Chapitre 36
Deuxième semaine de janvier
Les tensions entre Gryffondor et Serpentard avaient déjà été grandes cette semaine, mais elles prirent une autre tournure dès le petit-déjeuner. La une du jour de la Gazette des Sorciers titrait que les Malfoy, du fils jusqu'au père, avaient échappé à la peine de prison. C'était l'unique sujet de discussion qui sembla animer le château malgré l'heure matinale. Lire trois phrases de cet article entre deux toasts m'avait bien trop énervée pour que je puisse continuer ma lecture ou même finir mon assiette, mais Alice avait une tolérance bien plus accrue que moi à ce sujet et était bien trop heureuse de nous en faire un résumé complet.
De toutes les absurdités mentionnées dans l'article, il y en avait tout de même une qui sautait aux yeux : les Malfoy étaient allés jusqu'à utiliser leur ancien Elfe de Maison pour justifier de leur « moralité », me rappelant aussitôt les vieilles lettres des Parker que nous avions lues avec Lilith. Les Malfoy avaient argué qu'un Elfe de Maison partageait généralement les mœurs de la famille qu'il servait et que, de fait, leur famille ne pouvait pas sincèrement partager les idées de Voldemort. L'Elfe de Maison en question était, après tout, celui qui avait prévenu – et aidé - Harry Potter à plusieurs reprises. Ils avaient même ajouté qu'ils l'avaient libéré : ce que n'aurait jamais fait une famille sorcière partageant les idées de Voldemort. C'était presque aussi surréaliste que prétendre être victime d'un impero, ce qu'ils avaient évidemment fait puisqu'ils ne semblaient plus être à quelques indécences près. Après tout, s'ils venaient de prouver qu'ils n'avaient pas de mœurs équivalentes à celles de Voldemort, c'était bien qu'ils avaient agi sous impero. La boucle était ainsi bouclée.
Alice n'avait pas encore fini sa synthèse que les Gryffondors se mirent soudainement à siffler, bien vite suivis par les Poufsouffles. Je relevai les yeux et Alice reposa la Gazette sur la table. Greengrass était entrée dans la Grande Salle et se faisait huée. La scène était assez surréaliste, je ne comprenais pas ce qu'il se passait et l'ensemble faisait de la peine à voir. Greengrass ne sembla pas surprise et secoua simplement la tête avant de s'installer à table aux côtés de Nast et Smith. Je jetai un regard interrogateur à Alice qui soupira.
— Sa mère aurait témoigné en faveur des Malfoy en disant qu'elle n'avait jamais entendu le père Malfoy dire des choses déplacées sur les Nés-Moldus, expliqua-t-elle.
Je ne savais pas trop ce qui me dérangeait le plus ; punir la fille Greengrass pour sa mère, ou oser affirmer une chose pareille lorsque nous avions tous eu l'occasion d'entendre le fils Malfoy cracher son mépris entre les murs de ce château.
— Je me souviens très bien avoir entendu Malfoy traiter Granger de « sang-de-bourbe », enchérit justement Emily.
— La parole d'une Greengrass doit valoir plus que tous nos souvenirs de ce snargalouf, soupira Alice. Enfin, c'est pas comme si on nous avait demandé de nous positionner sur le sujet.
— Bien sûr, sinon le résultat du procès n'aurait probablement pas été le même, soupirai-je. Ils ont vraiment libéré leur Elfe de Maison ?
La blonde haussa les épaules.
— Visiblement, oui. Tout ce que je sais, c'est qu'il est mort en aidant Potter. Il y avait un passage sur lui dans les victimes de la Guerre, expliqua-t-elle.
— C'est bizarre quand même.
— Peut-être que le blondinet incapable de faire quoique ce soit par lui-même lui a donné un vêtement par accident, rit Alice. « Qu'est-ce que c'est que ça ? Oh, un caleçon, beurk, range-moi cette horreur, être inférieur, je ne veux pas me salir les mains » et l'Elfe était là « Oh, maître vient de me donner un caleçon, je suis un Elfe libre ! ».
Nous éclatâmes de rire avant de nous reprendre devant les regards surpris de Tyler et Campbell. Rire juste après que Greengrass se soit fait huer n'était pas la meilleure des idées que nous avions eu.
— Quand on y pense, on devrait voir plein d'Elfes libérés par accident avec des gens incapables de faire quoique ce soit par eux-mêmes, reprit Alice.
— Peut-être qu'ils n'interagissent pas directement avec leur Elfe de Maison, répondit Emily, du coup ça réduit les risques.
— Lilith parle avec Mr. Kristof. Il n'a pas l'air d'être juste… présent. Il est même venu voir Ethan à l'infirmerie.
— Peut-être qu'ils apprennent très tôt à ne rien donner à leur Elfe de Maison. Imaginez sinon le nombre d'enfants Sang-Purs qui leur donneraient des trucs.
— À mon avis, enchérit Alice, c'est surtout que les gamins Sang-Purs sont éduqués à ne rien donner à qui que ce soit.
Je lui lançais un regard désabusé – Lilith n'était très certainement pas égoïste, et elle s'enquit :
— Quoi ? C'est pas pour rien que la majorité d'entre eux finit à Serpentard. Une Lilith ne peut pas compenser un Malfoy, une Greengrass et une Harper.
Je secouai la tête.
— Au moins, tu admets qu'elle n'est pas égoïste.
— Elle aura tout le temps de me prouver le contraire tout à l'heure.
J'attendais d'ailleurs avec impatience de pouvoir passer du temps avec Lilith en-dehors de Poudlard, des cachots ou de la serre. Le château était devenu quelque peu anxiogène avec toutes ces querelles entre Serpentard et Gryffondor, nous ne pouvions même plus petit-déjeuner sans être rappelé du match à venir. Sortir du château quelques heures allait me faire le plus grand bien. Et puis, je pourrais profiter du fait qu'Emily occuperait Alice pour jeter un œil dans quelques boutiques. C'était, après tout, bientôt son anniversaire et je n'avais pas eu le temps ni l'espace mental pour penser à un cadeau.
Lilith, plus reposée qu'elle l'avait été ces derniers jours, sembla très intriguée à l'idée de faire un « tour » dans les boutiques sans vraiment avoir de liste préétablie. Visiblement, le shopping n'existait pas tel quel dans ce genre de familles. À l'exception du rituel des courses de première année et surtout de l'achat de la première baguette, Mr. Kristof s'occupait majoritairement d'acheter ce dont les Parker avaient besoin. Je n'eus pas besoin de lui demander comment elle faisait pour ses habits, son air sincèrement surpris lorsqu'elle apprit que je décidais quels vêtements mon père devait m'acheter était une réponse à lui seul. Manifestement, le cadeau qu'elle m'avait offert à Noël était la première chose qu'elle avait réellement acheté, avec l'aide très indirecte de Mr. Kristof, ce qui était à la fois absolument adorable et franchement étrange.
