Chapitre 9
Deuxième semaine de novembre
La fin de la semaine arriva rapidement et, avec elle, la réunion des préfets dans une salle vide du château. Les informations que nous avions récupéré des Deuxièmes Années étaient plus inquiétantes que réellement informatives. Je n'avais cependant pas pris en compte le facteur « maison ». Si nos Deuxièmes Années nous avaient terrifiés, ils avaient eu la discipline de répondre calmement à nos questions ; comme les Poufsouffles. Pour les préfets de Serpentard et Gryffondor, la difficulté avait été toute autre. Bien que je n'étais pas sûre que Griffin ait vraiment essayé de récolter quelques informations que ce soit. Au moins Taylor avait l'air plus impliquée que lui.
Bien évidemment, nous avions été les seuls à procéder aux entretiens de manière stratégique. Les autres préfets s'étaient contentés d'échanger avec quelques élèves en deuxième année entre deux activités. Il était donc difficile de pouvoir échanger sur la situation. Nos informations n'étaient pas de la même nature que les leurs. La plupart des élèves s'étaient bloqués avant de – visiblement, se mettre en colère. Tant chez les Gryffondors que les Serpentards. Les Poufsouffles étaient juste majoritairement restés silencieux.
- Très honnêtement, reprit Nast, la seule différence que nous avons pu percevoir chez les Deuxièmes Années, c'est qu'ils semblent être particulièrement en colère contre les Gryffondors.
- Et les Gryffondors contre les Serpentards, soupira Griffin. Bien. Quelqu'un peut m'expliquer pourquoi ça nous inquiète ?
- Donc tu trouves ça tout à fait normal que vos deux maisons s'humilient constamment de cette manière ? m'agaçai-je.
- Humilier est un grand mot, Jonsson. Leonard a poussé deux Serpentards au sol. Et si je peux quand même vous rappeler la situation dans son entièreté, appuya-t-il, un élève de Serpentard a essayé de lancer un endoloris sur un autre élève et il n'a pas été viré de l'école. Ce n'est pas plutôt ce qui est censé nous inquiéter ?
Je secouai la tête.
- Le problème Griffin, intervint Miller, c'est que ce genre de comportements vient dire quelque chose de ce qu'il se passe chez les Deuxièmes Années.
- Quoi ? s'ennuya-t-il. Si vous ne deviez retenir qu'une seule chose de cette situation, c'est que c'est encore un Serpentard qui s'apprêtait à lancer un endoloris.
- Griffin, soupira Taylor. On en a discuté. On est pas là pour discuter de ce qu'il s'est passé durant cet événement précis, on est là pour discuter de ce qu'il se passe à Poudlard de manière générale.
- Non mais vous êtes chiants à la fin à constamment victimiser les Serpentards !
- Personne ne victimise qui que ce soit, enchérit Miller d'un ton ferme. Nous sommes juste là pour tenter de comprendre la situation.
- Il n'y a rien à comprendre ! s'énerva Griffin. Gryffondor déteste Serpentard, Serpentard déteste Gryffondor. Vous voulez quoi à la fin ? C'est Poudlard, pas Beauxbâtons. On a toujours fonctionné comme ça et on fonctionnera toujours comme ça ! Vous allez pas changer des siècles de tradition parce que des élèves en deuxième année ont répondu bizarrement à vos questions débiles.
- Ils n'ont pas juste répondu bizarrement à nos questions, Griffin, répondis-je. Ces élèves sont complètement cassés et totalement… vides. On dirait qu'ils ne sont animés par rien, qu'ils ne prennent plaisir dans rien, qu'ils réalisent à peine où ils sont la moitié du temps. Il est évident que ce qu'il s'est passé l'année dernière continue dans leur promotion. Le harcèlement, les humiliations, la violence constante, la méfiance et l'incapacité de tisser de vrais liens. Et tu es vraiment un beau salopard si tu penses que tu peux les regarder dans les yeux et toujours me dire qu'ils vont bien. On sait tous ici que c'est faux et il est temps de regarder le problème en face.
Le Gryffondor me lança un regard noir ; probablement mérité pour l'insulte qui m'avait échappé, avant de secouer la tête manifestement en colère.
