux. En ce sens, James avait raison sur le fait qu'elle se cachait et c'était particulièrement agaçant à regarder. La Gryffondor était capable de faire l'intéressante en pleins cours, mais pas d'embrasser son mec devant ses camarades. Je ressentais parfois une urgente envie de lui lancer ce stupefix qu'elle n'avait pas réussi à me lancer proprement.
Les entrainements de Quidditch me permettaient au moins de penser à autre chose. Ils étaient longs, intenses, et épuisants. Tyler était satisfait de mes progrès ; même s'il ne manquait pas d'appuyer sur le fait qu'il faudrait encore beaucoup travailler ma relance. Au moins, en s'entrainant en équipe entière, les poursuiveurs avaient pu s'habituer à mes nombreuses erreurs. Il fallait espérer que ce soit assez pour remporter le match.
Aussitôt sous la douche, cependant, mon esprit se perdait à nouveau. La lettre de mon père commençait doucement à faire son chemin et je fus bien obligée d'admettre qu'il avait raison sur certains points ; il fallait faire quelque chose pour les septièmes années. Pour cela, il faudrait nécessairement parler à l'ensemble des préfets et je devais me préparer à devoir défendre le point de vue de mon père. Les discussions n'allaient pas être faciles. Et Parker me manquait. Ma colère s'était définitivement déplacée sur Carter et ne serait-ce qu'entendre James mentionner son nom me hérissait les poils. Au fond, la présence de la Serpentard arrivait à me poser. Maintenant que les cours de potions étaient devenus pesants, je n'avais plus que le Quidditch et les filles. Mais ce n'était pas exactement pareil.
Plus le match avançait, plus Tyler et Lewis nous martelaient l'esprit avec la « tactique ». C'était devenue une véritable obsession et les derniers entrainements ressemblèrent parfois plus à des cours théoriques qu'à des séances de sport. Nous nous installions dans l'herbe après une séance particulièrement riche en exercices pour écouter les dernières explications « tactiques » avant le match.
- Bon, les Serpentards ne connaissent ni Amos ni Jonsson, reprit Tyler. Ils vont donc s'en méfier. Et ils ont une nouvelle attrapeuse.
- J'ai pu avoir un aperçu de ce que ça donnait, enchérit Lewis. Elle est extrêmement technique dans sa prise en main du balais. Une fois lancée, même les batteurs de Serpentard ont du mal à la freiner aux entrainements. Elle est très fine et précise dans ses mouvements, ce qui fait qu'elle perd très peu de vitesse. L'avantage, c'est qu'en terme tactique, elle a tendance à rester dans l'action. Ca veut dire que même les poursuiveurs pourront la gêner si elle prend un départ rapide. Il ne faudra pas hésiter, appuya-t-il.
Le silence s'installa – je jurerai avoir vu Kyle se renfrogner, et Amos demanda finalement :
- C'est qui au juste ?
- Parker.
J'eus l'impression d'avoir mal entendu. Mon cœur – pourtant quelque peu épuisé par la séance, reprit de plus belle.
- Lilith Parker ? vérifia Amos qui était visiblement aussi surpris que moi.
- Ouais, répondit Tyler.
- Et les Parker ont pas peur qu'elle se casse un ongle sur son balais ?
- Je ne sais pas comment c'était dans les équipes dans lesquelles tu as joué, Amos, reprit fermement Tyler, mais ici on ne sous-estime personne et certainement pas avec ce genre de remarques.
- Désolé, ça me surprend juste. Elle ne participe jamais à quoique ce soit.
- Eh bien visiblement cette année elle a envie de se défouler. Ce qui devrait d'ailleurs tous nous inquiéter.
- Donc si je comprends bien, enchérit Kyle – notre attrapeur, elle est technique mais pas tactique.
- Oui. Il faut qu'on en joue. En plus de sa technique une fois sur sa lancée, elle sera plus légère que toi en vol et forcément plus rapide. Il faut qu'on fasse ce qu'on peut pour que tu aies le plus de mètres d'avance possible. Si elle part en première, il faut la freiner dès, insista Tyler, qu'elle part, à la seconde-même je veux que toutes nos forces se concentrent sur elle : ça veut dire autant les batteurs que les poursuiveurs. Comme Lewis le disait tout à l'heure, elle a vraiment tendance à rester au centre de l'action. Ne faites pas comme si elle n'était pas là, bloquez-lui son champ de vision et faites la stresser. Elle ne doit pas se sentir à l'aise au milieu du terrain.
