[NdA]
Ce chapitre suit directement le dernier.
Chapitre 28
Première semaine de janvier
Lilith et moi nous étions séparées après de dernières étreintes avant de prendre la direction de nos salles communes respectives. Bien évidemment, une fois arrivée face à lui, le heurtoir n'eut pas la retenue de s'abstenir d'un commentaire sur l'heure tardive.
— Miss Jonsson, vous voici à nouveau face à moi en plein milieu de la nuit. Cela commence à devenir une vilaine habitude.
— Je suis préfète, je sors et entre deux fois plus que les autres élèves. Vous pourriez au moins m'en donner une facile à cette heure-ci de la nuit, soupirai-je.
— Oh, Miss Jonsson, je vous ai déjà fait cette concession lorsque vous étiez suffisamment rouge et aviez un air suffisamment fier pour que je crois à une élève de Gryffondor perdue dans la mauvaise tour.
Évidemment, je rougis aussitôt ; il faisait probablement référence à la soirée durant laquelle nous avions échangé notre premier baiser avec Lilith.
— Parce que cette nuit-là, vous considériez que c'était une énigme facile ?
— Les 15 minutes que vous avez passé à la résoudre ne sont pas le juste reflet de sa difficulté, en effet.
Je levai les yeux au ciel – voilà maintenant que je me faisais recadrée par un foutu heurtoir en plein milieu de la nuit, et attendis patiemment qu'il se décide à me donner l'énigme.
« Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom n'a jamais pu savoir à quoi je ressemblais réellement.
Enfant, il avait le cœur mais pas le savoir.
Adulte, il avait le savoir mais pas le cœur.
Que suis-je ? »
Par Merlin. Il y avait des soirées où je détestais vraiment Serdaigle, je voulais juste pouvoir m'écrouler sur mon lit et m'endormir aussitôt, comme n'importe quel autre élève de ce château. Je soupirai, agacée ; j'arrivais à peine à tenir sur mes deux jambes et n'avais très certainement pas l'esprit assez clair pour ce genre de choses.
Je tentai néanmoins de me concentrer un instant sur l'énigme - ce n'était pas comme si j'avais le choix, après tout. De toute évidence, il fallait le « cœur » et le « savoir » afin de connaître la forme de cette inconnue, sans quoi elle aurait été connue de Voldemort. Jedusor était innocent - il avait le cœur, mais Voldemort, adulte, ne l'avait plus. La magie noire, probablement. Le savoir était peut-être l'éducation magique que nous n'avions pas enfant mais possédions adulte ; cela devait faire référence à un sortilège, une potion, ou quelque chose nécessitant un apprentissage. Il s'agissait probablement d'un sortilège ou d'une potion qui prenait des formes différentes pour chacun d'entre nous, sinon Voldemort connaîtrait sa forme universelle, et qui n'était pas utilisable par quelqu'un dont le cœur était corrompue par la magie noire.
— Un patronus, répondis-je aussitôt.
La porte resta fermée et je soupirai avant de spécifier ma réponse.
— Le patronus de Voldemort.
— Cela fait deux concessions, Miss Jonsson, dit-il alors que la porte s'ouvrit face à moi.
— Vous êtes de mauvaise foi, elle n'était pas si facile que cela.
— Je vous ai donné des indices très éclairants. J'aurais très bien pu m'arrêter à la première phrase énoncée.
— Merci de ne pas l'avoir fait, m'empressai-je de répondre avant qu'il se vexe.
Je franchis la porte et montai aussitôt les escaliers de la tour, rassurée de pouvoir enfin rejoindre notre dortoir – et, surtout, mon lit et ses couvertures chaudes. Tout le monde semblait déjà dormir profondément et je n'eus aucun mal à me faufiler discrètement entre les lits. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je sentis mon matelas bouger dans le noir à peine je le frôlai ; Alice.
—Tu es glaciale, Eyrin, me reprocha-t-elle aussitôt dans un murmure.
— Il se peut que nous soyons restées un peu dehors, soupirai-je aussi doucement que je le pouvais.
Je retirai rapidement mes chaussures, Alice se releva enfin pour libérer de la place et je m'assis à ses côtés.
— Tu avais pourtant ta cape, non ? vérifia-t-elle.
En m'apercevant attraper mon pyjama sous mon oreiller, Alice se retourna pour que je puisse l'enfiler – ce qui, compte tenu du peu de lumière que la lune nous octroyait ce soir, n'était pas nécessaire.
— Eh bien… Enfin, soufflai-je tandis que je tentais de me changer en même temps que je parlais, Lilith s'est couchée par terre et j'avais enlevé la neige mais… Ses cheveux… je n'y ai pas vraiment pensé, en fait.
— C'est vrai que c'est dégueulasse la terre dans les cheveux, acquiesça-t-elle.
— Il est minuit passé, Alice, repris-je.
Je tirai quelque peu sur la couette et la blonde se leva suffisamment pour que je puisse me glisser dessous pour le plus grand bonheur de mes cuisses froides.
— Tu comptais m'attendre ici toute la nuit ?
— Tu sais, s'amusa-t-elle en se retournant vers moi, une douche chaude ne te ferait pas de mal. Et je n'arrivais de toute manière pas à dormir. Je me suis dit que tu aurais probablement un besoin tout à fait primal de tout me raconter.
— Alice…
— Je rigole, Eyrin. Je me suis dit que tu aurais peut-être besoin de parler. Cela fait beaucoup en une seule journée.
Elle s'allongea à mes côtés ; sa présence avait quelque chose de réconfortant. Bien que j'étais exténuée, mon esprit, lui, ne semblait pas disposé à laisser mon corps se reposer tout de suite et j'étais bien contente de ne pas être toute seule dans le noir.
— Tu n'étais pas obligée.
— Je sais bien.