- Il est évident que les Deuxièmes Années ont besoin d'assistance, enchérit soudainement Harper. Mais ce sont les différences entre maisons qui devraient nous interroger. Elles témoignent clairement d'une répercussion disparate des évènements de l'année passée sur les élèves en deuxième année. Il paraît évident que les Serdaigles et Poufsouffles ne sont pas touchés de la même façon que les autres. L'explication la plus probable est que le mépris entre Serpentard et Gryffondor sert une certaine fonction permettant aux élèves de survivre dans cet… environnement hostile qui semble être le leur. Le conflit entre les deux maisons permet aux élèves de donner du sens à ce qu'ils vivent, ça me semble tout à fait évident. C'est le but même d'une tradition, non ? De donner du sens et d'organiser les rapports sociaux. En ce sens, je ne pense pas que la recrudescence de conflits entre les deux maisons doit être inquiétante en elle-même. En revanche, les Serdaigles et Poufsouffles sont dans une situation inquiétante dans la mesure où ils ne semblent pas posséder de moyens pour faire sens de la situation.
Personne ne s'attendait à ce que Serpentard – et Harper, de tous les élèves de cette maison, soit réellement impliqué dans la discussion. Ce qu'elle sous-entendait était lourd de sens et je ne fus pas la seule à être quelque peu perdue. Elle le réalisa bien vite.
- Ce que je veux dire, reprit-elle rapidement, c'est que lorsque des Gryffondors attribuent certaines caractéristiques aux Serpentards, comme le fait d'être des tricheurs, ils donnent du sens à ce qu'ils vivent. Le méchant est identifié et les moyens d'actions contre lui le deviennent à leur tour. C'est la même chose pour les Serpentards. Lorsqu'ils considèrent que les Gryffondors se mêlent de choses qui ne les regardent pas, ils attribuent leur situation misérable aux comportements identifiés des Gryffondors. En ce sens, les élèves des deux maisons ont un moyen de relâcher la pression : s'en prendre à leur « ennemi ».
- Sauf qu'ils identifient mal le problème, rétorquai-je. En attribuant les problèmes qu'ils connaissent à une maison extérieure, ils ne font que perpétuer le problème et rendre plus difficile encore sa résolution. Le problème, ce sont les Carrow et la manière dont ils les ont complètement conditionnés. Pas Serpentard ou Gryffondor.
- Nous sommes bien d'accord, Jonsson. Je ne suis pas en train de dire qu'ils ont raison. Je suis en train de dire que notre réelle préoccupation devrait être les Serdaigles et Poufsouffles. À choisir entre des élèves sous pression qui ont un moyen d'évacuer la pression, et des élèves sous pression qui n'en ont pas et qui ne doivent même pas comprendre la situation, je m'inquiète plus pour les derniers que pour les premiers. Je pense effectivement que votre analyse de la situation est la bonne, mais je ne pense pas que nous devrions voir le conflit Serpentard-Gryffondor comme démonstratif de l'ampleur de la situation. Au contraire. Il est démonstratif des ressources que les Deuxièmes Années mettent en place pour gérer comme ils peuvent ce qu'ils subissent. Si on leur enlève ça maintenant, les Gryffondors et Serpentards n'auront plus rien pour gérer la situation. Peut-être que nous devrions nous attaquer d'abord au vrai problème avant d'essayer de les calmer de ce côté-là.
- Tout le monde réalise ici que les moyens d'évacuer la pression dont on parle, c'est justement des humiliations ? enchérit Stewart, préfète de Poufsouffle. Si on calme le conflit entre les deux maisons, ne risque-t-on pas d'améliorer la situation pour tout le monde ?
- Dans la mesure où les conflits entre les maisons ne sont qu'un symptôme, répondit Harper, pas vraiment. Ce dont nous avons besoin, c'est de comprendre à quel point ils ont internalisé les… leçons des Carrow. Il faut être pédagogue, pas directif.
- Comment peux-tu être aussi sûre de toi ? demandai-je brusquement.
- C'est une leçon récurrente de l'Histoire.
- De l'Histoire ? répétai-je.
- Est-ce qu'un seul d'entre vous est capable de nous expliquer l'origine du conflit entre Gryffondor et Serpentard ?
- Les Serpentards se retrouvent toujours du mauvais côté de l'Histoire ? lança Griffin, acerbe.
