Chapitre 26

Première semaine de janvier


Après l'intervention de Weasley, la situation dans laquelle les Gryffondors étaient plongés avait soudainement fait sens ; en quelques mots à peine, Weasley avait ouvert une brèche béante dans leur tour et il était maintenant bien plus facile d'interpréter ce que nous en savions. Si Griffin était directement impliqué dans les tensions entre Gryffondors – voire en était l'instigateur d'après Weasley, il devait nécessairement être difficile pour les élèves d'aller à son encontre du fait qu'il était préfet.

J'avais d'abord cru que ce qu'il se passait à Gryffondor influençait Griffin, mais il fallait croire que c'était l'inverse ; le préfet avait ses problématiques personnelles qu'il avait diffusées dans sa Salle Commune. Probablement que ses propres délires sur les Gryffondors, les Serpentards, et la guerre de manière générale, l'aidaient à trouver du sens dans ce qu'il s'était passé et à se maintenir à une position socialement valorisée au sein du château en remettant Gryffondor au centre de l'attention. Mais il ne s'était de toute évidence pas arrêté là. Il avait transmis cette vision à certains de ses camarades de maison et ils avaient dû finir par développer la même problématique que le préfet ; une incapacité à accepter la réalité et à passer à autre chose.

D'une certaine manière, le préfet avait dû influencer la façon dont les autres élèves faisaient le deuil de l'année passée en leur servant une interprétation toute faite des évènements. Les Serpentards n'avaient pas combattu – quitte à oublier qu'ils n'en avaient pas eu le droit, et avaient étés les seuls à lancer des endoloris – alors même que toutes les maisons avaient été concernées. C'était tout aussi problématique pour les relations sociales entre Gryffondors que cela l'était à un niveau plus individuel pour ces élèves ; si Griffin éprouvait de toute évidence un fort besoin psychologique que les méchants et les gentils soient clairement identifiés et qu'aucune zone grise n'existe entre les deux, ce n'était probablement pas le cas de tout le monde au sein de sa maison. Indirectement, cela forçait les élèves à adopter un cadre qui n'était pas le leur pour faire sens de leurs traumas. C'était dramatique.

Évidemment, toute personne qui venait contredire les histoires que les Gryffondors se racontaient était nécessairement problématique ; ce que nous étions de toute évidence devenus, à Serdaigle, puisque Griffin nous avait tous réduits à son opinion à mon sujet. À cet égard, le retour de Weasley ne pouvait pas les avoir laissés tout à fait indifférents ; son refus d'accepter leur vision du château, ou la version de ma personne qu'ils lui avaient dépeinte, devait l'avoir mise indirectement en opposition à Griffin. C'était toute l'ironie de la situation ; certains Gryffondors se tournaient contre leurs propres héros, sans grande surprise.

Ceci expliquait beaucoup de choses, évidemment ; de leur renfermement avant les vacances, à leurs comportements en cours de défense contre les forces du mal, en passant par leur très mauvaise prestation de quidditch. Si les clans étaient marqués à ce point, et si la vision de Griffin était aussi diffuse dans leur Salle Commune, alors il était possible que leur équipe elle-même était complètement divisée. Peut-être même cela expliquait-il les nombreux blessés qu'ils avaient eus en début d'année et qui avaient nécessité de changer totalement l'ordre des matchs ; une compétition interne féroce et une pression folle pour faire gagner Gryffondor ne faisaient pas bon ménage. Si on y ajoutait ce qu'avait dit James avant les vacances, Griffin devait trouver de la légitimité à ses actes et ses croyances dans les correspondances qu'il maintenait avec les survivants et anciens Gryffondors. Le retour de Weasley avait définitivement dû changer beaucoup de choses par chez eux et je regrettai soudainement d'avoir été trop concentrée sur ce que le préfet avait dit à mon égard pour poser plus de questions à la rousse sur l'état de la Salle Commune de Gryffondor.

