Chapitre 34
Deuxième semaine de janvier
Si je n'avais pas aussi bien dormi depuis bien longtemps – au plus grand dam du pull d'Emily qui avait malheureusement continuer de subir les frais de mes sautes d'humeurs la veille, la réunion n'avait pas fini de laisser ses marques. Alors que nous nous dirigions vers la Grande Salle pour le petit-déjeuner, le lendemain matin, j'eus le réflexe tout à fait idiot de jouer avec les boutons de ma chemise, quelque peu hésitante à l'idée de laisser les manches couvrir mes avant-bras. Je sentis aussitôt le regard d'Emily et me ressaisis devant son air désabusé, laissant ma chemise tranquille.
— Tu n'as rien à prouver, dit-elle.
Je soupirai et Alice s'enquit, un sourire dans la voix :
— Oh, quelqu'un a besoin de douceur ce matin.
Je relevai à mon tour les yeux ; Lilith attendait quelques mètres devant nous, adossée contre un mur à côté de la porte. Harper lui avait évidemment parlé de la veille. Je rougis alors qu'Emily rit doucement.
— Ou alors elle est inquiète. C'est difficile de faire la différence sur son visage. Oh, non, on dirait qu'elle est en colère plutôt. En fait, je ne sais pas. Ne l'invite jamais à nos parties de cartes, ajouta la blonde.
Je lui jetai un regard dépité – il fallait évidemment qu'elle en rajoute une couche vis-à-vis de l'impassibilité de Lilith, et elle continua sur un ton très sérieux :
— Participer, c'est bon pour les Poufsouffles, Eyrin. J'aime gagner. Oh mais, non, j'ai une meilleure idée : je te donne Mark et tu me donnes Lilith. Je retire ce que j'ai dit : tu devrais l'inviter dès la semaine prochaine. C'est le meilleur moment. Vu que j'aurais refait tout mon stock, je pourrais parier gros, héhé.
— Encore faut-il que Lilith souhaite être dans ton équipe, nuança Emily.
— Oh, ne t'inquiètes pas pour ça, s'amusa Alice, j'ai 9 ans d'anecdotes à raconter sur Eyrin. Lilith dira oui.
— Si elle joue avec nous, on doit tirer les équipes au sort, répliqua la brune.
— N'importe quoi, enchérit la blonde, on a toujours fait les équipes selon nos préférences.
— Elle a des années d'entraînement à ne strictement rien montrer sur son visage, Alice. Il faut tirer au sort pour que ce soit juste.
— Emily, la personne qui a inventé le concept de pari ne l'a jamais fait pour être « juste ». Il l'a fait pour arnaquer les gens. D'ailleurs, le mec n'était vraiment pas con quand on y pense. Il avait compris qu'on s'ennuyait tous à Poudlard et que ce serait plus marrant de jouer à un jeu chiant, comme la Bataille Explosive, s'il y avait un enjeu, pas vrai ? Alors il s'est dit que s'il arrivait à artificiellement créer un enjeu au fait de perdre ou gagner une partie, on serait tous émotionnellement conditionnés à parier des chocogrenouilles plutôt qu'à les manger, ajouta-t-elle, ahurie. C'est complètement stupide, quand on y pense, de parier au lieu de manger. Peut-être même que ce sont ceux de chez Honeydukes qui sont derrière cette vieille tradition du pari à Poudlard : pour qu'on achète plus et qu'ils s'enrichissent sur notre dos en alimentant notre addiction au sucre lorsque l'on s'ennuie. Quelqu'un a déjà pensé à vérifier d'où ça venait, cette tradition ? C'est curieux, quand on y pense. Et puis, franchement Emily, ne serais tu pas heureuse que je me lie d'amitié avec la petite-amie d'Eyrin ?
— Tu es insupportable quand tu fais ça, soupira la brune en secouant la tête avec un sourire amusé.
— C'est parce que tu sais que tu ne peux pas me contredi…
— Salut, coupai-je alors que nous arrivions à la hauteur de Lilith.