— Je suis trop fatiguée pour prendre une douche. Mon cerveau va exploser, Alice, soupirai-je en me laissant tomber sur le coussin. Tu te rends compte qu'Ethan aurait pu mourir ce soir ? Je n'arrive même pas vraiment à intégrer tout ça, c'est juste fou.
— Comment va Lilith ?
— Je ne sais pas. Pas très bien. Mieux, visiblement, mais pas très bien.
— Elle était en colère ?
— Si tu veux vraiment savoir Alice, oui, elle a privilégié le gras.
— Héhé.
— Mais j'ai mangé salé.
— Parce que tu ne voulais pas me donner raison.
Je souris avant de soupirer à nouveau. Je n'avais pourtant pas fait grand-chose ce soir, mais mon inquiétude pour Lilith m'avait complètement achevée. Après avoir remerciée Alice d'être passée nous voir, je lui fis un rapide compte-rendu de la soirée – du moins, de ce que j'avais toujours à l'esprit avec la fatigue qu'était la mienne. Sans y faire bien attention, j'avais surtout parlé de ma discussion avec la préfète.
— Eh bien, soupira finalement Alice à peine terminai-je ma dernière phrase, je suis rassurée que tu préfères la personnalité à l'apparence parce qu'Harper a l'air d'être une véritable connasse.
Je ne pus empêcher un léger rire - elle n'était franchement pas possible avec sa fixation sur le physique d'Harper, avant de me reprendre lorsque Campbell bougea dans son lit.
— Je vais faire semblant d'avoir uniquement entendu le compliment indirect que tu as fait à Lilith et sa personnalité.
— Eh bien, visiblement, il est possible d'être condescendante et gentille à la fois.
— Lilith n'est pas condescendante.
— Parce que tu la regardes amoureusement. N'empêche, c'est vraiment dégueulasse cette histoire de mariage arrangé entre le frère et Harper, reprit-elle aussitôt. Et puis après ce soir, elle aura probablement ce qu'elle veut, en plus. Ca rend cette histoire encore plus tordue.
— Comment ça ?
— Eh bien, c'est elle qui a trouvé le frère dans cet état et j'imagine que les Parker ne souhaitent pas que d'autres familles de Sang-Purs soient au courant de ce qu'il s'est passé. Si l'oncle lui a parlé à la fin, c'était probablement pour discuter de son silence vis-à-vis des Harper.
Je soupirai ; je n'avais pas pensé une seule seconde à cette possibilité. Après tout, ces gens-là passaient leur temps à négocier chaque aspect de leur vie, c'était effectivement très logique qu'Harper et les Parker aient précisément fait cela ce soir… Pendant que le frère était à l'infirmerie et que la sœur était en train de pleurer ; c'était particulièrement révoltant.
— Je déteste vraiment ces gens, Alice.
Mon esprit me semblait vidé et pourtant bien trop plein. Entre les très nombreuses – et vives – émotions de la journée et la fatigue, je n'avais plus grande capacité d'inhibition ; les mots sortaient tout seuls, ce qui ne m'était pas arrivé depuis une éternité avec Alice.
— Je me sens tellement impuissante à chaque fois, je déteste cette sensation. Je ne peux pas m'empêcher de vouloir l'aider, mais... elle ne veut pas que je m'indigne et je comprends qu'elle n'ait pas besoin de moi pour savoir que sa situation n'est pas normale. Elle n'a pas besoin que quelqu'un lui répète à quel point c'est une situation difficile, elle l'expérimente déjà elle-même et probablement qu'elle doit se le rappeler assez souvent, ou que sa famille doit le lui rappeler assez souvent. Et, au fond, les Parker n'auraient pas besoin d'aller aussi loin dans leurs délires s'ils ne savaient pas eux-mêmes de quoi ils se privaient réellement… C'est précisément parce qu'ils savent très bien que, sur le long-terme, certains de leurs descendants finiraient par ne plus obéir aveuglément qu'ils racontent n'importe quoi à leurs enfants. Mais je me sens tellement impuissante, j'aimerais pouvoir faire plus que juste être… là. C'est vraiment agaçant.
— Tu peux t'indigner avec moi, tu sais, si tu ne peux pas le faire avec elle. Et puis, de l'autre côté, elle ne serait pas qui elle est sans l'éducation de sa famille. C'est quelque chose d'important à prendre en compte, aussi. Je veux dire, il n'y a pas uniquement ce que sa famille lui répète, il y a aussi le fait que sans sa famille, elle serait une personne totalement différente.
Je relevai vivement les yeux ; je ne voyais pas grand-chose dans le noir mais la respiration d'Alice était particulière et le contenu de son propos me semblait bien familier. Il faisait écho à notre discussion le soir de la course annuelle de balais.
— On parle toujours de Lilith ou … ?
— Oh, oui. Je disais juste que remettre en question l'éducation de sa famille, c'était aussi un peu se remettre en question soi-même. Pourquoi ?
— Oh, non, rien. Quand on y pense, ne pus-je m'empêcher d'ajouter, c'est quand même incroyable que ces familles perpétuent ce genre de traditions depuis des siècles sans que personne n'interfère ou sans que… je ne sais pas, tout s'effondre de l'intérieur.
— Tu l'as dit toi-même, elles sont juste bien rôdées. Ce n'est pas le cas de toutes les familles, d'ailleurs. Les Black ont des moutons noirs, tu sais. Ce sont vraiment les très vieilles familles qui arrivent à se maintenir aussi pures. Elles ne sont que trois en Angleterre à ne pas avoir de moutons noirs, en tout cas, de moutons noirs qui soient connus. Elles ont souvent quelques cracmols ou quelques personnes stériles dans leur arbre généalogique mais ça s'arrête là. Les autres familles de Sang-Purs ont des descendants sang-mêlés à quasiment chaque génération.
