Chapitre 10
Dernière semaine de novembre
Cette semaine fut plutôt calme, malgré le match Gryffondor-Poufsouffle qui se profilait le week-end et mes inquiétudes perpétuelles concernant l'état des Deuxièmes Années ; je me surprenais parfois à être inquiète pour les Gryffondors mais ne savais pour le moment pas sous quel angle aborder le problème. Plus le temps passait, plus nous nous rendions compte des réelles conséquences des Carrow et de la Guerre sur le château. C'était une sensation assez particulière. Une partie de moi était terrifiée que le pire soit encore à venir - voire qu'il soit précisément là où nous ne l'attendions pas.
Les entrainements de quidditch étaient redevenus ce qu'ils avaient été au début de l'année et mes muscles remerciaient sincèrement Tyler pour cela, mais le froid de fin novembre rendait la chose parfois réellement pénible. Sentir le vent froid contre sa peau quand son corps était glacé était des plus désagréable.
Malgré cela, nous avions pu avancer sur la question des Septièmes Années. Les parents d'Emily nous avaient enfin transmis la réponse – massive, de Théo ; nous nous retrouvions avec de véritables copies de livres Moldus annotées d'une écriture assez grossière. L'attention avait été absolument adorable et nous étions plus que reconnaissants à Théo d'avoir pris le temps d'expliquer certains termes Moldus. Sentir le papier au bout des doigts était étrange ; c'était particulièrement lisse et nos plumes glissaient majoritairement dessus, mais avec beaucoup de concentration, Peter et moi pouvions tout à fait comprendre ces documents. Du moins, pour le moment. Nous n'avions eu le temps de ne faire qu'une séance de travail lorsque la semaine prit une toute autre tournure.
Il était presque 20h lorsqu'un élève de première année se pointa devant le canapé que nous partagions avec les filles dans la salle commune.
- Tu es bien Eyrin Jonsson ?
Surprise, j'acquiesçai et il me tendit un bout de parchemin. Je pris instantanément des couleurs lorsque je crus reconnaitre l'écriture de Parker. Mon cœur se manifesta de manière erratique dans ma poitrine et je déglutis.
- Qui s'amuse à utiliser les premières années comme des hiboux ? demanda Alice, curieuse.
- Oh, euh… Je ne sais pas, mentis-je, on dirait l'écriture de… Miller.
- Oh, fit Alice, manifestement déçue.
- Quoi ? demanda Emily.
- Nan rien, je m'attendais à quelque chose de plus… romantique.
- Tu espérais quelque chose de plus romantique, corrigea la brune en me lançant un regard entendu.
Je ne savais plus où me mettre. Vérifiant d'un coup d'œil qu'Alice ne pouvait pas tenter de lire par-dessus le canapé, je lu rapidement le mot qui n'aida pas mon cœur à se calmer.
« Eyrin,
Je te remercie de ta patience.
Tu trouveras un plan de l'aile est du château ci-dessous.
J'y serai à 22h.
Lilith. »
- C'est Miller qui te fait sourire comme ça ? s'amusa Alice.
- Quoi ? Oh, oui, il a des nouvelles par rapport aux Deuxièmes Années. Il veut que l'on se voit pendant les rondes ce soir.
Je ne mentais jamais à Alice et ne comprenais pas d'où sortait ma soudaine facilité à raconter n'importe quoi. Je me sentis coupable et m'en voulu aussitôt. Mais Lilith voulait me voir. J'étais excitée et quelque peu terrifiée. Il allait définitivement falloir que je trouve de quoi m'occuper pendant les deux prochaines heures. Par pitié, qu'Alice ait une soudaine envie de me raconter une seconde fois ses aventures de la journée ou sa lecture du dernier Sorcière Hebdo. Ces deux heures allaient être interminables si j'étais laissée à mes propres occupations.
Emily me lança un regard interrogateur et je déglutis. Cette situation devenait absurde. Je ne comprenais pas ce qu'il me prenait de réagir de cette façon envers Alice.
- Il souhaite que l'on se voit autour de 22h, visiblement.
La blonde soupira en levant les yeux au ciel.
- Mais personne n'est dans les couloirs à 22h. Commencez plus tôt ou plus tard, sérieusement, ajouta-t-elle. Quand les élèves se déplacent vers là où ils veulent aller ou lorsqu'ils reviennent de l'endroit où ils étaient. Personne ne s'amuse à se rouler des pelles dans le couloir à 22h. Ils le font ailleurs.
