Chapitre 32

Deuxième semaine de janvier


Cette nouvelle semaine commençait par une réunion entre préfets. J'arrivais devant la salle avec quelques minutes d'avance mais ne pris pas le risque d'y entrer ; une discussion animée y avait déjà lieu. La porte n'était pas totalement fermée et je jetai un rapide coup d'œil par l'interstice, jurant reconnaître la voix de Miller. Il y était effectivement, accompagné des capitaines des équipes de Gryffondor et Serpentard, ainsi que de leurs préfets – à l'exception de Griffin.

— N'abusez pas non plus, dit Weasley. Je suis d'accord pour apaiser la situation, mais il ne s'agit pas non plus de nier certaines tendances à Serpentard.

— On y revient, soupira Glenn.

— Oui, on y revient, asséna Weasley.

— L'incident avec Jonsson…, commença Nast.

— … n'était très certainement pas un « incident », coupa la rousse. C'était prémédité. Je ne sais même pas pourquoi je suis ici, ajouta-t-elle en direction de Miller. Notre équipe n'a jamais démontré de comportements antisportifs à ce que je sache. Si tu as peur que l'on faute sur leur gardien ou Parker, soit rassuré, ça n'arrivera pas. Mes joueurs n'ont pas besoin de tricher pour gagner.

— Tu as gardé vos batteurs, enchérit Miller, ceux-là même qui ont tabassé leur propre équipier après notre match.

— Oh, donc je suis là pour justifier mes choix auprès de vous ?

— Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je veux juste m'assurer que nous sommes tous d'accord, ici, que ce match doit se dérouler sans incident. Ni celui du type de Jonsson, précisa-t-il en lançant un regard accusateur à Nast, ni celui du type de vos batteurs, ajouta-t-il en se tournant vers Weasley.

— Je pense que Nast a, depuis, compris que notre attrapeuse était suffisamment douée pour que nous n'ayons pas à recourir à des ruses moralement questionnantes, enchérit Harper. Il s'est même excusé auprès de Jonsson.

Je levai les yeux au ciel ; c'était franchement malhonnête, ses excuses avaient été aussi spontanées que devait l'être Lilith dans un gala important.

— Ouais, parce qu'on va tous aller vraiment très loin avec des excuses, rétorqua Weasley en me tirant un sourire. C'est notre problème si notre équipe s'effondre, ajouta-t-elle, je ne vois pas bien en quoi ça vous regarde, mais si c'est ça qui t'inquiète, Miller, soit rassuré, ça n'arrivera plus.

— Ce n'est plus « votre » problème lorsque vos adversaires doivent vous séparer, que l'école entière assiste à cet effondrement et que la moitié de vos élèves essayent ensuite de réaffirmer leur fierté par des comportements déplorables dans les couloirs. Ce match a eu beaucoup plus d'influence dans ce qu'il se passe dans ce château, y compris dans ta propre Salle Commune, que tu ne peux le percevoir, Weasley. Les équipes de Quidditch représentent les Maisons, essayons de nous montrer à la hauteur.

— Percy aurait adoré être préfet cette année, soupira Weasley. Tellement de réunions. Tellement de discussions. Tellement de pseudo-responsabilités. Il aurait enfin trouvé des gens qui se prennent autant au sérieux que lui. Heureusement que certains n'avaient pas besoin de faire 36 réunions pour agir l'année dernière.

Si je ne connaissais pas ce « Percy » dont parlait la capitaine de l'équipe de Gryffondor, sa remarque fut particulièrement blessante et je secouai la tête, agacée et, je devais bien l'admettre, quelque peu déçue.

— Nous ne sommes plus l'année dernière, enchérit fermement Miller. Nous sommes cette année. Les problèmes ont changé, les solutions aussi.

— Nous serons exemplaires, répondit-elle. À Serpentard de se montrer à la hauteur.

Elle sortit aussitôt de la salle avant de s'arrêter net lorsqu'elle m'aperçut.

— Jonsson.

— Weasley.

— Vous aimez vraiment vous faire chier cette année. Ce serait plus simple si vous acceptiez tous de passer à autre chose.

— Faire comme si rien ne s'était passé n'est pas une solution.

— Ayez au moins la décence de laisser les plaies se refermer, Jonsson. Les gens ont besoin de repos, de calme, de se reconstruire, pas de voir le château qu'ils ont toujours connu être complètement restructuré. Ils ont besoin que les choses redeviennent, enfin, comme avant pour se reconstruire et faire leur deuil. Pas que toutes les habitudes changent ou qu'on dénature le Quidditch. Vous allez trop vite et vous remuez trop de choses.

À sa façon, elle me rappela Lewis. Le discours était inverse, certes, mais il y avait quelque chose de commun dans cette manière de ne surtout pas vouloir regarder le problème en face. Lewis avait craint que prendre la juste mesure de la situation, notamment en faisant intervenir les psychiatres, signifiait que nous allions prétendre que tout était derrière nous, comme si prendre en charge les conséquences signifiait ne plus reconnaître le problème, quand Weasley pensait de toute évidence que s'occuper des problèmes du château allait faire remonter les problématiques de l'année dernière au lieu de les laisser se tasser par elles-mêmes – comme si elles allaient réellement finir par se tasser. Le château, lui, ne nous avait pas attendu pour être « restructuré », les mangemorts étaient passés bien avant nous et il ne redeviendrait très certainement pas tout de suite ce qu'il avait pu être alors. Et, peut-être, que ce n'était pas une si mauvaise chose que cela.

— Nous n'irons pas plus loin en fermant les yeux qu'avec des excuses, ne pus-je m'empêcher de rétorquer en écho à ses propres mots. Et, entre nous, aurais-tu accepté cet argument l'année dernière ? « Vous allez trop vite, ne relancez pas l'AD, certains élèves risquent de ne pas être contents » ? Notre résistance a eu bien des effets délétères sur des élèves qui, comme toi maintenant, voulaient juste attendre que l'année passe sans faire de vagues pour retourner chez leurs parents, il n'en reste pas moins vrai qu'elle était nécessaire.

