Chapitre 31

Première semaine de janvier


Si j'avais complètement oublié que le match du week-end prochain opposerait Gryffondor à Serpentard, les chants de ces derniers dans les couloirs du château me le rappelèrent bien vite durant le week-end ; ils semblaient très enthousiastes par la perspective d'affronter Gryffondor. Leurs adversaires se contentaient plutôt de répondre timidement par d'autres chants lorsque les deux maisons se croisaient dans les couloirs, en lieu et place des habituelles invectives qu'ils s'échangeaient. C'était, en réalité, assez reposant de ne plus entendre de disputes ou d'insultes, plus ou moins originales, que nous avions tous déjà entendues une vingtaine de fois au détour des couloirs. Si les plus jeunes s'opposaient parfois une certaine virulence, les plus âgés se contentaient d'une légère tentative de désescalader la situation – tentative souvent conduite de très mauvaise foi, mais tentative qui avait au moins le mérite d'exister et de faire redescendre aussitôt la pression. Les Septièmes Années eux-mêmes semblaient plus prompts à intervenir. D'une certaine façon, la pudeur du début d'année était revenue chez la majorité des Gryffondors. Je ne dus intervenir moi-même qu'une seule fois, de tout le week-end, pour séparer des premières années de Gryffondor et Serpentard qui se disputaient une banderole ensorcelée.

Cela dit, Poudlard pouvait bien s'effondrer pierre par pierre que les Deuxièmes Années, eux, ne se montreraient pas plus concernés par ce qu'il se passait autour d'eux. Je n'étais même pas sûre qu'ils s'inquiétaient de l'absence de leur camarade. Enfin, après tout, si Ethan était comme Lilith, il n'était pas du genre à se faire des amis. Je ne devrais peut-être pas être aussi surprise. Avec tout ce qu'il s'était passé ces derniers jours, il était facile d'oublier les Deuxièmes Années - surtout les élèves de notre propre maison, si silencieux et retranchés sur eux-mêmes qu'ils étaient dans notre Salle Commune, jusqu'à ce qu'ils regardent - à nouveau - autour d'eux d'un oeil suspicieux. C'était dans leur façon de vérifier que personne ne les regardait que nous nous rappelions qu'ils étaient traversés par bien des problématiques. Même le Quidditch semblait leur passer au-dessus de la tête.

D'ailleurs, Weasley maintenant capitaine de l'équipe de Gryffondor, Tyler et Lewis étaient complètement paniqués. D'après Lewis qui - définitivement, était aussi efficace qu'Alice dès qu'il s'agissait de récupérer des informations sur nos adversaires, Weasley avait déjà relancé de nouvelles sessions de recrutement pour faire du ménage parmi leurs joueurs. Nous aurions le droit à une équipe de Gryffondor particulièrement en forme lors de notre dernier match de l'année, nous qui étions déjà sérieusement en retard sur les autres équipes. Lilith, elle, aurait peut-être toujours l'avantage d'affronter une équipe en reconstruction. Je n'avais pas grand espoir pour la Coupe de Quidditch. Néanmoins, ce constat n'avait pas adouci l'entraînement de la veille et mes bras me tiraient franchement.

Heureusement, j'avais déjà terminé une bonne partie des parchemins qui nous avaient été demandés et mes bras pouvaient tirer profit du repos du dimanche. N'ayant pas grand-chose à faire et, légèrement poussée par mon récent effondrement dans les cachots, je pris la décision d'aller voir le Dr. Wright ; pour le plus grand plaisir d'Alice qui était à deux doigts de me faire une liste de questions à lui poser avant qu'Emily ne l'interrompe.

Une fois libérée des filles, je m'échappai de la Salle Commune. Alors que je naviguais dans les couloirs du château, des voix m'attirèrent bien avant d'atteindre le bureau du moldu. Dans les escaliers, le psychiatre se débattait avec certains tableaux qui, pour la plupart, semblaient très ennuyés.

— Oh, bonjour, dit le Dr. Wright en m'apercevant. Erin, c'est ça ? Il y a un « y » à quelque part, je crois, mais je ne me souviens plus.

— Eyrin.

— C'était ça, dit-il en accentuant le tout d'un geste de la main.

Je jetai un œil au tableau qui, plus tôt, bougonnait, avant de reposer mon regard sur le psychiatre.

— Est-ce qu'il y a un soucis ? demandai-je.

— Ce moldu pose des questions très indiscrètes, chère élève, enchaîna le portrait. Oh, vous êtes préfète. C'est parfait. Peut-être pourriez-vous lui rappeler la bienséance ?

Ce tableau semblait particulièrement évolué comparativement à ses colocataires muraux qui se contentèrent de quitter leur tableau pour éviter le bruit – ou, à défaut de pouvoir le faire, d'agiter leur main pour nous intimer de les laisser tranquilles.

— Je ne fais que vous poser des questions sur les évènements qui se sont déroulés au sein du château cette dernière année, répliqua le psychiatre avant de se tourner vers moi. D'ailleurs, un chevalier m'a défié en duel tout à l'heure, que se passe-t-il si j'accepte ? J'irai également dans le tableau ?

Je ne pus empêcher un léger rire avant de me reprendre devant son air sérieux, les joues rouges.

— Non, vous ne pouvez pas aller dans un tableau. Ce ne sont pas de vraies personnes qui sont piégées dedans, mais des peintures qui sont animées à posteriori par la magie.

— C'est ce qui explique qu'ils ont une mémoire de travail extrêmement petite, c'est fascinant. C'est comme s'ils réagissaient uniquement à un stimulus sans qu'il n'y ait de mémorisation de quoique ce soit. Il se passe quelque chose, ils réagissent avec un panel de réponses très restreint, et ils ont déjà oublié ce qu'il vient de se passer.

Contrairement à sa collègue, le moldu avait définitivement l'habitude de réfléchir à voix-haute et de se perdre en mots et expressions qui n'avaient pas grand sens pour le reste d'entre nous.

— Une mémoire de travail ? répétai-je.

— Oh. C'est juste que de voir les tableaux me fait penser à la manière dont nous définissons ce qu'est une intelligence. Enfin, plutôt à comment nous n'arrivons pas à définir l'intelligence. Mais peu importe, reprit-il, tu tombes à pic. Si jamais tu as du temps aujourd'hui, j'aimerais beaucoup savoir ce que tu penses du château. Si j'ai bien compris ce que me disaient tes camarades, tu es celle qui est à l'origine de la demande.

— De la demande ? répétai-je à nouveau, cette fois confuse par son soudain sérieux.

— Qui est à l'origine de votre volonté de nous avoir ici.

— Oh, euh… pas vraiment, bredouillai-je aussitôt, enfin je ne sais pas. Mais je n'ai rien de prévu pour la journée.

De longs soupirs s'échappèrent des tableaux, bien vite suivis par des grognements dignes des pires crises de Peeves. Manifestement, nous les dérangions beaucoup.

— C'est parfait, dit le psychiatre en ignorant les toiles. Jouer les ethnologues m'amuse beaucoup, je dois l'admettre, ajouta-t-il en jetant un œil aux tableaux, mais je ne suis pas sûr d'exceller à cette tâche. Je ne pense pas que se mettre la population locale à dos soit une bonne façon d'appréhender les enjeux qui la traversent, mais bon, je ne suis que psychiatre, notre maîtrise des sciences sociales s'arrête à la reconnaissance de leur existence. Nous pouvons aller dans mon bureau, si cela te convient.

J'acquiesçai et il ouvrit la marche. Dans mes souvenirs, son bureau n'était pas très loin et nous y arrivâmes effectivement assez rapidement. L'endroit ne ressemblait pas du tout à ce que j'aurais pu imaginer, il était bien plus vide. Il y avait un petit bureau, au fond, tourné bizarrement vers la fenêtre. Une table basse en plein milieu de la pièce et deux fauteuils de part et d'autre de celle-ci. Sur le côté, il y avait un petit buffet avec une théière et quelques tasses, du moins, c'étaient les quelques bricoles que je reconnus en entrant dans la pièce. Il m'invita à m'asseoir sur un des fauteuils tandis qu'il prenait place en face.

— J'ai juste quelques questions par rapport à Poudlard ou la société sorcière. Ce n'est pas un « entretien », insista-t-il avec un petit sourire. Certains de tes camarades avec lesquels j'ai échangé ont cru que c'en était un. Nous ne faisons vraiment que discuter. L'idée, c'est que je puisse avoir une idée de comment les choses fonctionnent ici. Je préfère avoir différents avis, après tout nous n'avons pas tous la même façon de voir et de comprendre ce qui nous entoure, pas vrai ? Donc je parle à beaucoup de personnes. Néanmoins, si tu en as marre ou que tu ne veux plus répondre à mes nombreuses questions, tu as juste à le dire et nous nous arrêterons aussitôt. Est-ce que ça te va de fonctionner comme cela ?

J'acquiesçai, c'était globalement ce que notre Directrice nous avait déjà expliqué de leur acclimatation et il revînt aussitôt sur ce qu'il appelait, lui, la « demande ».

— Comment as-tu appris l'existence du stress post-traumatique ? J'imagine que ce n'est pas un concept très commun, par chez vous.

Je lui racontai aussi fidèlement que possible la nuit durant laquelle Anna avait fait sa crise, dans les escaliers, et l'intervention d'Emily. Il acquiesça.

— Ce dont tu parles est une manifestation particulière des reviviscences, elles sont rarement toutes aussi spectaculaires. Cela peut être simplement des sons ou des images très rapides qui reviennent de temps en temps à l'esprit. Elles peuvent être plus ou moins prenantes, c'est-à-dire que parfois on sait très bien que ce sont des souvenirs, et parfois, elles sont si vives et si prenantes que notre corps oublie momentanément que ce ne sont que des souvenirs. Ce n'est pas nécessairement aussi spectaculaire.

— Eh bien, ce soir-là, ça l'était beaucoup.

— Cette soirée a l'air d'avoir marqué les esprits, oui. Et, donc, c'est à partir de ce moment-là que vous avez décidé de vous renseigner au sujet de cette « maladie »?

J'acquiesçai avant de lui décrire la manière dont les choses s'étaient globalement déroulées depuis le début de l'année, de nos recherches avec Peter et des réunions que nous avions organisées avec les préfets, jusqu'au refus de Griffin de participer à notre démarche.

— Tu sais, s'amusa-t-il soudainement, j'ai vu le parchemin que vous avez rédigé avec ton camarade. C'était une très bonne synthèse pour votre âge et… enfin, si on considère le décalage culturel. Ce « Theo » sait très bien sélectionner ses sources d'informations, il vous a même envoyé des copies du DSM. J'ai été très honoré d'y voir mes propres travaux.

— Comment ça ?