Après avoir vagabondé quelques temps dans les rues froides de Pré-au-Lard, Scribenpenne fut notre premier arrêt. Je n'avais plus mis les pieds dans cette boutique depuis une éternité et, même si mes souvenirs étaient lointains, l'agencement des lieux semblait avoir beaucoup évolué. À peine entrée dans la boutique, Lilith se dirigea directement vers la tenante des lieux pour échanger deux-trois mots. De leur discussion qui s'entendait très clairement à travers les rayons, il s'avéra rapidement que la boutique avait connu quelques problèmes avec les mangemorts. Entre les dégâts causés par la bataille qui avait eu lieu à Pré-au-Lard et ceux, plus quotidiens, des mangemorts qui s'étaient parfois amusés à détruire ce qu'ils voulaient sur leur passage une fois le village aux mains de Voldemort, il avait fallu refaire plusieurs fois la totalité des lieux et le pragmatisme l'avait finalement emporté sur la décoration.
Tandis que Lilith terminait sa discussion avec la sorcière, je fus attirée par les encriers, oubliant un instant la raison de notre présence dans la boutique. Les encriers me firent un instant penser à ceux, enchantés, de Flitwick du fait de leur couleur changeante. Lilith me rejoignit alors que j'en récupérai un sur une étagère. Sa couleur variait du jaune au rose, c'était tout à fait infect. Une étiquette collée un peu trop rapidement indiquait qu'il s'agissait d'une encre à couleurs multiples : elle prenait la couleur décidée par le sorcier au moment où il écrivait. Si ce genre d'encre ne me semblait pas avoir grand intérêt, je ne pus pour autant pas m'empêcher d'ôter le bouchon du flacon pour la sentir. Je rencontrai aussitôt le regard amusé de Lilith. Les joues soudainement rouges, je me raclai la gorge avant de reposer l'encrier sur l'étagère.
— Dessines-tu à l'encre ? demanda-t-elle, toujours un sourire aux lèvres.
J'acquiesçai.
— Mais avec des stylos et du papier moldus, honnêtement, je n'y comprends pas grand-chose. J'ai juste pris l'habitude de les utiliser parce que c'était ce que ma mère achetait et ça me fait bizarre quand je change de papier, le ressenti n'est pas le même. Depuis, ma tante et mon oncle m'en offrent pour mon anniversaire et je n'en utilise pas assez pour avoir besoin d'en racheter durant l'année.
— Quand est ton anniversaire ?
— Fin juin. Le 26, précisai-je amusée par sa soudaine moue frustrée. J'imagine que tu ne pourras pas être là…
— Ce serait difficile de justifier une absence à ma famille. Nous n'avons pas pour usage d'avoir des « connaissances » qui n'appartiennent pas à certains cercles.
— Il faudra le dire à mon père. Il risque de t'inviter pendant les prochaines vacances. À cause de Noël ? ajoutai-je devant son regard interrogateur. Mes grands-parents veulent te rencontrer. L'avantage, c'est que l'excuse est toute trouvée : tu es une Sang-Pur. Mes grands-parents comprendront rapidement ce que ça veut dire.
Un soupir m'échappa malgré-moi alors que je jetai un œil aux différentes plumes, à côté des encriers. Peut-être une plume à papote permettrait à Alice de ne pas avoir à rédiger elle-même ses parchemins, elle s'en plaignait toujours, elle qui parlait bien trop souvent quand elle avait le malheur d'écrire quelque chose. Je sentis tout de suite que mon attitude questionna Lilith.
— Je t'ai déçue, constata-t-elle.
— Non, répondis-je mécaniquement en jouant avec une plume.
Elle se pencha légèrement vers moi, avant de faire de même avec sa tête, sur le côté, comme elle le faisait toujours lorsqu'elle se corrigeait.
— Tu as la même expression que lorsque nous avons reçu un acceptable à notre travail pratique en cours de potions, dit-elle.
Je me retournai pleinement vers elle avec un petit sourire, délaissant les plumes de couleur vive qui auraient fait crier Alice d'effroi – bien que l'image était rigolote et tentante, ne serait-ce que pour la blague. Par politesse, elle se sentirait obligée de l'amener au moins une fois avec elle en cours et dévoilerait à l'ensemble de la classe ses goûts très raffinés en matière de plumes.
— Oh, tu veux parler de ce fameux jour où ton état catastrophique n'avait « rien à voir » avec moi ?
— Mon état n'avait rien à voir avec toi, répliqua aussi vite Lilith.
— À bien y réfléchir, j'apprécie que tu sois honnête et que tu admettes qu'il s'agissait simplement de tes capacités habituelles. Tu as dû te reprendre à quatre fois pour lire une simple phrase : je me sens mal à l'aise de m'être autant vantée de mes meilleures notes, nous ne partons pas avec les mêmes chances de départ.
Elle se redressa, le dos bien droit, et je retins un sourire ; j'avais visé particulièrement juste.
— Je te trouve quelque peu de mauvaise foi de conclure que tu as de meilleures notes que moi. À en juger par tes très rares efforts exceptionnels avec Chourave, il me semble que tes compétences en botanique se restreignent à m'embrasser dans une serre.
Je rougis et, quelque peu gênée par le caractère public de l'endroit où nous étions, regardai autour de nous tandis que je continuais ma prospection le long du rayon. Il n'y avait qu'un seul client et la vendeuse était suffisamment éloignée de nous.
— J'espère que tu réalises que la seule chose que je vais retenir, c'est que tu me trouves compétente à cet égard.
J'eus le droit à un combo tête secouée/yeux au ciel/sourire amusé et nous rîmes. Le sorcier nous lança un regard agacé et nous nous reprîmes tant bien que mal. Nous avions passé les plumes à papotes sans y faire attention.
— Je te présente mes excuses, reprit-elle plus sérieusement. Entre Ethan et Lucy, je prends déjà beaucoup de risques et j'en impose suffisamment à mon frère.
— Je comprends, Lilith. Ce n'est pas toi qui me déçois, c'est juste la situation.
De toute manière, c'était probablement assez idiot de s'attendre à ce qu'elle rencontre ma famille étant donné les circonstances.
— … Mais juste pour être au clair à ce sujet, repris-je alors que je m'arrêtai en plein milieu du rayon, qu'est-ce que tu risques si ta famille venait à l'apprendre ?
— Eh bien, cela dépend des circonstances. Si ce n'est que ma famille, dans le sens où aucune autre grande famille de Sang-Purs n'est au courant, alors le plus grave serait évité. Disons que notre famille ne nous interdit pas stricto sensu d'avoir des relations avant le mariage, elle nous fait juste comprendre qu'il s'agit d'une très mauvaise idée que nous devrions à tout prix éviter pour le bien de notre famille. Cela dit, mentir n'est pas du tout chose acceptée par chez nous. « C'est dans les mensonges et les cachotteries que des familles sont défaites », récita-t-elle. C'est le signe d'un individualisme qui peut nourrir des querelles intrafamiliales dans le temps. Ils ne vont certainement pas apprécier mon silence à propos de notre relation.