- Arrête de lui donner des idées, s'amusa Emily, tu ne pourras bientôt plus te faufiler en-dehors de la salle commune pour tes rencards.
- Ouais, soupira Alice, il faudra alors se contenter des élèves de Serdaigle. Ah mais non, parce que notre préfète dort juste à côté de nous.
- Je n'ai jamais rien dit quand un garçon était là tant qu'il était habillé, je te signale, rétorquai-je.
- Ouais ouais. Tout ce que je constate, c'est que ce garçon habillé était rarement de ton côté des dortoirs.
Tout compte fait, peut-être que passer ces deux heures enfouie dans mon devoir de botanique n'était pas une si mauvaise idée.
- Alice, soupira Emily.
- Elle est en sixième année, Emily.
- Et alors ? Laisse Eyrin vivre sa vie à son rythme. Elle n'a pas besoin que tu lui mettes la pression.
- Peter est… pas trop moche dans son genre, continua la blonde en ignorant complètement Emily. Il a l'air très gentil, je l'entends toujours être très attentionné avec les plus jeunes. Et vous passez beaucoup de temps ensemble ces derniers temps. Vous avez l'air de bien vous entendre.
- Parce que nous sommes tous les deux préfets, répondis-je agacée. Et si il te plait tant que ça, pourquoi ne pas faire… ce que tu fais d'habitude ?
- Peter ? Trop bizarre, fit-elle soudainement. Il est…
- Quoi ? enchéris-je. Une bonne personne ? Pas assez de drama pour Miss Stevens ?
- Je te signale qu'on parlait de toi, rétorqua-t-elle désabusée. Comment est-ce que tu fais pour toujours t'en sortir de cette manière !?
Les deux heures furent difficiles à passer, mais j'y survécus par un quelconque miracle ; et l'aide très indirecte d'Alice. J'arrivai enfin au point indiqué sur le parchemin. Il s'agissait d'un double couloir séparé par des ouvertures en arche. Lilith était déjà là, assise sur le rebord de l'une des ouvertures. À en voir les mouvements de ses mains, elle avait l'air aussi anxieuse que moi. Elle reprit cependant contenance au moment-même où elle m'aperçut. Plus rien dans son attitude n'indiquait dorénavant qu'elle avait pu à un moment donné appréhender cette situation.
- Bonsoir.
- Salut.
Dans mes souvenirs, nous ne nous étions pas saluées une seule fois. La situation ne m'en parut que plus surréaliste et je ne sus déjà plus quoi faire de moi-même. Je m'installai silencieusement à côté d'elle.
- Je voulais te présenter mes excuses pour t'avoir tirée hors de votre salle commune de cette façon, commença-t-elle rapidement. Je n'étais pas sûre d'avoir toujours le courage de le faire un autre jour. J'espère que je n'ai pas interrompu quelque chose d'important dans ta soirée.
- Eh bien, c'est vrai qu'Alice s'était lancée dans une passionnante explication des différences fondamentales entre les paroles du dernier titre des Bizzar'Sisters et celles d'une vieille musique de Celestina Moldubec qu'ils sont visiblement accusés d'avoir plagiée.
Je la fis sourire et mon cœur rata un battement.
- Tu es nerveuse, constata-t-elle.
- Pour être honnête, je crois que je suis plutôt terrifiée. Non pas que tu me fasses peur, ajoutai-je rapidement, mais enfin… Bref.
- Je pense comprendre ce que tu essayes de dire, dit-elle doucement.
Sa voix était calme, presque reposante, et pourtant elle me fit soudainement paniquer. Lilith donnait l'impression de savoir où elle voulait amener la discussion et je ne savais aucunement à quoi je devais m'attendre. Je me sentais totalement vulnérable.
- Avant d'en venir… au sujet principal, commença-t-elle, j'aurai aimé répondre à une de tes questions. Tu m'as demandé comment j'ai su pour Carter et je pense qu'il est important que je te réponde. Enfin, corrigea-t-elle rapidement, il est important que tu aies la réponse.
J'acquiesçai. Je n'avais aucune idée de la manière dont j'allais tenir. Chacune de ses phrases m'angoissait plus que la précédente – ou m'excitait, probablement un mélange des deux. Je ne pus cependant retenir un sourire devant sa correction. Au vu du peu de nuance qu'elle introduisait réellement, elle avait quelque chose d'adorable.
- As-tu une idée de qui sont les Parker ?