Je me retournai, des plus surprise par les connaissances d'Alice en matière de généalogie des grandes familles de Sang-Purs. Enfin, je n'aurais peut-être pas dû être si surprise que cela, après tout Alice avait pensé au mariage arrangé dès qu'elle avait su pour Lilith et moi.
— Tu ne donnes vraiment pas assez de crédit à Jeannette, accusa Alice en devinant ma surprise.
— Comment veux-tu que j'accorde du crédit à une chroniqueuse de Sorcière Hebdo que tu surnommes Jeannette ?
— Ca lui va mieux que son vrai nom.
— Tu as décidé que ça lui allait mieux que son vrai nom.
Je devinai tout de suite à sa façon de se réajuster sur le dos qu'Alice s'apprêtait à partir dans une de ses grandes envolées absurdes et m'installai confortablement à mon tour. En plus de me faire rire, ses envolées avaient l'habitude agréable de m'apaiser ; de belles histoires avant de s'endormir.
— Et puis quand on y pense, Eyrin, personne ne pourrait vraiment interférer avec ce genre de familles. Le monde s'écroulerait sans elles. Il n'y aurait plus personne pour faire la paix entre les communautés magiques. Sans les Parker pour faire les diplomates, les strangulots vont se permettre de voler des algues aux sirènes, ça va déstabiliser tous les lacs de Grande-Bretagne, tu sais. Un incident diplomatique majeur qui aboutira à une guerre ouverte avec les moldus parce qu'ils aiment leurs sushis, les moldus. Sauf que si les sirènes sont agressives et territoriales, à cause des attaques répétées des strangulots, personne ne récupère les algues et plus de sushis pour les moldus. Les moldus vont devoir sortir les bateaux et tout, dit-elle comme s'il s'agissait d'un véritable acte de guerre.
— C'est dangereux, les bateaux.
— Mais oui, ça va sur l'eau.
— C'est étrange, dis-donc.
— Tu peux te moquer de moi, Miss Impertinente, mais tu as déjà vu des moldus sur un bateau perdus sur un lac habité par des sirènes ? Bien sûr qu'ils vont finir au fond de l'eau attirés par le chant des sirènes. Après, les moldus, les autres, ceux qui ne sont pas morts, précisa-t-elle, vont vouloir se venger. Ils vont pactiser avec les strangulots pour qu'ils puissent les aider contre les sirènes. Sauf que quand ils vont voir à quoi ça ressemble un strangulot hors de l'eau, ils vont flipper.
— Ca ressemble à des extraterrestres, continuai-je à sa place.
— Mais oui et là tous les écrivains vont venir et écrire les livres les plus ennuyeux de la planète. Imagine 15 000 versions du même extraterrestre. Chiant. Monstrueusement chiant. Ca va tuer toute la culture moldue qui ne sera plus capable d'imaginer d'autres types d'extraterrestres. Ils ont un extraterrestre, plus besoin d'en imaginer d'autres ! L'imagination moldue va mourir, Eyrin. Et sans magie, les moldus n'avaient que leur imagination pour s'organiser jusque-là. C'est toute la société moldue qui risque de s'effondrer.
— On aurait jamais dû regarder ce film avec ma mère, soupirai-je.
— C'était une très bonne introduction à la culture moldue et les petites choses à manger étaient très bonnes. J'en étais où ?
— Tu as pleuré tout le long du film, ce sont des pop corns, et je ne sais pas, j'ai perdu le fil, désolée.
— Excuse-moi d'avoir peur d'une boîte à photographies qui a du son, Eyrin, du son [1] ! appuya-t-elle ahurie. Tu me mets face à un strangulot de terre qui est legilimens [2] ! En plus, il faisait de la magie sans baguette. Bien sûr que j'avais peur à 7 ans.
— Alice, tu as pleuré tout le long du film mais en même temps tu refusais que ma mère l'arrête. Elle ne pouvait pas s'approcher à moins de deux mètres de la télé sans que tu ne te remettes à pleurer. Tu as tellement marqué mon père ce jour-là que j'ai entendu cette histoire une bonne quinzaine de fois.
— Nous avons toujours un peu de fascination pour ce qui nous effraie, Eyrin, même à 7 ans. Je voulais savoir ce qui allait arriver au strangulot de terre découvert par un enfant moldu, en plus il est tombé malade et tout Sainte-Mangouste a transplané chez lui !
Je tentai de contenir mon rire comme je le pouvais jusqu'à me rendre compte que j'avais arrêté de respirer.
— Ta lecture du film est absolument divine, m'amusai-je après avoir récupéré mon souffle.
— C'est grossièrement ce qu'il s'est passé, je te signale, répliqua-t-elle sérieusement. En tout cas, on appellerait ça la première guerre des sushis. Elle sera annonciatrice de la fin de la culture et de l'imagination moldue. Les Parker ne peuvent définitivement pas avoir ça sur la conscience. Il faut des siècles de maltraitances infantiles pour éviter cette perte catastrophique de l'imagination moldue, tu comprends.
Nous rîmes en ayant tout de même la présence d'esprit d'utiliser la couette pour amoindrir le bruit. Dédramatiser ainsi la situation me dénoua si subitement l'estomac que je fus moi-même surprise de constater à quel point j'avais été tendue et stressée.
— Tu as déjà mangé des sushis ? demandai-je une fois que nous fûmes calmées.
— Non, ça a l'air dégueulasse. C'est Mark qui m'en a parlé l'autre fois. C'est cru cette chose en plus, tu savais ? Quelle idée. Les gens qui mangent ça ont quand même zéro instinct de survie. Mark avait l'air content d'en avoir mangé pour son anniversaire, ajouta-t-elle ahurie.
— C'est juste du poisson, Alice, ça peut se manger cru. Tu avais aimé le saumon et les huîtres l'autre fois, à la maison, ce n'est pas si différent. Peter est né en début d'année ? demandai-je quelque peu confuse.