Il se leva pour récupérer le parchemin sur son bureau avant de me le tendre. J'avais complètement oublié que nous avions synthétisé les sources des documents de Theo une par une. En y repensant, nous avions vraiment fait n'importe quoi. C'était indigeste. Sur le parchemin, un passage était péniblement surligné au stylo bille. Le trait était à peine visible et risquait probablement de disparaître aussitôt que quelqu'un aurait la mauvaise idée d'y passer son doigt. « Paradigme cognitivo-comportemental et nouvelles perspectives thérapeutiques pour la prise en charge du stress post-traumatique, Introduction à la psychiatrie : concepts de base de la psychiatrie contemporaine, Wright & Richert, 1995. ».

— C'est vous ? repris-je, surprise par le nom de famille.

— Oui. Un petit chapitre que nous avions rédigé avec un collègue pour un ouvrage généraliste.

Je reposai le parchemin sur la table basse, Emily n'allait plus jamais arrêter d'en parler ; cela faisait beaucoup trop de « coïncidences » pour qu'elle n'invoque pas des formes de magies ancestrales – ou quelque chose du genre, je ne suivais jamais très attentivement ses explications, je devais bien l'admettre.

— Qu'est-ce qui fait que tu as tout de suite pris cette maladie au sérieux ? reprit-il, me tirant à mes craintes.

— Eh bien, c'était une maladie.

— Oui mais tu aurais très bien pu accuser réception de tout cela et ne rien faire. Tu aurais pu entendre ce que ton amie te disait et passer à autre chose. Au lieu de cela, tu as ressenti le besoin de chercher des informations supplémentaires.

— Je ne sais pas trop, bredouillai-je. Je n'ai jamais réfléchi à ce genre de choses. Cela m'a semblé grave, sur le moment, et puis j'ai aussi été très en colère. Si c'était une maladie, cela semblait injuste de laisser les élèves à Poudlard et de ne rien faire pour eux.

— Est-ce que tu penses que si ton amie n'avait pas utilisé le terme de « maladie », tu aurais eu la même réaction ?

Je relevai vivement les yeux avant de les baisser, prise à défaut par la soudaine pensée qui m'était venue à l'esprit. Je ne savais pas si c'était ce qu'il voulait sous-entendre, mais le parallèle avec ma mère était tout trouvé. C'était la première fois que je le voyais et me sentis bien stupide.

Même si ce mot avait dû peser dans ma colère à l'époque, apprendre que les élèves avaient un problème du fait de la guerre sans que personne ne semble se soucier d'eux avait été suffisant pour que je réagisse ainsi. Peut-être n'aurais-je pas cherché à en savoir plus sur le « problème » de cette façon si Emily ne l'avait pas tout de suite présenté comme une maladie, cela dit. Peut-être cela m'avait-il d'autant plus poussée à vouloir améliorer la situation. Je ne savais pas trop. C'était difficile de le savoir. Enfin, c'était difficile de savoir quoi que ce soit.

— Je veux dire, reprit le psychiatre, une « maladie », dans les représentations collectives, en tout cas les nôtres, rappela-t-il rapidement, ça se guérit ou, en tout cas, ça se prend en charge. Cette idée de guérison semble être au centre des attentes que vous avez vis-à-vis de Cecilia et moi. Je m'interroge un peu quant au rôle que les sorciers peuvent nous donner, étant donné que vous semblez régler beaucoup de problèmes d'un coup de baguette.

— J'imagine qu'il y a un peu de ça, oui. Pour la plupart des sorciers, il est difficile d'imaginer qu'il y a des maladies ou des choses qui ne sont pas curables. Nous en connaissons, évidemment, mais ce sont souvent des choses… magiques, les maladies moldues…

Je soupirai, le ventre soudainement serré, avant de secouer la tête. Je ne savais pas si c'était la tristesse ou la colère qui avait pris possession de mon estomac.

— … les maladies moldues, repris-je tant bien que mal, ce n'est pas censé être très grave. Pour les sorciers, ajoutai-je rapidement. J'imagine que nous n'aurions peut-être pas été aussi motivés à attaquer le problème, y compris avec les autres préfets, si nous n'avions pas lu que les moldus arrivaient à prendre en charge la maladie. Peut-être que j'aurais été en colère mais sans savoir quoi faire de toute cette colère, je ne sais pas.

— Qu'est-ce que tu attends, toi, de notre présence ?

— Je ne sais pas, la même chose, je dirais… que les élèves aillent mieux.

Il acquiesça.

— Tu utilises les termes de « maladie moldue » depuis tout à l'heure. Penses-tu qu'il s'agit d'une maladie purement moldue ?

— J'utilise ce terme de manière un peu automatique. Je n'ai jamais fait très attention à ce qu'il voulait dire.

— Oh, qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Eh bah, vous avez raison.

— Je n'ai rien dit, souligna-t-il.

— Non mais je veux dire, bredouillai-je, les sorciers sont également touchés, alors c'est peut-être un peu idiot d'appeler cela une maladie moldue sous prétexte que vous êtes les seuls, pour le moment, à l'avoir reconnue. Peut-être que si nous donnions plus de poids ou d'importance à l'esprit, alors nous aurions remarqué cette maladie plus tôt. Ce n'est pas comme si c'était notre première guerre.

— Vu ce que tu viens de dire, penses-tu que vous ne devriez plus utiliser les termes de « maladie moldue » ?

— Je ne sais pas. Vous en pensez quoi, vous ?

Il rit avant de se reprendre dans son fauteuil.

— Je pense que nous sommes peut-être face à deux mouvements contraires. Dans un sens, utiliser cette appellation, c'est admettre que, peut-être, le stress post-traumatique ne se « guérira » pas avec de la magie, dit-il en dessinant des guillemets invisibles. Une maladie magique, tu viens de le dire, se guérit avec la magie. Une maladie moldue se guérit avec des sciences moldues. Il y a là quelque chose d'intéressant. Peut-être que la magie, pour une fois, ne réglera pas ce soucis et qu'utiliser ce terme, aussi particulier soit-il, vous encourage à être dans un état d'esprit où, peut-être, vous pourriez accepter que la magie ne soit pas suffisante. C'est une bonne chose. La première chose à faire pour prendre en charge psychologiquement des personnes, dans votre cas, c'est justement d'accepter que certaines choses ne peuvent ou ne doivent pas être réglées par la magie. Dans l'autre sens, appeler cela une maladie « moldue », c'est aussi ne pas pleinement reconnaître que vous êtes potentiellement concernés par le stress post-traumatique. C'est une façon de maintenir le stress post-traumatique, et toutes les réalités psychologiques et sociales qu'il pose, « en-dehors ». Ce problème ne nous concerne pas vraiment, on va faire quelque chose à propos de ça, évidemment, mais quand même, c'est un truc de moldu, pas vrai ? Fondamentalement, ça ne nous concerne pas trop. Donc peut-être que le terme disparaîtra une fois que vous vous serez pleinement fait à l'idée qu'il y a des conséquences psychologiques à des évènements tragiques, que vous n'y échappez pas, et que c'est quelque chose qui est inhérent à votre société et non pas extérieur à celle-ci. Qu'est-ce que tu en penses ?

— Qu'il y a du vrai dans les deux mouvements. Mais si vous avez raison, ne pus-je m'empêcher d'ajouter, cela voudrait également dire que reconnaître que cette maladie nous touche pleinement serait refuser toute autre solution qu'une solution magique.

Il sourit, manifestement amusé.

— Effectivement.

— C'est ce qui vous inquiète…

— Inquiéter est un grand mot. Nous voulons juste nous assurer que votre société aura de quoi gérer ce genre d'évènements par la suite. Si vous arrivez à prendre en charge le stress post-traumatique avec deux crocs de serpents et trois fanes de carottes, c'est tant mieux, mais cela ne change rien à la nécessité d'admettre la dimension psychologique dans l'accompagnement et la prise en charge des évènements traumatiques. Le stress post-traumatique n'est qu'une façon, parmi beaucoup d'autres, de gérer un événement tragique. C'est ce pourquoi vous nous avez fait venir et ce pourquoi, en réalité, Cecilia et moi avons été « sélectionnés », si on veut, mais ce n'est véritablement pas votre seul soucis. Beaucoup d'autres conséquences psychologiques existent et vous n'y échappez pas non plus. Je m'interroge seulement sur ce qu'il restera de psychologique après notre intervention.

La culpabilité me prit aussitôt et je déglutis. Le psychiatre avait la décence de s'inquiéter de ce qu'il adviendrait de nous après son intervention, mais n'avait – de toute évidence, aucune idée de ce qu'il adviendrait de lui. C'était particulièrement injuste de se servir d'autres personnes de cette manière sous prétexte que nous avions la main sur elles. Au fond, il n'y avait pas tant de différences que cela avec les mangemorts dans la manière dont nous traitions les moldus ; le Ministère et le reste des sorciers les considéraient suffisamment inférieurs et insignifiants pour les traiter comme des outils que nous pouvons oublietter lorsque nous en n'en voulons plus, ils avaient juste la décence de ne pas aller au-delà de cette déconsidération. Le fait qu'ils ne souhaitaient pas leur extinction ou qu'ils ne leur souhaitaient aucun mal de manière générale ne changeait rien au fait que si les moldus étaient réellement considérés comme les égaux des sorciers, jamais le Ministère ne se permettrait de les traiter ainsi. Peut-être la différence avec les mangemorts résidait-elle plus dans le degré de déconsidération des moldus plutôt que dans la nature des rapports que nous entretenions avec eux.

Je remarquai enfin que mon ventre s'était serré et que j'avais du mal à respirer. Il y avait probablement pléthore de raisons qui nécessitaient d'entretenir le silence à propos de notre capacité de les oublietter. Pour autant, cela ne me semblait pas juste et je ne pus m'empêcher de vouloir lui dire la vérité. Mon ventre se serra plus encore à cette réalisation et je me raclai la gorge. Il était évident que c'était quelque chose que je ne devais absolument pas faire tout comme il était devenu clair que c'était quelque chose que j'allais absolument faire.

— Est-ce que vous savez ce qu'il se passera une fois que votre « intervention » sera terminée ?

Il parut surpris et se pencha légèrement en avant, les sourcils froncés.

— Comment ça ?

— Eh bien… Comment se déroulera votre retour dans la société moldue ?

— C'est une question très particulière. Est-ce que notre retour dans la société moldue te questionne ?

J'haussai les épaules, n'étant pas certaine de la meilleure façon d'amener le sujet sur la table. Une chose était certaine : je n'arriverais pas à grand-chose tant que je lui laisserais la possibilité de me retourner la question.

— C'est juste qu'il y a certaines… je ne sais pas, procédures, hasardai-je.

— Oh. Une de ces procédures t'inquiète ?

— Pas vraiment, non. Ce n'est pas le terme que j'emploierais. En fait, elle m'énerve plus qu'elle m'inquiète, mais j'imagine qu'elle devrait peut-être vous inquiéter, vous.