Les filles s'arrêtèrent aussitôt de parler. Alice inspecta Lilith du regard, manifestement curieuse, mais cette dernière ne sembla pas s'en soucier outre-mesure.
— Bonjour, je ne vais pas interrompre votre discussion très longtemps. J'étais juste inquiète. Lucy m'a raconté ce qu'il s'est passé hier soir, expliqua-t-elle en tournant son visage vers moi.
Je rougis légèrement, toute autant gênée à l'idée de l'avoir à nouveau inquiétée que par la présence des filles.
— De toute façon, Alice et moi allions manger, enchérit immédiatement Emily.
— Ouais ouais, tout à fait… manger, évidemment… mais avant ça… est-ce que vous voulez nous rejoindre aux Trois Balais en fin de journée samedi ?
Je me retournai vers Alice, légèrement piquée, avant de réaliser qu'elle n'était pas en train de vouvoyer Lilith ; ce n'était vraiment pas ma semaine.
— Eh bien, répondit Lilith en me jetant un regard entendu, nous n'avons pas encore échanger au sujet de Pré-au-Lard, alors j'imagine être disponible… ?
J'hochai simplement la tête, surprise – et quelque peu déroutée, par la tournure des évènements. Alice n'avait jamais mentionné son intention d'inviter Lilith ou même de passer la fin de journée aux Trois Balais ce samedi. J'osais d'ailleurs espérer que cette invitation tenait plus d'une réelle volonté d'avoir Lilith avec nous que d'une stratégie pour la ramener, à terme, à l'une de nos parties de jeu - et augmenter son stock de chocogrenouilles.
— Je vais prendre ça pour un oui, s'amusa justement la blonde. Bien. Manger, maintenant, oui, j'arrive, c'est bon, enchérit-elle devant le regard insistant d'Emily.
Elles disparurent dans la Grande Salle, non sans un dernier regard en arrière de la part d'Alice, et je me posai aux côtés de Lilith, l'épaule contre la pierre froide. À cette heure-ci de la matinée, beaucoup d'élèves allaient et venaient pour petit-déjeuner – ou finir rapidement les parchemins qu'ils n'avaient pas terminés entre deux toasts.
— Tu n'es pas obligée si tu n'en as pas envie, m'empressai-je, je veux dire, avec tout ce qu'il s'est passé la semaine dernière…
— Oh, une distraction me fera le plus grand bien. Et loin de moi l'idée de dire non à une occasion de te mettre à défaut.
— Alice risque d'être déçue de n'avoir que dix petites minutes pour grappiller les informations qui l'intéressent à ton sujet. Ca risque d'être dix très courtes et frustrantes minutes pour elle, mais dix très longues et intenses minutes de questions pour toi.
— Le temps passe toujours agréablement vite à tes côtés, je ne suis vraiment pas inquiète à ce sujet. À bien y réfléchir, je ne verrai probablement pas la demi-heure passer.
Je secouai la tête avec un sourire, elle n'était pas possible, et déposai un baiser sur sa joue.
— Est-ce que tu vas bien ? demanda-t-elle. J'entends… au regard de ce qu'il s'est passé hier soir.
— Oui, ça va, je crois. En tout cas, ça va mieux que hier. Mais peut-être que l'on pourrait passer du temps ensemble plus tard ? demandai-je en m'emparant de ses doigts. Tu m'as manqué ces derniers jours.
Elle sourit avant de se pencher légèrement vers moi.
— Il me semble que je termine avant toi aujourd'hui. Étude des runes ? hasarda-t-elle avant que j'acquiesce. Tu es tout à fait encouragée à me rejoindre dans la serre après ton cours…
Elle fit passer ses doigts entre les miens et, après un regard autour de nous, m'embrassa. J'oubliai complètement la présence des autres élèves jusqu'à croiser le regard d'un petit Gryffondor. Je rougis et me reculai légèrement.
— Comment va Ethan ?