Elle secoua la tête - je l'avais manifestement agacée, avant de quitter le couloir. Avant que les derniers préfets ne nous rejoignent, Miller sortit à son tour pour que nous puissions discuter. À part qu'il « s'occupait » du problème posé par Griffin, je ne savais pas trop à quoi m'attendre et l'appréhension était réelle. Il m'indiqua rapidement qu'il avait pu discuter avec Taylor, Weasley et, finalement, O'Connell qu'il s'était résolu à aller voir, avant de me demander de ne pas trop interagir dans la réunion. Cela ne me rassura pas le moins du monde, mais Stewart – la dernière à nous rejoindre, arriva rapidement et j'acquiesçai. Nous rejoignîmes les autres dans la salle pour commencer la réunion.

Miller se contenta d'abord de discuter des psychiatres ; ils souhaitaient que nous rédigions un mot à destination des élèves pour pouvoir l'afficher dans chaque salle commune. L'idée était que les élèves puissent prendre conscience qu'ils pouvaient se tourner vers les psychiatres s'ils n'allaient pas bien. À cet égard, les moldus préféraient que les mots soient « personnalisés » pour chaque maison. Il s'agissait clairement d'une réponse à la tentative d'Ethan et nous échangions un regard avec Harper ; étrangement, personne ne semblait être au courant de ce qu'il s'était passé.

— Bien, nous devons maintenant discuter d'une autre chose, enchérit Miller d'une voix si sérieuse que j'eus un instant l'impression d'être réprimandée par un professeur. J'ai été mis au courant de certaines pratiques ces derniers jours. Peut-être n'ai-je pas été assez clair à ce sujet, mais nous sommes une équipe. Lorsque l'un d'entre nous délégitime la position de préfet, il met à mal l'ensemble de notre travail. Si quelqu'un a un problème avec la façon dont nous fonctionnons, il peut le dire ici, face à chacun d'entre nous. Je pense que nous sommes assez ouverts pour écouter chaque position. Il n'y a strictement aucune raison de porter cette discussion ailleurs. Nos problèmes ne sont pas les problèmes des autres. Avoir une position responsable, ce n'est pas se contenter d'agiter son badge de préfet de temps en temps, c'est accepter de prendre sur nous. C'est nous occuper des problèmes, des tensions, des difficultés, pour que les autres élèves n'aient pas à les subir. Il y a des choses dont nous discutons qui ne doivent dépasser le cadre strict de nos échanges, pas parce que nous ne voulons pas de transparence, mais parce que nous sommes là pour encaisser à la place des élèves. Lorsque la discussion que nous devrions avoir est portée ailleurs, les élèves subissent des discussions qui ne les concernent pas et sont victimes de problèmes dont ils ne devraient même pas connaître l'existence. Je ne veux plus entendre que l'un ou l'une d'entre nous a porté atteinte à la légitimité de l'un ou l'une d'entre nous. Si ses responsabilités sont trop lourdes à porter pour certains d'entre nous, ce n'est pas un problème. Nous discuterons avec les Directeurs de maison concernés pour renommer les préfets.

Il y avait une certaine ambivalence dans les propos du préfet-en-chef ; la grande autorité qui se dégageait de son attitude contrastait avec la pudeur qu'il démontrait dans son refus de mentionner Griffin. Ce refus m'agaça quelque peu. Après tout, tout le monde savait de qui Miller était en train de parler ; il y avait une certaine hypocrisie dans l'idée-même que Griffin pouvait bien dire ce qu'il voulait de nous autres, nous devions, nous, avoir la décence de ne pas le mettre, lui, à défaut.

— Suis-je clair, Griffin ? asséna soudainement Miller.

Je relevai vivement les yeux, surprise. J'avais jugé la situation bien trop vite. Le préfet se décomposa sous nos yeux. Sa réaction me perturba un instant ; ne s'était-il pas du tout senti concerné par les propos de notre préfet-en-chef pour être aussi surpris par la mention de son nom ?

— Je peux savoir de quoi tu parles ?

— Je t'ai demandé si j'ai été suffisamment clair cette fois, répéta Miller.

Griffin se retourna vers moi.

— Tu es sérieuse, Jonsson ?

— C'est moi qui te parle, Griffin, pas Jonsson.

— Oui, parce qu'elle n'a rien à voir là-dedans, évidemment, ricana-t-il. Prenez-moi pour un con.

— Que vous ne vous appréciez pas, tous les deux, c'est une chose. Mais il y a des limites à ne pas dépasser et tu les as dépassées. C'est la dernière fois.

— Ou quoi ? enchérit le préfet de Gryffondor. Non mais tu t'entends, Miller ? Le « en-chef » signifie simplement que tu as le malheur de devoir nous transmettre ce que les profs te disent, comme un vulgaire hibou, il n'y a aucun pouvoir miraculeux qui vient avec. Ces histoires vous montent tous à la tête, c'est grave.

— J'ai discuté avec chacun de nos Directeurs de maison, enchérit Miller. Ils sont tous d'accord pour renommer leurs préfets s'il s'avérait que l'un d'eux empêche le fonctionnement général de l'équipe.

— C'est ridicule, souffla Griffin. « Porter atteinte à la légitimité ». Je ne fais que mentionner des faits. Tu crois vraiment que Jonsson ne dit pas des choses dans mon dos à Stevens ou Augen ? Putain, je suis probablement rhabillé pour les trois prochains hivers avec ces trois-là. Je n'en fais pas toute une histoire.

— Ca n'a rien à voir, s'agaça aussitôt Taylor, et tu le sais très bien. Il y a une différence entre parler à ses amis de ce qu'il vient de se passer et dégrader quelqu'un devant la moitié de la Salle Commune à la moindre occasion qui se présente à toi et, ce, pour des choses absolument injustifiées. Tu en fais un bouc-émissaire. Jonsson parle de toi à un cercle restreint quand tu te comportes comme un con. Tu parles de Jonsson à un cercle élargi de sorte à la faire passer pour une connasse quand elle ne fait rien. La différence ne pourrait pas être plus fondamentale.

Pour une fois, Taylor parlait ouvertement de ce qu'il se passait dans leur Salle Commune. Les choses se décantaient enfin et quelque chose me disait que je n'allais pas apprécier ce qui allait suivre. Mon nom avait déjà été prononcé trop de fois pour que le reste soit conciliant à mon égard.

