[RàR]

Khalima : Un grand merci pour ton retour :)


Chapitre 8

Deuxième semaine de novembre


Après cet événement pour le moins particulier, j'avais développé une certaine appréhension de la vie dans le château. Je m'attendais à ce que l'altercation soit l'événement déclencheur qui allait faire imploser toute la tension accumulée à Poudlard ces dernières semaines ; chaque interaction sociale entre maisons m'avait mise en garde et ma vigilance avait été particulièrement accrue dans les couloirs. Inutile de préciser que la semaine avait été éprouvante, tant pour les nerfs que pour le corps.

La réalité fut, pourtant, bien pire. Les Deuxièmes Années avaient non seulement des rapports d'une telle violence entre eux que cet événement ne pouvait être déclencheur de quoique ce soit ; ils en avaient bien trop l'habitude. Mais ils étaient tellement repliés sur eux-mêmes qu'en réalité, l'altercation ne fut que très peu ébruitée parmi le reste des élèves ; ne pouvant de fait déclencher quoique ce soit au sein du château. Cette réalité était terrifiante, car elle sous-entendait que les informations ne remontaient que difficilement aux plus âgés. À nouveau, je n'osais pas imaginer ce que nous ignorions.

Shadlakorn et O'Connell avait chacun pris des mesures vis-à-vis de leurs élèves respectifs. Miller avait proposé que l'on se voit entre préfets en fin de semaine afin de discuter de la situation ; il nous fallait faire plus attention à ce qu'il se passait chez les Deuxièmes Années. Nous devions tous parler à quelques élèves de nos maisons respectives dans l'idée d'obtenir des informations – si c'était chose possible. Ni Peter ni moi n'avions mentionné les Septièmes Années, préférant attendre d'avoir des informations sur cette maladie moldue. Discuter entre nous du comportement des Deuxièmes Années allait probablement demander quelques efforts et il n'était pas nécessaire de surcharger tout le monde d'informations. Surtout si, comme James le pressentait, les Gryffondors se montaient la tête entre eux ; le risque étant alors que leurs préfets ne comprennent pas bien la portée des problèmes des Deuxièmes Années.

Bien évidemment, cette semaine était également ponctuée d'un cours de potions. Je n'éprouvais aucune envie de m'installer derrière un chaudron et espérais sincèrement que notre professeure ait soudainement changé de pédagogie. Ce ne fut évidemment pas le cas. Nous entrions dans la salle de classe et Emily me sourit de loin. J'eus envie de disparaître des cachots.

Une fois les travaux pratiques commencés, il fut évident que Parker avait du mal à se concentrer. Elle n'avait pas mémorisé une seule instruction ; le regard de la Serpentard passait constamment du chaudron au manuel, vérifiant ce qu'elle était en train de faire – ce dont elle n'avait pas besoin en temps normal, et ses gestes étaient particulièrement peu assurés. Alors que d'ordinaire, nous fonctionnions plutôt naturellement, ce fut comme si tous nos automatismes s'étaient évaporés. Elle s'occupait de préparer des étapes qui, dans d'autres circonstances, m'incombaient plutôt.

Je ne m'y attendais pas. Après tout, Parker n'avait d'ordinaire aucun mal à se détacher et prendre de la distance. C'était naturel chez elle. Elle ne s'en était pas privée à l'infirmerie. La voir incapable d'en faire autant durant le cours de potions avait quelque chose de surréaliste et me prit totalement au dépourvu. À nouveau, je me sentis coupable. J'en oubliai presque mon propre embarras.

- Si la situation est trop inconfortable pour toi, commençai-je finalement alors qu'elle relut pour la troisième fois d'affilée la même instruction, on peut demander à Shadlakorn de changer de partenaire. A nous deux, on trouvera bien une justification qui lui conviendra.

- Mon état n'a rien à voir avec toi, répondit-elle en lisant pour la quatrième fois la même ligne.

- Tu sais, j'ai compris le message la première fois. Tu n'es pas obligée d'être désagréable pour mettre de la distance entre nous.