Nous étions revenus à Poudlard le 4 janvier, cela laissait peu de jours en début d'année pour fêter un anniversaire.
— Non, en fin d'année. Tu sais, les gens comme Emily et lui font genre ils sont matures et tout, mais ils entrent juste à Poudlard avec des élèves plus jeunes qu'eux. Ils trichent.
— En plus, elle est née le 5 septembre. À 5 jours près, elle n'aurait jamais eu besoin de nous supporter.
— Tu te rends compte ? Elle aurait manqué l'occasion de toute une vie, Eyrin. Elle a eu de la chance, vraiment.
— Tu pensais vraiment ce que tu as dit tout à l'heure ? Je veux dire, que je suis plus Emily qu'Alice cette année ?
Je n'arrivais pas à croire qu'elle me faisait prononcer ces mots et secouai aussitôt la tête.
— Eh bien, tu ne me parles plus autant qu'avant.
— Je suis désolée.
— Ce n'était pas un reproche, tu sais, juste une constatation. Je ne sais même pas pourquoi j'ai dit ça, ça m'a échappé en parlant.
— C'est juste que je ne sais plus vraiment quoi dire. Tout semble à la fois grave et anodin, c'est un peu étrange.
— J'imagine que c'est normal après l'année dernière. Quand on y pense, tout semblait à la fois grave et anodin également.
Mon estomac se renoua aussitôt et je soupirai ; ces derniers jours, Alice n'avait pas pu mentionner l'année passée sans que les émotions qu'elle éveillait me soient particulièrement désagréables. À chaque fois, cela me faisait penser à cet endoloris. Ces dernières semaines, la distance que nous connaissions depuis les vacances d'été s'était agréablement réduite. Retrouver Alice était des plus réconfortants. Pourtant, plus notre relation revenait quelque peu à la normale, plus il devenait clair que nous devrions probablement parler de ce qu'il s'était passé au deuxième trimestre ; ce n'était pas la première fois que cette nécessité me venait à l'esprit, mais les souvenirs qui remontaient à la surface à chaque fois que j'y pensais étaient franchement angoissants. Je secouai la tête, chassant symboliquement ces pensées, et me retournai entièrement sur mon flanc pour lui faire face.
— Je suis désolée pour ce que j'ai dit l'autre fois, commençai-je, je veux dire, pour avoir suggéré que tu étais… enfin, je ne sais pas… une fille facile, dans la salle commune, et pour avoir sous-entendu que ça te donnerait moins le droit de me juger. J'étais blessée, je voulais te faire mal, et j'ai attaqué précisément où je savais que j'allais faire le plus mal… Je suis désolée. J'aurais pu dire autre chose et te blesser autrement, mais je ne l'ai pas fait. Ce n'était pas très digne de ma part. C'est en plus un peu déstabilisant de voir à quel point il est facile d'attaquer une fille sur ce sujet, y compris quand on en est soi-même une. C'était un peu facile et lâche de ma part. Aïe, Alice ! m'écriai-je alors qu'elle me pinça la hanche.
— Tu en as mis du temps !
— Je m'étais excusée, je te signale.
— Tu as juste dit que tu étais désolée, ce n'est pas pareil. C'était… générique. Tu t'étais excusée parce que tu savais que ce n'était pas vrai. Mais même si c'était vrai, ça aurait été tout autant blessant.
— Je sais, Alice. Je suis désolée si j'ai été plus distante ces derniers mois. Je veux dire, même avant Lilith.
— Je l'ai été aussi. Certaines choses ont un peu changées après… je ne sais pas, la défaite de Voldemort. Mais tu sais, reprit-elle avec la voix qu'elle avait lorsqu'elle venait de découvrir une information intéressante, j'ai beaucoup réfléchi à tout ce que nous avons vécu à Poudlard ces derniers temps et avec le recul, c'est évident que tu avais un crush sur Chang.
Il était toujours difficile de savoir où Alice et ses nombreux changements de sujet allaient finir par nous amener, mais je ne m'étais clairement pas attendue à ce sujet de discussion. Je me dégageai la gorge, les joues soudainement chaudes, et revins sur mon dos. Je n'avais aucune idée de ce qui l'avait poussée à en conclure une chose pareille.
— Elle avait trois ans de plus que moi et je n'ai jamais eu de crush sur elle.
— Déjà, je ne vois pas le rapport avec son âge. Et ensuite, Eyrin, tu te souviens du bal de Noël en deuxième année ? Tu nous as saoulées toute la semaine avec Emily vis-à-vis de Chang et Diggory. Toute. la. se. maine. Nous sommes vraiment stupides. Quand j'y repense, c'était tellement évident.
— J'avais 12 ans, Alice. Chang était la fille populaire. Je ne vois pas en quoi cela prouve quoique ce soit.
— Je suis pratiquement sûre que si c'était juste une question d'admiration, tu n'aurais jamais été en colère contre Diggory. Et tu étais vraiment très contente de la revoir l'année dernière dans la salle sur demande, accusa-t-elle.
— Je n'étais pas en colère contre Diggory. Il avait juste une tête à claque.
— Eyrin, insista-t-elle manifestement exaspérée.
— C'est la vérité, répondis-je en tournant mon visage vers elle. Alice, regarde-moi dans les yeux et dis-moi qu'il n'avait pas une tête à claque. Il avait toujours l'air si… suffisant, c'était insupportable.
— C'est étrange, ça me rappelle quelqu'un…
— Lilith n'est pas suffisante.
— Parce que tu la regardes amoureusement.
— Tu as déjà dit ça tout à l'heure et je ne vois pas le rapport. Peu importe le regard que je porte sur elle, Lilith n'est objectivement pas suffisante.
— Lilith a objectivement une attitude suffisante. Là, tu es juste de mauvaise foi.