Ce fut étrange qu'elle en parle elle-même comme si elle ne faisait pas partie de sa propre famille. Je secouai la tête.
- Arrêtes-moi si ce que je te dis ne t'intéresse pas, mais je pense que t'expliciter le contexte est nécessaire. C'est une famille très ancienne. Notre nom est tout aussi ancien que notre sang. À cet égard, notre héritage n'est pas tant la pureté du sang que l'empire que des générations entières ont créé. Mes ancêtres ont étés de ceux qui ont permis l'institutionnalisation de différentes communautés magiques à travers les siècles. Nous avons permis la construction de certains des ministères de la magie qui sont toujours utilisés de nos jours et élaborés de véritables communautés magiques organisées dans le monde à l'époque où les moldus eux-mêmes s'organisaient. Non par la peur, la dominance, ou l'intimidation, mais par les relations sociales, la diplomatie et une compréhension fine du monde moldu. À l'époque, cela a permis à beaucoup de communautés magiques de survivre. Sans organisation, les conflits entre sorciers et moldus étaient plus nombreux et régulièrement sources de traumatisme. Au fil du temps, nous avons acquis la réputation et les moyens, notamment par nos nombreux contacts et liens. Nous avons été indirectement impliqués dans tellement d'institutions magiques, et parfois même de conflits armés entre deux communautés magiques, que, dans la Coopération Magique Internationale, ce nom est synonyme de neutralité, de confiance, et d'efficacité. De fait, avec le temps, l'héritage du nom est devenu plus important que celui du sang et chaque génération de notre famille doit avoir ses fils pour perpétuer le nom. À vrai dire, perpétuer un nom est plus difficile que perpétuer le sang et les Parker, comme d'autres rares familles dans le monde, ont gagné un statut particulier parmi les Sang-Pur. Ce qui explique pourquoi certaines personnes, notamment chez les Serpentards ou les Sang-Purs, se comportent différemment avec des élèves comme Harper ou moi-même. À part Nast qui a la conscience de classe d'un Elfe de Maison, ajouta-t-elle rapidement.
Je ne pus empêcher un sourire devant tant de spontanéité. Si son visage pouvait parfois se montrer aussi impassible que d'habitude, notamment lorsqu'elle mentionnait sa famille, elle lâchait cependant du contrôle de temps en temps. Et c'était adorable.
- Tu penses vraiment que les Elfes de Maison n'ont pas de conscience de classe ? demandai-je, curieuse.
- Eh bien, si ils en avaient une, ils se seraient déjà libérés, non ? répondit-elle perplexe. Ils sont nombreux, possèdent une magie puissante que nous ne comprenons que très mal, et ont accès à des secrets de familles qui en détruiraient plus d'une…
- Peut-être que le fait d'être restreint à servir des familles, au sein de maisons individuelles, rend difficile pour eux de voir qu'ils sont en réalité une forme de collectif qui peut faire contrepoids face à leurs maitres. Leur répartition dans des foyers individuels rend difficile de se penser en autre chose qu'un individu face à ses maitres. D'une certaine façon, s'ils n'ont pas de conscience de classe, c'est avant tout parce que leurs maitres savent maintenir leur asservissement en les empêchant justement de développer une conscience de classe qui permettrait aux Elfes de Maison de s'organiser collectivement pour riposter.
- C'est une… hypothèse raisonnable.
- C'est donc de cette manière que les Parker admettent que quelqu'un d'autre a raison. Ca a l'air d'être un processus douloureux.
Elle fut visiblement amusée avant de redevenir subitement sérieuse.
- Est-ce ton interprétation de ce qu'il s'est passé l'année dernière ? demanda-t-elle.
- Du moins, au début de l'année.
Elle acquiesça en silence et se retourna vers moi.
- La transition est toute faite pour revenir à ce que je souhaitais justement te dire, reprit-elle, le monde évolue constamment et les Parker ont besoin de maintenir le pouvoir du nom. Rester, en un sens, dans la partie. Pour cela, les Parker ont une vieille tradition qui est inculquée à chaque nouvelle génération pour s'assurer de ressortir victorieux des négociations. Nous sommes tous legilimens.
Si je n'étais pas bien sûre de comprendre tous les enjeux qu'elle soulevait par rapport à sa famille, je compris malheureusement très vite ceux qu'elle soulevait par rapport à la legilimancie. Si je me sentais vulnérable plus tôt, j'avais maintenant l'impression d'être complètement à nue. J'avais terriblement chaud, la chair de poule et ma poitrine commençait sérieusement à me faire mal. Puis me vint une pensée qui me paniqua plus encore. Le souffle court, je dus m'y reprendre à plusieurs fois pour oser poser la question, autant terrifiée par sa possible réponse que par l'aveu que je glissais entre les mots.
