Chapitre 33
Deuxième semaine de janvier
Une fois que le froid fut trop difficile à supporter, nous rejoignîmes la Tour Ouest. Le préfet fut, dès notre entrée, sommé par Tyler de venir lire un article de la Gazette du jour et je montai directement dans les dortoirs sans prendre la peine de jeter un œil à travers le reste de la salle commune. J'étais épuisée et, après le froid du parc, la chaleur du château m'avait assommée à peine avais-je mis un pied à l'intérieur de l'édifice. Les marches de la tour enfin gravies, je me glissai aussitôt dans mon lit, bien au chaud.
Alice monta quelques minutes plus tard et mon ventre se serra. Je n'éprouvais pas grande envie de lui conter les derniers évènements. Enfin, plutôt, que ces derniers évènements en ramènent d'autres à la mémoire. La sensation était particulièrement inconfortable. Elle s'installa à mes côtés avant même que je n'ai le temps de me décaler et je soupirai - elle n'était pas possible. Nous n'avions plus douze ans et personne dans ce château n'avait pensé à enchanter les lits pour qu'ils s'agrandissent au fur et à mesure que nous prenions de la hauteur dans la Tour. Elle répondit à mon soupir par une grimace, en réponse de quoi je me décalai tout en m'assurant de lui confisquer le coussin - il était bien mieux derrière mon dos que le sien. Elle leva les yeux au ciel et se réinstalla plus confortablement, profitant de l'espace libéré.
— J'ai discuté avec Mark, commençai-je avant qu'elle me pose des questions. Nous sommes allés nous promener. À un moment, hm… sans faire vraiment attention, et un peu prise par surprise, j'ai sous-entendu que tu étais intéressée. Il n'a pas du tout réagi.
Elle acquiesça sérieusement, pas le moins du monde en colère ; j'allais peut-être échapper à la métamorphose en Terry.
— Il le sait déjà, avoua-t-elle. On en a parlé.
— Alors si les choses sont claires entre vous, pourquoi vous n'êtes pas ensemble ?
— Parce que je suis stupide, Eyrin, ok ? soupira-t-elle en se laissant entièrement glisser sur le lit. J'ai essayé de faire un effort, vraiment. J'ai essayé d'être adulte et de faire ma Emily, de me poser des questions et d'être honnête avec Mark, ça a tout empiré. On a discuté et je lui ai dit que j'avais besoin, tu sais… d'avancer un peu sur certaines choses d'abord, comme mon rapport aux garçons ou de savoir ce que j'attendais des relations de manière générale.
— Ce n'est pas ce que j'appellerais être stupide…
— C'est parce que l'histoire n'est pas terminée, Eyrin, insista-t-elle en direction du plafond, tu ne m'as pas laissé terminer. Bref. Il a compris, il était même… content, parce qu'il est bizarre, et on a continué à parler ! s'indigna-t-elle, ahurie. Et maintenant, je n'ose plus. Figure-toi qu'il y a visiblement une loi qui existe comme quoi plus tu es intime avec un garçon, plus c'est terrifiant de sortir avec. Et je ne savais pas ça, moi, Emily ne m'a pas prévenue. Personne ne m'a prévenue.
Je partis dans un grand éclat de rire devant son air réellement paniqué, aussi attendrie qu'amusée, avant de m'arrêter devant son regard noir, coupable. Malgré toute ma bonne volonté, je ne tins que quelques courtes secondes avant de la taquiner à nouveau.
— Tu es le caramel mou.
— Tu n'as pas vu ta tête quand tu es avec Lilith, répliqua-t-elle en se redressant. Au mieux, Eyrin, je suis une chocogrenouille. C'est encore un peu craquant et elle peut te glisser entre les mains dès que tu la perds de vue. Et puis ce n'est vraiment pas drôle, accusa-t-elle. C'est une situation catastrophique.
— C'est franchement très drôle, Alice. Et, en plus, ce n'est que justice pour l'autre soir, je vais profiter de chaque seconde de cette soirée.
Elle soupira.