Cela dit, rien de tout cela n'était vraiment nouveau. Nous avions la majorité des informations en main depuis un certain temps, Griffin avait somme toute été assez transparent en réunion, et moi-même m'étais attendue, dès le début de l'année, à ce que certains Gryffondors finissent par considérer « traitre » tout individu qui s'opposerait à eux ; l'étendue de leurs délires, cependant, était particulièrement surprenante, et l'implication directe de Griffin était très dommageable. Nous aurions dû réagir bien plus tôt, même si je ne savais pas trop comment nous aurions pu nous y prendre. Il y avait là quelque chose de particulièrement frustrant : ce que je redoutais était arrivé et, de surcroît, avoir une idée de ce qui allait arriver ne nous avait très certainement pas aidé à empêcher la venue des événements pour autant. Non seulement, avoir des informations ne servait strictement à rien si nous n'arrivions pas à en faire sens, mais, au final, nous n'avions réellement rien entre nos mains, en tant que préfets, pour changer quoi que ce soit des rapports entre élèves au sein du château. Nous ne faisions que réagir péniblement dès que quelque chose se passait sans être capable de prévenir les choses avant qu'elles n'arrivent ; même lorsque tous les signes étaient présents en amont. C'était un rôle somme toute franchement ingrat et je me surpris à me retourner aussitôt contre nos professeurs ; la colère diffuse qu'était la mienne depuis que Weasley m'avait mise au courant des agissements de l'autre idiot se recentra soudainement sur celles et ceux qui nous mettaient dans une position de laquelle nous ne pouvions réellement changer quoi que ce soit.

À cet égard, retransmettre le mot à Miller avait été particulièrement inconfortable. Au-delà de ma colère personnelle à l'égard de Griffin pour les idioties qu'il semblait raconter à mon sujet, il restait un de nos collègues ; suggérer à notre préfet-en-chef qu'il participait visiblement aux problèmes que notre rôle de préfet nous imposait de résoudre était franchement déplaisant. Mon ventre ne s'était pas desserré de toute notre discussion lorsque je l'avais interpellé entre deux cours dans un couloir du château, le lendemain de l'intervention de la Gryffondor. Nous nous étions vites translatés dans une salle de classe vide lorsque le préfet-en-chef avait compris l'enjeu de notre discussion.

Nous ne pouvions pas nous permettre que l'un de nous empire l'état des relations entre les élèves au sein du château et Miller avait été très attentif à chacun des mots que j'avais prononcé. Je ne m'étais pas attendue à ce qu'il en fasse une toute autre interprétation, cela dit.

— Il y a quand même quelque chose qui me questionne, dit Miller l'air songeur. Pourquoi Weasley est-elle venue te dire ça ? Je veux dire, ajouta-t-il rapidement, pourquoi toi et pas moi ?

— Griffin et d'autres élèves de notre année lui ont tenu un discours assez négatif à mon encontre. Ils l'ont prévenu qu'il fallait se méfier de moi car je défendais les « lanceurs d'endoloris ». De base, elle ne venait pas vraiment pour parler de l'état de leur Salle Commune. Elle souhaitait juste me mettre au courant de ce qu'ils disaient sur moi.

— Donc Griffin porte atteinte à ta légitimité aux yeux de ses camarades de maison, conclut-il pour lui-même. Au-delà de l'implication de notre collègue dans les tensions entre Gryffondors, je n'aime pas trop cette partie non plus. C'est extrêmement irrespectueux.

— C'est déjà ce qu'il fait avec Harper et Nast, rappelai-je.

— Il le fait en réunion. Il ne va pas s'amuser à dire à ses camarades de maison qu'ils doivent s'en méfier, ce n'est pas pareil. Comment veux-tu remplir ton rôle de préfète si Griffin te délégitime en tant que préfète aux yeux des Gryffondors ? Ces élèves ne te feront pas confiance s'ils ont le moindre problème ou ne t'écouteront pas si tu venais à devoir les sanctionner. C'est extrêmement problématique.

Je n'avais pas pensé aux répercussions du comportement de Griffin sur la façon dont les élèves concernés pourraient me percevoir en tant que préfète, et ma colère se refocalisa cette fois sur le préfet de Gryffondor. Dans cette délégitimation mentionnée par Miller, il y avait une forme d'humiliation tout à fait insupportable qui me serra plus encore le ventre. Mon cerveau préféra d'ailleurs rebondir sur les Serpentards que de continuer sur ce sujet.