— Le Dr. Higgins a déjà réduit le rythme de ses séances et il peut revenir dans les dortoirs communs. Je pars du principe que c'est un bon signe, mais je n'en sais pas plus. Il ne parle pas du tout de leurs discussions, ce qui, visiblement, est tout à fait normal et ne devrait pas m'inquiéter outre-mesure.
— C'est ce que la psychiatre t'a dit ?
— C'est ce qu'Ethan m'a dit. Tu sauras qu'il n'est « pas malade » et que je n'ai aucune raison de faire « toute une histoire » de son « séjour à l'infirmerie ». Il a eu la décence de s'arrêter de parler avant de me dire que je n'étais pas notre mère, j'imagine que je devrais lui en être reconnaissante.
Je ne me souvenais pas l'avoir déjà vu vexée et son ironie me tira un sourire malgré le sérieux des propos.
Le reste de la journée s'était déroulé relativement calmement, si on omettait la version de 30 centimètres attendue par notre professeure de runes pour la semaine prochaine alors que nous avions un combo Pré-au-Lard/Quidditch ce week-end. Alice prétendait toujours ne pas avoir fui notre discussion après la mention du petricifus totalus et je m'en contentais grandement, sous le regard de plus en plus agacé d'Emily qui m'avait répété plus de fois « vous devriez en parler » qu'Alice ne m'avait parlé de nourriture dans la journée. Je savais bien que la brune avait raison mais, comme je m'en étais déjà aperçu durant les vacances, c'était beaucoup plus facile à dire qu'à faire… et puis une partie de moi n'en avait franchement pas envie, surtout. J'avais suffisamment de choses qui se bousculaient dans ma tête pour ne pas en ajouter une supplémentaire.
Lorsque je m'étais excusée de l'avoir introduite dans les idées étranges de Griffin en fin de journée, dans la serre, Lilith n'avait pas été le moins du monde gênée par les propos des Gryffondors. Enfin, elle s'était inquiétée à mon propos et avait enchéri sur la manière dont les rumeurs étaient une forme de sabotage passif, permettant d'éviter la confrontation directe mais nuisant au collectif entier, qu'on retrouvait souvent dans les relations internationales, mais j'avais été un peu naïve de croire qu'elle s'inquiéterait de ce que des « élèves » pouvaient bien penser d'elle. Manifestement, c'était habituel pour les Sang-Purs d'être victimes de ce genre de discours et elle était au-dessus de ça. Je ne l'étais pas trop, personnellement.
D'ailleurs, je ne savais honnêtement pas à quoi s'étaient attendus Miller et O'Connell en confrontant Griffin de cette manière. Les quelques Sixièmes Années de Gryffondor qui traînaient toujours dans son sillage semblèrent particulièrement remontés durant les jours qui suivirent. Entre les quelques regards en biais, les rires ou, au contraire, les silences soudain lorsque nous passions à côté d'eux, il était évident que Griffin n'avait pas retenu grand-chose de notre réunion.
À ce sujet, le préfet n'avait pas été présent lorsque le Dr. Wright avait fait une relecture rapide des mots que nous avions rédigé à destination des élèves. Le psychiatre avait l'air de prendre très au sérieux la formulation des affiches, ce qui était d'autant plus curieux qu'aucun de nos mots ne se ressemblait véritablement.
Harper et Nast avaient axé le leur sur le secret que les psychiatres respectaient à l'égard de ce qui leur était dit, peu importe les faits remontés par les élèves au cours de la discussion. Taylor, elle, avait grandement insisté sur l'idée qu'être « mal dans sa peau » n'était pas synonyme d'avoir fait quelque chose de moralement répréhensible, donnant un bon aperçu de la manière dont les Serpentards et les psychiatres étaient perçus chez une partie des Gryffondors. C'était comme si le fait de considérer que les Serpentards pouvaient être aussi touchés que nous autres par les évènements avait complètement modifié, pour certains Gryffondors, leur perception du mal-être ; allaient mal celles et ceux qui avaient quelque chose à se reprocher. De fait, les Gryffondors ne pouvaient aller mal et n'avaient aucune raison de faire appel aux psychiatres qui, à leurs yeux, aidaient surtout ceux qui avaient fait partie du problème. C'était de toute évidence l'inverse chez les Serpentards ; ils craignaient que les élèves qui en avaient le plus besoin n'osent pas discuter avec les psychiatres du fait de leur participation aux activités des mangemorts.