Je revins sur mes pas, légèrement confuse.
— Pourquoi ne pas simplement leur dire la vérité, alors ? Je veux dire, si c'est le mensonge qui pose soucis.
— S'ils sont au courant, ils se questionneront probablement quant à ma détermination à faire ce qui est attendu de moi, alors ils risquent de renforcer une certaine surveillance.
Mon cœur se serra et je déglutis.
— Tu parles de la legilimancie.
— Entre autre, oui. Je préfère que les souvenirs que j'ai de nous restent privés. Avoir ma grand-mère ou ma tante sur le dos n'est vraiment pas quelque chose dont j'ai envie, surtout vis-à-vis du mariage. Je sais ce qui est attendu de moi, je n'ai pas besoin qu'on me justifie l'importance de ces pratiques pendant les deux années qu'il me reste sous le prétexte qu'ils ont peur que ma sexualité m'éloigne de mes obligations familiales. Mon oncle est capable de gérer de grandes situations d'incertitudes, à part lorsque cette incertitude touche directement notre famille. Entre Ethan et moi… il risque d'être particulièrement imbuvable.
Je n'eus pas le temps de rebondir que l'attitude de Lilith changea drastiquement. Son dos, surtout, redevînt très droit, elle qui le laissait pourtant de plus en plus se relâcher en ma présence. Je suivis son regard derrière moi : Greengrass et Nast étaient entrés dans la boutique.
— Greengrass ne semble pas avoir ce problème avec Nast, ne pus-je m'empêcher de constater à voix haute.
— Eh bien, c'est une Greengrass.
Le mépris que j'avais perçu chez la Serpentard à l'égard de Lilith le soir où je l'avais cherché devant leur Salle Commune était de toute évidence partagé par Lilith elle-même. Je me retournai à nouveau vers Lilith. Elle sembla se rappeler que nous n'étions issues ni de la même maison ni du même milieu.
— Les Greengrass n'ont de patrimoine que la pureté de leur sang et ne laisseront comme héritage que leur ambivalence vis-à-vis des mangemorts, expliqua-t-elle. Comme d'autres familles anglaises de ce rang, elles sont perdues dans une espèce d'inertie générale. Un repli sur soi et une valorisation de la pureté du sang comme des préjugés anti-Nés-Moldus qui ne découlent que d'une vieille peur de disparaître face aux moldus. Ils ont des idées dépassées, si tant est qu'on puisse considérer qu'ils ont vraiment des idées, ne sont pas motivés par grand-chose d'autre qu'eux-mêmes et sont très prompts à rester entre « anglais ». Nous évitons généralement d'avoir des liens plus profonds que nécessaires avec ce genre de famille.
Si Lilith venait de décrire l'ensemble des Sang-Purs que nous côtoyions à Poudlard, je n'étais pour autant pas bien sûre qu'ils étaient véritablement différents du reste des sorciers anglais. Ce n'était pas comme si, nous autres, avions réellement une vision de ce que devait être notre société – en-dehors de notre exclusion du monde moldu et de notre rejet des idées des Mangemorts. Nous arrivâmes à nouveau à hauteur des plumes à papotes, cela dit, et je perdis le fil de mes pensées. Elles étaient toutes présentées avec un bout de parchemin pour pouvoir les tester. Sur un des parchemins, une phrase dont l'encre n'avait pas encore eu le temps de sécher me fit aussitôt rougir. « tes compétences en botanique se restreignent à m'embrasser dans une serre ». Au moins, cette plume-ci semblait particulièrement efficace.
D'un coup de baguette, je fis disparaître la phrase du parchemin à l'aide du sortilège indiqué sur le haut du rayon avant de récupérer un exemplaire de la plume en question. Il me sembla bizarre d'offrir une plume sans l'accompagner avec ce qu'il fallait pour pouvoir l'utiliser et je pris, au passage, un encrier quelconque sur une étagère. La sorcière encaissa le tout assez rapidement, tandis que Greengrass et Nast disparaissaient dans le rayon des parchemins.
— Sa relation avec Nast ne semble pas poser trop de soucis, dis-je une fois dehors. Ca ne se discute pas comme chez vous ? Je veux dire, le mariage, ajoutai-je précipitamment en vérifiant d'un coup d'oeil qu'ils étaient restés bien au chaud dans la boutique.
— Oh, ce n'est pas aussi systématisé que chez nous. Enfin, cela arrive en dernier recours, corrigea-t-elle rapidement, mais ce genre de familles est bien trop individualiste pour y recourir de manière aussi rigide que nous le faisons. Ils ont tendance à restreindre leur cercle social aux Sang-Purs anglais et à se marier à l'intérieur de celui-ci. Cela leur donne une illusion de choix qui n'en a vraiment que l'apparence.
— Donc Greengrass pense avoir le choix, mais celui-ci n'est ni vraiment libre ni vraiment éclairé puisqu'il est restreint à un certain… cercle.
Elle acquiesça.
— De surcroît, pour parler véritablement de choix, il faudrait être capable d'apercevoir les personnes derrière les apparences, ce qui n'est pas chose aisée par chez nous. Généralement, ces personnes croient au miracle, à ce petit 1% de chance de réellement tomber amoureuse d'une des quelques trois ou quatre personnes auxquelles elles ont le droit de prétendre. Sauf que Greengrass a probablement été éduquée à voir certains atouts chez les hommes. Leurs mariages sont aussi arrangés que les nôtres, seulement… ils les arrangent sans l'assumer. Les parents font pression et leurs enfants savent très bien qu'il vaut mieux « apprécier » quelqu'un du même rang au risque d'avoir une relation particulièrement compliquée, de se priver de sa famille et, dans les cas les plus extrêmes, d'un héritage important. De toute manière, la majorité de leurs relations sociales et de leurs connaissances ne sont qu'issues du même rang et les familles forcent souvent les évènements pour que leurs enfants « se rencontrent », même si ces mêmes enfants refusent de le voir. Un dîner par-ci, un gala par-là, une rencontre fortuite sur le Chemin de Traverse ou de fausses amitiés entre les mères pour justifier de passer du temps les uns chez les autres. Honnêtement, tout cela n'est qu'une mascarade. Au moins, nous, nous ne prétendons pas nous marier pour autre chose que la préservation de notre sang. Bien sûr, continua-t-elle, si je tombais amoureuse d'un Sang-Pur, il est quasiment certain que ma famille me laisserait l'épouser… à part s'il s'agit de Malfoy, ajouta-t-elle rapidement avec une moue de dégoût qui me fit sourire malgré-moi. Mais cela n'arrivera jamais. Étant donné les circonstances, je préfère largement nos pratiques à celles du reste des familles anglaises. Cette illusion de choix me donnerait l'impression de devoir considérer cette union comme autre chose que ce qu'elle est réellement. Ce ne serait pas très bon psychologiquement étant donné ma situation.