Les poursuiveurs acquiescèrent et Tyler se retourna vers moi. Visiblement, Nast avait tendance à rester près des poteaux. Il fallait donc que je dévie le souaffle toujours à l'extérieur de la zone de but et si je devais relancer, relancer proprement plutôt que loin. Pour l'instant, je n'avais visiblement pas besoin de m'inquiéter du sens du jeu – parfois, Tyler s'exprimait vraiment étrangement mais je cru comprendre que cela sous-entendait que je n'avais pas besoin d'essayer de faciliter tactiquement le jeu des poursuiveurs. Arrêter les tirs était pour le moment suffisant. Les Serpentards avaient un jeu extrêmement agressif et – d'après Lewis, ils n'auraient aucun mal à utiliser une relance mal ajustée pour faire pression sur les poursuiveurs. Il fallait donc que mes relances soient facilement récupérables par les poursuiveurs pour ne pas leur faire prendre de risques inutiles dont les Serpentards pourraient profiter. C'était à peu près le contenu de nos dernières séances d'entrainement, j'acquiesçai donc simplement une fois le débrief terminé.
Bien évidemment, le véritable match n'avait rien à voir avec l'entrainement. La foule, déjà, me donnait le vertige. Alice avait tenté comme elle avait pu de contenir son excitation pour ne pas me stresser ce matin – et je lui en étais reconnaissante, mais elle était à présent complètement euphorique et j'avais mal au ventre. Le monde et les cris ; les élèves avaient l'air excités de pouvoir revoir un match de quidditch, me donnaient véritablement l'impression de ne plus être totalement dans la réalité. Je flottais.
- Anxieuse Jonsson ? me demanda Tyler alors que nous nous avancions sur le terrain.
- Si j'encaisse un seul but de plus que Serpentard, j'aurai Alice sur le dos toute la semaine.
Il rit avant de me montrer les poteaux avec sa batte.
- Fais-nous confiance pour qu'ils n'aient jamais l'occasion d'être à l'aise lorsqu'ils tirent.
Nous nous installions sur nos balais et décollions légèrement du sol. Madame Bibine allait donner le coup d'envoi au milieu du terrain et je me dirigeai vers mes buts. Parker était effectivement présente. Elle ne semblait pas m'avoir remarqué. Même sur un balais et en tenue de quidditch, elle se tenait différemment des autres joueurs. Ca y est, j'étais définitivement stressée.
Lorsque le coup de sifflet retentit et que le souaffle fut relâché, tout alla très vite. Beaucoup trop vite. Si les contacts avaient toujours portés une certaine violence durant les entrainements, ce n'était rien à côté de ce qui se jouait face à une équipe adverse. Je ne m'étais pas préparée à entendre ce genre de bruits.
« Serpentard a la main sur le souaffle, et c'est parti pour le premier match de quidditch de l'année ! Lewis prend possession d'un cognard pour Serdaigle et – ooooh Nast relâche le souaffle en voulant éviter le cognard. Campbell récupère pour Serdaigle ! Amos, Campbell, le nouveau poursuiveur de Serdaigle semble être à l'aise avec les plus vieux ! Enfin je veux dire, les anciens. Mason récupère pour Serpentard d'un beau tacle ! Adams, Mason, Nast, Serdaigle a du retard sur l'action ! Mason fonce tout droit vers les buts bleus avec à sa gauche Nast et Adams. Tyler barre la route de Nast d'un cognard bien ajusté et le Serpentard loupe sa transmission à Mason. C'est tout de même Adams qui récupère pour Serpentard et frappe ET ARRET DE JONSSON »
Il avait frappé dans l'exacte continuité de la direction d'où il venait ; j'étais quasiment sur la trajectoire du souaffle, et l'arrêt n'avait pas franchement été difficile. Nast cria d'ailleurs après Adams alors que je relançais tranquillement à Amos. L'équipe de Serpentard avait tendance à jouer extrêmement seule dans les derniers mètres et plus le temps passait, mieux j'arrivais à prédire la trajectoire des tirs. Probablement qu'ils allaient au bout d'un moment changer de tactique, mais pour l'instant ma lecture du jeu – comme disait Tyler, me facilitait la tâche devant les buts.