— Peter, enchérit Miller, as-tu déjà entendu Jonsson dire quoique ce soit à propos de Griffin ?

Le préfet se raidit, manifestement gêné d'être ainsi pris à parti. Je me sentis quelque peu coupable de le mettre indirectement dans cette position.

— Euh… Elle était très énervée lorsqu'elle a appris qu'il disait des choses dans son dos à d'autres Gryffondors, mais sinon, pas vraiment non.

— As-tu l'impression que des élèves de Serdaigle ne font pas confiance à Griffin ou s'en méfient à cause de ce que Jonsson aurait pu leur dire à son sujet ? continua notre préfet-en-chef.

— Euh, non. Je ne suis même pas sûr que les élèves qui ne sont pas de notre année le situent correctement. Il est juste le préfet de Gryffondor.

— Taylor ? enchaîna Miller.

— Une bonne partie de notre salle commune croyait encore, jusqu'à peu, que Jonsson essayait de nous influencer, nous autres préfets, pour créer une « culture de l'excuse » envers les Serpentards. En excusant les Serpentards, on excuse les mangemorts, les Carrow, et, évidemment, Voldemort. Donc Jonsson défend indirectement Voldemort. Il faut alors éviter de lui donner des éléments qu'elle pourrait utiliser pour faire passer Gryffondor pour la mauvaise maison, puisque c'est ainsi qu'elle arrive à excuser les Serpentards à chaque réunion de préfets. Il y a même eu des rumeurs chez les premières années comme quoi Jonsson avait la marque, et que c'était pour ça qu'elle ne remontait jamais les manches de ses chemises. Mais ce n'est pas de « sa faute », n'est-ce pas, elle est juste influencée par ses sentiments envers Parker, après tout tous les Sang-Purs sont des mangemorts en devenir ou, du moins jouent leur jeu, c'est bien connu… parce qu'en plus d'être un abruti fini, tu es un beau connard homophobe, ajouta Taylor en plantant ses yeux dans ceux de son camarade de maison.

— Taylor, gronda Miller devant ses insultes.

Je ne m'étais pas attendue à ce que le délire de Griffin soit aussi structuré. Weasley avait eu la décence de ne pas aller dans les détails. C'était terrifiant. Tout ça, parce que je les avais empêché d'humilier des élèves de Serpentard en début d'année. Pour une fois, je n'étais pas en colère, je me sentais bien trop humiliée pour avoir l'espace mental de m'énerver. Mes joues devaient être aussi rouges que la cravate de cet abruti. Imaginer un seul instant que je puisse jouer le jeu des mangemorts ou de Voldemort, aussi passivement le faisais-je aux yeux de Griffin, était franchement ignoble et insultant, mais imaginer, de surcroît, que des élèves aient pu croire ce genre de choses à mon propos était véritablement la plus grande humiliation que cet abruti pouvait me faire. C'était tellement surréaliste. Son opposition à Serpentard allait si loin, en créant une association directe entre Serpentards et mangemorts, qu'il arrivait, par un quelconque miracle, à rattacher n'importe qui à Voldemort. Il était plus perché que Trelawney.

Les deux préfets se toisèrent un instant ; j'assistais à la scène sans vraiment y être. Taylor était d'habitude si discrète et calme, je n'osais pas un seul instant imaginer ce qu'avait dû être la dispute entre Weasley et Griffin.

— J'ai dit aux premières années qu'elle n'avait pas la marque et n'était pas une mangemort, enchérit Griffin. Je n'y peux rien s'ils se racontent n'importe quoi. Ce sont des gosses. À quoi est-ce que tu t'attends, au juste ?

— Bravo, tu as une limite toute personnelle dans l'indécence dont tu fais preuve : les mensonges que n'importe qui peut vérifier, tu les corriges avant que tout le monde se rende compte que tu racontes n'importe quoi. Les rumeurs des premières années sont de votre faute, ça me dépasse que tu refuses, encore une fois, de l'accepter. C'est ce que vous avez créé.

— Et en plus, franchement, Olivia, pour qui est-ce que tu essayes de me faire passer ? esquiva le préfet. Ca m'est égal si Jonsson est lesbienne.

Nast ricana et le préfet de Gryffondor lui adressa un regard noir. Sa camarade de maison continua sans faire cas de l'interruption du Serpentard :

— Oh, les premières années adoreraient savoir à quelle vitesse tu tournes ta cape en les rendant responsable d'être exactement ce que tu attendais qu'ils soient. Enfin, que dis-je, ce n'est pas très important ce qu'il se passe dans nos réunions. De toute manière, les préfets ne servent à rien, n'est-ce pas, Kilian ? N'est-ce pas ce que tu répètes à celles et ceux qui veulent t'écouter ? Nous ne sommes qu'au service de professeurs que tu délégitime tout autant. Ces professeurs qui n'ont rien fait contre les Carrow, qui se sont juste « couchés ». Ces professeurs, surtout O'Connell, si conciliants envers les Serpentards et qui jouent le jeu de la diabolisation de Gryffondor. Ces professeurs qui ne font qu'attendre que des Gryffondors fassent une erreur pour les punir afin de « rassurer » les Serpentards. Et puis les psychiatres sont l'œuvre des Serdaigles, pas vrai ? Autant ne pas leur faire confiance, chaque chose qu'on pourrait leur dire pourrait se retourner contre les Gryffondors. N'est-ce pas ce que tu sous-entends, de ne pas parler ouvertement aux psychiatres… y compris à nos Deuxièmes Années ?

Que Griffin puisse avoir ce genre de pensées, c'était une chose - il pouvait bien penser ce qu'il souhaitait de la situation, mais de les répéter à l'ensemble de sa Salle Commune au risque d'empêcher ses camarades de maisons de pleinement tirer profit de la présence des psychiatres, c'était franchement indécent. Les préfets étaient à l'origine de la venue des psychiatres ; que l'un d'entre nous les déconsidère autant allait nécessairement laisser des traces sur la façon dont les élèves allaient s'emparer de l'occasion de discuter avec les moldus. À la lumière de ce qu'Ethan s'était résolu à faire, cela semblait d'autant plus irresponsable.