Stewart et Miller avaient rappelé à leurs camarades de maison qu'il n'y avait aucun mal à demander de l'aide et que, même si discuter avec des amis ou la famille était agréable, il était parfois nécessaire de discuter avec quelqu'un d'extérieur car il pouvait être difficile d'aborder certains sujets. Pour autant, cela ne signifiait pas que la relation était mauvaise et qu'il fallait craindre que l'entourage soit vexé.
Celui que nous avions rédigé avec Mark avait en commun l'importance apportée au fait de ne pas avoir honte de demander de l'aide, mais s'axait beaucoup plus autour du fait que nous avions tous nos propres façons de gérer les évènements et que voir d'autres élèves dans des états manifestement pires que le nôtre n'était pas une raison pour croire que nous n'avions pas besoin d'aide. Il n'y avait pas réellement de critère objectif qui nécessitait de faire appel aux psychiatres et il ne fallait pas hésiter à le faire dès que le besoin subjectif se faisait ressentir.
Wright avait corrigé quelques fautes d'orthographes avec un sourire bien trop amusé – il avait trouvé cela drôle que les Serpentards usent d'une plume orthographiante quand nous autres ne le faisions pas, et nous avait ensuite demandé de les afficher dans la Salle Commune ainsi que dans chaque dortoir et, bizarrement, dans les toilettes. Je n'avais pas trop compris l'idée sous-jacente mais nous nous étions bêtement exécutés en début de semaine.
Les ateliers de potion étaient, eux, assez étranges et bien moins pratiques que ce à quoi je m'étais naïvement attendue. Shadlakorn et les apprentis passaient la majeure partie de leur temps dans des livres de botanique très théoriques, sous le regard intéressé du Dr. Higgins qui, manifestement curieuse, ne pouvait s'empêcher de traîner dans les parages. Parfois, un apprenti interpellait les autres d'un « et si… » qui terminait bien souvent par un signe négatif de la tête de notre professeure de potions.
Pour le moment, avec Lilith, nous devions surtout préparer plusieurs ingrédients de base qui n'avaient pas nécessairement de lien direct avec la mémoire. Shadlakorn nous demandait de les préparer d'une façon particulière – nécessitant parfois de les laisser tremper dans une potion le temps d'une journée – et nous mettions ensuite les ingrédients de côté, dans l'attente qu'ils soient utilisés. De ce que j'avais compris des nombreuses discussion entre notre professeure de potion et la psychiatre – qui n'arrivait pas à rester plus de trois minutes sans poser une question, nos ingrédients allaient servir pour des séances d'essais/erreurs et il était nécessaire d'avoir des déclinaisons importantes d'un même ingrédient ; ce n'était pas parce que de l'armoise séchée ne fonctionnait pas que sa sève, elle, ne serait pas utile.
Évidemment, nous prenions toujours plus de temps que nécessaire pour rejoindre nos dortoirs après les ateliers de potion avec Lilith. Pour autant, ce soir, nous avions dû être particulièrement lentes car je pénétrai dans une Salle Commune vidée de ses élèves. Seul Lewis était présent, recroquevillé près de la bibliothèque. Je m'approchais rapidement, soucieuse de son état. Lui qui, d'habitude, était si sûr de lui – et en colère contre nous pour les psychiatres, paraissait franchement mal au point. Je m'installai à ses côtés, sur le tapis.
— Lewis ?
— Jonsson! s'exclama-t-il avant de rire. Regarde, je suis le meilleur, héhé.
Il me montra une fiole à moitié vide qu'il faillit renverser sur le sol. Je la récupérai rapidement pour éviter le pire. Malgré l'haleine du batteur, la fiole ne sentait pas l'alcool.
— Donne-moi un miroir, tu veux, ajouta-t-il, hilare.