- C'est… Mhm, me repris-en me raclant la gorge… C'est ce que tu fais en potions ?
- Comment ça ?
- Utiliser la legilimancie.
- Non, bien sûr que non. Pourquoi utiliserais-je la legilimancie dans un cours de potions ?
Elle sembla sincèrement confuse et je rougis. Sortir vivante de cette discussion allait tenir du miracle.
- C'est juste, soufflai-je nerveuse. Enfin, j'avais l'impression qu'on avait une certaine… complicité ? Je ne sais pas si c'est le bon mot.
- Oh, fit-elle subitement alors qu'elle sembla comprendre où je souhaitais en venir. Non, je n'ai jamais utilisé la legilimancie en cours de potions. Comme je ne l'ai jamais utilisé vis-à-vis de toi. Nous sommes juste toutes les deux très observatrices et nous nous sommes adaptées l'une à l'autre, j'imagine. Et complicité est le mot que je choisirai également, ajouta-t-elle.
Mes joues prirent un nouveau coup de chaud et je commençai sincèrement à ne plus pouvoir supporter ces sensations contradictoires. Toute cette situation était d'une ambivalence folle. J'étais littéralement angoissée, appréhendais chacune de ses phrases, et chaque mot que je devais prononcer me semblait coûteux, et pourtant, j'attendais avec une impatience exacerbée qu'elle continue de parler et elle trouvait le moyen de m'émouvoir toutes les trois phrases.
- Dans tous les cas, recommença-t-elle finalement, quand le professeur vous a appelé, Carter et toi, elle m'a semblé particulièrement contente. J'ai entendu ce qu'il s'était passé entre les Gryffondors et toi quand Clyde et Smith s'étaient énervés dans la salle commune. J'ai eu un mauvais pressentiment. Enfin, reprit-elle en penchant légèrement la tête sur le côté comme elle le faisait à chaque fois qu'elle se corrigeait, j'étais inquiète pour toi. Et j'ai vérifié mes premières impressions qui se sont trouvées être tout à fait justes.
Elle secoua la tête avant de soupirer. Son regard s'était posé sur une gargouille en face de nous pour ne plus bouger. Depuis qu'elle ne parlait plus des Parker, son visage s'était ouvert ; ses émotions y apparaissaient clairement au fil de ses mots. Elle paraissait parfois agacée, d'autres fois désabusée, et de temps en temps amusée ; j'aimais pouvoir la voir ainsi.
- C'était stupide. J'aurais pu tout autant dire tout de suite au professeur que j'étais legilimens et à nos camarades de classe que je… tu me… enfin peu importe, balaya-t-elle d'un second soupir. Je n'ai pas été éduquée à l'utiliser n'importe comment, normalement. Non seulement, je n'ai pas encore une grande maitrise de cette magie et mon usage n'en est que très limité, mais il s'agit d'un outil que j'utilise normalement dans des contextes particuliers et très certainement pas à Poudlard. Pour le moment, majoritairement les réceptions. Mais… Je sais ce que c'est qu'être en contact avec des personnes qui sont capables de lire tes pensées. Et c'est pour cette raison que je prends le temps de t'en parler.
Elle ferma un court instant les yeux comme elle l'avait fait lors du cours de potions. Son corps sembla prendre une grande bouffée d'oxygène et elle les rouvrit, se tournant cette fois pleinement vers moi. Son regard me déstabilisa quelque peu.
- Si tu ne me fais pas confiance, réellement confiance, appuya-t-elle, lorsque je te dis que je n'utilise pas cette magie vis-à-vis de toi, je ne sais pas s'il est vraiment approprié pour nous de discuter du sujet principal. Avec des personnes legilimens… Si tu n'as pas en elles une confiance aveugle, il existera un doute constant dans toutes les interactions, toutes les situations, car elles auront toujours la « possibilité de ». Que se passe-t-il quand vous êtes en désaccord ? Quand l'autre est inquiet ? En colère ? Il y aura toujours quelque chose qui te fera croire que la personne a lu tes pensées et tu ne pourras jamais être certaine que cette personne l'ait fait ou au contraire qu'elle ne l'ait pas fait. Un peu comme ta peur que notre complicité en potions n'en soit finalement pas une : être en contact avec une personne legilimens peut te faire douter de tout. C'est un pouvoir sur autrui vraiment particulier. Ce doute et cette menace constante… ça peut vraiment être destructeur. Ce n'est pas quelque chose que je te souhaite.