Il resta silencieux et je soupirai, nerveuse. Mon cœur tapait si fort contre ma cage thoracique que j'eus un instant peur qu'il finisse par réussir à en sortir. Finalement, j'inspirai. Ils avaient le droit de savoir même si j'étais probablement en train de faire une grosse connerie. Après tout, le risque que les psychiatres soient particulièrement blessés par la découverte de leur futur destin pouvait très bien aboutir à un refus strict d'« intervenir ». Or, les élèves avaient besoin d'aide. Je secouai la tête, je réfléchissais à l'envers. Si avoir connaissance de l'oubliette risquait de changer quoi que ce soit du consentement des psychiatres à intervenir au sein du château, c'était justement qu'il fallait le leur dire.

— Nous avons beaucoup de formes de magie, repris-je finalement plus calme. Vous avez appris pour la pensine, nous pouvons revivre les souvenirs d'une autre personne ou mêmes les nôtres. Mais ce n'est pas la seule chose que nous pouvons faire avec les souvenirs. Nous pouvons également les supprimer.

— Je sais cela, oui, répondit-il aussitôt. J'ai appris l'existence de ce sortilège en discutant avec un de tes camarades. Je me suis tout de suite douté que c'était probablement ce qui nous attendait.

— Et ça ne vous dérange pas ? me surpris-je aussitôt.

— Eh bien, si, à titre personnel, bien évidemment. J'apprends l'existence de la magie, j'ai l'impression d'être un gosse et je passerais volontiers toute une vie à en apprendre d'avantage sur votre société, mais ce n'est pas comme si nous avions trop de choix, pas vrai ?

J'acquiesçai, forcée d'admettre que le rapport de force n'était clairement pas en leur faveur. Cela rendait le comportement des sorciers à leur égard bien plus ignoble encore. Même si les psychiatres finissaient par dire la « vérité » à d'autres moldus, qui pouvait bien les croire ? Enfin, j'imaginais que réfléchir ainsi pouvait vite devenir dangereux. Après tout, si nous acceptions cet écart vis-à-vis de certains moldus, il devenait difficile de mettre une limite pour les autres. Les récits de sorciers se démultipliant dans la société moldue, ils finiraient potentiellement par être crus et la société sorcière finirait probablement par être découverte. Ou peut-être que les moldus en feraient simplement des histoires, comme Alice et ses sushis – enfin, des sushis ou peu importe ce qu'elle apprenait sur les habitudes moldues. Ce serait même intéressant de découvrir comment les moldus raconteraient notre Histoire.

— Cela ne change rien pour vous, constatai-je.

— Non. Cela ne change rien à la raison de notre présence. Il y a toujours des élèves qui ont besoin d'un accompagnement. Mais ton honnêteté à ce sujet, bien que peu surprenante connaissant Elizabeth, est très appréciable et très appréciée.

Je déglutis à la mention de son prénom, les joues rouges. Admettre que résidait ici la raison de ma présence dans son bureau était franchement malaisant. Et puis, une partie de moi était toujours terrifiée à l'idée d'apprendre quelque chose d'elle qui viendrait signaler que je ne la connaissais pas vraiment. Je soupirai, triturant nerveusement mes mains. Il laissa le silence s'installer. Mon ventre ne s'était pas desserré depuis tout à l'heure et commençait maintenant à me faire véritablement mal.

— Vous la connaissiez bien ? osai-je enfin demander.

— Je ne dirais pas ça. Elizabeth avait très à cœur de ne pas mélanger vie privée et vie professionnelle ce qui, déjà à l'époque, était très agréable. Je comprends d'autant mieux pourquoi elle était aussi rigide sur cette nécessaire fracture avec un mari et une fille sorcières à la maison.

Je fus, bizarrement, soulagée et mon estomac se dénoua aussitôt.

— Je n'ai jamais fait de magie involontairement quand j'étais dans votre bureau ?

— Je m'en serais souvenu, je pense, s'amusa-t-il. C'est comme cela que ça marche ?

— Oui, quand nous sommes petits, nous ne faisons pas vraiment exprès.

— Tu dessinais des choses étranges, cela dit. Souvent, c'était un oiseau orange qui ressemblait à un phénix ou des créatures imaginaires. Mais bon, rien qui ne soit étonnant pour une enfant. Je trouvais cela censé que la fille d'une universitaire et d'un diplomate soit plus tournée vers l'art, finalement.

— Ca devait être Julien. J'avais un doudou phénix quand j'étais petite, expliquai-je devant son regard surpris, Julien.

— Un prénom français ? fit-il, surpris.

— Mon père était à Beauxbâtons, c'est lui qui avait suggéré le nom. Enfin, c'est ce que ma mère m'a dit, en tout cas. Je ne me souviens plus vraiment de comment on l'a nommé pour être honnête. C'est une école de sorcellerie en France, ajoutai-je rapidement.

— Pas en Suède ?

— Euh, non, il n'y a que trois écoles en Europe. Poudlard, Beauxbâtons, et Durmstrang, à l'Est.

— Pourquoi n'es-tu pas à Beauxbâtons ?

— Je suis née en Angleterre alors j'ai été inscrite d'office à Poudlard. Mon père n'était visiblement pas très content.

Je devinai tout de suite à sa posture que j'avais piqué sa curiosité.

— Est-ce qu'il y a des raisons spécifiques qui expliquent qu'il préférait la France ? Ou c'était juste parce qu'il y a été en tant qu'élève ?

— C'est une question de… principe ? Je ne sais pas si c'est le bon mot, mais Poudlard n'est ouverte qu'aux britanniques alors les sorciers européens se partagent entre Beauxbâtons et Durmstrang. Mon père n'a jamais été trop fan de Poudlard qu'il trouve « renfermée » sur elle-même.

— Les suédois vont plutôt à Beauxbâtons ?

— Non. Ils vont à Durmstrang. Les limites y sont très claires et ça leur plaît. Les suédois vouent un culte au Secret Magique, expliquai-je, chacun doit rester à sa place. Mais, depuis Grindelwald, certaines familles ont décidé de ruser pour envoyer leurs enfants en France.

— Donc leurs habitudes ont évoluées depuis le premier mage noir ?

— Oui, il y a eu beaucoup de rumeurs après cette guerre sur ce qu'on enseignait dans l'école. De ce que mon père disait, ça a effrayé pas mal de personnes et c'est après tous ces mouvements et discussions publiques que les suédois sont devenus encore plus rigides et strictes sur le Secret Magique. A l'époque, ils allaient vraiment loin. Il m'a dit que dans les années 70, il y avait même eu des cas où les enfants qui faisaient de la magie par inadvertance devant des moldus pouvaient provoquer des problèmes à leurs parents… Les suédois étaient absolument terrifiés à l'idée d'interférer avec la société moldue. Ils avaient peur que des réactions moldues à la magie ou à la bizarrerie, même involontaires comme chez les enfants, provoquent à nouveau une certaine peur à leur égard de la part des sorciers. La même peur qu'à l'époque de Grindelwald.

Son esprit eut l'air de s'absenter un instant, avant qu'il reprenne :

— Les phénix existent réellement ?

— Oui, répondis-je, quelque peu surprise par la question. Enfin, Julien était une peluche, il pouvait juste me souhaiter bonne nuit et me faire un câlin, mais ils existent pour de vrai.

— D'une certaine façon, reprit-il alors qu'il s'apprêtait de toute évidence à réfléchir de nouveau à voix-haute, votre existence a influencé nos évolutions par les mythes et légendes. Surtout qu'à l'époque, les mythes avaient une véritable fonction dans nos sociétés, bien plus que maintenant. Enfin, disons que ce ne sont juste pas les mêmes mythes, peut-être. C'est d'autant plus intéressant de constater à quel point vous êtes rigides sur le Secret Magique, même en Angleterre, alors que vous êtes, d'une certaine façon, déjà présents et acceptés dans nos sociétés.

Pour la première fois, l'utilisation de la deuxième personne du pluriel me laissa une sensation désagréable. C'était insensé. J'étais une sorcière et, par définition, la fracture entre « nous » et « vous » était tout à fait appropriée – comme elle ne m'avait jamais gêné précédemment, mais pourtant cette fois-ci me fit bien étrange. Ma mère l'utilisait souvent, Theo l'avait fait plusieurs fois aussi, même la psychiatre avait plus d'une fois eu l'occasion de l'utiliser, pourtant, c'était la première fois que je réalisais qu'au-delà de nous inclure dans un ensemble « sorcier » cela nous excluait surtout de celui des « moldus ». Pour une fois, je n'avais pas vraiment l'impression d'être tout à fait étrangère à ces « moldus » dont on m'excluait, pourtant, d'office.

— Ca va, Eyrin ?

— Oh, oui désolée, j'étais juste perdue dans mes pensées. Est-ce que c'était une bonne professeure ? Je veux dire, ma mère, à l'école d'adultes.

Il eut un léger rire avant de se reprendre.

— Eh bien, elle était très dure mais très juste. Cela veut dire que les étudiants ne l'appréciaient pas nécessairement au moment de leurs études mais lui étaient très reconnaissants une fois qu'ils ont eu le recul nécessaire pour estimer ce qu'elle leur a apporté.

— Hm. Vous non plus, vous ne l'appréciez pas en tant que professeure ?

— Eh bien, j'étais son doctorant, notre relation était différente. C'est plus une relation… de mentor, si on veut, d'une certaine façon. Les relations entre les doctorants et leurs directeurs de thèse sont toujours très particulières, mais c'était une très bonne directrice de thèse.

— Mon père m'a dit qu'un de vos manuscrits de thèse était toujours à la maison, dans ses affaires, avec les corrections qu'elle y a apporté.

— Oh, j'ai des souvenirs très vifs des corrections de ta mère, s'amusa-t-il. Elle m'a, d'une certaine façon, conditionné, je dois le dire. Elle était très pointilleuse et ne laissait jamais de place à la mécompréhension, chaque phrase et chaque mot devait être très clair et ne pas pouvoir être mal interprété par un collègue. Je me souviens d'une fois où j'avais utilisé le mot « rendement » dans un article. Elle l'a souligné 5 fois en rouge, puis l'a entouré et a placé trois points d'exclamations à côté comme si c'était une véritable abomination de le voir écrit dans ce contexte. Je ne te dis pas ma surprise quand j'ai vu un mot anodin susciter autant de choses chez ta mère. Je me souviendrai toute ma vie de ce qu'elle m'a dit quand je lui ai demandé pourquoi elle avait semblé s'arrêter sur ce mot, moi qui pensait naïvement avoir écrit un bon article. « Anthony, si nous nous mettons de nous-même à utiliser un vocabulaire industriel pour parler de thérapies, nous faisons entrer l'industrie et ses enjeux dans la psychiatrie. Les mots ne sont pas neutres, ils peuvent parfois être vecteurs d'idéologies. En faisant le choix d'utiliser spécifiquement ce mot, vous faites le choix d'orienter votre travail dans le monde économique et de le soumettre à ses enjeux. Vous utilisez leur langage, leur code, et leur perspective sur les questions de santé mentale, au lieu d'adopter une vision psychiatrique de cette question, de vous positionner comme psychiatre, et de reconnaître le rapport de force qui nous est imposé par le monde économique. Autant tout de suite aller en école de management pour se spécialiser en psychiatrie si c'est pour adopter leur cadre de référence. Est-ce quelque chose que vous souhaitez ? Je veux dire, échanger votre titre de médecin pour une licence de gestion ? ». J'avais utilisé un mot, un seul mot, insista-t-il, et j'avais eu l'impression, d'un coup, de détruire la psychiatrie à moi tout seul.