— Ou ce n'est pas pareil parce que nous avons trop l'habitude de voir des Gryffondors et des Serpentards ne pas s'entendre pour considérer que leur mésentente est problématique en premier lieu.

— Si j'ai bien compris, Griffin utilise l'incident des Têtes-Chercheuses, c'est ça ? vérifia-t-il avant de continuer devant mon acquiescement. Donc une intervention que tu as faite en tant que préfète. Lorsqu'il s'en prend à Harper ou Nast, il se prend à eux de par leur maison d'appartenance. Ce ne sont pas les préfets qu'il attaque, mais la maison. Si tu n'as pas tort et que nous aurions dû être plus fermes en réunion avec ce que l'on considère acceptable ou non d'y dire, et arrêter Griffin avant qu'il en arrive à cet extrême avec les Serpentards, ajouta-t-il rapidement, ce n'est pas la même chose de remettre en question ton intégrité en tant que préfète que de s'attaquer à Serpentard. Harper et Nast ne sont pas gênés dans leur rôle de préfets, contrairement à toi.

— Tu ne peux pas dire que la guéguerre Gryffondor/Serpentard ne nuit pas à leurs préfets. Probablement que les uns comme les autres font moins confiance à des préfets de la maison adverse.

— Oui, admit-il, mais cette guéguerre, comme tu dis, existait bien avant Griffin. En revanche, ton rôle ne serait pas remis en question sans Griffin.

Mon sang se glaça et j'acquiesçai ; il avait tout à fait raison. Miller sembla se perdre un court instant dans ses pensées et le lourd silence qui s'ensuivit me força à repenser ce que notre préfet-en-chef venait de dire. Je ne pouvais nier que cette situation n'existerait pas sans l'implication directe du préfet et c'était tout à fait déstabilisant. Bien que je n'avais jamais apprécié cet idiot et ne m'en étais très certainement pas cachée, je ne lui avais pour autant jamais donné l'intention de nuire. Entre les mots de Weasley et l'interprétation de Miller, force m'était de constater que personne ne s'amusait à prévenir autrui d'un danger si son intention préalable n'était pas de nuire. Peut-être Griffin croyait-il sincèrement que j'étais un problème et, d'une certaine façon, j'en étais un si nous prenions son cadre de référence, mais je devais peut-être arrêter de lui chercher des excuses dans le contexte. Bien sûr, celui-ci permettait probablement d'expliquer les agissements du préfet mais cela ne les justifiait en rien.

Après tout, nous avions tous vécus la même année et personne d'autre que lui ne s'amusait à dépeindre des élèves, tout autant victimes que nous par ailleurs, comme des bourreaux, tout comme il était le seul à projeter ses propres problématiques psychologiques sur autrui ; en fait, à faire de ses problèmes les problèmes d'autres qui, pourtant, n'en étaient de base eux-mêmes pas exempts. Griffin était peut-être problématique en tant que personne et il y avait quelque chose dans cette réalisation de proprement effrayant. Qu'il s'agissait, ou non, de sa façon de gérer l'année que nous avions passée n'était pas très important. Il créait un environnement social particulièrement délétère pour les Gryffondors – et, maintenant, le reste des préfets. Il y avait dans cette admission quelque chose d'irrémédiable et, de fait, de particulièrement grave. La colère s'était transformée en appréhension et j'avais mal au ventre – du même mal au ventre que lorsque je me rappelai soudainement que je volais à dix mètres du sol à l'entraînement, tandis que Miller semblait toujours dans d'intenses réflexions.

— Weasley a l'air d'avoir un regard extérieur sur ce qu'il se passe chez les Gryffondors, dit finalement Miller en me faisant presque sursauter. Peut-être pourrait-elle nous en dire un peu plus. Taylor n'a jamais voulu entrer dans les détails quand je lui demandais ce qu'il se passait chez eux. C'est cohérent si Griffin a un rôle très actif dans ce qu'il s'y passe. Peut-être imagine-t-elle que nous ne la croirions pas. Je ne sais pas, soupira-t-il, peu importe les raisons de Taylor, il faut que nous en discutions tous ensemble. Nous verrons ensuite si nous avons besoin de l'intervention d'O'Connell pour régler le problème.