— Comment était la réunion ?
J'haussai les épaules, l'estomac à nouveau noué. Je détestais cette sensation.
— Bon, reprit-elle en quittant le lit, si tu es montée directement te planquer dans ton lit, c'est qu'on a besoin de chocogrenouilles.
Elle se dirigea vers son lit, avant d'ouvrir le tiroir de sa table de nuit. Elle eut aussitôt une moue ennuyée.
— Ou de patacitrouilles et de … suçacides, compléta-t-elle en jetant un œil à ses réserves, parce qu'il m'en reste plus, en fait, des chocogrenouilles. On a tout mangé la soirée où tu nous as avoué être atteinte d'une rare maladie des émotions, enfin je veux dire, la soirée pendant laquelle que tu essayais de nous convaincre que Lilith était adorable.
Bien qu'une partie de moi eut très envie de rebondir sur sa manière très particulière de se remémorer cette soirée, les mots du préfet me revinrent en mémoire et je pris sur moi de ne pas revenir sur ce qu'elle venait de dire. Alice ne sembla pas trop s'inquiéter de mon manque de mordant et se réinstalla sur mon lit, ses nouvelles victuailles en main. Elle me proposa un suçacide. Je préférai lui poser la question que j'avais à l'esprit avant de le consommer, quelque peu inquiète par l'état qu'aurait alors ma langue :
— De quoi as-tu peur ?
— Je n'ai pas peur.
— Tu es terrifiée à l'idée-même de sortir avec lui.
— Tu étais terrifiée de voir Lilith, accusa-t-elle en mangeant une patacitrouille.
— C'était la première fois pour moi et puis c'était Lilith. Ce n'est pas ton premier garçon et c'est Mark.
Elle se retourna vers moi avec un regard interrogateur et je me raclai la gorge, les joues rouges.
— Elle est très intimidante, ok ? Elle ne parle quasiment à personne, personne ne la connaît vraiment. À côté, Mark, c'est un kanelbulle.
— Je n'aime pas la cannelle, soupira-t-elle.
L'idée-même de posséder un palet capable d'apprécier la réglisse mais, pourtant, incapable de rendre justice à la cannelle était une véritable énigme. Si le heurtoir nous la posait, plus aucun Serdaigle n'entrerait dans la Tour Ouest.
— D'habitude, tout le monde est dans son rôle, reprit-elle en s'emparant d'un suçacide. Maintenant, je me rends compte que ça ne me plaît pas vraiment mais, du coup, je suis complètement perdue.
— Alice, je n'ai aucune idée de ce dont tu parles.
— Eh bien… C'est toujours un peu la même chose, pas vrai ? Je juge les garçons sur des critères superficiels et idiots parce que j'ai bien intégré la définition familiale de ce que devait être un garçon… ce qui est idiot pour commencer, ajouta-t-elle rapidement en secouant la tête, parce que je pars déjà pas sur un bon balais. Nécessairement, ça me fait me diriger vers certains garçons plus que vers d'autres. Généralement, si le garçon est intéressé, il essaye de se tenir correctement quand je suis autour. Parfois, même, il est drôle et je me dis qu'on passera un bon moment. On va ensemble à Pré-au-Lard ou se promener, en fonction de la période. Il joue le garçon, je joue la fille. Il prétend s'intéresser à autre chose qu'à mon physique. Après tout, je me suis dirigée vers ce genre de garçons, pas vrai ? Je fais semblant d'avoir besoin de faire la discussion pendant trois jours complets. Il feint de m'écouter et je prétends ne pas m'en rendre compte. Parfois, il dit des trucs idiots auxquels il ne croit pas vraiment, amplifie son amour pour des activités censées être pour les garçons. Enfin, bref, il se comporte comme ses amis garçons pensent que les garçons doivent se comporter pour plaire aux filles. C'est très clair que c'est exactement ce qu'il se passe dans leur tête, ajouta-t-elle devant mon regard surpris. Quand j'en ai parlé à Mark, il a dit que je venais de décrire Pritchard. Mais bref, on en a déjà parlé, je me comporte selon ce que je crois que les garçons veulent. Ça me distrait quelque temps, parce que c'est toujours agréable de se sentir désirée, pas vrai ? En tout cas, c'est ce que ces idiots à la maison m'ont fait comprendre : les filles, toutes princesses qu'elles sont, aiment cette attention qui n'en est pas vraiment une parce que de toute façon, le garçon en question ne s'intéresse pas réellement à toi en tant que personne, il s'intéresse à toi parce que tu es une fille... vu que c'est un garçon. Enfin, bref ça tient deux semaines et après je me lasse. C'est l'ordre naturel des choses.