Cela lui ressemblait bien. Petite, dès qu'elle commençait une phrase par « autant tout de suite », je savais que mon père allait perdre le débat. C'était très agréable lorsqu'il s'agissait d'une discussion dans laquelle ma mère me défendait, moins agréable lorsque c'était mon père qui défendait ma position.

— Vous semblez à la fois content et traumatisé, ne pus-je m'empêcher de constater à voix haute.

— Elle était vraiment passionnée, ne laissait absolument rien passer et avait un sens très aigue de la notion de responsabilité collective. Les personnes comme Elizabeth sont précieuses. Peu d'entre nous ont encore le courage de prendre le temps ou de perdre de l'énergie à se battre pour ce genre de choses, tu sais, beaucoup pensent que c'est anodin ou inutile, et, la plupart du temps, ça l'est, dans le sens où nous n'en voyons pas tout de suite les conséquences. Peu de récompenses pour beaucoup de travail investi. Pourtant, il est nécessaire que des personnes nous embêtent sur ce genre de « détails » parce qu'ils sont effectivement très importants. De l'autre côté, ce sont de fait des personnes très dures qui peuvent, parfois, nous agacer un peu. Ta mère n'avait pas une position très facile dans ce milieu.

— Vous avez changé le mot au final ?

— Bien évidemment, mais peu d'entre nous l'ont fait. Il est en train de se passer exactement ce dont elle parlait. Nous sommes dépendants d'autres enjeux que les nôtres pour financer nos études. Après, le monde du travail ne nous a pas attendu pour psychologiser la souffrance au travail donc bon, je plaide non-coupable pour celle-ci.

Cela devait être une blague - le moldu donnait l'impression de se retenir de rire, mais elle n'eut pas grand sens pour moi.

— Tu sais, Eyrin, ça ne me gêne pas de parler d'Elizabeth, et nous pouvons tout à fait continuer à discuter d'elle, cela me ferait très plaisir et je peux même nous faire du thé… Enfin je crois, ajouta-t-il rapidement en jetant un œil derrière lui, mais je ne peux pas m'empêcher de m'interroger sur le poids que tu sembles mettre sur le travail de ta mère.

Je rougis, mal à l'aise. Je ne savais pas moi-même d'où cela pouvait bien venir. Un « blop » retentit soudain à ma droite et je sursautai légèrement, une Elfe de Maison était apparue dans le petit bureau. Elle semblait bien plus en chair que Mr. Kristof.

— Oh non, soupira aussitôt le psychiatre.

— J'ai cru comprendre que vous souhaitiez un thé, Dr. Wright, dit l'Elfe de Maison. Souhaitez-vous également que je vous amène une tasse supplémentaire ? ajouta-t-elle en se tournant vers moi.

— Encore une fois, Mme Winky, vous ne me demanderez pas de profiter des fruits de votre servitude.

— Nous en avons déjà discuté, Dr. Wright, vous comparez deux situations complètement différentes. Ma servitude n'est pas subie, contrairement à celle de vos ancêtres.

— Vrai, parce que l'essentialisation n'a jamais été un moteur du maintien des pratiques de colonisation et de l'esclavagisme et qu'aucun de mes ancêtres n'a jamais été forcé d'adhérer aux idéologies dominantes justifiant leur subordination pour survivre dans un monde qui les met à genoux par une agile propagande culturelle, rétorqua-t-il si vite que je devinais plus qu'entendais un mot sur deux. J'irai chercher de quoi faire du thé moi-même, asséna-t-il.

— Vous projetez des visions du monde moldues sur le monde sorcier. Et, entre nous Dr. Wright, vous vous êtes perdus trois fois la dernière fois que vous m'avez dit l'exacte même chose. Si je ne vous avais pas retrouvé, vous auriez fini dans la réserve de Mr. Rusard. Certains objets y mordent, vous savez. C'est prendre beaucoup de risque pour un thé ou quelques scones.

— Marcher est bon pour la santé, rétorqua le psychiatre. À chaque fois que je me perds dans ce château, je retarde mon futur AVC de trois mois. Je mange très mal, ajouta-t-il en ma direction comme si cela devait m'aider à comprendre sa phrase précédente.

— À ce sujet, j'imagine que vous ne mangerez pas le repas de ce soir non plus, puisque vous ne saurez profiter des fruits de notre servitude…

— Oh mon dieu, soupira-t-il manifestement agacé, vous êtes sûre que vous n'êtes pas l'Elfe de Maison des Tories ? Dans deux minutes, vous allez oser me dire que servir des sorciers vous a civilisés. D'ailleurs, les sorciers pourraient tout à fait utiliser la magie pour les tâches qu'ils vous attribuent. Votre servitude n'a pas d'intérêt réel. Ce n'est ni réellement un gain de temps, ni réellement un gain d'énergie, et très certainement pas un gain économique. D'où vient, alors, cette « habitude » de vous asservir si ce n'est de la volonté d'une espèce de dominer une autre espèce ?

— Autant parler à un portrait, soupira l'Elfe de Maison.

Elle claqua des doigts et une théière apparut aussitôt sur la petite table, accompagnée de deux tasses. Quelques vapeurs s'échappaient déjà du bec de la théière. Le psychiatre croisa les bras sur sa poitrine et, bien que la situation ne s'y prêtait aucunement, je dus retenir un rire devant l'air enfantin que cela lui donnait.

— Le gaspillage n'est chose bien vue ni chez vous ni chez nous, répondit l'Elfe de Maison comme si elle s'adressait justement à un enfant. Si j'en crois mes congénères dans les cuisines, il me semble que vous appréciez particulièrement ces notes fruitées. Sorcière Hebdo a d'ailleurs classé ce thé parmi les « 10 produits que la sorcière moderne se doit d'avoir dans sa cuisine ».

— Oh, pas besoin d'être sexiste. Et quand bien même le fait que « Sorcière Hebdo » souligne la qualité d'un thé en ferait un thé féminin, ce avec quoi je suis en désaccord, être féminin n'est pas une insulte. Je suis très à l'aise avec ma masculinité et mon goût pour les choses raffinées. Je change même mes sous-vêtements tous les jours, appelez la police du genre.

Cette fois-ci, je ne pus m'empêcher de rire avant de rougir subitement lorsqu'ils se retournèrent tous les deux vers moi. L'Elfe de Maison, vaincue, leva les yeux au ciel avant de disparaître dans un « blop » particulièrement sonore.

— Je connais le chemin jusqu'aux cuisines, si vous voulez…

— Non, c'est gentil. Je suis vraiment désolé pour cela. Je n'arrive pas à m'en empêcher. Nous avons une relation conflictuelle tous les deux depuis que votre Directrice nous a « pourvu » d'un Elfe de Maison pour nous « aider » à évoluer dans le château sous prétexte que, sans magie, il est difficile de vivre ici. Elle essaye encore de faire mon lit le matin alors que je suis en train de le faire, soupira-t-il. Comment suis-je censé gagner la bataille lorsque cela lui prend littéralement une seconde ? Et puis qu'elle ne se moque pas de moi, je sais reconnaître les stigmates d'une addiction, ajouta-t-il en montrant son visage d'un signe de la main. Enfin bref, toutes mes excuses. Je crois que je m'interrogeais sur ton insistance vis-à-vis du travail d'Elizabeth, reprit-il en nous servant le thé.

— C'est juste que je ne connaissais pas vraiment cette partie d'elle. Elle ne parlait pas beaucoup de son travail et je n'ai jamais posé beaucoup de questions.

— Tu étais très jeune lorsqu'elle était universitaire. Elle a quitté notre laboratoire lorsque tu avais quoi ? 8 ou 9 ans ? hasarda-t-il. Comment as-tu appelé l'université tout à l'heure ?

— L'école d'adultes.

— Des mots d'enfant, sourit-il en reposant la théière sur la table. Vu l'âge que tu avais à l'époque, elle t'a expliqué son métier avec des mots simples et des mots d'enfants, parce que tu étais une enfant.

Ma réaction me sembla soudainement tout à fait disproportionnée, je n'avais jamais pris mon âge en compte, mais il ne me laissa pas le temps de me morfondre.

— Et puis, au-delà du secret professionnel, vu la population clinique qu'avait Elizabeth dans son activité libérale, c'est une évidence qu'elle n'allait pas échanger à ce propos en détails en rentrant à la maison. Il n'y a rien d'anormal, si je peux utiliser ce terme, dans le fait de ne pas connaître ce genre de détails sur ta maman. Et ça ne veut certainement pas dire que tu ne t'intéressais pas à elle, ou que ton père et toi ne vous intéressiez pas à elle, précisa-t-il.

J'haussai les épaules, peu convaincue.

— Qu'est-ce que cela signifierait pour toi de connaître cette partie de la vie de ta maman ?

À bien y réfléchir, la remarque de Harper sur le Secret Magique en cours d'étude des moldus était précisément ce qui m'avait fait me sentir coupable. Le sentiment avait amené d'autres choses avec lui tout au long de l'année, mais je n'avais jamais pris le temps de m'arrêter dessus.

— Eh bien, c'est son travail qui me rappelait qu'elle était moldue, d'une certaine façon. Je sais que ça n'a pas trop de sens parce qu'elle ne pouvait jamais utiliser la magie, mais vu que mon père l'utilisait très peu à Londres…

— Oh, non, c'est très censé. C'est dans son rapport au travail que se jouait son rapport au monde moldu. J'aurais dû y penser. Ce n'est pas encore tout à fait évident de prendre en compte tout ce qui se joue dans le monde sorcier, ajouta-t-il pour lui-même. Est-ce que tu as déjà discuté de ça avec ton père ?

— Non.

— Parce que tu sais, il se peut très bien que c'était un souhait d'Elizabeth d'être aussi discrète sur sa vie de moldue.

Je n'avais pas grande envie de poser ce genre de questions à mon père et me sentis quelque peu coupable de le réaliser.

— Comment va-t-il ? demanda le psychiatre. Gustav, si je me souviens bien…

— Oui. Ca va. Je crois. Je ne sais pas trop, en fait.

Nous parlions plus de moi que de lui ; enfin, lorsque nous parlions de lui, c'était surtout vis-à-vis de son travail ou de mes grands-parents, rarement de lui-même. Je déglutis et le moldu laissa le silence s'installer. Ce n'était pas très confortable. Il finit par terminer sa tasse de thé avant de la reposer sur la table basse.

— Cela n'a pas dû être évident d'avoir une partie de sa famille moldue lorsque l'on évolue parmi des personnes qui pensent que côtoyer des moldus nous pervertit.