— Tu ne penses pas qu'il doit être au courant malgré tout ? C'est leur directeur de maison.

— Jonsson, tu as vu sa réaction lors de la réunion avec le reste de nos professeurs, non ? Je pense qu'il le sait déjà mais qu'il est complètement dépassé.

Lorsque je rejoignis notre Salle Commune après le dernier cours de la journée - l'étude des runes, le spectacle qui s'y jouait fut tout à fait saisissant. Des premières années étaient agglutinés autour d'un parchemin accroché au mur, entourés d'élèves plus âgés hilares. À en juger par les bruits des plus jeunes, quelque chose les frustrait.

Je me rapprochai du parchemin à mon tour, me frayant un passage parmi les premières années. Le parchemin s'encra aussitôt et un message apparut, mot après mot.

« Merci d'arrêter de donner les réponses des énigmes aux plus jeunes.

Les jeunes ont de plus en plus tendance à simplement « mémoriser » des réponses sans comprendre l'énigme ou – pire encore, à simplement attendre que des élèves plus âgés leur donnent la bonne réponse. Ne jouez pas à ça, s'il vous plaît.

Pensez que nous avions tous besoin d'apprendre à déjouer le heurtoir. Si vous donnez simplement les réponses aux jeunes années sans les aider à réfléchir par eux-mêmes, ils n'arriveront jamais à y répondre seuls et auront toujours besoin d'aide dans quelques années… Sauf que, d'ici là, nous aurons tous passés nos A.S.P.I.C.S et qu'il n'y aura plus personne pour leur donner la réponse.

Prenons la peine de faire un étayage correct : les plus jeunes doivent comprendre comment arriver à la bonne conclusion. Aidons-les à comprendre le problème et à prendre du recul sur l'énoncé proposé, aidons-les à rester focalisés sur l'énigme et à ne pas essayer de répondre à une question qui n'a pas de rapport avec celle-ci, mais ne leur donnons pas la réponse. Ils doivent la trouver eux-mêmes.

Je sais que c'est frustrant, pour eux comme nous (les voir galérer pendant de longues minutes devant la porte n'est pas très agréable) mais cette frustration fait partie de l'apprentissage (du leur comme du nôtre).

Merci d'avance.

PS : il y a des exceptions évidentes si un jeune est malade, qu'il y a une urgence, ou qu'il s'y essaye depuis quelques heures déjà. Nous ne sommes pas des monstres non plus. Mais, dans ce cas, ayons le réflexe de donner doucement la réponse au heurtoir afin que les plus jeunes ne l'entendent pas et ne la mémorisent pas. »

Les quelques têtes autour de moi soupirèrent en même temps ; quelque chose dans toute cette situation m'échappait clairement.

— Ce n'est pas juste, pourquoi nous on ne peut pas lire, se plaignit un première année.

Je ne pus empêcher un sourire. Il était tout autant évident que Peter était derrière le message adressé, manifestement, uniquement aux élèves les plus âgés qu'il n'y avait pas 36 élèves capables de lancer ce genre d'enchantement au sein du château. Je me tournai rapidement vers le canapé que nous occupions habituellement avec les filles ; Alice y lisait le dernier Sorcière Hebdo.

— J'imagine que c'est toi qui a aidé Peter avec le parchemin, m'enquis-je aussitôt installée dans le canapé.

Alice acquiesça sans détacher les yeux du magazine.

— Il voulait d'abord distribuer des parchemins à tous les élèves les plus âgés avant de se rendre compte que nous étions tout de même beaucoup. Puis après, il a pensé à accrocher le parchemin à partir de 22h, puis à l'enlever avant que les petits se réveillent. Tu pourrais penser qu'être sorcier lui donne plus d'options, soupira-t-elle à la fois amusée et exaspérée.