— Je ne suis pas sûre que c'est censé se dérouler comme ça…
— Je le réalise bien maintenant. Mais, en réalité, c'est rassurant. Chacun a son petit rôle. Si ça ne marche pas, qu'il dit un truc déplacé, ou qu'il fait quelque chose de stupide, c'est parce que c'est un garçon. S'il n'aime pas quelque chose chez moi, c'est parce qu'une fille, c'est chiant et que je suis une fille particulièrement chiante comparativement à d'autres. Alors, il y a tout un paradoxe. D'un côté, on se déshumanise soi-même et on déshumanise l'autre. On s'en fout de ce que l'autre est ou de ce qu'il ressent. On est juste là pour… je ne sais même pas pourquoi, en fait, mais, dans tous les cas, il est impossible d'être intimes dans cette configuration. Et je me rends compte que je déteste ça. Mais de l'autre côté, c'est terrifiant d'être juste… je ne sais pas, soi-même. Parce que si maintenant Mark en a marre de quelque chose, il en a marre de moi, moi Alice, pas de moi, fille lamda. Enfin, quand même, je ne suis pas lambda, ajouta-t-elle aussitôt, mais tu comprends ce que je veux dire ? Et puis je me suis toujours comportée comme ça avec les garçons. Je ne sais pas me comporter autrement.
— C'est déjà ce que tu fais avec Mark maintenant : être juste toi-même. Tu n'as rien d'autre à faire que continuer à être toi-même.
— Mais s'il n'aimait plus mon « moi-même » une fois ensemble ?
— Alice… Pourquoi est-ce qu'il arrêterait soudainement d'apprécier ton « moi-même » alors qu'il peut, en plus, l'embrasser ? Tu as peur de si mal l'embrasser ? ne pus-je m'empêcher d'ajouter aussitôt. Non ! m'écriai-je alors qu'elle retira soudainement le coussin de derrière mon dos.
Sous le mouvement qu'elle avait engendré en me retirant mon moelleux dossier, je me rattrapai au rebord du lit. Elle eut l'inattendue pitié de ne pas m'envoyer le coussin en pleine figure alors que je récupérai mon équilibre, avant d'enchaîner :
— J'embrasse très bien, c'est une de mes très nombreuses qualités. Je te le prouverais bien, mais je ne veux pas rendre Lilith jalouse.
Je secouai la tête avant de récupérer le coussin, elle n'était franchement pas croyable. Évidemment, la moitié des sucreries étaient tombées au sol pendant qu'elle essayait de se venger. Nous les ramassâmes rapidement – beaucoup s'étaient glissées sous le lit, avant de revenir sur le matelas, le souffle légèrement coupé. Nous avions pu sauver une dizaine de patacitrouilles de la poussière.
— Tu as peur que ça devienne comme ça avec Mark ?
— Eyrin, j'ai tellement l'habitude de tout ça. Et si, à partir du moment où on se met à sortir ensemble, je me comporte exactement comme cette Alice ? Et si, après, je le blesse parce que je panique soudainement et que je me comporte comme une idiote ? Laisse-moi te rappeler que la panique est une de mes spécialités. Elle a déjà failli me coûter notre amitié.