Je baissai les yeux sur mes mains, mal à l'aise. Les mots qu'il avait employé étaient précis, c'étaient ceux que la sœur Carrow tenait en « étude des moldus » l'année dernière. Je déglutis devant les images désagréables qui me revinrent en mémoire avant de soupirer. J'avais mis derrière moi la violence inouïe de ces cours ; entre la déshumanisation massive, le dédain pour les Nés-Moldus et, de manière générale, l'idée-même que les moldus n'étaient que des êtres inférieurs qui nous forçaient à vivre « soumis » et pervertissait l'essence-même de ce que nous étions. Nous étions passés d'une nécessité, pour vivre « pleinement » en tant que sorciers, d'abolir le Secret Magique au début d'année, à celle de les « remettre » à leur juste place en frappant de manière préventive avant qu'ils ne se tournent contre nous, « tout rats qu'ils étaient », en milieu d'année.

— J'essayais de ne pas vraiment écouter, répondis-je enfin.

— Ce n'est pas parce qu'on essaye de ne pas prêter attention à certaines choses, ou même parce que nous sommes en désaccord avec certaines choses, que celles-ci ne nous influencent pas. Les mots, même ceux que l'on méprise, influencent notre façon de voir les choses, ou nous-mêmes, de percevoir le monde qui nous entoure, de ressentir certaines choses ou d'agir…

Souvenirs derrière moi ou non, cela ne changeait effectivement rien à ce qu'il s'était passé. Je soupirai.

— Ce n'était pas très évident, acquiesçai-je. Au début, j'étais très en colère mais, très vite, j'ai perdu l'énergie de me battre ou même d'objecter quoique ce soit, je veux dire… à la fois en cours et puis après même mentalement. Les punitions étaient nombreuses quand nous nous opposions et puis, à un moment, s'opposer devenait si coûteux, ne serait-ce que formuler des contre-arguments dans ma tête était difficile. J'étais juste fatiguée. C'était plus facile de ne pas écouter. Et puis, après, nous avions entendu ces choses tellement de fois qu'au final, j'avais complètement… Je ne sais pas, séparer les moldus dont elle parlait de ma mère et de ma famille.

— Comme si c'était deux entités distinctes ?

J'acquiesçai et il resta silencieux quelques secondes. Sa tasse était vide, sur la table basse, mais je n'avais pas grande envie de toucher à la mienne.

— Est-ce que cela te convient si nous continuons de parler de l'année dernière ? demanda-t-il d'une voix douce.

Je déglutis avant d'acquiescer à nouveau, quelque peu dans l'appréhension. Bien sûr, je m'attendais à ce que nous finissions par aborder ce sujet de discussion, mais l'année dernière avait été longue et je n'étais pas bien sûre de ce qui pouvait l'intéresser. Enfin, je n'étais pas bien certaine de ce que j'avais vraiment envie de me remémorer, si j'étais tout à fait honnête. Me souvenir de la sœur Carrow était déjà suffisamment déplaisant comme cela. Et puis, je n'avais pas vraiment parlé – ou même réellement pensé, à ces évènements depuis que nous en avions discuté avec mon père cet été. La sensation était toute aussi désagréable qu'elle l'avait alors été, toute aussi inconfortable que lorsqu'Alice mentionnait l'année passée entre deux histoires sur des élèves de je ne sais quelle maison.

— J'ai déjà discuté avec plusieurs élèves et professeurs, reprit le psychiatre, y compris un certain… Rusard ? Mais je me demandais comment tu définirais l'année passée.

— Définir ? répétai-je, confuse.

— Comment est-ce que tu expliquerais ce qu'il s'est passé à quelqu'un qui ne sait rien de ce qu'il s'est passé ?

— Je ne sais pas trop, soupirai-je. Je dirais qu'un mage noir a voulu prendre le contrôle de notre société et que, celle-ci étant structurée comme elle l'est, ça n'a pas été très compliqué pour lui de le faire.

Il acquiesça, silencieux, avant de s'installer au fond du fauteuil.

— Pourquoi penses-tu que Poudlard a été attaquée ?

— À cause de Dumbledore.

— C'est-à-dire ?

Je fronçai les sourcils et il continua aussitôt :

— Parce qu'il était le directeur, parce qu'il est mort… ?

— Oh, j'aurais dit les deux ? Enfin, je veux dire, sa mort n'aurait pas eu d'influence sur Poudlard s'il n'en avait pas été le Directeur.

— Si Dumbledore n'avait pas été le Directeur, tu ne penses pas que le château aurait été attaqué ?

— Je ne sais pas, peut-être pas de la même manière ? Poudlard est importante parce qu'il y avait un des plus grands sorciers de notre temps à sa tête pour la protéger. Dumbledore a souvent été perçu comme la réponse à la montée des Mages noirs, déjà à l'époque de Grindelwald, alors j'imagine que si j'étais un Mage noir, je voudrais rapidement le neutraliser. En étant notre Directeur, Dumbledore était à la fois ce qui nous protégeait et ce qui faisait de nous une cible importante. Après, c'est également vrai que c'est notre seule école, alors j'imagine qu'avoir de l'influence sur les élèves et leur formation est important pour maintenir un certain contrôle sur la société. Toute la future société sorcière britannique est réunie au même endroit durant sept ans.

— Tu fais une différence entre prendre le contrôle et maintenir le contrôle ?

— Une fois Dumbledore mort, Voldemort avait le contrôle. Il avait le Ministère. Il avait désorganisé notre société. Il n'avait pas de réponse très organisée face à lui. Nous n'avons pas d'armées ou je ne sais quoi, comme vous, ajoutai-je en repensant à la psychiatre. Et puis, nécessairement, à force de faire reposer toute notre société et sa stabilité sur l'existence de « Grands Sorciers », comme Dumbledore, ou d'individus-héros, comme Potter, eh bien, s'ils échouent, il ne reste plus rien. Tout s'est effondré très vite. Ce n'est pas pour gagner du pouvoir que Voldemort a pris Poudlard. Il l'avait déjà. Il avait juste besoin de maintenir son pouvoir dans le long-terme. Pour cela, il fallait nous influencer à son image auquel cas nous risquerions de nous opposer à lui. Si nous partagions sa vision des choses, alors la société sorcière britannique de demain servirait sa vision des choses. J'imagine que nos maisons lui ont beaucoup facilité le travail.

— C'est une position très réfléchie.

— J'ai beaucoup discuté avec mon père de tout cela, avouai-je, soudainement gênée. Nous avons passé la majorité de nos matinées à parler de ce genre de choses cet été.

Il acquiesça avec un sourire.

— Tu parles d'opposition à Voldemort, mais tu as fait partie de la résistance, pas vrai ?

— Oui. Comment le savez-vous ?

— Pour le nommer, tu utilises le nom de « Voldemort ». Les élèves qui n'ont pas résisté, et avec qui j'ai eu l'occasion de parler, le nomment toujours « Vous-Savez-Qui ». Est-ce que tu peux me parler un peu du quotidien dans la résistance ? Qu'est-ce que vous faisiez, généralement ?

— Au début, pas grand-chose. Ce n'était pas très organisé. Pendant longtemps, il n'y avait pas de résistance à proprement parler. Des élèves refusaient de faire certaines choses à certains moments, ou d'autres en aidaient en difficulté. C'était beaucoup d'actes individuels qui pouvaient être sévèrement réprimés par les mangemorts. Au bout d'un moment, les élèves un peu « perturbateurs » ont commencé à se soutenir mutuellement, des petits groupes se sont formés et nous avons commencé à faire quelques opérations de sabotage ou de sauvetage plus élaborées. Puis petit à petit, cela s'est un peu organisé autour de Londubat. À un moment, Londubat a décidé de complètement relancer l'AD. Plus le temps passait, plus nous arrivions à embêter les Carrow au point où nous n'étions plus juste des élèves « perturbateurs » mais de véritables ennemis. Les autres n'étaient plus en sécurité dans le château. Ils se faisaient parfois tirés hors du lit pour des broutilles, les Carrow jouaient beaucoup sur le sommeil et l'alimentation, alors ils sont allés se réfugier dans la Salle sur Demande pour éviter les pluies d'endoloris et les nombreuses missions de sauvetage qu'ils imposaient aux autres élèves dès qu'ils se faisaient prendre.

— « Les autres » ?

— Les autres maisons. Nous étions plutôt en sécurité dans nos dortoirs. Pas de mots de passe mais des énigmes. Il était plus difficile de venir nous y chercher. Les Carrow n'y sont jamais parvenus durant l'année, à part cette fameuse nuit, précisai-je aussitôt, et Rogue n'a jamais essayé. Ce n'était pas le cas des autres élèves.

— Donc vous étiez plus en sécurité que les autres élèves ?

— Oui et non. Une fois que nous étions dans la Tour Ouest, nous étions plus en sécurité que ne l'étaient les autres élèves dans leurs Salles Communes respectives, mais pour autant… entrer à l'intérieur de la Tour était compliqué. Là où les élèves en fuite pouvaient simplement dire le mot de passe pour se mettre à l'abri, enfin un abri tout relatif mais tout de même, les Carrow ne faisaient plus les malins une fois confrontés à la vingtaine d'élèves présente à l'intérieur des dortoirs qui défendaient le malin qui s'y était réfugié, eh bien… nous devions réfléchir vite et sous pression pour résoudre l'énigme. Nous étions vulnérables dans le couloir pendant ce temps.

— Cela semble presque impossible à faire si vous êtes sous pression… Entre le risque, le manque de sommeil, le stress, et la probable faible alimentation…

— Quand nous avons… Enfin, quand les choses commençaient à aller un peu mieux et qu'un certain… je ne sais pas… sens du collectif était revenu, nous avions mis en place certaines procédures. Au début, nous voulions simplement que quelqu'un reste derrière la porte pour nous ouvrir sans avoir à répondre à l'énigme mais cela semblait trop dangereux, un mangemort pourrait utiliser un élève pour entrer. Au lieu de voir cela comme un problème, nous avons commencé à le voir comme un avantage. La difficulté des énigmes était tout aussi problématique pour nous que pour les mangemorts. Nous ne réfléchissions jamais à l'énigme devant la porte, pour éviter que certains puissent s'y faufiler lorsque nous y entrions, et nous faisions en sorte qu'aucun petit ne se retrouve seul dans les couloirs.

Peut-être Peter avait-il raison d'être inquiet à l'idée que les plus jeunes s'amusaient à laisser la porte de notre Salle Commune ouverte. Peut-être aurais-je dû m'en inquiéter également. Au moins, cela signifiait peut-être que les plus jeunes ne se sentaient plus en danger à Poudlard… ou alors que notre Salle Commune n'était plus, à leurs yeux, l'havre de paix qu'elle avait alors été, procurant sentiment de sécurité et protection. Je secouai la tête et le psychiatre conclut :

— Vous rentriez dans vos dortoirs en « groupe ».

— C'est ça. Nous avons également tenté de comprendre les énigmes que le heurtoir nous posait et de trouver des règles générales pour aller plus vite une fois confrontés à une énigme.

— Oh, c'est très ingénieux.