— Tu es complètement ivre, Lewis.
— Comment ne pas l'être ? Tu m'as vu ? Ivre de moi!
Le batteur entreprit de se lever tant bien que mal. Je dus le rattraper alors qu'il bascula vers l'arrière. Il rit à nouveau, se stabilisa et me montra ses biceps. Je me retins de rire nerveusement devant le ridicule de la situation, à la fois amusée malgré moi et franchement gênée. Fier de sa prestation, il se rassit à genoux, face à moi, puis attrapa mes mains avec enthousiasme. La fiole tomba au sol et je la récupérai avant que le contenu ne déborde. Ses yeux n'arrivaient pas à se poser plus de quelques secondes sur un objet avant qu'il doive tourner la tête ; il semblait réagir au moindre bruit ou mouvement autour de lui. Je n'avais jamais vu une personne démontrer d'un comportement aussi erratique et, pendant un instant, ne sus plus trop où j'étais. Lorsqu'Alice et Emily étaient ivres, ça ne ressemblait jamais à ça. Il ressemblait un peu à Anna, cette nuit dans l'escalier, avec ses yeux fuyants.
— On me la fait pas à moi, continua-t-il excité, j'ai cheaté le game, hé. Jonsson, je suis pas stupide moi. Pas besoin d'aller voir les psychiatres. J'ai réglé le problème, héhé.
Il montra d'un geste de la tête la fiole, que j'avais décalé au sol, à l'abris de ses mouvements imprudents.
— Lewis, quelle potion est-ce que tu as ingéré ?
— Mais écoute-moi, Jonsson, c'est important pour nos jeunes, ok ?
— Lewis, soupirai-je alors que je commençais à perdre patience.
— Pour nos jeunes! répéta-t-il mécontent. Regarde-moi ces mains, Jonsson, j'ai de belles mains, non ? fit-il en les agitant sous mes yeux. Peut-être que je les abîmes à force de jouer avec des cognards. C'est important les mains, surtout quand elles sont jolies. On en parle pas assez de l'importance des belles mains. Surtout des miennes. On ne parle pas assez de mes mains.
Une vague idée de ce qui avait bien pu se passer me vînt à l'esprit et je récupérai la potion. Sa couleur était effectivement nacrée et elle sentait un mélange d'odeurs particulier ; le rivage en été, près de notre maison, quand le vent soufflait sur l'eau du lac et que les végétaux étaient encore pleins de vies animales, l'encre à peine séchée, et l'odeur que je sentais toujours lorsque je me perdais dans le cou de Lilith, un mélange entre son parfum, son shampoing et sa transpiration. Je rougis et reconcentrai mon attention sur le batteur.
— Est-ce que tu as bu un philtre d'amour… que tu as toi-même préparé ?
— Je te l'ai dit, Jonsson, je suis le plus intelligent. Qu'est-ce que tu veux me faire aller voir des psychiatres, ha ! C'est franchement pas des moldus qui vont nous aider : c'est nous qui les avons aidés. Je vous ai eu, Peter et toi ! Donne-moi un miroir, répéta-t-il.
— Pourquoi est-ce que tu veux un miroir ?
— Pour te prouver que ça marche, Jonsson ! Merlin, suis un peu. Enfin, c'est peut-être difficile pour toi de suivre un grand esprit comme le mien, héhé. Écoute, écoute, les Gryffondors, ça fonce tête baissée, pas vrai ? Ils font toujours n'importe quoi sans même comprendre ce qu'ils font, « pour la justiiiice », cria-t-il en direction de la bibliothèque comme s'il s'apprêtait à charger les livres. Bon des fois, la justice est pas trop là où ils pensent, mais peu importe. Les Poufsouffles… ça suit les Gryffondors, majoritairement. Les Serpentards, ça n'aime pas trop l'incertitude alors ils reviennent toujours vers l'ordre préétabli. Ce qui est, souvent, ce que les Gryffondors fuient, du coup ils se cognent un peu, expliqua-t-il en mimant une collision avec ses mains. Mais nous, on vaut mieux que tout ça, pas vrai ? Nous, on ré-flé-chit, on utilise notre cerveau, tu vois. On prend de la distance.