— Peut-être que cette appréhension que tu as est justement la preuve que tu as beaucoup avancé sur ce que tu attendais des relations. Il n'y a aucune raison que ce soit à nouveau comme ça maintenant, Alice. C'est normal d'avoir peur de se découvrir, mais, d'une certaine façon, vous l'avez déjà fait ces dernières semaines. Tu as déjà fait le plus dur, maintenant il suffit de profiter…
— Encore une réponse d'adulte, « c'est inconfortable mais c'est normal », m'imita-t-elle, c'est vraiment trop chiant, soupira-t-elle. Tout est trop adulte ici. Même ces foutus rideaux sont trop adultes, regarde-les. Avant, ils se foutaient toujours n'importe comment, il fallait tirer dessus comme une malade pour qu'ils se décoincent et qu'ils fassent enfin ce qu'on voulait. Maintenant, ils sont toujours droits, ferment le lit sans aucun soucis, nous jugent dans le noir et nous demandent de prendre nos responsabilités.
— Alice…
— C'est de votre faute.
— De notre faute ? répétai-je, confuse.
— Oui, à cause d'Emily et toi je réfléchis à des choses qui d'habitude ne demandent aucune réflexion. Comme les émotions. Avant, ce n'était jamais inconfortable ou stressant de sortir avec un garçon. Maintenant, je me retrouve à faire le plan d'un parchemin de 30 cm, dans ma tête, sur comment je me sens avant d'embrasser un garçon. Et tu sais comment je me sens, Eyrin ? J'ai mal au ventre et je suis terrifiée. C'est agaçant. J'aurais définitivement un Optimal si argumenter les raisons d'un baiser était une matière dans ce foutu château, ajouta-t-elle en avalant une autre patacitrouille.
Elle rit soudainement, m'effrayant presque.
— Tu aurais juste écrit « embrasse-moi » sur ton parchemin et aurais eu ton premier Troll, s'amusa-t-elle. Ou « elle était en colère contre moi, alors j'ai eu l'impression d'exister à ses yeux et j'ai voulu qu'elle m'embrasse » pour essayer de viser un Désolant.
Je secouai la tête, les joues rougies. Mes états d'âme du début d'année n'allaient jamais arrêter d'amuser Alice.
— Peut-être que si Miss Stevens ne considérait pas que la raison et les émotions étaient deux opposés d'un même continuum, elle n'en serait pas là avec les garçons de prime à bord.
— Tu ne gères tellement pas tes émotions que tu accuses ton cerveau de te faire dire des choses, répliqua-t-elle.
— C'est le cerveau qui nous permet d'avoir des émotions, rétorquai-je. C'est même le cerveau qui fait que nous sommes un caramel mou. J'ai tout à fait raison d'accuser mon cerveau.
Elle soupira avant de laisser le silence s'installer. La fatigue se rappela à moi et je m'étendis sur le lit, redoutant grandement le moment où elle poserait des questions sur la réunion des préfets. Pour autant, je ne comptais pas lui faciliter le travail.
— Vous avez parlé d'autres choses pendant cette balade ? demanda-t-elle, prudente.
— Il m'a dit à propos du « garçon ».
Son dos se relâcha d'un coup.
— Enfiiiiiiin !
Elle fut si soulagée que je crus un instant qu'elle allait se laisser glisser hors du lit pour finir sur le sol, comme ce fameux caramel mou dont elle parlait tout le temps.
— Je garde ça depuis tellement longtemps que j'ai cru que j'allais finir par être malade. Tu sais, ce n'est jamais bon de garder des secrets trop longtemps. Après tu deviens vieux, tu as des cheveux blancs, tu te mets à collectionner des orphelins, tout le monde oublie que tu as un frère et le Ministère ne te croit pas quand tu le préviens du retour de Voldemort. Mark est complètement fou de me dire ça alors que je n'ai rien le droit de dire, c'est une torture.
Bien qu'amusée par la mention de Dumbledore, je déglutis aussitôt sa phrase finie, le ventre soudainement serré par son choix de mot. Elle enchaîna, m'arrachant presque l'avant-bras au passage :
— Alors, je pense savoir qui c'est mais cet idiot est vraiment très bon à feindre l'indifférence. Il n'a jamais réagi au nom, mais je suis sûre que j'ai raison quand même. Enfin, d'habitude, il n'arrive pas à me cacher quoique ce soit, mais sur cette thématique précisément, il est vraiment borné.