— J'ai encore le droit de parler à des gens, soupira finalement le préfet de Gryffondor, livide. Vous avez tous perdu la tête…

Il devenait limpide que le préfet n'était pas à même de comprendre ce qui lui était reproché. Pas une seule seconde donna-t-il l'air de penser avoir mal agi. Et c'est nous qui perdions la tête, évidemment.

— Tu ne « parles » pas à des gens, Kilian. Tu leur racontes n'importe quoi pour nuire à celles et ceux que tu n'apprécies pas, perdu que tu es dans ta guerre contre Serpentard. Jonsson, Weasley, O'Connell… Tu ne te rends même pas compte que tu passes plus de temps à en vouloir à tes « alliés » qu'à tes « ennemis » fantasmés.

— Je ne fais que dire la vérité.

— Ta perception toute relative de la vérité.

— Au risque de faire de l'ombre à nos biens aimés Serdaigles, qui ici peut se targuer d'être objectif ? Ce n'est encore pas de ma faute si les gens ne savent pas faire la part des choses.

— Bordel, Kilian, arrête ça, s'énerva brusquement sa camarade de maison. Ton manège marche peut-être sur des premières années, mais nous ne sommes pas stupides. Ne viens surtout pas avoir le culot de dire que personne n'est objectif. Tu joues de cette fausse objectivité auprès des petits. Tu sais qu'ils te la donnent et tu en joues. Tu sais que ta parole a du poids parce que tu es préfet et, au lieu d'en prendre acte et de te modérer sur ce que tu racontes à tout le monde, tu en joues. Arrête de nous prendre pour des cons.

— Tu faisais moins la maline quand Weasley n'était pas là. Peut-être que tu devrais dire à Jonsson ce que tu pensais d'elle au début de l'année, tu ne crois pas ? Histoire qu'on soit tous honnêtes les uns envers les autres, ici. Ah mais non, suis-je bête, d'un coup, avoir une opinion sur les gens est autorisé.

— Tu déformes tout, c'est incroyable, soupira Taylor. On tourne en rond. Faire de quelqu'un un bouc-émissaire n'est pas avoir une opinion. Activement chercher à modifier de manière négative la façon dont des élèves perçoivent une personne qu'ils ne connaissaient même pas avant que tu débarques avec ta grande gueule, ce n'est pas avoir une opinion. Et j'assume parfaitement ce qu'il s'est passé, on ne peut pas en dire autant de toi.

— Encore une fois, Griffin, enchérit Miller, être préfet suppose de posséder un certain sens des responsabilités. Nous discutons ensemble pour que les élèves n'aient pas à le faire, nous nous prenons la tête entre nous pour que les élèves n'aient pas à le faire. Nous réglons des problèmes pour que des élèves n'aient pas à s'en inquiéter. Si cela est trop difficile pour toi, O'Connell est ouvert à des discussions. Ce que chacun pense de la situation n'est pas très important en soi, nous nous égarons, dit-il en jetant un œil à la préfète de Gryffondor. Nous ne sommes pas ici pour faire le procès de Griffin. Peu importe ce que chacun pense du fait de lancer ce genre de rumeur, personne n'a à agir de la sorte en tant que préfet, surtout lorsque ses rumeurs concernent l'un d'entre nous. Aucun préfet n'a à montrer autant de mépris pour notre école, nos professeurs, ou d'autres élèves. Nous devons montrer l'exemple aux autres élèves, cela sous-entend de ne pas leur montrer qu'il est acceptable de porter atteinte à la dignité des uns et des autres, cela sous-entend de ne pas leur montrer qu'il est acceptable d'envenimer des rapports conflictuels entre maisons plutôt que d'essayer de les améliorer. Que tu comprennes ou non la gravité de tes actes ne change rien au fait que ton poste de préfet peut sauter à n'importe quel moment pour cette exacte raison. Ce que tu feras une fois le badge de préfet disparu de ta cape, ça te regarde toi et ta conscience, asséna Miller, nous ne sommes pas ici pour discuter de cela.

— Je constate que les traitres-à-leur-maison et les Serdaigles auront en tout cas réussi à vous rallier aux Serpentards, siffla Griffin en direction des préfets de Poufsouffle.

— Petrificus totalus.

Le corps de Griffin se raidit brusquement avant de retomber en arrière dans une lenteur proprement insoutenable ; j'eus si chaud que ma respiration devînt difficile. Je ne comprenais pas trop ce qu'il se passait.

— Mary, gronda Miller.

— Je n'en peux plus, répondit simplement Stewart. Il est clairement incapable de discuter posément. On dirait mon oncle qui croit que les criminels moldus sont contrôlés par un gang de sorciers à coup d'impero.

Être pétrifié n'était jamais quelque chose d'agréable. Griffin essayait probablement de mouvoir ses mains pour se relever, sans pour autant que son corps ne suive, pris au piège. Il avait dû entendre le sortilège formulé de Stewart sans pour autant réellement intégrer mentalement qu'il ne pourrait plus bouger jusqu'à ce qu'autrui le délivre de l'enchantement. Après tout, le contrôle de notre propre corps était quelque chose d'habituel que nous prenions tous pour acquis. Perdre cette capacité était comme perdre sa respiration, nous réalisions tout à fait soudainement que nous le faisions d'ordinaire sans y penser ; je réalisai d'ailleurs que c'était mon cas. Mon coeur se serrait par intermittence et j'avais de plus en plus de mal à respirer, inspirer était particulièrement douloureux. L'altercation entre les deux préfets de Poufsouffle eut l'air de continuer – ils étaient tous les deux tournés l'un vers l'autre, mais je n'entendais pas grand-chose. Leurs voix me paraissaient trop lointaines pour que j'en comprenne réellement le sens. Puis une douleur aiguë arriva, mon coeur se contracta si fort que je n'aurai pas été étonnée qu'il s'arrête d'une minute à l'autre. J'arrêtai totalement de prêter la moindre attention aux préfets pour me concentrer sur la respiration. Merlin, ce qu'inspirer pouvait faire mal.

Le préfet de Gryffondor devait probablement s'imaginer être relevé sans jamais que son cerveau ne reçoive confirmation de l'acte ; il était coincé entre deux réalités différentes, sans avoir une seule once de contrôle sur son propre corps. Pris au piège dans son propre corps comme je commençais sérieusement à me sentir dans le mien. Mon système respiratoire semblait se battre contre moi et mon coeur tiraillait.