Elle sembla sincèrement surprise et s'arrêta – enfin, de lire ce foutu manuel. Ses yeux se posèrent sur moi.

- Quel message ?

- Je te demande de m'embrasser et tu t'en vas.

- Oh.

Elle détourna rapidement le regard. Visiblement, le chaudron était devenu passionnant.

- Tu n'as pas besoin d'en rajouter une couche, vraiment, insistai-je. Je me sens suffisamment stupide comme ça. Ou vulnérable, repris-je en pensant soudainement à Emily. Bref, j'ai compris que tu n'étais pas intéressée. Pas besoin d'être désagréable. Surtout si on doit travailler ensemble le reste de l'année.

Elle prit une profonde inspiration avant de se retourner vers moi.

- Tu m'as prise par surprise, Eyrin. Je te présente mes excuses si je t'ai peinée. Ce n'était pas dans mon intention de transmettre un quelconque… message et certainement pas celui-ci.

Mon cœur rata un battement. A son tour, elle eut l'air de réaliser ce qu'elle venait de dire. Elle était manifestement gênée. Je ne pus empêcher un sourire. Tandis que j'essayais de calmer mon corps qui avait repris de plus belle, la Serpentard se tourna à nouveau vers le chaudron, posa ses deux mains sur la table et ferma les yeux un court instant. Devant l'excitation qu'elle venait de provoquer chez moi, je ne savais plus quoi faire de moi-même. Elle finit par rouvrir les yeux et se redresser, récupérant dans le même geste le manuel de potions.

- Je ne suis pas prête à en parler pour l'instant, reprit-elle les yeux à nouveau figés sur les instructions. Si tu pouvais prendre la peine de ne pas mettre en colère d'autres Gryffondors d'ici à ce que je le sois, ce serait grandement appréciable.

- Et moi qui commençait pourtant à m'habituer à être une demoiselle en détresse.

Son corps se tendit et je me maudis.

- Je suis désolée. Ce n'était pas intentionnel. Je suis juste nerveuse.

- Puisque nous sommes de toute évidence deux à l'être, peut-être pourrions-nous enfin nous reconcentrer sur nos travaux pratiques pour au moins tenter de nous en sortir avec un acceptable ?

J'acquiesçai et me mis au travail tant bien que mal. La sensation de mon corps qui se faisait l'écho des battements de mon cœur était définitivement agréable et le cours de potion reprit toute son essence.

J'eus du mal à reprendre mes esprits une fois sortie des cachots. Le reste de la journée fut rythmée par les regards curieux d'Emily dès que je souriais sans raison et mon impression constante d'être en train de flotter dans les couloirs du château. Peut-être étais-je morte entre-temps et ne le réalisais pas, comme Binns. J'avais autant de mal à croire à ce qu'il s'était déroulé la matinée que j'avais de mal à me concentrer sur ce qu'il se passait autour de moi. Le cours de botanique n'eut pas plus mon attention que les autres.

- Ah mais c'est horrible ce truc ! gémit Alice. Comment on fait ? Eyrin ? reprit-elle. Ouhouuuu ?

Je vis soudainement une main dans mon champ de vision et me reconcentrai sur notre table. Une plante étrange y gisait. On aurait dit des racines mortes qui tentaient de mordre tout ce qui était capable de s'approcher d'elles. En l'occurrence, les doigts d'Alice.

- Mhm, ouais ? fis-je.

- Comment est-ce qu'on est censées les récupérer ?

- Euh… de quoi tu parles ?

- Les gousses, Eyrin. Les gousses que ces… foutues tentacules protègent. Qu'est-ce que tu as aujourd'hui ? s'agaça-t-elle.

Je vérifiai d'un coup d'œil le manuel ouvert. Visiblement, cette racine était un snargalouf et protégeait effectivement des gousses présentes en son sein. Les récupérer devait pouvoir calmer les tentacules. Il nous fallait donc pouvoir atteindre les gousses sans se faire mordre les doigts. Il y avait une certaine ironie à toute la démarche. Si nous voulions calmer la bête, il fallait spécifiquement faire ce que nous souhaitions éviter de faire. La botanique était parfois étrange.