Son discours n'avait pas plus de sens que son comportement ; en plus, Griffin était le premier à vouloir maintenir l'ordre préétabli que représentait la vieille tradition d'opposition entre Serpentard et Gryffondor. Lewis regarda autour de lui, alerte, comme s'il avait entendu un bruit avant de se lever subitement. Au bout de quelques secondes, il parut satisfait et m'attrapa le bras pour me lever à sa suite. Il m'amena jusqu'à la vitre de la Salle Commune. Entre la nuit tombée et l'éclairage de l'intérieur, nous ne voyions que nos propres reflets.
— Regarde ! intima-t-il en montrant la vitre.
— Quoi ?
— Je peux enfin me regarder dans la glace !
Toute cette situation perdit aussitôt son caractère comique et, le ventre serré, les larmes me montèrent immédiatement aux yeux ; il semblait sincèrement content et, surtout, attendre que je le félicite. J'inspirai, gênée par le mélange étrange de tristesse et de pitié qui m'avait pris l'estomac, mais il continua, excité.
— Je m'aime, Jonsson. Ca marche. Mon idée marche ! Vous pouvez enlever toutes les affiches, maintenant. J'ai trouvé une solution, héhé.
Il y avait un tel décalage entre ce qu'il avouait et son enthousiasme qu'il me laissait à présent complètement sidérée. Jamais je ne me serais attendue à ce qu'afficher de simples mots dans la Salle Commune ait ce genre d'effet sur quelqu'un comme Lewis. Au bout de quelques secondes - qu'il passa à grimacer devant son reflet, je me repris mentalement. Il allait falloir de l'aide.
— Euh… tu sais quoi, il doit y avoir un miroir dans votre dortoir, pas vrai ?
— Oh, oui ! Mais… Oh Merlin et si Ali tombait amoureux de moi ? Il mange des gnomes au poivre, Jonsson, des gnomes au poivre ! Ma bouche est trop jolie pour embrasser quelqu'un qui mange des gnomes au poivre. Une seule chose est assez bonne pour ma bouche et c'est ma bouche. Je ne peux pas aller dans les dortoirs, c'est trop risqué. Il faut protéger ma bouche. C'est un trésor de ce château.
— Akhtar n'essayera pas de t'embrasser, Lewis.
— Tu m'as vu !? rétorqua-t-il. D'ailleurs, tu as un grand contrôle de toi-même pour ne pas déjà avoir essayé de m'embrasser, tu sais. Je ne sais pas si on te le dit souvent : mais tu as un grand contrôle de toi-même. Moi, je me vois, je m'embrasse. Mais ne t'inquiètes pas, je ne dirais rien à Parker quand tu ne seras plus en mesure de te contrôler. Et puis, de toute façon, elle comprendra. Je veux dire… Hey, je suis canon. Oh Merlin, souffla-t-il comme s'il venait de découvrir le sortilège du siècle. Et si elle devenait jalouse parce que tu as pu m'embrasser mais pas elle ? Je suis trop dangereux pour le bien commun, Jonsson. Vraiment, il faut m'éloigner des couples : je suis une arme de séduction massive.
— Oh Merlin, soupirai-je. Bon, je vais aller chercher un miroir, mais tu restes ici, d'accord ? Si des gens te croisent, ils risquent de… tomber amoureux de toi, hasardai-je.
— Ok, oui, tu as raison, je dois rester ici, vaut mieux pour les autres. Je risque de déclencher une bagarre générale s'ils sont plusieurs à vouloir me rouler des pelles. Avec une grande beauté, viennent de grandes responsabilités. Je reste en tête-à-tête avec ce beau-gosse, héhé, s'amusa-t-il en direction de son reflet dans la vitre. Mais prends un grand miroir, hein, m'interpella-t-il alors que je me dirigeai vers les escaliers, il en faut de l'espace pour qu'ils soient dans le cadre, ajouta-t-il en montrant à nouveau ses biceps.