La deuxième douleur fut beaucoup plus longue et je tombai à genoux, une main sur le sol et l'autre sur la poitrine ; peut-être était-ce ce à quoi ressemblait une crise cardiaque. Mon corps me demandait des comptes pour ces dernières semaines de stress. Crever d'un arrêt cardiaque en plein milieu d'une réunion entre préfets à 16 piges était franchement ridicule. Je tentai de trouver une position dans laquelle inspirer ne faisait pas aussi mal mais cela semblait impossible. J'allais finir par ne plus pouvoir respirer du tout. J'allais mourir ici. Un vertige foudroyant me prit aussitôt. Tout compte fait, peut-être allais-je m'évanouir avant de sentir mon coeur s'arrêter.

Une main sur mon épaule et quelques mots que je ne compris pas. Peter se pencha vers moi avant de tourner mon visage dans sa direction.

— Eyrin... Concentre-toi… voix. … une … panique. Ce n'est... Tu n'as rien. Eyrin ? Regarde-moi. Tu as l'impression de ne pas pouvoir respirer, mais c'est juste la crise. Tu fais une crise de panique. Ça fait mal, mais tu ne risques rien. Concentre-toi sur moi. On va faire quelque chose tous les deux, ok ?

Qu'est-ce que respirer faisait mal. Je ne voyais pas bien ce que Peter me pensait être en mesure de faire, j'agonisais sur le sol ; ce n'était franchement pas le moment de se faire une Bataille Explosive. Il planta néanmoins ses yeux dans les miens et j'acquiesçai devant son air grave.

— On va compter ensemble et respirer ensemble. Doucement, suis mon rythme. 1… inspire, 2… expire.

Je manquais d'air et il allait bien trop lentement, je me mis à respirer plus vite. Il n'eut pas l'air très content.

— Eyrin, suis mon rythme. Fais-moi, confiance, ok ? Doucement. 1… inspire, 2… expire, 3… inspire, 4… expire … Tu vois ? Tu n'as aucun problème pour respirer. Tu arrives très bien à respirer.

Il prit ma main pour la poser, paume ouverte, sur ma poitrine.

— Ton cœur bat toujours normalement, reprit-il. Tu ne crains rien. Ce n'est qu'une sensation.

Je remarquai en effet que ces dernières secondes n'avaient pas été aussi douloureuses ou même laborieuses. J'avais respiré sans trop de difficultés.

— On peut faire ça encore un peu tous les deux, si tu veux.

— Non, je crois que c'est passé. Merci, Mark.

Je m'assis, tentant de reprendre mes esprits. Ma respiration était de moins en moins laborieuse et, bientôt, la sensation de picotement disparut. Mes yeux se posèrent automatiquement sur le corps de Griffin si rigide qu'il en devenait cadavérique. J'eus à nouveau un vertige et crus m'évanouir. Mark me maintînt fermement alors que mon dos lâcha.

— Dépétrifiez Griffin tout de suite, enchérit le préfet.

— Episkey.

— Qu'est-ce que vous pouvez être stupides, fit aussitôt la voix, agaçante, de Griffin.

Il se releva et dépoussiéra sa cape.

— Vous avez tous déjà oublié l'année passée à ce point ? railla-t-il. Non mais sérieusement, pétrifier quelqu'un dans la même pièce que Jonsson. Vous êtes vraiment à côté de la plaque.

— Ne commence pas, intima Miller.

Je rencontrai le regard interrogateur d'Harper et baissai les yeux ; par pitié, qu'elle n'en parle pas à Lilith. Merlin… que Mark n'en parle pas à Alice. Pourquoi fallait-il que ce genre de choses m'arrivent maintenant ? Une silhouette apparue dans mon champ de vision et je me concentrai à nouveau sur ce qu'il se passait devant moi. Stewart me tendit un gobelet, gênée.

— J'ai métamorphosé un vieux parchemin, mais ça a l'air de tenir.

— Merci, soufflai-je en m'emparant du gobelet.

Je bus quelques gorgées d'eau, mais ne pus m'empêcher de jeter aussitôt un œil sur les notes qu'elle avait prise. Il était toujours possible d'en lire certaines sur le gobelet métamorphosé.

— La révolte des gobelins du 17ème siècle, c'était en 1612, pas en 1611, indiquai-je.

— Ce n'est pas ce qui est écrit dans l'ouvrage dont Binns nous parle tous le temps.

— C'est une erreur de copie. Ils l'ont rectifiée dans les éditions plus récentes.

— Oh, c'est donc pour ça que je n'ai jamais réussi à avoir plus qu'un acceptable sur ce chapitre, fit-elle avec une moue ennuyée.

— Est-ce que tu veux prendre un peu l'air ? demanda Mark.

J'acquiesçai et nous n'attendîmes pas que Miller sonne la fin de la réunion. Le préfet m'accompagna dans le parc. S'il faisait très froid, l'air frais faisait beaucoup de bien. J'avais l'impression de respirer plus facilement.

— Est-ce que ça va ? s'enquit-il. Je veux dire, à propos de Griffin…

Je soupirai.

— Comment est-ce qu'on peut passer de l'incident des Têtes-Chercheuses à défendre Voldemort ? Ca n'a aucun sens.

— Des fois, il me rappelle mon père. La même colère, la même incapacité de gérer sa frustration. Il fait peser ses émotions sur tous les autres autour de lui et il rumine tellement, puisqu'incapable de gérer ses colères, qu'un petit incident devient vite un truc énorme. Taylor est courageuse. Ma mère serait incapable de lâcher mon père. Elle se sent coupable, parce qu'il n'a personne d'autre et n'arrive pas, seul, à gérer ce qui lui arrive. Enfin, j'imagine que Taylor devait se sentir, en plus, coupable d'avoir visiblement crû à tout ça au début d'année.

Le préfet décida visiblement de ne pas trop tenter de s'éloigner du château et préféra en faire le tour. Il devait de toute manière faire bien trop froid proche du lac et la neige qui était tombée ces derniers jours n'aidait pas à se déplacer.

— Comment as-tu su ? demandai-je enfin, brisant le silence qui s'était installé.