— Oh Merlin, soupirai-je, est-ce que tu peux juste embrasser Peter que je puisse enfin, à mon tour, t'emmerder avec ça !?
— Eyrin, nous ne demandons pas tous à notre crush de nous embrasser avant même de le connaître, tu sais. Certaines d'entre nous apprennent d'abord à connaître la personne en question avant d'en arriver là.
Je soupirai avant de chercher mon coussin qu'Alice s'empressa de récupérer avant moi, manquant de me faire tomber du lit au passage. Elle tînt fermement le coussin le plus éloigné de moi qu'il lui était possible de le tenir avant de rire devant mes tentatives infructueuses de le récupérer - au risque de tomber plusieurs fois du lit.
— Alice ! râlai-je.
— Chut. Emily et Vanessa dorment.
— Arrête de te foutre de moi. Donne-moi ça !
— Je ne vais pas te donner un coussin pour que tu me l'envoies dans la figure.
— Et puis franchement, enchéris-je en me laissant retomber sur mes cuisses, tu abuses, ça fait six ans qu'elle est avec nous en classe et nous sommes partenaires de potions. Ce n'est pas non plus une inconnue que je n'ai jamais vue.
— Oh, excuse-moi, je m'en vais demander à chacun de nos camarades de classe avec qui j'ai été en binôme de m'embrasser même si je ne leur ai adressé que trois mots dans toute mon existence.
— Tu commenceras par Emily, rétorquai-je.
— Tu aurais l'air bien stupide si elle disait oui.
— Tu aurais l'air bien stupide si elle disait oui et qu'elle s'exécutait ensuite.
— Je suis sûre que j'embrasse bien mieux que Theo de toute manière. Je risquerais de casser le couple le plus ennuyeux de la planète.
— Ils sont mignons, la repris-je aussitôt, et Theo est très gentil.
— Tu réalises que c'est le seul qualificatif que tu utilises pour les garçons ? s'amusa-t-elle. « Gentil ».
— Et je suis pratiquement sûre qu'ils font un peu plus que s'embrasser, esquivai-je. Il va falloir y mettre du tien.
— Elle nous en aurait parlé.
— Elle ne t'aurait jamais dit quoique ce soit. Emily est bien plus maline que ça.
— Eyrin, elle nous en aurait parlé, insista Alice avec fermeté.
— Je t'assure que non.
— Oh ! fit-elle soudainement comme si elle venait d'avoir une révélation. Tu es encore en train de changer de sujet. Par Merlin, si on écrivait des bouquins avec les mots qui ne sont jamais sortis de ta bouche, on pourrait entièrement remplir la bibliothèque du château.
Je partis dans un grand éclat de rire avant de me reprendre lorsque j'entendis Campbell se retourner une fois de plus dans son lit.
— Tu devrais avoir honte d'utiliser la vie sexuelle d'Emily pour me détourner des sujets que tu ne veux pas aborder, reprit Alice sur un ton faussement moralisateur.
— Tu parles du fait que tu trouves Emily et Theo ennuyants ?
— Oh Merlin, tu es vraiment chiante quand tu t'y mets Eyrin, j'espère que tu t'en rends compte. Tu sais très bien de quoi je parle. Est-ce que tu as au moins ne serait-ce que repenser à ça depuis que nous en avons parlé ?
— Pourquoi est-ce que j'y repenserai ?
— Tu es vraiment étrange parfois, soupira-t-elle à nouveau.
— Ce n'est pas si important que ça.
— Je n'ai pas dit que c'était important. Mais entre en faire toute une histoire et ne même pas y penser, il y a suffisamment d'espace pour y mettre dix Hagrid.
Je dus me retourner et plonger ma tête dans le matelas – lâchement dépourvu de son oreiller, pour pouvoir étouffer mon rire et Alice soupira.
— Ce n'était pas censé être drôle, s'offusqua-t-elle. En plus, chaque Hagrid viendrait probablement avec 15 créatures magiques dans ses poches de manteau. Ca fait beaucoup d'espace, Eyrin, vraiment beaucoup.
Bien qu'Alice tentait, sans aucune subtilité, de dévier la conversation sur ma sexualité qu'elle souhaitait de toute évidence grandement aborder ce soir, elle me fit surtout penser à la fin de la soirée – ou plutôt le début de la nuit. Maintenant que la lourdeur des propos de Harper était quelque peu dissipée, les mots de Lilith me revenaient à l'esprit. Bien vite, ce fut l'entièreté de nos dernières journées passées ensemble qui me revint à la mémoire, un mélange de souvenirs et d'émotions des plus joyeux malgré le contexte parfois accablant. En dépit de qu'il s'était passé ce soir, elle était heureuse ces dernières semaines et, au-delà, heureuse avec moi ; cette pensée me rendait heureuse à mon tour, j'avais définitivement l'impression de flotter hors de mon corps et la sensation était tout à fait agréable. Je rougis aussitôt. Heureusement qu'il faisait suffisamment sombre dans le dortoir pour qu'Alice ne puisse pas apercevoir mon sourire stupide.
— Je crois que je suis amoureuse d'elle, avoua mon cerveau malgré moi.
Alice ne me laissa pas le temps de réaliser pleinement ce que je venais de dire et enchérit aussi vite :
— Bien sûr que tu es amoureuse d'elle, Eyrin. Tu t'es entendue ces dernières semaines ? Tu viens de passer une heure et demie dans le froid avec elle sans même t'en plaindre, il faut être franchement tarée. Tu es toujours toute inquiète et attentionnée envers elle. Et, franchement, vous vous êtes déclaré votre amour d'une telle façon ce soir que même les écrivaines des romans d'Emily sont jalouses de ne pas réussir à écrire des déclarations d'amour aussi fleur bleue. Vous venez de tuer toutes leurs ventes, c'est un peu déloyal quand on y pense. Enfin, avant qu'Emily et son sixième sens se réveillent pour m'engueuler, ajouta-t-elle avec une inquiétude non-feinte dans la voix, j'imagine qu'il y a aussi des garçons qui écrivent des histoires d'amour.