— Corner et Emily ont eu l'idée. Nous avons listé toutes les énigmes dont nous nous souvenions, ainsi que leurs réponses, et notions toutes celles que le heurtoir posait. Ensuite, nous essayions de trouver des ressemblances. Par exemple, les « que suis-je » sont souvent structurées de la même manière. En ayant une vue globale des énigmes, nous avons dégagé quelques règles générales. Le heurtoir se base sur certains présupposés que nous avons pour nous piéger. Nous arrivions ainsi à les résoudre bien plus rapidement en évitant les pièges habituels.

Il eut un grand sourire.

— Vous avez fait la rencontre des mathématiques, s'amusa-t-il avant de se reprendre. Vous n'avez pas rejoints les autres ?

— Si, mais pas en même temps. Certains l'ont fait parce qu'ils n'avaient plus trop le choix, ils étaient devenus une cible trop importante pour les Carrow. Pour les autres, nous nous sommes dit que c'était mieux de ne pas trop nous séparer.

— Comment est-ce que tu as trouvé ces deux semaines dans la salle sur demande ?

— C'était pleins de gens entassés et il n'y avait aucune réelle intimité. Il était impossible de vraiment se reposer. Nous dormions à peine et vraiment très mal. Les gens étaient fatigués, ils étaient sur les nerfs, en colère ou complètement terrifiés, ils avaient faim, c'était une ambiance particulière. À vrai dire, les dortoirs et mon lit me manquaient beaucoup.

— Ce n'est pas ta maison qui te manquait, mais les dortoirs ?

— Oui. C'est un peu la même chose à Poudlard. Je veux dire, la maison et les dortoirs, précisai-je rapidement. La maison me semblait de toute manière bien trop éloignée et inaccessible pour véritablement y penser. Je n'y pensais simplement pas, en fait. Tout tournait autour de Poudlard, notre monde entier tournait autour des mangemorts. Rien n'existait, en-dehors, que la Guerre.

— En parlant de Guerre, tu n'y as pas participé, rappela-t-il, mais étais-tu dans la Grande Salle lorsque Parkinson a proposé de livrer Harry Potter à Voldemort ?

La spécificité de la question me prit au dépourvu. De toute évidence, il avait déjà discuté longuement avec beaucoup d'autres préfets – ou élèves.

— Oui, répondis-je enfin. McGonagall nous avait tous réunis à ce moment-là. C'était avant la Bataille Finale, le moment déclencheur de tout le reste, d'une certaine façon.

— De tout le reste ?

— Honnêtement, sans Parkinson, je ne sais même pas si les élèves mineurs auraient été envoyés chez leurs parents. C'est après son intervention que les professeurs ont activement commencé à nous escorter. D'une certaine façon, elle a mis tout le monde en mouvement.

— Pourquoi est-ce que tu as ce sentiment ?

— Je ne sais pas, soufflai-je en haussant les épaules. C'est juste qu'elle a fait un choix. Enfin, en tout cas, elle a verbalisé son choix de ne pas combattre. Avant, la question ne s'était pas posée. Personne ne nous avait rien demandé. Soit on était majeurs, soit on ne l'était pas. L'idée de vouloir combattre ne s'était pas vraiment posée. Quand Voldemort a fait cette « proposition » et que Parkinson s'est opposée à la résistance et que tous les autres se sont levés pour protéger Potter, ça m'a rappelé que combattre était un choix. Et puis, d'un coup, ceux qui voulaient combattre pouvaient rester et, les autres, partir. Ce n'était plus juste une question d'être majeurs ou non. Enfin, à part pour les Serpentards, eux n'ont pas eu le droit de choisir, complétai-je rapidement.

— Tu aurais voulu combattre ?

— Je ne sais pas. Une partie de moi, oui, l'autre était très contente de retrouver mon père et de savoir les filles en sécurité. Avec le recul, je crois que je suis juste contente de ne pas m'être retrouvée dans cette position.

— Qu'est-ce que tu penses de celle de Parkinson ?

Je fronçai les sourcils, peu certaine de comprendre ce qu'il attendait réellement et il continua :

— Lorsque j'ai discuté avec certains rouges, ils ont souvent dépeint ce moment comme un moment d'extrême importance dans leur ressentiment envers les verts. Beaucoup se souviennent encore de la table vide des verts. Ils me racontent très précisément qui était où, quelle table était plus remplie que les autres, sur quels élèves votre Directrice a crié parce qu'ils voulaient rester alors qu'ils n'étaient pas majeurs. L'image de la proportion des élèves présent aux tables semble être assez forte dans l'esprit de certains. D'ailleurs, il me semble que les bleus étaient parmi les moins nombreux à être restés.

J'étais bien trop stressée à ce moment-là pour faire attention à la répartition des élèves dans la Grande Salle. J'aurais bien été incapable de savoir qui était resté et qui l'avait quitté. Mais cela devait participer aux réactions disproportionnées de Griffin, la dernière image qu'il avait eu avant la Bataille Finale avait été celle-ci ; à l'exception près qu'il oubliait volontairement que Parkinson avait condamné l'entièreté de ses camarades, que la table des Serpentards n'avait pu être autre chose que vide, et que ce n'était très certainement pas à des enfants, de prime à bord, de mener le combat des adultes. Au fond, il refusait toujours cette réalité et l'importance du « courage » chez les Gryffondors ne devait pas aider les quelques idiots qui restaient à passer à autre chose.

— Elle était juste naïve. Je ne vois pas bien ce qu'il y a d'autre à dire.

— Naïve ?

— Elle devait penser que Voldemort tiendrait sa parole et que les choses iraient mieux pour tout le monde en sacrifiant une seule vie. Peut-être qu'elle ne pensait qu'à elle et sa propre survie, peut-être qu'elle pensait qu'il valait mieux une vie prise pour 300 autres sauvées, je ne sais pas. Je n'étais pas dans sa tête. Je trouve ça un peu facile de lui en vouloir pour ça, même si elle était motivée que par sa propre survie. Nous l'étions tous, l'année dernière. Le problème, c'est d'avoir été mise dans cette position.

— Ce que tu dis m'a l'air, à nouveau, très structuré. Est-ce ce que tu as pensé sur le moment ou est-ce ce que tu penses maintenant, avec le recul ?

— Non, sur le moment j'ai été très en colère et je me suis sentie trahie. Elle voulait réduire à néant tout ce que nous avions fait dans la résistance. Elle voulait laisser Voldemort gagner. Elle voulait laisser les moldus mourir.

Rien que d'y repenser, l'émotion me revînt brusquement et je secouai la tête, la chassant aussitôt. Le psychiatre qui, définitivement, devait aimer le silence, ne rebondit pas tout de suite, perdu dans ses pensées. Au bout de ce qui me sembla être une éternité, il finit enfin par reprendre la parole.

— Tu disais que vous étiez tous motivés par votre propre survie l'année dernière, est-ce que tu peux revenir sur le parallèle que tu fais entre Parkinson et la résistance ?

— Je ne sais pas. Je sais bien que résister était la bonne chose à faire, je veux dire, je le sais intellectuellement parlant, et je le réalisais bien à l'époque, mais, pour autant, je ne peux pas dire que j'ai rejoint à la résistance par courage ou parce que c'était la bonne chose à faire. C'était simplement par survie, alors ça n'a vraiment rien de très héroïque.

— Tu sais que je vais te demander ce que tu entends par là, pas vrai ?

Je jouais un instant avec mes doigts, nerveuse. Je n'étais même pas bien sûre de savoir par où commencer et puis mon ventre me serrait à nouveau. La dernière fois que j'avais parlé de cela, c'était cet été. À cet égard, rien n'avait réellement été très agréable durant la période estivale. Le Dr. Wright laissa, à nouveau, le silence s'installer et je finis par soupirer, mes pensées quelque peu ordonnées.

— J'avais l'impression d'être en train de… je ne sais pas, disparaître ? Comme si quelque chose en moi allait mourir si je ne faisais rien. Et puis, au-delà de ça, je voyais bien chez ceux qui lançaient des endoloris que quelque chose n'allait pas, ils étaient si vides, les Deuxièmes Années leur ressemblent un peu pour cela d'ailleurs. Je crois qu'à un moment, je me suis un peu vue en eux ? Je ne sais pas, c'est idiot. Je me sentais tellement… je ne sais pas, pas moi, que j'avais peur de finir par complètement oublier qui j'étais. Et c'était vraiment terrifiant, alors j'ai rejoint la résistance avant de devoir être confrontée à certaines choses. J'avais l'impression que ça me permettrait de rester moi, d'une certaine façon. C'est assez stupide, quand on y pense.

Je soupirai et il sourit doucement.

— C'est au contraire très censé. Est-ce que tu penses que les autres élèves voient les choses comme cela également ?

— De toute évidence, certains Gryffondors pensent avoir résisté par courage.

— Et tu penses qu'ils ont raison de le croire ?

— Je pense que l'image de leur maison leur fait interpréter les faits différemment. Peut-être que le fait d'appartenir à une maison qui dit sélectionner ses élèves sur la base du courage fait qu'ils ont tendance à interpréter les situations par un courage… je ne sais pas, individuel ? Comme si le contexte n'avait pas joué, ils ont juste résisté parce qu'ils sont des personnes courageuses et pas parce que, sur le moment, c'était la solution la plus viable qu'ils avaient pour survivre.

— Tu as l'air d'en être assez sûre.

— Ils n'ont pas résisté tout de suite. Pour eux aussi, il a fallu que quelque chose se casse avant de relancer l'Armée de Dumbledore.

— Tu n'as pas tout de suite répondu présente alors ?

Je secouai la tête.

— Non. Ca semblait… coûteux ? Je ne sais pas, le début d'année avait pris tout le monde par surprise. C'était assommant. Comme si ils avaient réussi à tous nous éteindre d'un coup. Je n'avais même plus l'énergie de savoir où j'étais alors rejoindre la résistance semblait… si loin et inaccessible. Et puis les Carrow ont commencé leurs jeux, les premiers endoloris ont été lancés par des élèves, il y a eu les premières vacances et, quelques temps après, l'AD a été relancée.

— Est-ce que tu penses que tu pourrais m'illustrer, selon ce que tu as vécu, comment les mangemorts s'en prenaient pour « tous vous éteindre d'un coup » ? Tu n'es pas obligée, si cela est trop difficile. Nous pouvons tout à fait parler d'autre chose.

— Je ne sais pas, mes souvenirs sont un peu… flous ? J'ai l'impression de me souvenir et de ne pas me souvenir pas à la fois. Je me souviens du sentiment général mais pas de faits précis.

— C'est normal, le manque de sommeil et les grosses périodes de stress que vous aviez dû connaître à l'époque ont dû rendre compliqué l'encodage des informations. Vous a empêché de mémoriser correctement, expliqua-t-il aussitôt. Parfois, dans ce genre de moments, on peut se souvenir à posteriori de petits détails qui peuvent paraître un peu anodins mais qui, quand on considère qu'ils n'étaient que des petits détails dans une vie quotidienne remplie d'autres de ces petits détails, donnent une bonne idée de ce que pouvait être le reste.