« 30-10 pour Serdaigle ! C'est un match très serré qui se joue entre les poursuiveurs. On dirait que Serdaigle supporte le jeu physique pour le moment mais ils n'ont pas l'habitude de jouer comme ça. A voir s'ils sont capables de tenir physiquement ! Nouvel arrêt de Jonsson, c'est le cinquième d'affilée ! Serpentard va devoir penser à changer de tactique si ils veulent espérer pouvoir marquer ! Campbell récupère pour – OH quelle attaque en triangle de Serpentard qui s'empare du souaffle ! »
J'entendis un bruit sourd et eus le réflexe de baisser ma tête tandis qu'un cognard énervé venait sur moi. Tyler ne m'avait définitivement pas entrainée à éviter des cognards. Sous l'adrénaline, je commençai sérieusement à en vouloir à Alice. Ce n'était pas un sport, c'était une exécution sommaire. Je n'eus pas le temps d'insulter mentalement la blonde – qui n'y était en réalité pour rien, que le cognard revînt vers moi. Il avait effectué une boucle. Foutus batteurs et les effets étranges qu'ils donnaient aux cognards. Je vis du coin de l'œil Nast arriver, souaffle à la main, vers le poteau de gauche. Évidemment, c'était une attaque coordonnée. Je déviai sur la droite en piquant pour éviter le cognard qui revenait avant de braquer à gauche afin d'avoir une chance de stopper le potentiel tir du Serpentard. Amos arrivait sur la droite de Nast mais il était encore trop loin pour espérer lui reprendre le souaffle. Puis il y eut un son étouffé ; un batteur venait de lancer le deuxième cognard. Non, deux sons étouffés. Une attaque véritablement coordonnée. Merde.
« Jonsson est prise en sandwich ! Eh Madame l'arbitre, c'est une faute ça ! Enfin je veux dire, les deux cognards de Serpentard arrivent droit sur la gardienne de Serdaigle. On dirait que les Serpentards ont réussi à amener Jonsson exactement où ils la voulaient pour réaliser leur attaque ! Un mouvement illégal, Madame l'arbitre, mais impressionnant. Par Merlin ! »
J'entendis le manche du balais craquer avant de sentir que je chutais ; mon ventre me faisait mal et je me surpris à espérer toucher rapidement le sol pour faire taire la douleur. Je fermai les yeux, me préparant au choc violent ; j'allais réellement tuer Alice.
Puis, une douleur au poignet. Je sentis subitement le poids entier de mon corps dans mon poignet et eus l'impression que mon épaule se déchirait avant de toucher le sol à une vitesse tout à fait raisonnable.
« Parker ? » fit la voix surprise de la commentatrice « Enfin je veux dire, oui, Parker vient de récupérer la gardienne de Serdaigle. Très beau fairplay, en espérant que ses coéquipiers apprennent de ses actions ! Madame Bibine siffle la faute ! Nous rappellerons aux Serpentards que les attaques sur les gardiens n'ont pas le droit d'être aussi brutales. Madame Bibine me rappelle à l'ordre. Oui je sais, c'est vous l'arbitre. Pardon. »
J'étais au sol, aux premières nouvelles tout à fait entière, et mon ventre se serra brusquement ; je cru un instant que j'allais vomir mais y échappai par un quelconque miracle. J'avais atrocement mal à l'épaule et ma tête tournait. Rester allongée sur le sol pendant quelques minutes me sembla être une bonne idée et je me laissai tomber sur le dos. J'avais l'impression de ne plus respirer normalement.
- Eyrin !
Ah, Alice. Je divaguai.
- Par Merlin, est-ce que ça va ? Tu m'as fait une peur bleue !
Le visage de la blonde apparut devant moi. A l'envers. Je ris devant sa bouche qui se mouvait de manière totalement étrange de cette manière.
- Tu avais raison Alice, soupirai-je, le quidditch est un moment de détente qui me fait vraiment du bien. Voler est très relaxant.
- Écartez-vous, jeune fille, fit une voix d'adulte.
Le visage d'Alice disparut pour laisser place à celui de Pomfresh. L'infirmière me toucha l'épaule et le bras ; ce qui me fit évidemment grimacer de douleur. Ou peut-être que j'avais crié. Je ne savais plus trop ce qui était de l'ordre de mes pensées. Elle n'eut pas l'air particulièrement contente.