Il était évident qu'elle parlait de son vécu chez les Parker et mon cœur se serra. Je n'imaginais pas une seconde ce que pouvait signifier de vivre au sein d'une famille qui était capable de lire dans ses pensées et d'envahir son intimité en un seul regard. Sans compter le fait que les Parker me semblaient bien particuliers indépendamment de tout attachement à la pratique de la legilimancie. Cela sous-entendait d'ailleurs qu'elle ne faisait clairement pas confiance à sa propre famille. À cette pensée, la tristesse m'envahit brusquement et je ne sus pas comment la gérer. Je ne savais même plus comment gérer le reste de mon corps ; ou mon esprit, aussi cette soudaine douleur sourde qui s'était emparée de moi me laissa complètement impuissante.
- Si tu l'avais utilisé, ne pus-je m'empêcher de commencer sur un ton léger, je n'aurai peut-être pas eu besoin de me ridiculiser après le match…
- Je suis sérieuse, Eyrin. Et tu ne t'es pas ridiculisée. Je suis parfois moins bonne observatrice que ce que j'aimerais croire, soupira-t-elle presque pour elle-même en secouant la tête.
- Je comprends ce que tu veux dire, Lilith, repris-je cette fois-ci sérieusement. Et je te fais confiance.
Elle eut l'air décontenancé, ce qui me prit au dépourvu.
- Pourquoi ? demanda-t-elle.
- Si tu me dis que tu ne le fais pas, alors je te crois. Pourquoi est-ce que j'aurai besoin de plus ? Et puis, tu aurais très bien pu ne rien me dire.
- Ca aurait très bien pu être une façon d'asseoir une asymétrie entre nous, Eyrin. En te le disant, je te rends aussi consciente du potentiel pouvoir que je peux avoir sur toi. Et ce qui rend la legilimancie si efficace, c'est bien plus la peur inspirée par la possibilité que nos pensées soient violées par autrui plutôt que le fait qu'elles le soient réellement sans notre connaissance.
Le sujet avait dû beaucoup la travailler ces derniers jours et je me sentis coupable. Son discours était si structuré depuis le début de notre conversation qu'il était évident qu'elle avait pensé avoir cette discussion plus d'une fois. Et ma seule préoccupation ces dernières semaines avait été d'avoir été rejetée. J'étais ridicule.
- Je ne peux pas te l'expliquer, Lilith. Je te fais confiance, c'est tout. Il va peut-être falloir songer à me faire confiance quand je te dis que je comprends parfaitement ce que tu sous-entends et que je te fais confiance.
Son regard se reposa sur la gargouille pendant quelques secondes, avant qu'elle n'acquiesce à ses propres pensées.
- Tu as raison, dit-elle finalement. Je ne peux pas te demander de me faire confiance sans avoir confiance moi-même en ta capacité à appréhender pleinement les enjeux de la situation et à me donner une réponse réfléchie. Je te présente mes excuses.
- Tu n'as pas à t'excuser. Et certainement pas pour ça.
Elle releva les yeux.
- Concernant cet autre sujet, si tu veux toujours l'aborder, ajouta-t-elle rapidement. Je voulais te présenter mes excuses.
Je le lui lançai un regard désabusé devant ses énièmes excuses de la soirée et elle détourna le regard, visiblement gênée.
- Je pense que c'est plutôt à moi de m'excuser, repris-je. J'ai manqué de tact et de considération pour la situation. Ce n'était pas… Tu étais en colère contre moi et pas juste… distante, mais vraiment en colère et d'un seul coup, c'est comme si je faisais sens de tout ce qu'il s'était passé ces derniers mois. Je crois que je l'ai dit au moment-même où je l'ai pensé. Je ne sais pas… Des fois les choses m'échappent. Je ne voulais vraiment pas te perturber comme ça. Ce n'était pas intentionnel. Je suis désolée. Si j'avais eu conscience de… tout ça plus tôt, je ne m'y serai clairement pas prise de cette manière.