Je soupirai, le ventre serré. Il y avait quelque chose d'assez frappant dans la façon dont Lilith faisait sens de la situation, c'était à la fois rassurant et particulièrement triste. Quoique, c'était énervant, aussi, cette façon avec laquelle il était facile de faire passer les Parker pour les « gentils », comme si le mariage arrangé n'était pas une pratique en elle-même « pas très bonne psychologiquement ». C'était franchement un peu trop facile d'oublier la violence de la pratique sous prétexte de la comparer à d'autres.
— Souhaites-tu « faire un tour » dans une autre boutique ? demanda Lilith.
— Non… à part si c'est ton anniversaire la semaine prochaine, m'amusai-je.
— Bien que je sois très curieuse de ce que tu pourrais bien faire si c'était le cas, je suis née en mars. Le 13, précisa-t-elle à son tour avec un sourire amusé.
Nous arrivâmes rapidement devant la maison familiale. Une fois à l'intérieur, deux tasses de chocolat chaud – ce que Lilith préférait boire – nous attendaient sur la table de la cuisine, accompagnées de biscuits dans une petite coupelle ; à croire que Mr. Kristof était lui-même legilimens, nous promener dans le froid m'avait ouvert l'appétit. Nous troquâmes rapidement la table de la cuisine pour le canapé du petit salon, bien plus confortable que la serre. Après le froid de l'extérieur, se réchauffer entre les coussins et à l'abris des regards indiscrets était particulièrement agréable.
Le début d'après-midi n'avait cependant pas réellement quitté mon esprit et je ne pus m'empêcher de rompre nos baisers. Enfin, si j'étais tout à fait honnête, c'était surtout ce qu'avait dit Harper qui ne m'avait jamais réellement quittée. Je me redressai sous le regard curieux de Lilith, anxieuse à l'idée d'aborder ce sujet ou, plutôt, de la nature de sa réponse. Je ne savais même pas vraiment comment m'y prendre.
— Je sais que ce n'est pas du tout le moment, mais il y a une question que j'ai besoin de te poser et je ne suis pas sûre que tu l'aimeras alors je comprends si tu ne veux pas me répondre.
Lilith se redressa à son tour avec un air particulièrement sérieux et je déglutis, le cœur animé par d'autres raisons, cette fois, que notre interlude sur le canapé.
— Très bien.
Je jouais nerveusement avec ses doigts qu'elle me laissa triturer en silence.
— Harper a dit des choses qui m'ont un peu surprise l'autre jour. J'avais bien compris qu'Ethan et toi aviez grandis dans un environnement où on vous inculque que vivre votre vie normalement vous rendrait malheureux pour une raison que je ne suis toujours pas sûre de comprendre, d'ailleurs. Et j'ai bien compris que tu avais dû te battre avec toi-même pour t'autoriser à venir vers moi. Nous en avions discuté avant les vacances de Noël. Mais je n'avais pas compris cette histoire de « maladie ». Harper a sous-entendu que ta mère était malade ? Et elle était restée sur la couverture…
— Oh.
Je sentis son avant-bras se tendre sur mes cuisses tandis que je continuais à jouer avec ses doigts.
— Alors, je me demande…
Je soupirai, le ventre serré à l'idée d'avoir une réponse positive, avant de me reprendre et de délaisser ses doigts pour plonger mes yeux dans les siens.
— … enfin, est-ce que toi aussi tu crois qu'être avec moi te rendra malade ? Je veux dire, quand tu m'as parlé de tout ça, avec la couverture, j'ai cru que ça voulait dire que tu ne croyais plus à ces histoires de malheur et que tu avais déconstruit toutes ces choses mais peut-être que c'était un postulat complètement erroné…
— Ce sont les mots de Lucy, répondit-elle aussitôt. Ma mère avait visiblement tendance à vivre dans le passé. Nous appelons ça être malheureux et Lucy appelle ça être malade. Je crois que la venue des psychiatres lui a fait voir certaines choses différemment. Cette idée de « maladie de l'esprit » ? reprit-elle, cela l'a beaucoup travaillé ces dernières semaines. Et concernant ma mère, j'ai toujours eu l'impression que c'était plus dérangeant pour l'entourage proche que pour elle, honnêtement. Bien sûr, nous avons eu le droit à beaucoup de récits de ses problèmes comme mises en garde, et ma tante n'a jamais loupé une occasion pour nous rappeler combien notre mère pouvait parfois être un poids pour notre famille, mais...
Mon ventre se dénoua et j'eus l'impression de pouvoir à nouveau respirer normalement.
— Donc tu ne penses pas que…
— Non, je ne pense pas qu'être avec toi me rende malade, Eyrin, sourit-elle. Ni même que cela me rendrait malheureuse. Mais si je suis tout à fait honnête, « ne pas finir comme ma mère » faisait partie des nombreuses choses avec lesquelles je me suis effectivement battue en début d'année. Je ne voulais pas être un poids pour notre famille à mon tour. J'avais l'impression d'être en train de les trahir ou de les décevoir alors même que je n'avais aucun contrôle sur ce que je ressentais, c'était terrifiant et agaçant.
— Donc tu l'as bien pensé en début d'année, conclus-je en me tournant entièrement vers elle. Qu'est-ce qui a changé entre-temps ?
Elle ramena ses mains sur ses genoux et ferma un court instant les yeux avant de prendre son inspiration habituelle.
— J'ai juste tenté de faire sens de la situation. À un moment, il m'a paru évident que me comparer à ma mère était une erreur fondamentale. Elle n'a pas été élevée comme une Parker. D'une certaine façon, elle n'était pas préparée. Elle n'a pas connu nos traditions ou nos valeurs avant d'être mariée à mon père. Et puis, ce n'est jamais évident pour une femme de rejoindre les Parker, nous avons généralement bien plus de prestige et de pouvoir que les autres familles. Cela sous-entend que nous avons plus de poids dans les négociations. La plupart du temps, elles doivent entièrement se dévouer à nos traditions, y compris pour l'éducation des enfants. Évidemment, il y a la legilimancie. Apprendre que son mari est legilimens et le devenir à son tour, en ayant accès aux pensées, souvenirs, émotions de cette personne que tu ne connais pas encore réellement, qui a un ascendant sur toi, et avec laquelle tu t'apprêtes à élever des enfants, ce n'est pas facile. Considérer que son mal être n'était dû qu'à son aventure adolescente est un peu facile. Nous ne sommes pas du tout dans la même situation.