— C'est un Né-Moldu, non ? Les automatismes ne sont pas les mêmes lorsque l'on a pas grandi dans un foyer sorcier où la magie était omniprésente. Et ne fais pas semblant de ne pas être contente d'avoir été utile.

— Je dois avouer que c'est un enchantement particulièrement réussi.

Je souris devant son autocongratulation et elle reposa le magazine sur le côté.

— Il a l'air de prendre ça très à cœur, continuai-je.

— Oui. Il a paniqué hier quand il s'est rendu compte que mêmes les troisièmes années avaient du mal à répondre au heurtoir. Comme quoi, dans quelques années, si nous continuons comme ça, « plus aucun Serdaigle ne sera capable d'entrer dans la Tour ».

En même temps, le préfet n'avait pas tout à fait tort. D'habitude, les élèves plus âgés aidaient les jeunes à aiguiser leur compréhension des énigmes du heurtoir et à affiner leurs stratégies de réponse - c'était une sorte de tradition implicite perpétuée générations après générations. Des élèves l'avaient fait avec nous et nous le faisions avec les plus jeunes sans trop y réfléchir. L'année passée, cependant, nous n'avions déjà pas l'énergie nécessaire pour vaquer à nos propres occupations alors l'investir dans le soutien des jeunes n'avait franchement pas été une priorité pour beaucoup d'entre nous. À l'époque, il s'agissait surtout de rentrer au plus tôt dans la Salle Commune afin de s'assurer de ne pas être trop longtemps perdus entre deux couloirs ; à la merci de mangemorts. Il était tout à fait logique que les jeunes éprouvent des difficultés plus marquées cette année.

Heureusement que Peter prêtait plus attention à ce genre de détails que je ne le faisais. J'étais bien trop focalisée sur ce qu'il se passait dans le reste du château pour faire attention à l'état de notre propre Salle Commune ; la culpabilité me prit aussitôt et je soupirai. Alice me lança un regard interrogateur et je secouai la tête.

— Comment est-ce que tu as fait pour que les plus jeunes ne voient rien ? esquivai-je.

— Je me suis souvenue de l'enchantement que Dumbledore avait utilisé pour la Coupe de Feu, tu te souviens ? demanda-t-elle avant de continuer. Eh bien, figure-toi qu'il y a plein d'enchantements liés à l'âge. J'en ai trouvé plusieurs à la bibliothèque et j'ai fait quelques modifications. Au début, je voulais que ça affiche quelque chose de différent pour les plus jeunes mais… Je ne sais pas pourquoi, les mots se mélangeaient toujours entre les deux versions alors j'ai arrêté d'essayer.

— Tu es plus organisée pour ça que pour tes cours de potions, m'amusai-je.

— On a eu un effort exceptionnel, je te signale, répliqua-t-elle de toute évidence piquée.

— Parce qu'Emily a fait tout le travail.

— C'est un travail collectif, Eyrin, rétorqua-t-elle. Tu sais, tu ne peux pas juste décréter que l'une des deux participe plus, c'est… une synergie. Emily serait-elle aussi efficace si elle ne me savait pas aussi désorganisée en potions ? Probablement pas. La conclusion s'impose d'elle-même : je participe intégralement à notre note commune de travaux pratiques.

Je ne pus empêcher un grand éclat de rire – Alice arrivait toujours à raconter n'importe quoi avec un air très sérieux, et connus aussitôt la douceur toute relative d'un coussin en pleine figure. J'étais bien incapable d'estimer le nombre de fois où les coussins du canapé avaient connu mon visage ou celui d'Alice, mais j'entendis très clairement Campbell soupirer « Oh Merlin » alors que je répliquai d'un coup de baguette pour que le coussin du fauteuil prenne Alice par surprise.