- J'imagine qu'il vaut mieux une épaule démise que de s'écraser au sol, souffla-t-elle, l'air contrarié. Heureusement que Miss Parker a pensé à vous récupérer assez tôt. Ce ne serait pas la même histoire si elle vous avait récupéré à quelques mètres du sol. Votre épaule serait dans un tout autre état et vous seriez probablement tombées toutes les deux. C'est bien pour ça qu'on n'intervient jamais durant la chute, soupira-t-elle, définitivement ennuyée.
J'avais du mal à suivre ce qu'elle disait. Parker aurait dû me laisser tomber ? Drôle d'infirmière. Au-dessus de nous, le match continuait toujours et le bruit des contacts me faisait de temps en temps sursauter. Je ne m'y étais pas habituée. Ils n'étaient pas pareils lorsqu'on les entendait des gradins.
« Parker file à toute allure ! Aurait-elle aperçu la balle d'or ? On dirait que oui ! Kyle est derrière mais vraiment derrière. En retard quoi ! Ohlala, Serdaigle récupère le contrôle des DEUX cognards ! Cette fin de match promet d'être savoureuse ! Parker évite le premier cognard d'une vrille et Lewis contre-attaque : le deuxième cognard force Parker à dévier de sa trajectoire. Malheureusement pour Serdaigle, Parker frôle littéralement le cognard et prends très peu de retard. Kyle gagne à peine quelques secondes sur son retard ! Avec la gardienne à terre, il ne reste plus que le Vif d'Or à jouer pour Serdaigle. »
Pomfresh me fit avaler quelque chose de liquide – ou presque, la consistance était tout de même assez épaisse. La douleur s'atténua drastiquement.
- Ce n'est pas grand chose, mais il faudra tout de même passer à l'infirmerie, Miss Jonsson. Je n'ai pas ce qu'il faut ici pour traiter ce genre de blessures. Ce que je vous ai donné ne fait que réduire la douleur.
« Campbell et Amos récupèrent le souaffle et jouent avec la montre ! On dirait qu'ils vont essayer de le garder le plus longtemps possible entre leurs mains pour que Serpentard n'ait pas l'occasion de tirer dans des buts presque vides. Campbell et Amos prennent de la distance et s'éloignent des buts de Serdaigle. Nast et Mason essayent de répliquer mais tous les batteurs du match sont focalisés sur la course entre les deux attrapeurs. Les poursuiveurs de Serpentard devront récupérer le souaffle à l'ancienne... AVEC LES MUSCLES ! Oh mais ! Parker a le vif d'or. PARKER A LE VIF D'OR ! 160 à 60 ! Serpentard remporte le match ! QUEL MATCH PUTAIN BON RETOUR A POUDLARD TOUT LE MONDE. Pardon professeure McGonagall, je me suis laissée emporter »
Je soupirai.
- C'est rien Eyrin, enchérit Alice, tu étais super ! T'as arrêté pleins de tirs !
Alors que les cris des Serpentards retentirent dans un silence assourdissant, Parker mit pied à terre.
- Est-ce que vous pouvez vous lever ? demanda Pomfresh. Miss Stevens, vous pouvez l'accompagner à l'infirmerie ?
Alice acquiesça en même temps que moi. La douleur presque disparue, je me sentais juste étrange.
- Très bien, il faut que je vérifie le bras de Miss Parker.
Je relevai justement les yeux vers la Serpentard. Nast avait l'air d'être en colère contre elle. Il venait à peine de mettre un pied à terre qu'il se dirigeait déjà vers elle avec détermination – malgré leur victoire. Le capitaine de l'équipe de Serpentard s'interposa aussitôt. Il semblait que Parker était hors-limite et ce fut sur le capitaine que Nast cria ce qu'il avait à crier. L'attrapeuse en profita pour s'extirper discrètement du terrain. Elle ne comptait visiblement pas partager la joie de ses coéquipiers. Je me relevai brusquement, abandonnant Alice et Pomfresh sur place.
- Parker ! criai-je.
Elle était déjà hors du terrain et grimpait les estrades ; elle allait rejoindre les vestiaires. J'accélérai le pas autant qu'il me fut possible de le faire.
- Parker ! repris-je tant bien que mal alors que je la voyais disparaître dans les escaliers. Lilith !
Elle s'arrêta net et je pus enfin monter les marches qui nous séparaient pour arriver à sa hauteur, complètement essoufflée.