— À qui tu penses ?
Elle ramena ses jambes contre son torse.
— Nast.
— Quoi ?
— Oui, ils ne sont pas amis, pas vrai ? continua-t-elle, excitée. Et pourtant, une fois, lorsqu'on parlait d'une de vos réunions de préfets, il l'a appelé « Joshua ». Il a légèrement rougi quand il a vu que j'ai pris l'information. Tu as déjà vu Mark rougir ?
— Une fois, devant Flitwick, quand il nous expliquait pourquoi on était préfets.
— Bah voilà, c'est bien ce que je dis : il ne rougit jamais. En plus, Mark a, généralement, plutôt bon goût. Il aime la réglisse, déteste les Gnomes au poivre - comme tout être humain digne de ce nom, préfère les articles de Jeannette à ceux de Lorell et soutient les Pies. Nast est mignon. Ce serait logique qu'il le trouve aussi à son goût, je veux dire ça fait sens, pas vrai ? Il nous manque plus qu'à confirmer que c'est bien Nast.
Vu ce que le préfet m'avait dit plus tôt, je doutais grandement de l'importance du physique dans son approche des garçons, mais admettons.
— Nast n'est pas « proche » de Greengrass ? vérifiai-je, confuse.
Elle se redressa avant de se pencher vers moi, sa main sur mon poignet. Dans cette posture en tout point similaire à celle que tenait habituellement Emily, elle enchérit :
— Il y a des personnes qui sont bisexuelles, tu sais. Ce n'est pas nécessairement soit l'un soit l'autre.
Je souris, retenant un rire devant son imitation très réussie et, du coup, franchement bancale ; ce rôle ne lui allait pas du tout.
— Elle a une voix beaucoup plus douce.
— Sa voix n'est jamais douce quand c'est à toi qu'elle dit ce genre de choses, crois-moi. Elle m'a parlé comme ça pendant des semaines. C'est vraiment très infantilisant.
Si j'imaginais très bien la scène, Alice grossissait probablement le trait, comme à chaque fois. Entre l'attitude réelle d'Emily et l'interprétation que la blonde en faisait, il pouvait parfois exister un sacré décalage.
— Pourquoi est-ce que tu ne me parles quasiment jamais de ça, ou de lui ? demandai-je.
— Parce que je n'ai pas l'impression d'avoir le droit de le faire et le fait que tu ne poses pas de questions prouve bien que j'ai raison de le croire : tu m'en veux toujours. Faire ce chemin toute seule est ma punition.
— Ce n'est pas l'impression que je voulais te donner, Alice. J'ai juste cru que tu avais besoin de faire tout ça à ton rythme. Je me retiens de poser des questions depuis le début de cette histoire.
— Vous ne comptez pas descendre manger ? fit soudainement la voix d'Emily à l'entrée des dortoirs. Il est 19h. Oh, ajouta-t-elle alors que son regard se posa sur les sucreries, la réunion des préfets était si horrible que ça ?
Alice se retourna vers moi avec un regard mi-curieux mi-accusateur – elle venait probablement de réaliser que nous n'avions pas encore échanger à ce propos, et je soupirai.
— Après cette réunion, je n'ai aucune envie d'aller dans la Grande-Salle. Ou même en cours. Ou de croiser qui que ce soit. Peut-être que je peux m'entraîner à lancer un sortilège de désillusion comme ça je pourrais assister aux cours sous désillusion jusqu'à ce que l'année se termine.
Emily nous rejoignit sur le lit, accueillie par le suçacide que lui tendit Alice, et je me redressai dans un long soupir. Au moins, le compte-rendu fut assez rapide.
— Est-ce qu'il a vraiment dit que tu défendais Voldemort ou est-ce qu'il a juste laisser le sous-entendu exister ? demanda Emily. Parce qu'entre dire que tu défends les Serpentards ou que tu essayes de les excuser, et… dire que tu défends Voldemort, il y a un sacré décalage.