Elle se releva d'ailleurs en direction du lit d'Emily comme si elle s'attendait véritablement à ce que cette dernière se réveille. Rassurée par le calme de la brune qui, non, n'était pas la cible d'une malédiction la contraignant à entendre Alice dès que celle-ci genrait inutilement quelque chose, la blonde se retourna vers moi.
— On dirait que vous vous êtes toutes les deux métamorphosées en caramel mou, reprit-elle. Tu sais, celui d'Honeydukes. Un très bon caramel. Il est si mou qu'il fond entre les dents sans laisser de sensation désagréable. Merde, j'ai envie de caramel maintenant, soupira-t-elle en se laissant retomber sur le matelas.
— Ce n'était pas vraiment une déclaration d'amour, corrigeai-je, les joues chaudes et le cœur des plus animé.
— Elle n'a pas dit précisément qu'elle t'aimait, mais c'était ce que ça voulait dire. Pas besoin d'être Rowena pour lire entre les lignes.
La perspective était proprement réjouissante et je ne savais plus quoi faire de moi-même ; il faisait bien trop chaud sous cette couette.
— Tu le crois vraiment ?
— Merlin, souffla-t-elle manifestement exaspérée, je suis bien heureuse de ne pas pouvoir voir correctement ton visage, je suis sûre que tu es le plus mou des caramels. Je ne pense pas pouvoir supporter cette vision. Tu es comme une sœur pour moi, Eyrin, il y a des états dans lesquels je ne dois pas te voir sinon je n'aurai plus jamais le cœur à t'emmerder ou à me foutre de toi. Chez Honeydukes, ils en font des zébrés avec du citron, j'aurais dû en acheter la dernière fois qu'on était à Pré-au-Lard… Tu sais, ajouta-t-elle avec un sourire dans la voix, pendant que Miss Cachotière embrassait sa Serpentard préférée dans une maison d'époque.
Je secouai la tête, mes joues n'avaient pas dérougies et ça n'allait pas en s'arrangeant ; Alice n'allait jamais me laisser tranquille avec cette histoire. Ce n'était pourtant pas ce détail qui me préoccupait réellement.
— Tu crois que c'est grave ?
— De quoi ? D'embrasser une riche héritière dans une maison d'époque ? Enfin, tu me diras, c'est probablement plus une famille à patrimoine qu'une famille à gallions, c'est souvent comme ça dans les vieilles familles, non ? Leur coffre à Gringotts est petit, mais ils ont 15 000 baraques ou terrains dans toute l'Angleterre. Enfin, je ne sais pas trop pour les Parker, Jeannette s'était plutôt concentrée sur les Harper et les Black dans sa série d'été.
— Je n'en sais rien, Alice, j'imagine, oui. Mais je ne parlais pas de Pré-au-Lard. Je voulais dire… d'être un caramel mou, comme tu dis, vu notre situation.
Elle éclata de rire et se prit aussitôt un coussin dans la figure ; une sanction des plus satisfaisante pour avoir ri à un moment pareil, surtout que je n'avais même pas eu besoin de me salir les mains. Campbell l'avait fait pour moi.
— Vanessa! gronda Alice.
Elle se débarrassa du coussin sur le côté d'un geste de la main avant de tousser légèrement – probablement que la poursuiveuse avait récupéré un coussin sur un des lits vides de notre dortoir.
— Ce n'est qu'un juste retour des choses pour toutes les fois où vous vous envoyez des coussins comme des enfants de 8 ans à travers toute la salle commune, répondit Campbell à notre droite. Sérieusement, vous avez 16 ans. Et Eyrin, ajouta-t-elle sur un ton particulièrement ennuyé, tu es amoureuse de Parker. Ce sont des sentiments tout à fait normaux, ce n'est pas « grave », tu n'es pas malade, et ce n'est pas un problème. Tu vas avoir l'étrange illusion que Parker est la plus incroyable des personnes jusqu'à retrouver la raison une fois que votre relation sera terminée. Je te souhaite la bienvenue chez nous autres, les adolescents. Alice, tu peux maintenant retourner dans ton lit et arrêter avec ces histoires de caramel mou. Et moi, je vais enfin pouvoir dormir. Vous savez, cette maladie que les moldus cherchent ? Ils vont la trouver dans ce dortoir, soupira-t-elle en réajustant son coussin, six ans que je supporte ça, je commence à avoir des flashbacks et des cauchemars de vos batailles de coussins.
Je relevai les yeux vers Alice ; dans la pénombre, il était difficile de réellement voir les traits de son visage. Ses yeux étaient cependant tout à fait brillants et les mots ne furent pas nécessaires. Le silence de notre court échange inquiéta aussitôt Vanessa.
— Oh non, soupira-t-elle alors qu'elle sentit le vent tourner.
Deux coussins lui arrivèrent droit dessus et la 32ème bataille générale de coussins de notre dortoir débuta dans un véritable chaos. L'habitude jouait très clairement en notre faveur ; Alice avait déjà pensé à métamorphoser une partie des couettes des deux lits vides en plusieurs coussins que je dirigeai de coups de baguette précis contre la poursuiveuse planquée derrière son lit.
— Emily ! cria Vanessa. Oh Merlin. Ce n'est pas possible de dormir dans des conditions… pareilles, acheva-t-elle après avoir esquivé de justesse le dernier coussin. Deux contre une, les filles, sérieusement ? râla-t-elle accroupie sur le sol. Emily !