Durant toute notre conversation, Lilith avait fait l'effort d'être transparente vis-à-vis de ce qu'elle ressentait et une fois mon tour venu, je m'étais contentée d'un « tout ça » à peine formulé. Je m'agaçais définitivement moi-même. Après m'être raclé la gorge, je tentai donc de me corriger à mon tour aussi pénible que fut la situation :
- Ce que j'essaye de dire, c'est que je n'avais pas remarqué ou… je ne sais pas, conscientisé ? d'une certaine façon, que j'étais intéressée par toi. La réalisation m'ait venue d'un coup et, clairement, si j'avais fait sens de mon intérêt pour toi avant je ne te l'aurai jamais signifié de cette manière. Quand j'y pense maintenant, tout me parait si évident, mais je crois… Je ne sais pas, j'étais un peu dépassée par ce que je ressentais et n'ai pas vraiment pris la juste mesure de ce qui était en train de se passer.
- Je réalise que nous avons suffisamment parler de moi ce soir, mais ce genre de… situation, comme maintenant ? Ce n'est pas… Ce n'est pas quelque chose que les personnes comme moi peuvent faire comme les autres. Il y a encore… des choses, hasarda-t-elle, que je dois t'expliquer mais disons simplement pour le moment que cette situation n'est pas la même pour toi que pour moi. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit réciproque et pour être tout à fait honnête, cela me convenait plutôt bien. Je n'avais pas besoin de penser à certaines choses. Alors quand tu as…. eu ta soudaine révélation, ça m'a complètement… Toutes ces choses auxquelles je ne voulais pas penser me sont revenues subitement à l'esprit et j'ai juste… paniqué. Je n'arrivais pas à décider ce dont j'avais envie. Enfin, reprit-elle soudainement gênée, je savais ce dont j'avais envie mais n'arrivais pas à décider si je devais le faire ou non.
Mon appréhension devint presque douloureuse.
- De toute évidence, commençai-je en reconnaissant à peine ma propre voix, si tu voulais que l'on parle ce soir, c'est que tu t'es décidée.
- Demandes-moi à nouveau ce que tu m'avais demandé. Enfin, reprit-elle amusée, ce que tu avais exigé puisque, si mes souvenirs sont corrects, tu as utilisé l'impératif.
Techniquement, elle venait elle-même d'utiliser l'impératif. Je m'abstins cependant de tout commentaire, bien incapable que j'étais devenue à formuler une pensée un tant soit peu cohérente ; encore moins de parler.
Ma soudaine paralysie était déroutante. Je ne m'attendais pas à ce genre de sensations ; c'était ce dont j'avais envie et j'étais pourtant incapable de formuler le moindre mot. J'étais à la fois complètement excitée et totalement terrifiée. Il était évident que l'appréhension était trop forte pour que je puisse esquisser le moindre geste. Je compris subitement ce qu'avait dut ressentir Lilith et tentai tant bien que mal d'évacuer la tension – et les craintes qui m'avaient brusquement assaillie.
- Tu sais que si tu repars à nouveau de cette conversation en silence, commençai-je rapidement, je vais rendre ta vie en potions infernale. Je commencerai par mettre tous les bols sur les côtés de la table pour qu'on ait une chance sur deux de les renverser à chaque geste. Et je te promets que les mandragores seront les dernières choses que nous couperons histoire d'être bien sûr qu'elles t'agacent comme il faut dix minutes avant la fin du cours. Sérieusement, Lilith, appuyai-je. Ta vie sera infernale. Tu pourras dire adieu à tout ton système de classement sur la table.
Je la fis rire. C'était la première fois que je l'entendais rire ; elle était magnifique. La tension sembla soudainement s'évacuer. Évidemment, une fois calmée elle plongea ses yeux dans les miens et je me sentis défaillir à nouveau.
- Je ne m'inquiéterai pas trop pour cela si j'étais toi, dit-elle, j'ai le sentiment que tu dois souvent obtenir ce que tu souhaites.
- Seulement quand je demande gentiment.
- Quand tu exiges gentiment, corrigea-t-elle.
- Quand je demande gentiment avec beaucoup d'assurance.
Elle secoua la tête avant de sourire. À son visage, il fut clair qu'elle venait soudainement d'avoir une pensée qui l'amusait beaucoup.
- Peut-être as-tu besoin que je sois en colère ?
- Tu es agaçante, Lilith, fis-je en rompant soudainement la distance qui nous séparait.
Je posai rapidement mes lèvres sur les siennes avant de reculer ; je sentais son souffle chaud sur ma peau. Elle se pencha à son tour pour m'embrasser de manière plus appuyée et je répondis au baiser, elle sourit contre mes lèvres. Cette fois-ci, ce fut une autre forme d'excitation qui s'empara de moi.