— Michael faisait beaucoup de crises de panique l'année dernière. Ca lui prenait parfois en plein milieu de la nuit. Ma mère est infirmière, expliqua-t-il, elle m'a montré quoi faire dans ce genre de situation.

J'acquiesçai, mal à l'aise par ce que j'allais lui demander.

— Est-ce que tu peux ne rien dire à Alice, s'il te plaît ?

— À propos de quoi ? demanda-t-il, confus.

— La crise de panique…

— Elle sera très en colère si elle l'apprend par quelqu'un d'autre que toi… et elle finira par l'apprendre.

— S'il te plaît.

Il soupira avant d'acquiescer.

— Tu sais, je crois que, finalement, j'apprécie le bruit en classe. Le silence, ça me fait trop penser à l'année dernière. Je ne lui dirai rien, mais si elle me le demande explicitement, je ne me sentirais vraiment pas de lui mentir. En tout cas, ajouta-t-il avec un sourire, si tu veux qu'elle me transforme en Terry, tu es sur la bonne voie.

— Merci beaucoup. Et… Terry ?

— Cet horrible canapé-corbeau né des fiertés mal placés d'Alice et de Michael lorsqu'ils se prenaient la tête sur les métamorphoses, tu te souviens ?

— Vous avez nommé cette créature Terry ?

— Bien sûr qu'on l'a nommé Terry, s'amusa-t-il, la tête de Boot quand le canapé disparaît est à jamais gravé dans notre mémoire collective. Et puis sa façon de se tourner, lentement, très lentement, vers Alice alors que la créature hurle devant lui qu'on l'achève. On en a ri pendant des heures ce soir-là.

— Ca vous arrive encore de rire comme ça ?

— Plus vraiment. Michael se perd tellement dans le Quidditch que la Tour pourrait s'effondrer sans qu'il le remarque. Connor est juste concentré sur ses cours et Elliott, enfin, c'est Elliott. De ce que j'en ai entendu l'autre soir, le dortoir des filles a l'air bien plus amusant que le nôtre. J'ai cru que Vanessa allait vous désintégrer en petits morceaux tellement elle était en colère.

— Qu'est-ce qu'a Pritchard ?

— Elliott ? Oh, rien. En tout cas, c'est ce qu'il prétend. Visiblement, il pense toujours qu'il finira par retrouver des morceaux de lui chez les filles qu'il séduit. Il ne donne pas l'impression d'avoir trouvé grand-chose pour l'instant, mais ça n'a pas l'air de le décourager. D'ailleurs, reprit-il bien plus sérieux, j'ai quelque chose à t'avouer.

Surprise par son soudain sérieux, j'acquiesçai. Après ce que je venais d'apprendre, il n'y avait pas grand-chose qui pouvait encore me surprendre.

— Lorsque j'ai compris que vous ne vous parliez plus à cause de… eh bien, visiblement je n'ai pas le droit de dire que tu aimes les filles, ajouta-t-il rapidement alors que je rougis, mais peu importe, parce qu'Alice avait du mal à accepter ta relation avec Parker… J'ai été un peu vexé et je n'ai pas pu m'empêcher de me mêler de ce qui ne me regardait pas. Ce qui n'a évidemment pas du tout plu à Alice sur le moment.

— Vexé ? répétai-je, confuse, alors qu'il s'était arrêté de marcher.

— Mon frère est gay.

— Oh, j'ai cru que c'était toi pendant un instant… vu ce que tu disais.

— Tu as l'air d'être rassurée…

— Oh, non, non, m'empressai-je. Enfin oui, pour Alice, si je suis tout à fait honnête. Mais pas parce que ce serait une mauvaise chose… Enfin bref, je vais arrêter de parler maintenant, bredouillai-je, les joues rouges.

Ce n'était même plus sous-entendre qu'elle était intéressée, à ce stade ; j'étais celle qu'Alice allait métamorphoser en cet horrible canapé-corbeau après avoir dit un truc pareil au préfet. Heureusement, il ne sembla pas s'arrêter sur ce léger détail - ce qui ne fit que me questionner plus encore sur leur relation, et continua :

— Nous avons beaucoup parlé ensemble quand elle essayait de faire sens de la situation à son niveau. Ce qui fait que c'est un peu délicat, parce que, nécessairement, tu la questionnais beaucoup. Elle a toujours été très pudique sur ta vie privée, ajouta-t-il rapidement, elle ne m'a pas donné de détails ou quoique ce soit comme elle le fait d'habitude, j'ai d'ailleurs plus deviné qu'appris certaines choses… Mais je veux dire, quand elle ne comprend pas comment quelqu'un peut ne pas savoir qu'elle aime les filles quand elle n'a jamais montré aucun intérêt pour les garçons, il est clair qu'elle parle de toi, pas vrai ? Alors bon, ça me fait un peu bizarre parfois. Même si nous passons plus de temps ensemble ces derniers temps, nous n'avons jamais vraiment eu, nous deux, ce genre de discussion ou de relation. J'ai l'impression de te connaître plus que tu ne me connais et c'est un peu… gênant, parfois. Je ne savais pas trop comment amener ça sur la table, vu qu'on se voit toujours pour nos activités de préfets mais… mhm, je ne sais pas, vu ce qu'il s'est passé aujourd'hui, ça m'a semblé être une bonne ouverture.

Je ne m'attendais pas à ce que les deux discutent véritablement, ce n'était pas chose franchement habituelle chez Alice. Ce devait être une bonne chose, cela dit.

— Je sais que les gens ont tendance à croire qu'Alice répète constamment tout, mais elle sait faire la part des choses, alors je lui fais confiance. Peu importe ce dont vous avez parlé, tu n'as pas besoin d'être gêné, si c'est ça qui t'embête. Alors... quand vous parliez tous les deux, c'était à propos de… sexualité ? ne pus-je m'empêcher de demander, bien trop curieuse d'avoir enfin des informations à ce sujet.

— Oui mais, ajouta-t-il manifestement gêné, pas dans le sens… Enfin, plutôt ce qui y est lié. Il s'avère que nous avons plus de points communs que ce que j'aurais pu penser de l'extérieur.

— J'espère que tu réalises que la curiosité est un trait que nous partageons fortement, Alice et moi.

Il rit avant de plonger ses mains dans ses poches pour les protéger du froid. Nous reprîmes notre marche avant de nous transformer en stalagmites.