Si j'avais l'impression qu'il existait une multitude d'illustrations qui pouvaient l'intéresser, je n'arrivais pour autant pas à me souvenir précisément de quoique ce soit. Tant de choses s'étaient passées que mon cerveau n'avait probablement même pas intégré et je me retrouvai vite perdue au milieu des quelques souvenirs qu'il me restait. Et puis, soudain, un détail. C'était quelque chose d'anodin, mais c'était ce qu'il souhaitait, après tout.

— Durant les premières semaines de l'année, les mangemorts ont progressivement arrêté d'utiliser nos noms lorsqu'ils s'adressaient à nous en classe ou dans les couloirs. Ils utilisaient différentes choses, comme l'ascendance ou des détails sur la vie des élèves. Certains élèves ont suivis le mouvement et utilisaient parfois les mêmes appellations.

— Qu'est-ce qu'ils utilisaient pour toi ?

— Je ne suis pas sûre d'avoir envie d'en parler.

— Pas de soucis. Je ne t'interromprai plus.

— Les autres professeurs, eux, utilisaient toujours nos noms mais du coup, c'était un peu déstructurant. À un moment-donné… hm… Flitwick m'a interpellée en classe. Il a utilisé mon nom et je ne me suis pas tout de suite rendue compte qu'il s'adressait à moi. J'entendais clairement qu'il disait « Jonsson », ce n'est pas que je n'étais pas concentrée ou que je n'écoutais pas, mais plutôt… je ne sais pas, comme si ce nom avait perdu tout son sens. Je ne comprenais pas pourquoi il répétait ce mot qui ne voulait rien dire. Ca m'a vraiment fait bizarre. En fait, ce qui m'a fait encore plus bizarre, c'est quand je m'en suis rendue compte à la fin de la journée… quand j'ai réalisé que cette matinée-là, je n'avais même pas reconnu mon propre nom. Ca m'a terrifiée.

— Ce qui t'effrayait le plus était de te perdre ?

— Oui, je pense.

— Est-ce que tu avais peur pour ta vie physique également ?

— Je ne crois pas non. Je sais que c'était le cas pour d'autres élèves, mais ce n'était pas vraiment mon cas. Je n'avais pas l'impression de risquer ma vie à proprement parler.

— Est-ce que tu as besoin de faire une pause ?

Je secouai la tête, avant de prendre – enfin, la tasse qui m'avait été adressée par l'Elfe de Maison sur la table basse. Le moldu me laissa boire un instant le liquide déjà refroidi – il était vrai que c'était un très bon thé, et je reposai la tasse sur la table.

— Tu recontextualises beaucoup tes propos dans le temps. Par exemple, tu utilises beaucoup « au début de l'année » ou ce genre d'éléments pour situer temporellement ce que tu dis. Est-ce que tu pourrais m'expliquer ce découpage temporel que tu fais ? Il a l'air assez important à tes yeux pour que tu prennes le temps de le préciser.

— Au début de l'année, c'était chacun pour soi. Enfin, par début de l'année, je veux dire jusqu'aux vacances de Noël. C'était la pire période… à mes yeux, ajoutai-je rapidement. J'avais l'impression de ne plus vraiment… Je ne sais pas, exister ? C'est bizarre à dire. J'étais là, mais je n'existais plus vraiment. Tout était fait pour que l'on s'oublie. Notre nom, nos habitudes, nos passions, nos amis. Il ne restait plus grand chose, je n'avais même plus l'énergie, ou l'envie, de vraiment discuter avec Alice. Tout était fait pour que l'on s'oppose les uns aux autres. Les oppositions entre maisons, les punitions généralisées injustes qui réprimandaient tout un groupe à cause d'une seule personne, la distribution des points… J'imagine que rester autant à Poudlard a permis aux mangemorts d'avoir beaucoup plus d'influence sur nous. Nous étions coupés de tout, d'une certaine façon, sans possibilité de sortir de cet environnement hostile. Et puis, le sentiment s'est un peu estompé après les vacances. Une fois l'influence des mangemorts un peu dissipée par les vacances et… je ne sais pas, le fait de s'être retrouvé soi-même, d'une certaine façon, à la maison, eh bien un certain sens du collectif est revenu. D'un coup, il est devenu plus facile d'imaginer pouvoir à nouveau s'opposer et les punitions des Carrow semblaient bien moins terrifiantes.

À nouveau, il se perdit dans son esprit – je jurerai même le voir acquiescer à ses propres pensées plusieurs fois. Malgré notre discussion, il y avait toujours un point que nous n'avions pas abordé et un changement de sujet ne me semblait pas de trop. J'inspirai et arrêtai de jouer avec mes doigts. Je n'osais pas trop l'interrompre, mais il finit par lever les yeux vers moi et je m'engouffrai aussitôt dans l'ouverture.

— Qu'est-ce que veut dire « population » dans ce contexte ? demandai-je.

Il comprit tout de suite à quelle discussion je faisais référence et se repositionna dans son fauteuil, pas l'air ennuyé le moins du monde de mon changement de sujet.

— Les personnes qu'Elizabeth suivait, leur point commun.

— Et qu'est-ce que c'était ?

Il inspira.

— Eh bien, principalement des enfants et des jeunes adolescents.

— Pourquoi est-ce qu'elle ne parlerait pas d'enfants ou d'adolescents ? demandai-je, confuse.

— Des enfants et des jeunes adolescents victimes de trafic sexuel, précisa-t-il. À l'époque, ta mère devait avoir fini ou devait peut-être juste finir sa thèse et tu étais, je pense, à peine née, il y avait beaucoup de trafics sexuels d'enfants à une échelle parfois importante dans plusieurs villes du pays. Ta mère avait été contactée par une travailleuse sociale pour prendre en charge les rares, voire très rares, enfants qui arrivaient à sortir de ces cercles.

— Qu'est-ce que vous appelez trafic sexuel ?

— Oh. La criminalité est une chose à laquelle nous n'avions pas pensé avec Cecilia. Il est vrai que vous semblez avoir une association entre criminels et magie noire qu'il nous faudra creuser. Quoiqu'il en soit, reprit-il rapidement, il s'agit d'une forme de trafic d'êtres humains.

— Comment des humains peuvent-ils être trafiqués ?

— Vous aviez des rafleurs, non ? Le Ministère payait lorsqu'on lui ramenait certaines personnes. C'est une forme de trafic humain : on fait captifs des personnes, en leur retirant la liberté, les papiers, l'identité, par la ruse ou la force, peu importe. Et on les traite comme une marchandise à échanger ou vendre. Il peut se faire pour plusieurs raisons. Chez vous, c'était le contrôle des populations et le maintien du pouvoir en place, mais il y a d'autres raisons. Ca peut être le fait de vouloir une force de travail gratuite, mais ça peut être des choses plus… perverses, comme le fait de vouloir faire subir certaines choses à ces personnes que l'on a « acheté ». Parfois, c'est de la violence et de la torture, des formes d'humiliations, parfois ce sont des actes sexuels, souvent les deux.

— Sur des enfants ? répétai-je.

— Je n'imaginais pas du tout que notre discussion finirait par aboutir à ce genre de sujet, mais oui, Eyrin. L'être humain est capable des meilleures comme des pires choses. Tu peux comprendre pourquoi Elizabeth n'était pas des plus transparentes à ce sujet.

Ce dont le psychiatre parlait me paraissait bien trop surréaliste pour que mon cerveau en prenne la juste mesure. Et puis, cela me fit surtout penser à une autre situation.

— Le mariage arrangé en fait partie ?

Il sembla surpris et s'arrêta de bouger quelques secondes. Je déglutis. C'était la première fois qu'il réagissait aussi ouvertement à quelque chose que j'avais dit et je n'étais pas bien sûre qu'il s'agissait d'une bonne chose.

— Normalement, non, répondit-il enfin. Le mariage arrangé, pour qu'il soit justement « arrangé », doit être souhaité par les deux partis, en tout cas chez nous. S'il ne l'est pas, c'est un mariage forcé et on entre effectivement dans une des nombreuses formes de la traite humaine.

— Mais comment savoir si la personne le veut vraiment ? Je veux dire, si le mariage est arrangé, c'est bien parce qu'il y a des pressions nécessitant le mariage entre deux familles. Sans ces pressions, la question du mariage arrangé ne se poserait pas en premier lieu. Comment peut-on être sûr qu'une personne souhaite véritablement cet accord, alors que l'existence-même de l'accord dérive d'une nécessité extérieure ?

— Tu as une très bonne notion du consentement et des rapports de force pour ton âge. Je reconnais ici le travail d'Elizabeth. Certains de nos étudiants peinent à accepter qu'en tant que médecins, ils seront pris dans un rapport de force qui peut fausser le consentement du patient. On ne peut pas, ajouta-t-il rapidement, répondant à ma question. De toute évidence, tes questions ne sont pas anodines. Est-ce à propos des Sang-Purs ? J'ai discuté avec la préfète des verts…

— Harper. Et Serpentard.

— La préfète de Serpentard, donc. Le consentement peut effectivement se fabriquer, si cela est ta question sous-jacente. Cela est vrai pour tout, tu sais. Le mariage arrangé est un exemple, mais il y a pleins de cas de figure où il est difficile de faire la part des choses entre la manière dont le contexte nous incline à vouloir telle ou telle chose et le fait de le vouloir réellement. Nous sommes parfois pris dans des rapports de force qui nous dépassent, dans des rapports de force que nous ne voyons même pas, très souvent, et nous sommes parfois capables de nous raconter pleins de choses qui nous donnent l'impression d'avoir décidé de faire quelque chose quand ce n'est pas le cas.

C'était une parfaite description des histoires que les Parker racontaient à leurs enfants.

— Alors le plus simple, ce serait simplement de ne pas créer les conditions qui amèneraient à la nécessité du mariage arrangé ?

Il eut un petit sourire avant de nous resservir du thé.

— Effectivement. Cela me rappelle, qu'à l'époque, Elizabeth a fait partie de celles et ceux qui ont fait pression sur les élus locaux et la police pour qu'ils prennent en considération le problème posé par le trafic sexuel des enfants dans nos villes.

— Je me souviens qu'elle râlait beaucoup sur le système et les institutions avec mon père quand ils débattaient dans la cuisine.

— Donc elle parlait de son travail.

— Oui, mais pas, enfin… j'imagine, oui, bredouillai-je complètement rouge.

— Tu sais, Eyrin, je ne suis pas ici depuis très longtemps mais je n'ai pas entendu beaucoup d'autres élèves utiliser un vocabulaire aussi chargé de sens que le tien. Je ne crois pas qu'un seul élève, ou même professeur, a émis l'idée que la société sorcière ou Poudlard auraient dû être organisés différemment pour éviter la montée au pouvoir des mangemorts. Le problème, c'est toujours un certain… Fudge ? qui n'a pas cru un certain Potter ou Dumbledore, selon les versions, ajouta-t-il rapidement.