C'était ce qui attendait probablement Harper sans qu'elle en ait véritablement conscience. J'acquiesçai dans le vide sans m'en rendre compte, soulagée sur un point mais pas sur d'autres.
— Harper avait raison, vous ne savez absolument rien de votre futur…
— Ma grand-mère m'a proposé de lire les accords de l'union pendant ces vacances. Tout est enfin finalisé. Fut une époque, j'aurais dit oui sans hésiter, mais une des choses que j'apprécie terriblement avec toi, c'est que j'ai l'impression de pouvoir être… je ne sais pas, moi-même ? enfin, se corrigea-t-elle, c'est surtout que j'arrive à m'autoriser à être moi-même en ta présence, et je veux profiter de ces moments. Si je connais le détail des accords, je ne ferais que me projeter dans cette vie future et, honnêtement, elle arrivera bien assez vite. Je n'ai pas envie que cela soit un poids sur ce qu'il se passe maintenant. Je préfère ne rien savoir pour le moment, tant que nous sommes ensemble.
— Je t'aime.
Sa surprise fut aussi grande que la mienne et je me raclai la gorge, les joues brûlantes. Pourquoi fallait-il que ce genre de choses m'échappent maintenant ? Mon cerveau était vraiment insupportable. Je n'osais même pas imaginer l'état de mes joues.
Lilith, elle, semblait complètement absorbée par ses pensées. Peut-être l'avais-je à nouveau fait paniquer. Je me sentis aussitôt coupable et quelque peu stupide de m'être montée la tête toute seule à ce sujet – Alice avait peut-être eu tort. Mon cœur allait réussir à sortir de ma poitrine s'il continuait comme ça.
Lilith finit par reposer le regard sur moi avec un sourire. Mon corps se détendit légèrement devant ses yeux pleins de tendresse.
— Je te présente mes excuses, commença-t-elle d'une voix très douce, je suis juste un peu surprise. Cela va te paraître idiot, mais je n'ai jamais pensé que mes sentiments puissent être partagés, enfin je viens à peine de réaliser qu'il s'agissait d'une possibilité, précisa-t-elle.
Elle s'empara de mes doigts avant de déposer un baiser sur ma joue. Mon cœur reprit de plus belle devant ce qu'elle venait d'avouer à demi-mot. Il faisait beaucoup trop chaud, ici.
— Ce que j'essaye de dire, c'est que je t'aime aussi.
J'eus un grand sourire avant de m'emparer de ses lèvres avec un peu trop d'entrain ; connaître ses sentiments était la meilleure sensation du monde. Nous en rîmes avant de nous perdre à nouveau parmi les coussins du canapé. Lilith finit néanmoins par se redresser, mettant fin à notre intermède. Elle passa sa main sur ma joue et plongea ses yeux dans les miens.
— Je suis vraiment désolée Eyrin, je n'avais pas perçu que cette histoire te travaillait.
Je me redressai légèrement à mon tour.
— Eh bien, tu as dit que tu ne voulais pas que je m'indigne, alors…
— Il y a une différence entre s'indigner et poser une question. Je te présente mes excuses. Je ne voulais pas suggérer que tu ne devais pas parler de ce sujet. Lorsque je t'ai dit cela, j'étais encore un peu dépassée par la situation. J'ai passé une très bonne journée, ici, la dernière fois. Je ne m'attendais pas à autant l'apprécier. Quand la journée s'est terminée, je savais que je devais être honnête avec toi et, dans le même temps, j'avais très envie que rien ne s'arrête. J'essayais de gérer ce qui m'arrivait, mes états d'esprits et mes émotions. Ta première réaction a été si spontanée… J'ai été un peu déstabilisée. Je devais gérer mes propres états d'âmes et gérer par-dessus ton indignation ou ta colère me semblait faire trop pour moi sur le moment. Mais je suis très touchée que tu prêtes autant d'attention à ce que je dis, ajouta-t-elle rapidement avec un sourire en déposant un baiser sur mon épaule.
— Je ne pense pas être capable d'en parler sans être en colère. Honnêtement, toute cette histoire me tue.
Elle baissa si rapidement les yeux que je crus un instant l'avoir rêvé. Son attention se focalisa ensuite sur la cheminée et je ne pus m'empêcher de continuer :
— Je veux juste que tu sois heureuse.
Elle tourna à nouveau son visage vers moi et je ne pus m'empêcher de sourire devant la tendresse qui transparaissait dans son regard.
— Je le suis, Eyrin.
— Oui, mais je ne veux pas dire… Je veux dire, même si nous ne sommes plus ensembles, plus tard, pour le reste de ta vie.
Lilith eut un léger sourire et je m'empressai :
— J'ai dit quelque chose de stupide ?
— J'espère que tu réalises que tu dis rarement des choses « stupides », répondit-elle d'une voix douce.
— Je ne veux juste pas que tu te sentes obligée de faire des choses que tu n'as pas envie de faire.
— C'est ici que les choses se complexifient, Eyrin. Une partie de moi a sincèrement envie de tout ça. Évidemment, il y a des choses dont je n'ai absolument pas envie, comme du mariage en lui-même, enfin plutôt de qu'il sous-entend, corrigea-t-elle, mais j'ai envie de participer à… l'ensemble, à tout le reste et à ce qu'il signifie, comme mes ancêtres l'ont fait.
— C'est précisément pour ça que je suis en colère contre ta famille.
Je m'en voulus quelque peu de lui dire ce genre de choses mais elle ne s'en offusqua pas. Au lieu de ça, elle se réinstalla sur le canapé de sorte à pouvoir se tourner entièrement vers moi et s'empara de mes mains sur ses genoux.
— Tu n'as pas besoin de t'inquiéter pour moi.
— Je ne vois pas bien comment je pourrais ne pas m'inquiéter pour toi. Je conçois que tu as appris à considérer que ton propre bonheur ne comptait pas, mais ce n'est pas mon cas. Et, entre nous, Harper a dit que tu avais une panique presque tétanique vis-à-vis du mariage…
— Lucy a un goût prononcé pour le théâtral, répliqua-t-elle. J'ai simplement réalisé ces derniers mois que le sacrifice qui m'était demandé était plus important que ce que l'on pouvait demander à d'autres femmes de ma famille.
Je soupirai un peu trop fortement et elle joua avec un instant avec une de mes mèches de cheveux. À nouveau, elle ferma les yeux avant de les rouvrir.