- Eyrin, appuya-t-elle.
- Tu m'as sauvé la vie, fis-je en essayant de reprendre mon souffle.
- Ne sois pas dramatique, Madame Bibine aurait probablement réagit avant que tu ne touches le sol.
- C'est pour ça que tu as jugé nécessaire d'intervenir.
Le regard noir qu'elle me lança ne me laissa aucun doute quant au fait que j'avais visé juste. Elle secoua la tête et entreprit de continuer l'ascension de l'escalier. Elle allait encore partir. De nouveau disparaître. Fuir. Je n'en pouvais plus.
- C'est quoi ton problème à la fin ? repris-je en la suivant. J'essaye juste de te remercier.
Elle se retourna si brusquement que je faillis la percuter de plein fouet. J'avais chaud et, paradoxalement, la chair de poule. A son attitude, je compris immédiatement que j'avais déclenché quelque chose.
- Mon problème ? répéta-t-elle. Tu pourrais peut-être faire un peu plus attention aux situations dans lesquelles tu te mets, tu ne crois pas ?
- Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ? Tu crois que je le fais exprès peut-être ? Je n'ai pas choisi de faire une chute d'une trentaine de mètres et je n'ai pas choisi d'être la cible des stupidités de Carter. Et je ne t'ai rien demandé !
Elle secoua la tête, visiblement énervée. Je ne l'avais jamais vu aussi émotionnelle. Certes, sa voix était calme et elle ne criait pas, elle était dure – comme elle l'était si souvent, mais chaude. Pas froide ni distante. Sa respiration était forte et rapide – ou peut-être était-ce la mienne, nous étions tellement proches que j'aurais été incapable de faire la différence. Mon corps semblait avoir sa propre vie et je ne pouvais éprouver d'autres sensations que les battements de mon cœur – qui à nouveau semblaient se propager dans l'ensemble de mon corps. Je ne sus pas trop si j'aimais ou non la sensation.
- Parce que je t'ai demandé quelque chose, moi, peut-être ?
Elle semblait se rapprocher un peu plus à chaque mot qu'elle prononçait et je déglutis. Son visage avait perdu toute impassibilité. Je ne l'avais jamais vue comme ça.
- Tu es tellement agaçante, reprit-elle. Et tu sais, je réalise bien que tu n'y es pour rien là-dedans et que ce n'est pas contre toi que je devrais être en colère, mais vraiment, Jonsson, tu n'imagines pas à quel point tu me mets en colère. Ne me demande surtout pas quel est mon problème, parce que j'en ai plus d'un et que tu es l'un d'entre eux.
Tout compte fait, j'appréciais la sensation. J'avais terriblement chaud et n'arrivais plus à penser correctement, ma respiration était complètement chaotique, mais j'eus soudain l'envie qu'elle m'-
- Embrasse-moi.
A voix haute, évidemment. Je ne savais pas si mes joues pouvaient devenir plus rouges qu'elles ne l'étaient déjà, mais tentai vainement de reprendre pleinement possession de mon esprit. Sa réaction fut tout aussi spontanée que la mienne.
- Pardon ?
J'eus subitement envie de m'excuser mais ne sus pas trop pourquoi. Je n'étais pas désolée de l'avoir dit à voix haute, et moins encore d'en avoir réellement envie. Peut-être de l'avoir mise dans un tel état, parce que je l'avais clairement perturbée. Pour une fois, c'était manifeste. Elle resta silencieuse pendant des minutes qui me parurent particulièrement longues. Parfois, elle semblait complètement absente durant quelques secondes avant de reprendre soudainement pieds avec la réalité ; son regard était tantôt vide, posé sur une planche des escaliers, tantôt plongé dans le mien. Plusieurs fois, elle sembla vouloir dire quelque chose pour se raviser aussitôt. Elle bougeait beaucoup, aussi, ce qui était étrange. Elle était en pourparlers avec elle-même. Pendant un instant, je cru même qu'elle allait le faire ; que Lilith Parker allait embrasser Eyrin Jonsson en plein milieu de l'escalier qui menait au vestiaire de Serpentard. Le naïf éclair d'espoir qui avait été le mien rendit sa véritable réaction bien plus douloureuse encore lorsqu'elle se retourna en silence pour gravir les marches qui la séparaient des vestiaires.
Je me laissai tomber contre le mur en bois et soupirai.