— J'imagine que ce n'est qu'un juste retour des choses, dit-il. Avec mon père, ça a toujours été catastrophique. Que ce soit Nick ou moi, nous n'avons jamais été autre chose que dans une relation conflictuelle avec lui. Il est imbuvable depuis que nous sommes gosses. Il n'a jamais accepté le fait que nous étions sorciers. Pour lui, ça n'avait pas de sens. Ce n'était pas génétique, parce que mes parents ne le sont pas, pas vrai ? Mais pourtant ses deux fils le sont. Alors ça ne commençait déjà pas très bien. Et puis, il n'a jamais compris le Secret Magique. En fait, il n'a jamais accepté l'idée que la magie existait mais que, pour autant, nous ne pouvions pas l'utiliser pour améliorer le vécu des moldus, tu vois ?

J'acquiesçai et il continua.

— Alors au début, c'était toujours cette colère. Il n'était que ça. En colère contre son patron et contre les « syndicats » qui se faisaient une carrière politique sur leurs dos, en colère contre l'« Union Européenne » qui nous avait été imposée, en colère contre les sorciers et la magie qui lui avaient volé ses fils pour les foutre dans une « école à la con ». Il voulait qu'on soit comme lui, pas qu'on finisse au fin-fond de l'Ecosse dans un château qui ne servait à rien et qui ne nous permettrait que d'évoluer dans un monde différent du sien. Soit l'usine, soit l'élévation sociale. C'était très clair quand on était jeunes. Enfin, fallait pas devenir « comme eux » non plus, mais vivre mieux que mes parents. Alors imagine quand il a compris que, de toute manière, notre métier allait nous donner des gallions et pas des livres. La magie, c'était l'injustice-même. On en parlait que pendant la rentrée, pour les manuels et ce genre de choses. Et chaque rentrée, c'était la même rengaine, la même colère. Dès qu'il nous accompagnait sur le Chemin de Traverse, tout devenait un combat, il ne s'arrêtait plus, si bien que ma mère a fini par prendre sur elle de l'occuper à la maison pendant que nous y faisions nos courses pour la rentrée. Au bout d'un moment, c'est devenu un vrai mépris. La magie, c'était un truc de faible. Être sorcier, c'était la facilité. Un truc bon pour les filles et les femmes. « Au moins votre mère n'aura plus besoin de s'occuper de la maison quand vous serez majeurs, suffira d'agiter votre bout de bâton », comme si on était des aspirateurs ou je ne sais quoi et qu'on allait améliorer les conditions d'existence de la ménagère pour surtout pas qu'il se sente coupable de pas lever son cul de la soirée. Pardon, enchérit-il aussitôt. Il m'énerve encore. D'ailleurs, avec la magie, justement, tu n'as plus besoin de lever ton cul, tu n'as plus besoin d'utiliser ton corps, ta « force de travail », alors c'était bien un truc de fragiles, pas vrai ? Un truc qui rend mou et con. Un truc de bourgeois, qu'il disait tout le temps. Et puis, je n'ai jamais été très… Je ne sais pas, comme les autres garçons. En primaire, déjà, j'étais soigné, appliqué et je savais me tenir. Les profs m'adoraient. J'avais toujours de bonnes appréciations aux réunions avec les parents. Alors mon père en ratait pas une pour dire qu'il élevait un pédé mais que c'était pas grave, il avait un autre fils pour lui faire des petits-fils. À chaque fois que je mentionnais une fille, il me rectifiait d'un « ouais, une « fille » de ton collège ». Il ne faisait que me mettre en garde contre le SIDA quand, pour Nick, c'était surtout qu'il fallait pas risquer la grossesse non-désirée. Je n'avais pas trop réalisé ce que ça voulait dire à l'époque, mais c'est resté dans ma tête tout pareil. En fait, je n'ai réalisé l'association qu'il faisait que cette année. J'ai toujours adoré Poudlard, soupira-t-il en levant les yeux vers les tours du château, j'adore y venir, y dormir, y manger, surtout quand j'étais plus jeune, c'était si reposant d'être loin de mon père. Enfin, évidemment, au bout d'un moment, je me suis demandé si j'aimais les garçons. Il s'est vite avéré que non mais, quelques semaines après, Nick, le plus baraqué de ses fils, a fait son coming-out.

Effectivement, Alice et Mark semblaient partager bien plus que je ne l'avais, moi-même, pensé. À cet égard, leurs discussions n'avaient pas dû être tristes.

— Ca n'a pas dû très bien se passer.

— Oh, je crois que le monde de mon père s'est effondré en une seconde. Après, mon frère n'est pas stupide. Il a attendu d'être suffisamment grand pour être capable de lui en foutre une avant de faire son coming-out… Mon père parle dans son dos mais dès qu'il est là, il se tait. Faut dire qu'il fait pâle figure à côté de Nick et pas juste parce qu'il est sorcier.

— C'est un peu triste d'en venir-là…

— Peut-être, mais de l'autre côté, c'est très agréable de voir mon père dans cette situation. Nos fêtes de famille sont toujours très explosives, mais cette année mon père a, enfin, fait l'effort de prendre à minima sur lui sa frustration. Je crois que ma mère a eu son premier Noël tranquille depuis des années. Vu que Nick était là, ma mère n'a pas eu besoin de canaliser mon père, Nick l'a fait d'un seul regard. Ils ont même parlé convergence des luttes ou je ne sais quoi, tous les deux, à un moment. Mon père est devenu livide quand il a appris pour les mineurs, mais je crois que ça l'a rassuré, au fond, de voir que Nick n'oubliait pas d'où il venait.

Je ne connaissais absolument pas cette histoire de mineurs, ni ce à quoi elle pouvait bien faire référence[1], mais je ne pensais pas à le lui demander sur le moment, un autre détail avait déjà toute mon attention.

— Tu as l'air de beaucoup admirer ton frère.