- C'est écrit avec un objet pointu, Alice…

- Ils sont marrants eux, fit la blonde en se débattant avec les racines, ça explique pas comment on fait pour pas se prendre ces – aoutch – putain d'épines de merde

- Mhm mhm, fit une voix d'adulte.

Chourave était face à nous. Emily retint de toute évidence un rire – elle devenait toujours rouge lorsqu'elle s'empêchait de rire, et Alice se tendit subitement. La professeure resta plantée devant notre table et la blonde se mit immédiatement au travail. Si il y a quelques minutes elle avait donné l'impression de n'avoir aucune idée de ce qu'il nous fallait faire, elle dirigeait maintenant les opérations comme si elle avait déjà retirer ces gousses des dizaines de fois.

Elle récupéra une paire de ciseaux qui trainait sur la table et, après s'être assurée que ses gants étaient correctement enfilés, plongea ses mains droit dans la bête. Je ne sus pas si ce fut normal, mais un liquide verdâtre coula soudainement le long de la table.

- Il faut retirer la gousse, Miss Stevens, pas la trouer, fit Chourave visiblement désespérée.

De petites racines semblaient s'exciter dans le liquide qui se tarissait petit à petit.

- Est-ce que… Est-ce que j'ai tué ses bébés ? s'inquiéta Alice tandis qu'Emily ne put cette fois retenir son rire.

La professeure lui jeta un regard désabusé et la blonde rougit subitement. Je ris à mon tour devant l'embarras d'Alice et Chourave leva les yeux au ciel avant de passer à une autre table.

- Ce n'est pas drôle ! s'indigna Alice. Par Merlin, j'ai tué ses petits. Putain, c'est dégueulasse quand même, ajouta-t-elle en essayant de nettoyer ses gants. Et ça vous fait rire !?

A la fin de la journée, nous avions convenu avec Peter de parler à certains élèves en deuxième année dans notre salle commune. Il nous était devenu évident que nous ne pouvions aborder le sujet frontalement. Si les rapports entre Deuxièmes Années étaient tels que nous les imaginions, être directs ne nous permettrait que de bloquer les élèves. Nous avions donc eu l'idée très chronophage de parler à des élèves de tous les niveaux de sorte à ce que les Deuxièmes Années ne se sentent pas spécifiquement visés. J'espérais réellement que cette tactique fonctionne car la soirée promettait d'être longue.

Les Cinquièmes et Sixièmes Années avaient particulièrement jouer le jeu et avaient voulu passer en premier pour avoir leur soirée tranquille ; les Septièmes Années avaient catégoriquement refusé, nous expliquant succinctement qu'ils n'avaient pas grand-chose à dire. Cela n'avait pas calmé mes inquiétudes vis-à-vis de cette maladie moldue.

Les impressions que j'avais eu des premières semaines à Poudlard avaient de toute évidence été partagées par les Cinquièmes et Sixièmes Années. De manière générale, ils ressentaient une certaine appréhension à ce que la vie reprenne véritablement son cours normal et préféraient pour le moment que les rapports entre maisons soient plus calmes et prudents. Ils faisaient eux-mêmes attention à ce qu'ils disaient, faisaient, et en présence de quels autres élèves ils étaient. À cela, plusieurs élèves avaient souhaité préciser qu'ils faisaient beaucoup moins attention à la maison d'appartenance des autres. Notamment, ils avaient tendance à catégoriser les autres élèves selon qu'ils avaient résisté ou non, avaient été volontaires pour trahir Potter ou non, avaient jeté un endoloris ou non, et avaient des attitudes positives envers les mangemorts ou non. En fonction de l'élève en face d'eux, ils avaient donc tendance à ne pas lui parler ou à être prudents lorsqu'ils le faisaient. Ils n'avaient pas spécialement peur, mais se sentaient plus à l'aise lorsque les rapports sociaux n'étaient pas passionnés et faisaient ce qu'ils pouvaient pour qu'ils ne le deviennent pas. En ce sens, plusieurs élèves avaient mentionné le match de quidditch comme source d'appréhension et quelques rares élèves avaient pointé du doigt qu'ils appréciaient le fait qu'il y avait, cette année, moins de rumeurs qui circulaient.