— Quand j'étais plus jeune, commença-t-elle, je ne croyais pas que les sentiments amoureux étaient réellement importants. Toute ma vie, je n'ai vu qu'une forme particulière de tendresse. Mes grands-parents se respectent beaucoup, cela se voit quand ils sont ensembles et ils ont toujours quelques attentions l'un envers l'autre, mais cela se voit également qu'il n'y a rien d'autre qu'une habitude polie entre eux. Il s'agit peut-être plutôt d'une forme de prudence que de tendresse, je ne sais pas, c'est difficile à décrire. Et puis, j'ai associé les sentiments amoureux à quelque chose de dommageable et négatif, en tout cas quelque chose qui amenait des contraintes fortes sur les personnes autour de nous. Alors, je pensais simplement que les adolescents de mon âge avaient tendance à faire toute une histoire de ce genre de choses, avec les hormones ? Qu'ils amplifiaient quelque chose qui n'était pas si important que cela. Alors, le mariage ne me semblait pas être si dramatique. Certes, ce n'était pas ce que j'attendais avec le plus d'impatience, mais au fond, est-ce que les autres choisissent réellement ? Vous estimez grandement l'individu et son propre bonheur. Vous croyez donc en l'importance d'un mariage d'amour entre deux individus. Nous estimons grandement notre famille, au sens bien plus large que les familles nucléaires auxquelles vous êtes habitués, et pensons que les envies individuelles doivent venir après le bien-être de notre famille. Votre propre perception du mariage est toute autant influencée par votre famille que la mienne l'est par la mienne. Mais l'année dernière, quand une certaine personne a été très polie dans un couloir…
— Tu as réalisé que tu étais une adolescente comme nous autres, avec des hormones comme tout le monde.
— C'est un peu gênant à admettre, mais oui. D'une certaine manière, j'imaginais être au-dessus de tout cela. C'était un peu naïf de ma part. Enfin, condescendant, corrigea-t-elle.
Elle se recula contre le dossier et je vins me blottir contre elle. Elle en profita pour récupérer à nouveau une mèche de cheveux qu'elle s'amusa à faire passer entre ses doigts. Je me laissai bercée un instant avant de reprendre :
— Alors… d'une certaine façon, tu n'avais pas réalisé que tu aimais les filles à cause du mariage arrangé. Je veux dire… tu pensais que c'était normal de ne pas avoir plus d'intérêt que cela pour les garçons vu que les relations humaines sont assez froides par chez vous.
— J'imagine, oui, acquiesça-t-elle. J'ai été forcée de réévaluer beaucoup de choses et d'autres choses encore ont pris un nouveau sens. Ce n'était pas une période très agréable, je ne suis pas habituée à me demander ce dont j'ai envie, ce n'est pas une préoccupation que nous avons par chez nous, et je suis toujours en train d'essayer de faire sens de certaines choses. C'est probablement tout cela que Lucy a perçu ces derniers mois.
C'était une façon intéressante de dire les choses, je n'y avais jamais pensé sous cet angle-ci.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-elle soudainement.
Je relevai les yeux, elle avait l'air sincèrement concerné.
— Oui, c'est juste que je n'ai pas encore vraiment réévalué les choses, comme tu dis.
— Souhaites-tu en parler ?
— Non, pas vraiment.
Ses doigts quittèrent mes cheveux pour descendre le long de mon bras. Elle sembla un court instant se perdre dans des motifs invisibles avant de planter ses yeux dans les miens, ses doigts sur mon avant-bras. Je soupirai, à la fois attendrie par son air soucieux et quelque peu agacée que son silence réussisse à me tirer les vers du nez alors que je ne m'étais même pas avoué ce genre de choses à moi-même pour commencer.
— C'est juste qu'Alice et Emily font comme s'il s'agissait juste de s'accepter soi-même mais ce n'est pas du tout ce dont il est question et ça m'agace un peu. Je sais qu'elles essayent juste d'aider mais… Elles font comme si le plus important était de savoir si j'étais dans une case ou non, mais à partir du moment où on me met dans cette case, j'ai le droit à un traitement différent. Elles oublient cette réalité. Ce qui est difficile, ce n'est pas de savoir si je suis dans cette case, ce qui est difficile, c'est ce qui arrive une fois que j'y suis ou que d'autres personnes y sont, si je n'y suis pas moi-même. Et puis, en vrai, ce n'est même pas moi qui me met dans cette case, c'est tous les autres. Alors, vraiment, tout ce discours sur s'accepter soi-même, ça m'agace. Je veux dire… je ne suis pas stupide, je sais encore ce que je ressens. C'est juste qu'y penser me force nécessairement à réfléchir à d'autres choses dont je ne sais même pas… Je ne sais pas si je veux me marier ou avoir des enfants, ou ce que je veux faire plus tard, je ne sais rien de ce que j'ai envie de faire après Poudlard, tout me semble si inutile, la Coopération Magique comme la Justice Magique ne servent à rien et je n'ai très certainement pas envie de travailler dans une boutique ou de finir prof à Poudlard, je ne sais pas si je suis censée rester en Angleterre ou revenir en Suède… Je ne sais rien et je n'arrive pas à me projeter dans le futur avec tout ce qu'il se passe ici. Il y a toujours trop de choses dans ma tête pour penser à l'après Poudlard. A chaque fois, ça me donne mal au ventre et ça me stresse. J'ai juste besoin que tout se calme autour de moi pour pouvoir y penser mais rien ne se calme jamais. Et puis, au fond, me poser ces questions est vraiment stupide parce que peu importe la réponse, ce n'est pas comme si j'avais vraiment le choix non plus. J'imagine que je viens juste d'en parler, soupirai-je à la fois agacée et gênée.
Je craignis un instant qu'elle ne comprenne pas ce dont je parlais, nous n'avions jamais abordé ce sujet avant et j'avais cruellement manqué de contextualisation, mais elle ne sembla pas spécialement perdue.
— Ce n'est pas parce que la Guerre est arrivée que la Coopération Magique ne sert à rien, plusieurs autres conflits auraient éclatés si des diplomates ne travaillaient pas de concert et l'efficacité de la Justice Magique ne peut pas se résumer à une seule affaire. En ce qui concerne le plus important, tu peux juste dire aux filles ce que tu viens de me dire.
C'était gentil de sa part d'essayer de me rassurer sur les premiers aspects, mais j'étais bien trop en colère sur le moment pour donner suffisamment de crédit aux arguments qu'elle opposait.
— Elles ne peuvent pas comprendre. Elles prennent tout ça pour acquis. Même Alice... Je veux dire, je conçois qu'elle est en train de faire un travail sur elle-même et tout ça mais il n'y a aucune espèce de conséquences à ce qu'elle peut bien découvrir. Personne ne la mettra dans une boîte pour lui dire « tiens, maintenant que je t'ai mise là-dedans, tu n'as plus le droit de faire ça et ça et ça non plus ». Personne ne va la mettre à l'écart en fonction de ce qu'elle découvre. Elle est celle qui doit s'accepter elle-même et je suis juste celle qui doit accepter qu'on lui retire le droit de faire des trucs comme tout le monde, mais pourtant c'est moi qu'on emmerde avec des discours sur l'acceptation de soi. J'imagine que ça arrange bien tout le monde d'avoir ce genre de discours, au moins ça leur évite de penser à comment ils traitent les gens qu'ils mettent dans ces boîtes.