Mes joues ne perdirent plus leur couleur devant ce qu'il sous-entendait et j'acquiesçai lentement. Le sentiment était à la fois réconfortant et terrifiant. Peut-être mon père avait-il raison lorsqu'il disait que je lui rappelais maman ; enfin, peut-être qu'il ne disait pas cela juste parce que je n'aimais pas manger du yaourt blanc à n'importe quelle heure de la journée et que je préférais manger mes lasagnes une bonne fois pour toute plutôt que des minis portions tout au long de la journée. Les suédois mangeaient vraiment n'importe comment.

— Est-ce que je peux prendre ma casquette… ou ma cape de psychiatre un instant ?

Il eut un grand sourire, visiblement satisfait de son jeu de mot, et j'acquiesçai, légèrement préoccupée par ce que ce qu'une cape de psychiatre pouvait donner, moi qui pensait naïvement qu'il l'avait déjà enfilée. Il se pencha légèrement en avant.

— Serait-il possible que tu confondes les questions que tu te sens coupable de ne pas lui avoir posé sur son travail, commença-t-il avant de faire une courte pause, avec celles que tu aimerais encore avoir l'occasion de lui poser ?

Je ne m'attendais pas à ce genre de question et les larmes me montèrent aux yeux avant-même que je comprenne réellement ce qu'il sous-entendait. Je les essuyai rapidement.

— Elle me manque vraiment beaucoup, surtout en ce moment, mais l'année dernière… hm… j'étais… je ne sais pas, soulagée ? qu'elle ne soit plus avec nous. Enfin, elle me manquait beaucoup mais parfois j'étais juste vraiment soulagée qu'elle…

— … ne connaisse pas tout ça.

J'acquiesçai.

— Tout le monde était inquiet pour leurs proches et Emily était si terrifiée pour Theo et j'étais juste rassurée qu'elle n'ait pas à vivre… je ne sais pas… dans la peur que le Ministère vienne ou quelque chose ou que la situation s'empire. Enfin, peut-être que j'étais juste rassurée de ne pas devoir m'inquiéter pour elle. Je ne sais pas. C'est vraiment égoïste quand on y pense.

— C'est tout à fait normal, tu sais. Nous ne voulons pas que les gens que nous aimons souffrent. Tu n'as pas de raison de te sentir coupable de penser ce genre de choses.

Je récupérai mon mouchoir en tissu dans ma cape pour me moucher et en profitai pour retrouver quelque peu mes esprits. Après un silence bienvenue, le psychiatre enchérit :

— Qu'est-ce que cela veut dire que le Ministère vienne ?

— Je ne sais pas, répondis-je, plus calme. Nous ne savions pas grand-chose l'année dernière, alors il y avait pleins de rumeurs qui circulaient. Ils vérifiaient les origines sorcières jusqu'à des générations en arrière, les Nés-Moldus n'étaient vraiment pas dans une bonne situation, et honnêtement, on entendait jamais parler du sort qu'ils réservaient aux moldus qui étaient avec des sorciers. Le silence était vraiment terrifiant. Alors des rumeurs ont commencé à circuler.

— Un de tes camarades m'a parlé du fait qu'il avait peur que le Ministère vienne « oublietter » ses parents moldus et qu'ils ne le reconnaissent plus lorsque la Guerre serait finie. Est-ce que c'est de ce genre de choses dont tu parles également ?

J'acquiesçai, surprise d'apprendre que Peter ait pu éprouver ce genre de crainte. Je n'avais jamais trop pensé à ce que cela avait été pour lui, avec deux parents moldus.

— Tu as deviné de qui je parlais, pas vrai ? fit aussitôt le Dr. Wright.

— Je crois oui, il n'y a pas tant de Nés-Moldus que cela, vous savez.

Il soupira en tapant des doigts sur la table basse.

— C'est une bonne chose que vous acceptiez de nous parler avant que l'on fasse ce genre d'erreurs à grande échelle. Vous pouvez reconnaître les élèves à leur ascendance, c'est un point que nous ne devons vraiment pas négliger avec Cecilia.

— Pour les Nés-Moldus et les Sang-Purs, surtout, précisai-je.

— Ce sont donc les Sang-Mêlés qui sont la catégorie la plus répandue ?

— Oui. À part pour les gens comme moi. Je veux dire, les Sang-Mêlés dont un parent est moldu. Les Sang-Mêlés qui ont deux parents sorciers sont un peu plus privilégiés dans notre société.

— Eyrin, si je peux me permettre et j'entends très bien que je dépasse une certaine limite ici, mais j'ai l'impression que tu as besoin d'entendre ce genre de choses, ajouta-t-il d'une voix particulièrement sérieuse, tu es la fille d'une universitaire et d'un diplomate, tu ne peux pas te soustraire à celles et ceux qui sont privilégiés.

— Notre société est hiérarchisée selon la pureté du sang, rétorquai-je. Et puis vous ne pouvez pas nier que vivre dans un foyer entièrement sorcier favorise aussi bien les usages de la magie que l'intégration dans notre société. Nous ne pouvons pas faire de magie très aboutie lorsque l'électricité est présente autour de nous, alors les foyers dans lesquels vivent des moldus ne sont généralement pas très imprégnés de magie. Et il est plus difficile pour un couple de s'intégrer au même titre que les autres quand l'un des membres du couple mène une double vie dans une autre société dévalorisée aux yeux de la première.

Il arrivait que les filles me parlaient d'histoires ou de pratiques que je ne connaissais pas. Après tout, mon père ne connaissait pas toutes les traditions sorcières anglaises et, sans Alice, il est évident que nous n'aurions jamais fait certaines activités sorcières. Pour autant, j'étais bien plus perdue encore lorsque je discutais avec mes cousins ou mes grands-parents, et je ne m'étais jamais vraiment associée aux moldus indépendamment de ma mère. S'il m'avait toujours semblé évident que j'étais sorcière, mon rapport aux moldus n'était peut-être pas aussi simple que je le pensais. Peut-être, même, était-ce pour éviter ce décalage, ou cet entre-deux étrange, que ma mère ne s'était pas beaucoup épanchée sur sa vie moldue. Ca, et, de toute évidence, le fait que j'étais alors une enfant.

— Certes, appuya le psychiatre alors que je l'avais complétement oublié. Je ne le nie pas et tu as parfaitement raison. Cela dit, c'est concevoir votre société d'une manière extrêmement unidimensionnelle et, entre nous, ton analyse prouve justement que tu es très privilégiée par rapport à tes camarades. Ta mère n'était peut-être pas une sorcière, et tu n'as peut-être pas un sang qui est pur, mais cela ne change rien au fait que tu sembles avoir grandi dans un environnement familial très structurant. Je conçois que, par chez vous, les Sang-Purs ont un grand pouvoir, surtout politique d'ailleurs si j'ai bien compris, et que la plupart des activités sorcières sont impossibles, de facto, à un membre de la famille moldu, mais cela ne change rien à ta situation. Regarde ce qu'il s'est passé au trimestre dernier : tu as compris et, plus que ça, pris la juste mesure de la situation précisément parce que tes parents t'ont éduquée de la façon dont ils t'ont éduquée. Ton père a visiblement été très bon cet été, d'autres n'ont pas eu la chance d'avoir un parent capable de gérer aussi bien les évènements pour leur enfant, tu sais. Beaucoup de tes camarades ont dû faire le deuil d'un parent cet été. Et, de plus, tous les parents ne peuvent pas se permettre de discuter des matinées entières avec leur enfant parce qu'ils doivent aller travailler. Ca demande d'avoir le temps, déjà, et de ne pas voir un métier trop fatiguant, ça demande au parent de comprendre la gravité de ce qu'il s'est passé et de pouvoir, à son niveau, la gérer, parce que savoir son enfant dans cette situation est difficile quand on est parent. Certains parents ne pourraient pas revenir ainsi sur les situations dans lesquelles leurs enfants ont étés, cela leur rappelle bien trop leur impuissance et leur responsabilité vis-à-vis d'eux. Ce n'est pas quelque chose qui est évident. Il est clair que cela t'a permis de gérer les évènements d'une manière bien plus efficiente que d'autres de tes camarades. Et, de toute évidence, Elizabeth t'as transmise sa notion très aigue de responsabilité collective, même si tu ne le réalises peut-être pas encore. Le simple fait que tu sois capable de structurer ta pensée est déjà une grande facilité que tu as de par ton éducation. Il y a des ados de ton âge qui n'arrivent pas à structurer autant leur vision du monde. Il y a mêmes des adultes parfaitement finis qui seraient incapables d'être aussi structurés. Tu n'as peut-être pas le prestige d'un sang pur, mais cela ne signifie pas que tu n'es pas parmi les plus privilégiés de tes camarades. C'est d'ailleurs parce que tu as eu, de par ton éducation, les outils pour comprendre pleinement la situation que tu as pu la comprendre. Ce sont des outils que bien d'autres n'ont pas et qu'ils devront développer par eux-mêmes, s'ils en ont l'occasion.

Peut-être avais-je fait exactement ce que je reprochais à notre Ministère ; croire que notre société ne se résumait effectivement qu'à nos usages de la magie. Nous avions internalisé que nous ne constituions une société que parce que nous étions sorciers. Sans magie, nous n'étions alors qu'un amas de personnes sans lien les unes avec les autres. Si j'admettais que le rôle du Ministère pouvait très bien être d'élaborer des lois pour protéger les sorciers, indépendamment de l'implication ou non de magie, alors il y avait également d'autres façons de se structurer ; quelque chose qui ne reposait pas sur les usages de la magie – ou la pureté du sang. Les familles comme celle des Parker utilisaient la magie pour se maintenir à leur place, mais cela ne sous-entendait pas pour autant qu'il n'y avait pas d'autres façons de faire. Peut-être, même, était-ce jouer le jeu de ceux qui avaient le pouvoir que de continuer à croire que nos usages de la magie étaient la seule chose qui nous liait, le seul domaine que nous devions réguler, et le seul marqueur social que nous pouvions utiliser pour hiérarchiser notre société.


[NdA]

Certains souvenirs sont volontairement erronés ou suffisamment flous par rapport aux éléments du livre, Eyrin en fait une interprétation subjective plus qu'elle rappelle des faits réels - enfin, c'est la mémoire humaine quoi (déjà, il y a ma mémoire à moi, bien défaillante, et ensuite celle d'Eyrin).

Par exemple, lorsque Wright lui demande pourquoi Poudlard a été attaquée, elle confond la prise de pouvoir des mangemorts (suite à la mort de Dumbledore) et la Bataille Finale (qui s'est déroulée à Poudlard à cause de la présence de Harry à Poudlard), tout simplement parce que, comme d'autres élèves, la prise de pouvoir des mangemorts représente l'attaque de Poudlard : c'est à partir de cette prise de pouvoir que tout a changé autour d'eux. Faisant partie de la résistance, la Bataille Finale conclut une année de Guerre plus qu'elle représente une attaque du château en soi (qui était déjà sous attaque et qu'ils défendaient déjà). Elle confond également certains éléments avec Parkinson.