— Oh, c'est un vrai Gryffondor. Mon père pense que c'est ma mère qui m'a couvé, mais c'est plutôt Nick. Mon père a toujours énormément travaillé, pas trop le choix pour payer les dettes, et ça l'a complètement, je ne sais pas, cassé ? Il est juste épuisé quand il rentre à la maison et puis il y a les luttes, après. Il faut soutenir les collègues, qu'il dit tout le temps. Ca lui prend toute l'énergie qui lui reste. Il faut se maintenir au courant, appeler, faire les tracts, coordonner les marches, c'est interminable. Ma mère, aussi, elle était trop occupée par son travail, avec ses horaires qui changeaient tous le temps et, quand elle rentrait, par mon père, pour avoir le temps de réellement voir ses enfants grandir, de toute manière. C'est Nick qui l'aidait beaucoup à la maison. Même quand il était à Poudlard alors que j'étais en primaire, il vérifiait toujours que personne n'oubliait les rendez-vous et ce genre de choses. C'est à lui que j'envoyais parfois mes exercices par hibou.

Au fond, le préfet prenait soin des plus jeunes comme son frère avait pris soin de lui.

— Est-ce que ton père sait pour Parker et toi ? demanda-t-il soudainement.

— Oui. Il n'était pas très content pour le mariage arrangé, mais sinon il semblait surtout amusé, avouai-je, gênée par la différence évidente entre nos deux familles. Comment as-tu su que tu n'aimais pas les garçons ?

— J'en ai embrassé un, répondit-il aussitôt, manifestement pas gêné par le sujet de discussion. Ce n'était pas désagréable, mais ce n'était pas agréable non plus. En fait, ça m'a fait ni chaud ni froid.

— Mais tu avais envie de l'embrasser, lui, ou tu as juste essayé pour voir… ?

— J'avais plus envie de savoir qu'autre chose. Ces histoires me perturbaient beaucoup à l'époque. J'avais juste besoin d'une réponse. Je pense que l'idée que mon père ait raison à propos de quoique ce soit m'angoissait beaucoup, déjà, mais, à cette époque, Elliott ne faisait que parler de filles, alors j'avais l'impression que je devais moi aussi le faire… ? Alors, ça me trottait tout le temps en tête et dès que je pensais aux relations… je ne sais pas, amoureuses on va dire, ça me bloquait. Je ne savais pas si j'étais censé penser à une fille ou un garçon. Je n'arrivais pas à me projeter. Au bout d'un moment, le plus simple a juste été d'en avoir le cœur net.

Je ne m'étais jamais projetée, moi non plus, avant cette année. De toute manière, je n'en avais pas eu besoin. Les filles parlaient tous le temps de garçons avant notre cinquième année ; suffisamment pour nous trois.

— Donc tu as juste embrassé un garçon… comme ça ?

— Eh bah, je lui ai demandé avant, quand même, s'amusa-t-il. C'était compliqué et c'est une période que je suis bien content d'avoir derrière moi, pour être honnête, mais, figure-toi que, si tu regardes un peu autour de toi de manière attentive, ça devient un peu plus facile… surtout pendant les matchs ou les entraînements de Quidditch, certains regards se perdent un peu sur certaines parties de certains corps. Après, faut juste avoir le courage… ce qui est… plus compliqué. J'ai mal au ventre rien que d'y repenser.

— Donc c'était un garçon de Poudlard ? me surpris-je.

Il secoua la tête, amusé.

— Tu ne sauras pas qui c'est, tout comme Alice ne sait pas qui c'est.

— Ca, ça veut dire que lui a apprécié.

Il éclata de rire.

— Tu es moins sans-gêne qu'Alice, alors tu oses moins poser tes questions habituellement, mais vous êtes exactement pareilles, s'amusa-t-il. Elle m'a dit la même chose au mot près. Tu sais, au risque de me mêler à nouveau de quelque chose qui ne me regarde pas, reprit-il plus sérieusement, si elle est un peu insistante par rapport aux filles ou aux garçons, je pense que c'est surtout parce qu'elle se sent coupable. Elle a peur que tu n'oses pas assumer que tu aimes les filles parce qu'elle t'a dit que le fait que tu aimais les filles changeait votre relation à toutes les deux. Enfin, que, d'une certaine façon, ça te bloque.

Je relevai vivement les yeux avant de soupirer, les joues aussi rouges que j'étais agacée. Alice pouvait juste me dire ce qui l'inquiétait au lieu d'essayer de « réparer » les choses si indirectement qu'elle en devenait pénible avec ses histoires de crush sur Chang.

— Je ne pense pas que ce soit le cas. Enfin, je ne sais pas. J'ai juste l'impression que c'est une question qui implique beaucoup d'autres questions, qu'il faut y penser sérieusement, que je n'ai pas du tout l'esprit à ça en ce moment, et que j'en ai un peu marre que tout le monde me force toujours la main.

Il acquiesça avant de se retourner vers moi.

— Je jurerais l'avoir vue sourire, l'autre jour, s'amusa-t-il. Très étrange de voir Parker sourire.

Je levai les yeux au ciel, les joues brûlantes. Voilà maintenant qu'il me cherchait. Encore un peu, et j'allais me retrouver avec Alice et le préfet sur les bras dans la salle commune. Mes yeux se posèrent automatiquement sur les quelques centimètres de neige qu'il restait en contre-bas des pierres du château.

— Est-ce que tu as essayé de me jeter une boule de neige ? reprit-il, feignant l'indignation.

— Non, souris-je, j'y ai juste pensé vraiment très fort.

— Généralement, il faut agiter un peu sa baguette pour que ça marche. La pensée ne suffit pa-Ah ! rit-il alors qu'il reçut une parfaite boule de neige dans l'épaule.

— Tu m'excuseras de ne pas être aussi douée qu'Alice, je ne peux pas faire en sorte que les boules se forment et t'attaquent d'elles-mêmes mais considère que l'intention y est.


[1] Mark fait référence à ça : wiki/Lesbians_and_Gays_Support_the_Miners

Je crois qu'il y a eu un film sur le sujet d'ailleurs, mais je ne l'ai pas vu donc euh, voilà. D'ailleurs, la plupart du temps, dès qu'un truc « moldu » est dans le texte, c'est souvent vrai/inspiré de la réalité (j'ai plutôt tendance à prévenir quand un truc est dénaturé plutôt que quand un élément fait référence à quelque chose de réel parce qu'après, je sais pas où m'arrêter dans l'explicitation des clins d'oeils, des sous-entendus ou des parralèles mdr).