— Peut-être devrais-tu considérer ces « boîtes » comme des outils. Elles servent simplement à structurer le monde et à orienter certains comportements. Par exemple à signaler à un garçon ou une fille qu'il ou elle peut t'approcher. Elles n'ont pas d'importance en elles-mêmes au-delà de ce genre de choses.
— J'entends Lilith, je ne dis pas que ces boîtes sont inutiles. Après tout, sans ces boîtes on ne pourrait même pas discuter de certaines choses ou reconnaître leur existence. Mais, pour autant, elles ne sont pas anodines et ce serait bien que les gens le reconnaissent. Ce n'est pas comme si on avait décidé de prendre des boîtes au hasard, des choix sont faits. Nos Fondateurs ont formaté toute notre société en créant des boîtes qu'ils ont délibérément choisies de créer d'une certaine façon. Comme il n'est pas anodin d'être mis dans cette boîte, en vrai : il y a d'autres enjeux au fait d'être dans ces boîtes que juste « accepter » d'y avoir été placé. Après, ça donne des gens qui font comme si c'était juste une question personnelle, mais ça n'en est pas une. Comme avec la répartition, maintenant que j'y pense, c'était vraiment une bonne analogie.
Je me figeai, gênée, alors que je réalisai que je venais de m'autocomplimenter et Lilith sourit doucement.
— C'était effectivement une bonne analogie, appuya-t-elle. Je pense tout de même que tu devrais leur parler de pourquoi tu as besoin de temps pour poser les choses, tenta-t-elle une dernière fois. Elles peuvent comprendre que l'avenir te soit un peu effrayant, que tu as du mal à te projeter et que cela te gêne pour… te positionner par rapport à toutes ces « boîtes » et te laisser respirer à ce sujet pour te donner un peu d'espace.
Je ne pus empêcher un sourire devant sa tentative évidente de tout faire pour ne pas parler d'acceptation de soi, attendrie.
— De surcroît, reprit-elle, Emily est avec un moldu, il y a des questions qui se posent dans ce genre de configuration, notamment pour la vie à deux. Elle pourrait te surprendre.
— Ce n'est que sa relation actuelle qui peut avoir certaines conséquences, ce n'est pas pareil. Je veux dire… ce n'est pas comme si elle était victime d'une malédiction et qu'elle ne pouvait sortir qu'avec des moldus. Puis, une sorcière et un moldu peuvent se marier. Je suis désolée, soupirai-je agacée par mon propre comportement, je te parle de mariage depuis tout à l'heure alors que toi…
— Je ne pense pas qu'elle ait consciemment décidé de tomber amoureuse d'un moldu non plus, mais j'entends ce que tu dis. Et, Eyrin, tu n'as pas à t'excuser à chaque fois que tu parles de toi, tu sais.
— Ce n'est pas ce que je fais, répliquai-je immédiatement, gênée.
— Aussi systématiquement que tu m'embrasses après m'avoir dit être agaçante, s'amusa-t-elle doucement.
— Ce n'est définitivement pas quelque chose que je fais. Tu inventes juste des trucs maintenant, je ne te savais pas aussi imaginative cela dit, c'est une bonne surprise.
Lilith me parut bien trop attendrie par ma mauvaise foi. Elle m'embrassa avant de reprendre :
— Je suis habituée à avoir une vision très différente du mariage que la plupart des gens, ça ne me gêne pas de parler de ce genre de choses. Pour être tout à fait honnête, je n'ai jamais pensé à cette possibilité. Par chez moi, le mariage n'a comme utilité que la perpétuation de nos lignées alors l'idée-même d'un mariage entre deux personnes qui ne peuvent pas concevoir ne me serait probablement jamais venue à l'esprit si tu n'en avais pas parlé. Et je peux être très imaginative, rétorqua-t-elle.
— Tu réalises que tu viens de dire que tu es très imaginative juste après avoir avoué que tu n'aurais probablement jamais pu imaginer un mariage entre deux femmes ? Et couper des tiges avec un ciseau à la place d'un couteau ne compte pas.
Elle se redressa, manifestement piquée, et je dus me retenir de rire toute seule à ma blague.
— Je dois faire preuve d'une certaine imagination et capacité à penser différemment pour résoudre certains cas que mon grand-père me donne, même si j'admets ne pas en être capable en toute circonstance. Et si j'étais comme toi, ajouta-t-elle aussitôt, nous préparerions pleins d'ingrédients sans même nous souvenir de ce qu'ils sont. Tu commences à faire je-ne-sais-quoi avec des feuilles alors que tu n'as même pas encore terminé de couper les racines devant toi, s'offusqua-t-elle.
Je ne pus m'empêcher de rire devant son air très sérieux.
— Tu es vraiment adorable.
Elle leva les yeux au ciel et je déposai un baiser sur sa joue. Nous profitâmes chaleureusement de la dernière demi-heure qu'il nous restait avant de devoir rejoindre les filles aux Trois Balais. Alors qu'il fut bientôt l'heure, Lilith se leva subitement avec un air ennuyé. Devant mon regard interrogateur, elle m'indiqua s'être souvenue qu'il n'y avait pas de miroir dans cette maison, ce qui semblait beaucoup l'embêter… ou la stresser, je n'étais pas bien sûre. Elle disparut néanmoins dans l'entrée pour revenir avec une petite pochette récupérée dans sa cape. Au vu du contenu qu'elle déversa sur la table basse, elle comptait manifestement s'attacher les cheveux en un chignon. Elle s'y attela aussitôt, particulièrement concentrée et appliquée ; je ne pus retenir un sourire attendri.
— Alice lit-elle les nouveaux numéros de Sorcière Hebdo dès leur sortie ? demanda-t-elle soudainement.
Surprise par la question et ce qu'elle sous-entendait, je ne répondis pas de suite, quelque peu absorbée par le spectacle qu'elle donnait. Lilith se retourna vers moi avant de se justifier :
— Je n'ai pas eu la patience de lire quoique ce soit, j'ai uniquement jeté un œil aux thématiques abordées. C'est plus diversifié que ce à quoi je m'attendais.
— Est-ce que tu es stressée à l'idée de voir les filles ? demandai-je, quelque peu amusée, je devais bien l'admettre.
Elle parut surprise mais suivit des yeux mon regard jusqu'au peigne qu'elle avait reposé sur la table.
— Oh, ça ? Non, c'est juste un rituel dont j'ai pris l'habitude avant de devoir me socialiser dans des contextes plus ou moins formels. Cela m'aide à me mettre dans le bon état d'esprit.