- Tu sais très bien que c'est faux, répliqua Harper. Ne te fait pas passer pour plus bête que tu ne l'es.
Je ne pus empêcher un sourire devant la démonstration de la Serpentard. Elle eut quelque chose d'agréable, surtout lorsque le Gryffondor se ratatina sur sa chaise sans un mot.
- Si nous ne sommes pas capables de nous souvenir de l'origine du problème, pourquoi le perpétuons-nous ? reprit-elle. Parce qu'il permet de donner du sens à la vie au château. Petit à petit, les élèves se sont conformés à ces idées de conflits intermaisons et il devient de nos jours difficile de démêler un élève problématique parce qu'il a fait quelque chose de problématique d'un élève qui est problématique du fait de sa maison d'appartenance. Cela est tellement ancré que vous ne voyez la situation dans laquelle nous sommes que sous le prisme de ce conflit intermaisons. La réaffirmation du conflit entre Serpentard et Gryffondor est la solution que les Deuxièmes Années ont trouvé pour continuer de se lever tous les matins. Nous devons nous inquiéter en premier lieu des Poufsouffles et Serdaigles. Ce sont ceux qui sont silencieux qui doivent nous inquiéter, je vous le garantis. Pas ceux qui beuglent dans les couloirs comme des animaux, ajouta-t-elle en lançant un regard au Gryffondor.
La Serpentard était plutôt convaincante. Elle était habituellement silencieuse dans nos réunions, comme elle l'était de manière générale en cours, et se contentait de voter ; mais lorsqu'elle intervenait, c'était rarement pour parler dans le vide.
Miller procéda à un vote et nous décidions collectivement – y compris Griffin, de suivre l'analyse d'Harper. La prochaine question abordée fut celle de nos moyens d'action concrets. Il nous était devenu évident qu'il nous fallait récolter plus d'informations sur le mode d'organisation des rapports sociaux au sein des Deuxièmes Années. Seulement, la plupart des élèves restaient vagues ou silencieux ; et les autres attribuaient tous les problèmes à une seule maison, de sorte à ce qu'il était difficile de comprendre ce qu'il se passait de l'extérieur. Stewart proposa alors de s'en remettre aux professeurs. Leur autorité pouvait permettre de délier quelques langues. Si l'idée n'était pas bête, elle fut tout de suite rejetée lorsque Taylor rappela qu'il était évident que les élèves ne percevaient pas les professeurs comme des autorités légitimes ; auquel cas, avait-elle dit, les Deuxièmes Années leur auraient déjà parlé des difficultés qu'ils connaissaient.
Soudainement, Griffin proposa d'infiltrer les élèves en deuxième année. Puisque de toute évidence, nous n'arriverions à rien de l'extérieur, autant essayer de comprendre ce qu'il se passait de l'intérieur. Le frère Weasley aurait probablement quelque chose pour nous aider, avait-il ajouté. Le questionnement éthique que cette proposition souleva fut sans pareil ; nos réunions avaient rarement étés aussi passionnées.
- Tu ne veux pas voler du veritaserum, tant que t'y es ? soupirai-je.
- Tu sais Jonsson, enchérit le Gryffondor, depuis que tu es copine avec les Serpentards, tu fais peine à voir. Mais je suis content de voir qu'il te reste quelques bonnes idées de temps en temps.
- De quoi est-ce que tu parles ?
- Tu as raison, je devrais me taire. Je n'ai pas envie de me mettre Parker à dos.
Mon sang se glaça et, paradoxalement, je rougis. Évidemment que les élèves de mon année avaient remarqué ses comportements ; Parker interagissait si peu avec le reste d'entre nous que ses rares interventions s'ancraient facilement en mémoire.
- Je vous ai demandé d'arrêter les attaques individuelles, intervint fermement Miller.
- Tout ce que je dis, enchérit Griffin malgré l'avertissement du préfet-en-chef, c'est qu'à force de trainer avec certaines personnes, on finit par adopter leur point de vue.
- Heureusement que nous ne trainons pas ensemble, dans ce cas, répondis-je. Je risquerai de devenir une connasse qui trouve tout à fait acceptable que des gamins de 12 ans se tapent dessus pour tout et n'importe quoi parce que « c'est Poudlard, pas Beauxbâtons ».