— Je n'en sais rien, répondis-je. Taylor a résumé ce que certains Gryffondors pensaient, je ne sais pas ce qui vient directement de Griffin et ce qui est dû à la surenchère habituelle de Poudlard et de ses rumeurs, mais de ce que j'ai compris entre les lignes, Griffin était loin de se contenter de laisser les sous-entendus être faits par les autres élèves. Il parlait beaucoup et donnait beaucoup son « analyse » de la situation à ceux qui voulaient bien l'écouter.
— Je ne pense pas qu'il y ait de décalage pour lui, enchérit Alice. Il a vu que les mangemorts étaient souvent des anciens Serpentards, comme des Sang-Purs, et il croit maintenant que les tous les Serpentards et tous les Sang-Purs sont des mangemorts. La conséquence logique, c'est qu'excuser les Serpentards… ou avoir du bon temps avec des Sang-Purs, ajouta-t-elle avec un sourire alors qu'elle me fit rougir, c'est excuser Voldemort. Il est juste trop idiot pour comprendre que sa prémisse est fausse alors il est persuadé d'avoir raison.
— À ce stade-là, Alice, c'est plus une forme de radicalisation que juste être « idiot ». Griffin est loin d'être stupide, de base. Et puis, ce n'est pas comme si Eyrin « excusait » quoique ce soit sous prétexte qu'elle est intervenue en début d'année pour les Têtes-Chercheuses ou l'endoloris des Deuxièmes Années. Il oublie volontairement tout un contexte.
— Quand est l'anniversaire de Griffin ? demanda soudainement la blonde.
— Quoi ? me surpris-je.
— On devrait lui offrir un dictionnaire, reprit-elle en s'emparant de la dernière patacitrouille. Il en a de toute évidence besoin. « Expliquer » et « Excuser » sont deux mots différents.
Nous rîmes.
— D'ailleurs maintenant que j'y pense, enchérit Alice, les sourcils froncés, vous avez juste fait une balade comme ça après la réunion ?
— Bah… oui.
— Si je récapitule, Mark et toi, qui êtes toujours mignons quand vous vous parlez l'un à l'autre, tout petits préfets, tout respectueux, au point où ça devient gênant quand on est tous les quatre parce que ni Emily ni moi ne savons comment nous tenir tellement vous êtes prudents l'un avec l'autre. Mark et toi qui, jusqu'à aujourd'hui visiblement, utilisiez encore vos noms, insista-t-elle, vous êtes « juste » allés vous balader comme ça tous les deux dans le parc à parler de choses intimes pour aucune raison ?
Je déglutis. J'avais été naïve de croire une seule seconde qu'elle ne le découvrirait pas d'elle-même.
— C'est si surprenant que ça ?
— Oui, Eyrin, c'est franchement bizarre. Tout comme ton silence. Tu viens d'apprendre que des premières années te croyaient mangemort, qu'est-ce qui peut être pire que ça ?
— Rien, Alice. J'ai juste fait une petite crise de panique. Ca fait plus peur qu'autre chose, c'est tout.
— Quand tu as appris ce que les Gryffondors disaient ? demanda Emily.
— Hm… Pas vraiment, non. Je ne sais pas. Tout est allé très vite.
— Tu sais que je demanderai à Mark, pas vrai ? enchérit Alice.
— Stewart en a eu marre de Griffin alors à un moment donné elle l'a pétrifié, répondis-je sans faire grand effort d'articulation.
J'inspirai, jouant nerveusement avec la couette que j'avais à portée de main.
— Oh.
— Voilà.
— Ok. Ca marche, acquiesça Alice. Il n'y avait vraiment pas besoin d'en faire toute une histoire comme ça.
Je relevai vivement les yeux, à la fois soulagée et déçue. La sensation était franchement désagréable.
— J'imagine, oui, soupirai-je. Désolée. Je suis juste un peu fatiguée.