La brune dut – enfin - l'entendre parce qu'un traversin finit contre mon dos et je me réfugiai entre deux lits. Alice ne tarda malheureusement pas à me rejoindre. Ainsi, nous étions complètement prises en sandwich. Il n'y avait plus qu'un coussin à notre portée, le reste nécessiterait de se découvrir quelque peu pour les récupérer. Alice se décida rapidement et commença un enchantement sur notre dernier espoir – bien vite éteint lorsque je remarquai le coussin qui lévitait au-dessus de la blonde. Campbell relâcha le sortilège et le coussin finit sur le crâne d'Alice au moment-même où elle termina son enchantement. Le coussin de la dernière chance s'anima aussitôt, trottant sur ses coutures et, dans la panique, je l'envoyai directement du côté de la poursuiveuse d'un coup de baguette.
Curieuses de voir ce que le coussin animé ferait, nous nous relevâmes avec Alice malgré le risque qu'Emily représentait derrière nous. Le coussin sauta droit sur le visage de Campbell, la renversant sur le dos. Il semblait avoir à cœur de ne plus quitter son visage et les bruits étouffés qui parvenaient jusqu'à nous n'étaient pas très rassurants ; mon cœur s'affola. Je contournai rapidement les lits pour pouvoir me pencher au-dessus de Campbell. Ses jambes se débattaient et elle essayait de repousser le coussin qui s'appuyait sur son visage sans en avoir particulièrement la force. Il eut fallu qu'Alice nous pimente cette soirée d'un coussin qui, de toute évidence, cherchait à nous étouffer. Le cœur aux abois et les mains quelques peu tremblantes sous la panique, je laissai tomber ma baguette sur le sol et agrippai le coussin pour tenter à mon tour de l'en débarrasser, mais il était franchement coriace. Alice et Emily me rejoignirent aussitôt. À trois, nous finîmes par pouvoir le séparer du visage de Campbell ; la force exercée par le coussin était telle que l'en détacher nous fit basculer en arrière. Le coussin finit contre un mur – en face, avant de retomber sur un côté et nous nous planquions à couvert derrière la première chose que nous trouvions ; un lit pour Alice et moi, une table de chevet pour la poursuiveuse, et les valises vides que Campbell n'avait jamais pris la peine de ranger depuis le retour des vacances pour Emily. La poursuiveuse avait du mal à respirer, j'entendais ses inspirations saccadées de ma position, et semblait complètement paniquée.
— Ce serait un très bon scénario pour un roman horrifique, Alice, dit-elle le souffle coupé et la voix tremblante. Comment une adolescente de 16 ans incapable de tenir en place créé un coussin tueur qu'elle libère dans Poudlard. Vraiment, ça se vendrait très bien. C'est dommage que tu ne vivras pas suffisamment longtemps pour stocker tous ces gallions dans un coffre de Gringotts.
— Je crois que tu as mal compris l'histoire du roman, Vanessa, répliqua Alice. C'est plutôt : comment une adolescente de 16 ans perturbe une camarade de classe pendant un enchantement et libère ainsi une monstruosité dans un dortoir.
— Aussi, Eyrin, tu pourrais mettre moins de parfum dans tes shampoings. J'ai du mal à respirer.
— Je suis pratiquement sûre que si tu as du mal à respirer, c'est plus à cause de l'étouffement que par le peu de parfum présent dans mon shampoing.
— Ma peau sent l'amande, accusa-t-elle.
— Tu devrais essayer sur tes cheveux secs, rétorqua aussitôt Alice.
— Tu feras attention à ne pas confondre les fioles quand tu vas prendre ta douche, enchérit la poursuiveuse, les tiens sont suffisamment gras comme cela.
— Mes cheveux ne sont très certainement pas gras, gronda la blonde en se relevant.
Je lui agrippai aussitôt le bras pour la forcer à se rassoir à couvert ; l'honneur de ses cheveux pouvait très certainement attendre que nous nous débarrassions du coussin-tueur qui essayait de nous étouffer.
— Oh Merlin, fermez-la, intima Emily. Vous lui donnez vos positions. Quoique, vous devriez peut-être continuer. Il n'a pas l'air de savoir vers qui se diriger.
Je me risquai à jeter un œil entre les lits ; le coussin-tueur semblait effectivement ne plus savoir où aller. Il trottait sur ses coutures le long de l'allée centrale en revenant constamment sur ses pas.
— Quelqu'un a pu garder sa baguette ?
Je jetai un coup d'œil rapide sur le sol du dortoir jusqu'à apercevoir la mienne dans la poussière d'un dessous de lit. Les autres étaient bien plus éloignées de nous.
— La mienne a glissé sous le lit vide du côté de la porte, soupirai-je.
— Je vais l'attirer vers moi pour que vous puissiez récupérer la baguette, indiqua Emily.
— Prépare-toi à ne plus jamais pouvoir sentir autre chose que de l'amande, lança Campbell.
— Oh Merlin, i peine de l'amande dans mon shampoing, râlai-je. C'est surtout pour couvrir l'odeur de braillantine.
— C'est vrai que c'est efficace la braillantine, mais ça pue, répondit la poursuiveuse.
— L'odeur est moins forte si tu n'écrases pas les pétales, enchéris-je.
— Les filles, sérieusement, ce n'est vraiment pas le moment de parler de vos potions improvisées, souffla la brune.
— Emily, commença Alice sur un ton beaucoup trop sérieux, le seul avantage au fait qu'Eyrin est meilleure que nous en potions est précisément celui-ci, laisse-la raconter ce genre d'anecdote si ça lui fait plaisir ou elle ne nous en fera plus.
— Ce serait bien de partager de temps en temps avec ta poursuiveuse, Eyrin.
— Arrêtez de parler, par Merlin, s'agaça Emily. Laissez-moi l'attirer vers moi pour qu'Eyrin puisse enfin récupérer sa baguette et qu'on puisse toutes aller au lit !