- Non, c'est mieux de punir des Gryffondors qui n'ont rien fait d'autre que se détendre après les cours avec quelques Têtes Chercheuses de Traitres.
- Tu peux tenter d'individualiser ce problème comme tu veux, Griffin, en me faisant passer pour la méchante de l'histoire, mais la réalité sera toujours celle-ci : vos comportements sont problématiques. Tu peux décider d'être en colère contre la personne qui te signale le caractère problématique de tes comportements, ou tu peux essayer d'être une meilleure personne et d'éviter d'avoir ces comportements problématiques. Le choix t'appartient. Mais viens pas m'emmerder avec tes histoires de Serpentard et Gryffondor ou de traitres et de héros. Parker m'a sauvé la vie.
- Ta vie que des Serpentards ont menacée.
- Et que vos propres batteurs menaceront dans quelques mois, tu deviens ridicule.
J'avais sincèrement envie de lui envoyer mon parchemin à la figure. Il ne réalisait même pas à quel point son comportement était démonstratif des problèmes que devaient couver sa maison. Griffin ne faisait que remettre le conflit Gryffondor-Serpentard sur la table constamment ; il cherchait toute excuse, à tort ou à raison, pour que sa maison soit celle qui s'oppose à la terrible maison de Voldemort. C'était tout aussi pitoyable qu'inquiétant.
James avait vu juste ; mais la réalité était pire encore. Il devenait évident que les Gryffondors faisaient bien plus que se monter la tête dans leur salle commune. Il ne s'agissait pas juste de quelques bouc-émissaires que l'on servait aux élèves de première année sur un plateau pour qu'ils comprennent la manière dont le château fonctionne, ou d'une colère mal placée de la part des élèves mineurs qui devaient gérer de faire partie de la maison des héros sans avoir pour autant participé à la Guerre ; la paranoïa s'était déjà installée et l'essentialisation était massive. Cette fixation sur des évènements uniques et – franchement, pas si intéressants que ça, comme l'incident des Têtes Chercheuses de Traitres était également démonstrative du problème. Il devenait clair qu'ils n'arrivaient pas à accepter l'état de fait et passer à autre chose ; Griffin préférait se rattacher constamment à une pseudo-injustice pour pouvoir la ramener sur la table dès qu'il se sentait pris à défaut, incapable de vivre dans le présent qu'il était. J'étais devenue problématique à leurs yeux car je m'étais interposée. En m'interposant, je leur avais rappelé le caractère tout à fait amoral de leur position et avais mis en péril toute l'histoire fantasmée qu'ils devaient se raconter tous les soirs entre deux feux. L'incident des Têtes Chercheuses de Traitres devenait ainsi la Grande Histoire du moment où on a empêché les Gryffondors de résister contre les lanceurs d'endoloris. Carter – ainsi que les rires des Gryffondors, me l'avaient signifié d'une manière tout à fait particulière, mais Parker était intervenue. J'imagine qu'il n'avait pas fallu beaucoup plus pour alimenter la paranoïa naissante. Les souvenirs de l'année dernière étaient vifs et je n'avais pas besoin que l'on m'explique ce que cela sous-entendait pour la suite de l'année.
Si le préfet était une bonne illustration de ce qu'il se passait dans la tour des Gryffondors, ils perdaient petit à petit pieds avec la réalité ; bien vite, les Serpentards se verront perdre le droit à la moindre erreur avant qu'il ne leur soit ôté le droit-même à l'existence. Toute personne qui s'opposerait au conflit Serpentard-Gryffondor – ou qui ne viendrait pas valider les histoires fantasmées des Gryffondors, deviendrait un traitre à son tour ; et une preuve de la position victimaire des Gryffondors. Avant-même qu'ils ne s'en rendent compte, les Gryffondors s'en prendront eux-mêmes aux Gryffondors qui ne suivent pas la même logique.
Je soupirai et secouai la tête, agacée ; nous n'avions définitivement pas assez de problèmes à gérer comme ça. Au moins, en réagissant de cette façon, les autres préfets étaient à leur tour les témoins de la situation problématique dans laquelle semblait se perdre Gryffondor. Vu le regard que Miller me lança, le préfet-en-chef sembla en tout cas en prendre la juste mesure. Il fallait juste espérer que Serpentard n'était pas dans un même état.