Emily et Peter ne tardèrent pas à nous rejoindre après leur cours de divination, mettant fin à notre bataille improvisée. Le préfet avait discuté de la Dame Grise et de Peeves avec la psychiatre durant la matinée ; elle avait semble-t-il été surprise mais rassurée lorsqu'il lui avait dit qu'il ne pensait pas plus que ça au fait que les fantômes étaient morts. Pour lui, il s'agissait surtout de personnes – tout à fait insupportable en ce qui concernait Peeves, qui avaient vécu plein de choses dans leur vie. Elle lui avait cependant demander s'il savait pourquoi certains sorciers devenaient des fantômes et il avait répondu par la négative ; à la plus grande frustration de la moldue.

Leur discussion au sujet de Voldemort – et surtout du fait qu'il était « revenu d'entre les morts », avait été bien plus particulière à en juger la voix quelque peu émue de Peter lorsqu'il nous l'avait rapidement synthétisée. Pour reprendre ses propres mots, il s'était permis de faire remarquer à la psychiatre que les résistants avaient eu connaissance des Horcruxes avant la Bataille Finale, contrairement au reste des élèves. Ces derniers ne l'avaient appris que par la presse quelques semaines plus tard, une fois les vacances bien entamées. De son avis, donc, nous avions pu faire sens bien plus tôt de la réapparition de Voldemort que les autres élèves. Le préfet avait eu l'air tout aussi content que la psychiatre ait jugé sa réflexion pertinente qu'Alice ait appuyé son avis ; ce qui avait quelque chose de tout à fait adorable et le sourire entendu que j'avais le réflexe de vouloir faire à la blonde fut particulièrement difficile à retenir.

Si Peter ne s'était pas attardé sur ce qu'il avait réellement dit à la psychiatre sur l'impact du fait de savoir que le Mage Noir avait été « ressuscité » durant notre dernière année, Emily avait enchérit sur la remarque de la moldue quant aux cauchemars. Elle en avait fait beaucoup à la fin de notre quatrième année et pendant les vacances qui l'avait séparée de notre cinquième année ; des objets qui étaient censés avoir disparu ou s'être cassés qui réapparaissaient ou se réparaient, des lieux abandonnés qui redevenaient soudainement habités et plein de vie – probablement que la passion estivale de Theo pour la photographie de bâtiments inhabités y était pour quelque chose, ou, un peu moins métaphoriquement, des animaux blessés qui étaient instantanément guéris.

J'avouais à mes camarades avoir moi-même fait beaucoup de cauchemars où ma baguette était cassée en deux alors que j'en avais besoin – pour pleins de prétextes différents, et je passais une partie du rêve à trouver un autre moyen d'accomplir ma tâche avant de me rendre compte que ma baguette avait été réparée. Je n'y avais jamais pensé plus que cela mais, comme les rêves d'Emily, ce genre d'image pouvait refléter un tout autre sens si on la mettait en parallèle de la réflexion de la psychiatre sur notre rapport à la mort.

Nous avions passé le reste de l'heure à discuter des propos de la moldue – la veille au soir avait été exclusivement consacrée à traiter Griffin d'idiot et les mots de la psychiatre ne prenaient tout leur sens que petit à petit. Je me demandais si nous avions réellement un rapport à la mort différent des moldus ; après tout, notre professeure de potions avait raison, mourir était une chose particulièrement effrayante pour tout le monde. Je n'avais pas l'impression que mon deuil, ou celui de mon père, était si différent de celui de mes grands-parents ; au-delà de ce qui nous différenciait dans notre rapport à ma mère.

Cela dit, Emily et Peter avaient tous deux avoué avoir eu plusieurs fois peur que le frère Carrow ait lui aussi des Horcruxes ou que Voldemort en possédait un dernier quelque part que Harry Potter n'aurait pas pu détruire. En ce sens, la psychiatre n'avait peut-être pas tout à fait tort d'interroger ce genre de choses.

Je n'étais cependant pas au bout de mes surprises pour la journée tandis que nous nous retrouvions pour le dîner dans la Grande Salle ; une partie de nos professeurs était aux abonnés absents. Il y avait toujours des retardataires ou quelques têtes manquantes, mais il était particulièrement rare que les concernés soient notre Directrice, Shadlakorn et Pomfresh.