Nous étions donc passés aux Quatrièmes et Troisièmes Années avant d'en venir à notre intérêt principal. Les impressions des plus jeunes étaient plus naïves. Ils étaient capables de formuler quelques craintes quant à certains conflits, qu'ils illustraient surtout par le quidditch et le match opposant Gryffondor à Serpentard, mais ne trouvaient pas que la vie à Poudlard était réellement différente par rapport à l'ère pré-Carrow. Ils étaient tout à fait en mesure de nous dire qu'il y avait pour le moment moins de conflits mais ne faisaient pas réellement de lien avec l'année passée. Pour eux, les élèves étaient juste plus gentils de manière générale. Leurs avis étaient plus confus et beaucoup moins structurés. Ce qui était probablement dû à la différence d'âge.

En ce qui concernait les Deuxièmes Années, par contre, ce fut une toute autre histoire. Il était 21h lorsque nous avions commencé à les interroger et nous n'étions pas prêts d'arriver à quoique ce soit.

- On pose les mêmes questions à tout le monde, commença Peter pour la quinzième fois de la soirée, ça nous aide à savoir ce dont vous avez besoin et comment on peut être de meilleurs préfets. Comment est-ce que tu trouves la vie à Poudlard en ce moment ?

- C'est Poudlard, répondit l'élève.

- C'est-à-dire ? demandai-je.

Le Deuxième Année haussa les épaules et je ne cherchai pas plus loin. C'était le troisième Deuxième Année de la soirée et tous avaient formulé les mêmes réponses ; à quelques mots ou haussements d'épaule près.

- Est-ce que tu penses que les choses ont changé à Poudlard ?

- Pas vraiment.

Mon estomac se serra pour la troisième fois consécutive. Il devenait évident que quelque chose se passait chez les Deuxièmes Années. Ils n'avaient connu le château que sous les Carrow, il était de fait impossible de ne pas voir de réelles différences.

- Tu veux dire que pour toi, que les Carrow soient là ou non, ça ne change pas grand-chose ? insista Peter.

- On a plus de devoirs, répondit simplement l'élève. Ah si, corrigea-t-il, on a du quidditch.

- Si tu pouvais changer une chose à Poudlard, qu'est-ce que ce serait ? demandai-je.

- Les côtelettes de porc, elles sont toujours trop grillées.

J'éprouvai soudain l'envie de pleurer. Comme ses deux collègues précédents, les réponses étaient plus que pragmatiques et il y avait en elles quelque chose de proprement terrifiant.

Les élèves en troisième et quatrième années avaient tous discuté des devoirs à rendre, des horaires de cours ou de choses relatives au fonctionnement du château comme les règles pour la possession et l'utilisation de balais en-dehors du quidditch ; certains avaient même proposé la création de matchs « retours » pour prendre leur revanche sur Serpentard – pratique courante dans les sports Moldus, nous avait-on informés.

Durant l'année passée, les élèves plus âgés – et notamment ceux qui avaient résisté, avaient noués de forts liens avec des élèves d'autres maisons et les amitiés intermaisons étaient bien plus nombreuses qu'elles le furent avant la Guerre. Le fonctionnement de Poudlard, de ses maisons et de ses salles communes apparaissait maintenant comme porteur de problème et d'embuche aux Cinquièmes et Sixièmes Années. Pour répondre à cette question, les élèves plus âgés avaient, de fait, tous indirectement proposé des solutions à ces problèmes – mieux aménager la Grande Salle la journée de sorte à pouvoir y passer un moment avec des élèves d'autres maisons sans être assis sur des bancs inconfortables, voire permettre à d'autres élèves de venir dans nos salles communes à certaines périodes de la journée – ou au moins le week-end.

Les élèves en deuxième année, quant à eux, avaient tous répondu de manière complètement absurde. C'était déroutant. Il devenait évident que ce n'était pas de cette manière que nous arriverions à nous faire une idée de ce qu'il se passait réellement. Il nous fallait définitivement agir différemment.