— Je viens juste de me souvenir que j'ai oublié ma liste en bas. Il faut que je complète la liste de ce qu'il me manque pour Honeydukes, expliqua-t-elle, sinon je vais encore en oublier la moitié samedi.
J'acquiesçai et Alice quitta rapidement le dortoir. Lorsque la porte se referma derrière elle, ce fut comme si toutes les émotions de la journée me tombèrent dessus en même temps. J'avais mal à la gorge et une envie incontrôlable de pleurer.
— Est-ce que ça va ? demanda Emily en se penchant vers moi, sa main sur mon poignet.
Je secouai la tête, les larmes aux yeux. Bien vite, elles glissèrent le long de mes joues et je m'effondrai.
— C'est vraiment humiliant. C'est comme s'il disait que je voulais que des moldus soient tués. Que ma mère ou ma famille ou Theo… Emily. C'est tellement...
Elle se raidit et sa main se crispa sur mon poignet.
— Je ne pense pas qu'il ait réfléchi jusque-là, Eyrin, souffla-t-elle avant de me prendre dans ses bras. Je ne pense même pas qu'il comprenne vraiment la portée de ce qu'il dit lui-même. Les mots et la réalité ont perdu tout sens pour lui.
Je me laissai aller ; de toute façon les larmes coulaient toutes seules. Je n'avais pas pleuré comme ça depuis une éternité, enfin probablement depuis cet été. Au bout d'un moment, mon corps se calma enfin. Le pull d'Emily donnait l'impression d'avoir passé une demi-heure dans la salle de classe de Flitwick pendant les leçons sur l'aguamenti.
— Je sais que ce ne sont que des rumeurs et que ça arrive tout le temps mais… ça me donne l'impression d'avoir fait quelque chose de mal. Et puis, maintenant, j'ai l'impression de tout faire mal. Je ne sais même pas ce que je suis en train de faire, Emily. La plupart du temps, je fais des trucs mais je ne sais même pas… Peut-être que je me trompe sur toute la ligne. C'était stupide de demander les psychiatres. Et si les Septièmes Années avaient raison, je veux dire comme Weasley et Lewis ? Si ça se trouve, nous sommes en train d'empirer tous les problèmes du château.
— C'est normal de douter de certaines choses mais, de l'autre côté, tu sais très bien que tu as raison. Parler des problèmes n'est pas un soucis, c'est juste inconfortable. Tu n'as rien fait de mal. Et tu sais très bien que si Griffin doit te faire passer pour une victime de Lilith, c'est qu'il sait très bien de base que tu ne défendrais jamais Voldemort de toi-même. Tu le sais déjà, tout ça, ce sont même des choses que tu nous as déjà dites. L'essentiel à retirer de cette journée, c'est que Griffin a été confronté, à la fois par les préfets et par le reste des Gryffondors, et que les choses devraient se calmer maintenant.
— Il n'a rien compris. Il avait l'air sincèrement surpris d'apprendre ce qui lui était reproché.
— Il n'a pas besoin de comprendre. Il a juste besoin de la fermer.
J'eus un léger rire, de ceux emplis de larmes, et elle continua :
— De toute manière, s'il comprenait, il n'aurait pas ce genre de comportements problématiques pour commencer.
J'haussai les épaules avec un soupir.
— J'ai l'impression que tout m'échappe, et, en même temps, que tout me retombe sur la figure simultanément. Je me sens tellement stupide. Même avec Wright, je me sentais stupide. Pour ma mère et pour Poudlard. Tout m'échappe constamment, je me sens tout le temps dépassée par les évènements, et je ne sais même plus quoi écrire à mon père.
Mes pleurs reprirent aussitôt et Emily s'absenta quelques secondes pour revenir avec un mouchoir.
— Tu ne devrais pas te retenir de pleurer.
— Emily, la moitié de l'eau présente dans mon corps a déjà atterri sur ton pull. Je n'ai plus rien à pleurer. Et j'ai l'impression de passer ma vie à pleurer ces derniers jours.
— Ce n'est pas ce que disent tes yeux. Tu devrais laisser sortir tout ce que tu as.