Je levai les yeux au ciel avant de rejoindre les dortoirs. J'hésitai un instant à demander de l'aide à Mark ou à des camarades de dortoir de Lewis mais, vu l'heure, j'étais quelque peu gênée à l'idée de déranger les garçons – toquer était souvent synonyme de réveiller la moitié des autres élèves au passage. Et puis, tout le monde n'avait pas besoin de voir notre batteur dans cet état. Il y avait des chances non-négligeables qu'Alice soit toujours éveillée à cette heure-ci et mon choix s'arrêta vite en faveur de notre dortoir. Bien trop excitée par l'idée de voir le spectacle de ses propres yeux, la blonde effectivement pas prête de dormir me suivit immédiatement en bas. Au moins, elle pourrait occuper Lewis le temps que je cherche Pomfresh. Dans son état, je n'osais pas le laisser trop longtemps seul.
— Stevens ! fit-il aussitôt qu'il l'aperçut. Je suis canon, c'est fou qu'on soit jamais sortis ensemble.
— Tu m'as invité à un match des Pies il y a deux ans, rétorqua-t-elle. Tu m'as menti en prétendant être fan des Pies alors que tu supportais leur adversaire du jour. Foutues Tornades. Ils jouent agressif à défaut de savoir manier un balais, râla-t-elle manifestement toujours vexée par le résultat du match.
— Oh, vrai. Je suis trop bien pour toi de toute façon.
— C'est l'amortentia, m'empressai-je alors que le visage d'Alice se décomposa.
— Ou l'alcool qui lui permet de dire enfin ce qu'il pense, rétorqua-t-elle avec une colère non feinte, parce que sans ça il est incapable d'être sincère envers les autres ou… envers lui-même, de toute évidence, vu le spectacle qu'il nous offre ce soir.
— Je devrais sortir avec moi-même, continua Lewis en direction de son reflet. Pourquoi m'embêter avec d'autres gens quand la perfection est juste là, devant moi, chaque matin ?
Je retins un rire avant de me retourner vers Alice, elle était un peu dure envers lui considérant le contexte. Et puis, il avait toujours su faire la part des choses pendant nos entraînements de Quidditch malgré ce qu'il me reprochait.
— Non, vraiment, insistai-je, il croit que s'il rejoint leur dortoir, Akhtar tentera de l'embrasser et que Lilith sera jalouse de ne pas avoir eu l'occasion d'en faire autant. Et il n'est juste… pas très bien, Alice.
Elle soupira avant de récupérer sa baguette dans la poche de son pyjama.
— S'il continue comme ça, monsieur imbu de lui-même serait capable d'essayer de se faire des choses à lui-même, tu sais. Jeannette m'a prévenue de ce genre de situations : l'alcool et l'amortentia, ça ne finit jamais bien. Il faut les surveiller non-stop. Majoritairement parce que le connard qui a glissé l'amortentia dans le whisky pur-feu est dans les parages et s'attend à isoler sa victime pour profiter de quelques mains baladeuses, mais… Il s'embrasse, ça y est, se reprit-elle, dégoûtée, alors que Lewis tentait effectivement d'embrasser son reflet dans la vitre. Oh Merlin, il lui faut vraiment un antidote, c'est gênant, il y met la langue. Fais-moi confiance Eyrin, il finira pétrifié avant de finir à poil. Je veux dire, stupéfixé, corrigea-t-elle aussitôt.
— Oh Merlin, je me dépêche, soupirai-je avant de prendre la direction de la sortie.
— Allez, Lewis, et si tu te détachais enfin de cette foutue vitre qui, entre nous, n'a rien demandé à personne ? Vu la poussière de nos dortoirs, j'ose pas imaginer la saleté de la vitre, en plus. Oh, je sais, on peut s'amuser à compter le nombre de personnes qui sont amoureuses de toi, ça te fera penser à autre chose. Ou tu peux continuer à t'humilier, ouaip. Ok. J'aurais essayé.