Je me déplaçais lentement de lit en lit, à l'abris des sens étranges du coussin, tandis qu'Emily lui racontait sa journée. Les petits bruits des frottements du tissus contre le pierre se rapprochaient dangereusement d'elle quand j'arrivais enfin au lit en question. Je m'y glissai dessous, la poussière me fit tousser et j'eus franchement envie d'une douche. C'était sale, là-dessous. Mes doigts touchèrent enfin ma baguette et je me dépêchai de me dégager du lit.
Le coussin était en train de contourner les valises pour rejoindre Emily.
— Finite Incantatem ! lançai-je.
Le coussin émit un bruit étrange avant de retomber sur sa face. Alice sortit enfin de derrière mon lit et je la gratifiai d'un regard noir.
— Je reste la meilleure de notre année en enchantements, se défendit-elle.
— Je m'assurerai que tu aies une médaille pour avoir presque réussi à tuer tes camarades de dortoir, soupirai-je, agacée.
Les filles sortirent à leur tour de leur cachette improvisée. Emily sembla se perdre un instant dans une observation approfondie de mon oreiller toujours à terre et nous éclatâmes brusquement de rire, épuisées. Je m'assis sur le premier lit que je trouvai, le souffle légèrement difficile. Nous en avions connu des épopées grotesques durant nos années à Poudlard parce qu'Alice – ou d'autres, mais surtout Alice, expérimentait les métamorphoses ou les enchantements en plein milieu de la salle commune, mais cette fois-ci avait été franchement terrifiante. Les enchantements expérimentaux avaient rarement essayé de nous tuer. Enfin, il y avait bien la fois où Tyler avait essayé de métamorphoser le canapé de la salle commune en corbeau ; une histoire de désaccord avec Alice sur la difficulté de métamorphoser de l'inerte en vivant. Il avait oublié de prévenir Boot qui avait failli avoir une crise cardiaque en évitant de justesse d'écraser l'animal apparu soudainement sous lui. Enfin l'animal… Plutôt un étrange mélange entre un fauteuil miniature et une créature ailée qui avait fait un bruit d'enfer jusqu'à ce qu'Alice ait suffisamment pitié de lui pour le transfigurer à nouveau en canapé.
— Ce n'était pas arrivé depuis…
— La quatrième année, répondit Emily, quand Alice…
— Oh, oui, je me souviens, enchéris-je.
— Ce n'était pas de ma faute ! se plaignit la blonde. Ce n'est pas moi qui avait commencé cette bataille de coussins.
— Vous faites chier, les filles, soupira Campbell. Sincèrement. Vous faites chier.
— Tu dis ça parce que tu ne peux pas t'empêcher de nous aimer, s'amusa Alice.
— Ton coussin a tenté de m'étouffer.
— C'était le coussin d'Eyrin.
— Et il est deux heures et demie du matin.
— Admets juste qu'on s'est bien marrées et que ça faisait une éternité que ce n'était pas arrivé.
— Oh, Alice, tu es insupportable.
— Pourquoi au juste tous les oreillers de notre dortoir sont en train de mordre la poussière ? demanda soudainement Emily.
— Parce qu'Eyrin et Alice pensent qu'il est tout à fait convenable de parler de leur vie amoureuse à 2h du matin quand leurs camarades de maison dorment à moins de cinq mètres d'elles.
— Déjà, nous parlions surtout de celle d'Eyrin. Et puis franchement Emily, tu devrais avoir honte de t'engager dans un combat quand tu ne sais pas de quoi il en retourne.
— Excuse-moi de prendre automatiquement le parti de la personne qui se retrouve en sous-nombre, répliqua la brune.
— C'est Vanessa qui a ouvert les hostilités, s'indigna Alice.
— Évidemment que j'ouvre les hostilités au bout d'un moment. Mon sommeil sacrifié parce qu'Eyrin croit que tomber amoureuse est une maladie et qu'Alice ne trouve rien de mieux à faire en réponse que de la comparer à un caramel mou.
Mes joues étaient si chaudes que je n'aurais eu aucun mal à me croire victime d'un maléfice cuisant.
— Pardon ? enchérit Emily manifestement confuse.
— Est-ce qu'on pourrait toutes arrêter de parler de ma vie amoureuse, s'il vous plait ? C'est franchement gênant.
— Tu as perdu le droit à la pudeur lorsque tu as commencé à sacrifier mon sommeil pour une discussion avec Alice.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Emily en se retournant vers moi.
— Visiblement, Parker lui aurait avoué ses sentiments, répondit aussitôt la poursuiveuse.
— Oh Merlin, ce n'est pas ce qu'il s'est passé, soufflai-je.
Au moins, l'approximation de Campbell était rassurante. Elle ne semblait pas avoir entendu quoique ce soit d'autre de notre conversation, et très certainement pas la retranscription exacte des propos de Lilith que j'avais fait à Alice – ou pire encore, de ce que j'avais moi-même dit à Lilith.
— En fait, Emily, tu préféreras probablement ce qu'il s'est vraiment passé à un simple « je t'aime », enchérit Alice. C'est totalement ton registre. Sentimental à en avoir des boutons qui poussent. C'est d'ailleurs étonnant qu'Eyrin n'ait pas d'acné à force de côtoyer Lilith.
Campbell et Alice éclatèrent de rire et je secouai la tête.
— Si quoique ce soit sort de ce dortoir, menaçai-je, je vous promets que je serai infernale avec chacune d'entre vous jusqu'à la fin de notre scolarité. Peu importe laquelle d'entre vous a balancé, je vous tiendrai toutes responsables.
— Oh, ne t'inquiètes pas pour ça, fit Campbell, je ne me risquerai pas à contrarier Parker. D'ailleurs, je vais dormir ici. Je suis crevée.
— Hors de question, enchéris-je, c'est mon lit.
[NdA]
[1] La télévision
[2] Le film en question est « E.T, l'extraterrestre »