À bien y regarder, ni Lilith, ni Harper ou même Ethan, qui mangeait généralement avec elles, n'étaient présents ce soir. Avec Lilith, nous avions pris l'habitude durant la semaine de nous voir rapidement entre deux cours ou lorsque je passais près des serres pour voir si, par chance, elle s'y trouvait ; nos professeurs avaient été des plus demandeurs en ce début d'année sur la qualité des parchemins qu'ils attendaient et le temps nécessaire pour avancer dans nos travaux avait sérieusement compromis celui que nous avions pu passer ensemble. Elle ne m'avait cependant rien dit à propos d'éventuelles contraintes l'empêchant de rejoindre la Grande Salle ce soir et son absence me parut des plus étranges, surtout lorsqu'elle se couplait de celle de son frère et de ma collègue préfète.

— Jonsson, fit soudainement une voix familière derrière moi, il faudrait que tu me suives. Shadlakorn aimerait te voir.

Je me retournai ; Harper avait l'air particulièrement inquiète. Elle avait toujours eu un visage moins impassible que Lilith mais je ne me rappelais pas l'avoir déjà vu aussi expressive. Mon ventre sembla prendre la juste mesure de son attitude avant mon cerveau ; il se serra tandis que je me levais sous le regard inquiet d'Alice.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Ca concerne une certaine personne, répondit-elle en jetant un œil autour de nous. S'il te plaît, nous en parlerons sur le chemin.

Je la suivis en dehors de la Grande Salle et ne protestai pas lorsqu'elle me guida à travers le château. Cette semaine était définitivement pleine de surprise pour le moins désagréables et le pas rapide d'Harper me serra instantanément l'estomac ; le mauvais pressentiment était tenace.

— Ethan a tenté de se suicider, dit-elle aussi sec alors que nous nous retrouvions dans un couloir désert. Shadlakorn m'a demandé de te chercher. Elle aime bien Lilith pour une quelconque raison.

Sa voix détachée était tout aussi terrifiante que le contenu de ses propos ; je ne sus plus trop où j'étais et m'arrêtai, le sang complètement glacé pour la deuxième fois de la journée.

— Quoi ? m'exclamai-je alors que la préfète continua d'avancer.

— Je ne sais pas pourquoi. Les professeurs ont souvent un élève dans lequel ils se voient, d'une certaine manière. Peut-être que Lilith lui rappelle sa propre expérience à Poudlard. Ou sa fille. Elle est morte en combattant l'année dernière, je crois même que c'est elle qui l'a trouvée dans les décombres.

Si une partie de moi l'avait très bien comprise, son détachement évident me donnait la vague impression d'être en train de rêver ; il y avait un trop grand décalage entre la gravité de ce qu'elle disait et la manière dont elle le faisait pour que mon cerveau prenne la juste mesure de ce qui était en train de se passer.

— Non mais Harper, commençai-je tandis que je la rattrapais tant bien que mal, Ethan a fait quoi ?

— Ah, soupira-t-elle. Une tentative de suicide. Il va bien. Je l'ai trouvé assez rapidement. Heureusement, il n'a pas été très malin et sa vie n'était pas réellement en danger.

Bien que sa réponse eut quelque chose de rassurant, j'avais toujours l'impression de flotter hors de mon propre corps.

— Tu l'as trouvé ? répétai-je, toujours sous le choc.

— Il a laissé un mot à Lilith et nous l'avons cherché dans les alentours de notre salle commune. Je l'ai trouvé dans une salle de classe.

— Et Lilith ? m'enquis-je aussitôt alors que mon ventre se serra à cette pensée.

— Eh bien, c'est pour ça que je viens de traverser tout le château, Jonsson, accusa-t-elle. Ils sont à l'infirmerie. Même si je pense que Shadlakorn n'a aucune idée de ce qu'elle risque de provoquer. Mais elle est bornée et, accessoirement, notre directrice de maison.

Finalement, peut-être Harper était-elle en état de choc ; cela pourrait expliquer son détachement tout autant que son étrange nervosité. Le mélange était presque aussi déstabilisant que la scène qui s'offra à nous lorsque nous pénétrâmes dans l'infirmerie.


[NdA] Et voici pour le chapitre 26.