— Tu sais que l'idée de boire un verre ensemble, c'est que les filles apprennent à te connaître, pas vrai ? Je veux dire, qu'elles découvrent qui tu es réellement au-delà de l'image qu'elles ont de toi et du personnage que tu es dans les évènements sociaux.
— Venir préparée à ce genre de rencontre est une très bonne illustration de la personne que je suis au quotidien, répliqua-t-elle le plus sérieusement du monde en ajustant quelques mèches rebelles.
Je secouai la tête à la fois amusée et agacée – elle n'avait malheureusement pas tout à fait tort.
— Est-ce que tu veux de l'aide ? Tu as l'air de vouloir que tout soit absolument parfait, ne pus-je m'empêcher de constater alors qu'elle commença à faire une tresse.
Elle parut surprise, plongea un instant ses yeux dans les miens et finit par acquiescer. Elle me tendit quelques épingles et élastiques puis se réinstalla plus convenablement. Je récupérai tant bien que mal la tresse qu'elle avait commencé, particulièrement contente qu'elle ait accepté et, surtout, qu'elle me fasse confiance avec ses cheveux.
— Haut, j'en conclus.
Elle acquiesça à nouveau, manifestement amusée.
— Il ne me semble pas t'avoir déjà vue les cheveux attachés autrement que sur un balais, dit-elle.
— Mes parents me tressaient constamment les cheveux quand j'étais petite mais… vraiment tout le temps ? J'aimais bien au début et puis j'ai fini par détester ça, c'était tous les matins, je n'en pouvais plus. Je rusais pour ne plus y passer. Depuis que je peux faire ce que je veux de ma tête, je permets à mes cheveux de profiter de leur liberté. Je veux dire… ils ont été suffisamment attachés pour toute une vie.
Lilith rit et je m'arrêtai aussitôt, les deux tresses en main. Elle tourna lentement son visage pour rencontrer mon regard désabusé.
— J'arrête de bouger.
— Merci.
Elle leva les yeux au ciel et je ris à mon tour. Je plaçai les dernières épingles, me battant quelque peu avec ses cheveux qui n'en faisaient qu'à leur tête et, bientôt, tout tenait à juste place. Le résultat était franchement réussi, j'avais rarement été aussi consciencieuse. Lilith se retourna aussitôt vers moi avec un regard interrogateur.
— Tu es très jolie.
Ce ne fut manifestement pas le genre de réponse à laquelle elle s'était attendue, j'aurais presque juré que ses joues avaient légèrement rosies.
— Je te remercie, répondit-elle enfin.
— Tu t'attachais bien plus les cheveux avant, non ? Je veux dire, quand on était plus jeunes. Je trouvais que quelque chose dans ton attitude était différent en début d'année, mais ce n'était pas juste que tu étais plus impliquée dans ce qu'il se passait autour de toi, tu as libéré tes cheveux entre temps. Je n'avais pas réalisé.
Elle acquiesça.
— J'étais bien trop facilement reconnaissable dans les couloirs l'année dernière. Depuis, je ne me sens plus aussi à l'aise avec au quotidien et, pour être honnête, je me suis habituée au gain de temps le matin. Mr. Kristof a passé l'été dernier à me répéter tous les matins, à la même heure, au même endroit, qu'une sorcière digne de ce nom savait tenir ses cheveux, jusqu'à ce que ma grand-mère lui dise qu'il pouvait « laisser passer » tant que je respectais les mœurs en présence d'autrui. Je les « libérais » aussitôt les invités partis, sous le regard désespéré de Mr. Kristof.
— Si tu cherches absolument à séduire Alice, sache qu'elle te répondrait que nous avons toujours le temps de lancer quelques sortilèges, surtout lorsqu'ils concernent nos cheveux.
— Premièrement, j'apprécie le faire moi-même... surtout devant un miroir, soupira-t-elle toujours ennuyée. Je n'aime pas la sensation qu'un sortilège laisse sur les cheveux, c'est vraiment très étrange. Deuxièmement, je ne cherche très certainement pas à séduire Alice. J'apprécie ne pas être prise au dépourvue et l'information est reine. Es-tu stressée que je rencontre les filles ? ajouta-t-elle en rangeant ses affaires.
— Évidemment, Lilith. La dernière fois avec Theo, c'était un peu… étrange et on ne le connaissait même pas. On est toutes en cours ensemble depuis six ans sans vraiment s'être parlées, la situation est franchement étrange. Et puis bon, je ne sais pas, ça paraît intime… Je ne suis pas exactement pareil avec toi qu'avec elles, avouai-je gênée de le réaliser à voix haute. C'est comme si deux mondes se rejoignaient, je ne sais même pas comment je suis censée me comporter. Ca aurait été bien plus simple de t'inviter une après-midi avec nous, je ne sais pas ce qui est passé par la tête d'Alice. Enfin si, je sais. Elle n'a juste pas réfléchi sur le moment, mais bref.
— Tu es absolument… quel est le mot, déjà ? Oh, s'amusa-t-elle avant de s'emparer de mes lèvres, adorable. Personnellement, reprit-elle alors qu'elle me laissait avec des joues complètement rouges, j'apprécie que le cadre soit posé, cela facilite bien plus la discussion que simplement se croiser ici ou là dans les couloirs. …Est-ce qu'il y a un soucis ? demanda-t-elle, confuse par mon attitude.
Je secouai la tête.
— Je suis contente que les filles te rencontrent, c'est tout. Je veux dire… même si je ne suis pas très à l'aise, je suis vraiment contente qu'on les voit tout à l'heure.
Elle sourit avant de m'embrasser.
— Je le suis également.
[NdA]
Le coup des Malfoy qui ne vont pas en prison vient de JKR dans des questions/réponses avec des fans en 2007 lorsqu'une personne lui a demandé si les Malfoy allaient à Azkaban (« No, the Malfoys weaseled their way out of trouble (again) due to the fact that they colluded (albeit out of self-interest) with Harry at the end of the battle. »).
Aussi, ignorer le silence plus longtemps serait assez ridicule de ma part. Je pense que le texte s'est suffisamment dévoilé pour pouvoir adresser la question. Plus de 180.000 mots, l'équivalent de trois petits romans, l'équivalent aussi de presque l'entièreté de la vieille version (toutes parties confondues), beaucoup de registres différents et (à l'exception de quelques très rares commentaires : merci!) tout a l'air de laisser mais alors complètement indifférent et, ce, sur trois plateformes différentes.
Comment suis-je censée interpréter un silence aussi long, massif, et généralisé alors même que vous semblez lire cette chose : l'histoire n'est pas du tout intéressante et vous lisez ça parce que vous n'avez rien d'autre à lire, le texte a trop de défauts et vous n'osez pas laisser des commentaires négatifs, personne ne lit vraiment en réalité et les « lectures » ne sont en fait que des clics curieux ou des bots qui font du référencement… ?
